La Révolution sociale démontrée par le coup d’État du 2 décembre/1

II.  ►


Je ne sais pas comment cela se fera,
mais cela sera, parce que c’est écrit.
(Idée générale de la Révolution au XIX
siècle, p. 195.)


I.

POURQUOI JE FAIS DE LA POLITIQUE.


Je n’écris pas contre qui peut proscrire, disait Camille Desmoulins sur la fin de 93, alors que Robespierre tout-puissant était en train de sauver la société, et que déjà la République n’existait plus !…

Je prends pour moi cette maxime. Je renonce, puisqu’on l’a voulu, à exercer le veto dont la révolution de février avait armé la presse contre le pouvoir, et je commence par déclarer que je n’ai rien à dire contre le coup d’état du 2 décembre, rien contre les auteurs, coopérateurs et bénéficiaires de ce coup d’état ; rien contre le vote qui l’a absous par 7,600,000 suffrages ; rien contre la Constitution du 15 janvier et les pouvoirs qu’elle organise ; rien même contre la tradition qu’elle semble vouloir faire revivre, dont elle adore les vestiges, et qui est restée au cœur du peuple comme la dernière de ses religions.

Je ne récrimine point, je ne proteste pas, je n’accuse personne. J’accepte le fait accompli…, comme l’astronome tombé dans une citerne acceptait son accident.

S’ensuit-il, républicains, qu’à travers tous ces changements de la scène politique, dont le terme n’est peut-être pas encore proche, nous n’ayons à exercer aucun acte conservatoire ; et parce que nos convictions se trouvent froissées, nos espérances déçues, notre foi meurtrie, qu’il nous faille croupir dans cette prostration morale, pire que le crime ? S’ensuit-il que nous n’ayons qu’à maudire le vainqueur, en attendant l’heure tardive de la réparation, et à mériter ainsi, par une stupide et coupable inertie, notre mauvaise fortune ?

À Dieu ne plaise ! Nous avons trop d’intérêts engagés dans le pouvoir, en quelques mains qu’il tombe ; nous sommes trop peu assurés et du présent et de l’avenir, pour qu’il nous soit permis, un seul instant, de nous annuler dans une abstention soi-disant vertueuse, et qui ne serait que lâche. Dussé-je être accusé par les énergiques d’avoir manqué à la fierté républicaine, parce qu’une fois de plus j’aurai, en écrivant, plié sous la nécessité du jour, je dirai ce que je pense des affaires ; j’affirmerai de nouveau, dans sa plénitude, contre toute monarchie et théocratie, le principe révolutionnaire ; tandis que les dynasties préparent leur retour, je pronostiquerai son triomphe ; je tâcherai, autant qu’il est en moi, et sans manquer aux conditions que le pouvoir actuel m’impose, de donner à la nation conscience de son état, de la relever dans sa propre estime et aux yeux de l’étranger ; de prendre des garanties, dans ce temps de subites catastrophes, contre une substitution éventuellement contre-révolutionnaire ; de rendre enfin aux idées une perspective, aux intérêts une direction, aux courages le ressort, aux proscrits l’intelligence et le calme. Je ferai, en un mot, dans la plus délicate des situations, malgré mes antécédents, mes sympathies et mes vœux, de la politique à l’usage de tous, des vainqueurs, des indifférents et des vaincus.

Qu’après cela le pouvoir, tel quel, que j’aurai servi peut-être, en le révélant à lui-même et aux autres, tire avantage de mes renseignements, je ne le redoute pas pour ma religion ; j’en serai heureux, au besoin, pour le progrès. Moi qui, dans l’histoire, ne reconnais que des gouvernements de fait, qui les répudie théoriquement tous, qui n’en voulais pour mes contemporains aucun, je ne demande pas mieux que de voir celui que je pave se modifier et marcher suivant mes principes. Et qui ne voit déjà combien celui du 2 décembre, tout fort et tout sage qu’il s’imagine d’être, a besoin que ses adversaires les plus maltraités lui montrent la route ? Qui ne voit, dis-je, que si la raison républicaine, découragée par tant d’outrages, abandonne à ses perfides suggestions ce gouvernement encore sans racines, aussi surpris que la nation de son existence, l’esprit public s’affaissant de plus en plus, la Révolution rétrograde de dix degrés ?

Triste condition des sociétés humaines, et qui doit donner singulièrement à réfléchir aux démocrates, qu’un peuple ne puisse, en aucun cas, s’abstraire de ses gouvernants, et qu’à moins de les écraser dans sa révolte, ce qu’il ne peut pas toujours, il soit condamné à les redresser, même quand il les déteste le plus !…

Mais, que dis-je ? ce que nous sommes tentés de prendre pour un fatal et regrettable appui, qu’est-ce autre chose que l’éternelle absorption du pouvoir dans la liberté ? Et dans cette solidarité intime du citoyen et de l’état, dans cette obligation étroite et indissoluble de nos intérêts avec le gouvernement, pouvons-nous méconnaître, au point où nous sommes, le symptôme d’une prochaine révolution ?

N’est-ce pas, en effet, le triomphe de l’idée révolutionnaire que la faculté politique soit désormais tellement liée à l’exercice de toute faculté professionnelle, science, littérature, commerce, fabrique, métier, que le mécanisme politique, relevant d’un million de souverains, en devienne impossible ; que quiconque s’occupe d’une branche de la production ou de la consommation générale, participe, par cela même, à la gestion du pouvoir, ait voix délibérative et perturbatrice dans l’état ; qu’ainsi le gouvernement ne pouvant pas plus s’affranchir du concours des producteurs, que ceux-ci faire abstraction dans leurs entreprises de la politique du gouvernement, l’initiative industrielle se transforme sans cesse en initiative politique, et convertisse fatalement l’autorité en an-archie ?

On avait cru que pour refouler la terreur démocratique il fallait, par une concentration extrême du pouvoir, ôter au pays sa souveraineté, séquestrer les masses de la politique, interdire à tout écrivain, qui ne relèverait pas du ministère, de traiter de matières politiques. La suspension de la faculté politique, partout et toujours : tel a été le mot d’ordre de la contre-révolution. Quel gouvernement serait possible, en effet, disaient-ils, avec le droit constitutionnel de discuter le gouvernement ? Quelle religion pourrait subsister avec le libre examen ?… Le 2 décembre ne fait qu’appliquer, dans la mesure de ses moyens, cette puissante théorie, ignorant apparemment qu’en toute société le souverain ne légifère et le prince n’exécute que de l’abondance de l’opinion, et s’imaginant que le meilleur moyen de faire penser le cerveau, c’est de pratiquer la ligature des nerfs et de boucher les sens !

Or, admirez le résultat. Plus on s’efforce d’enchaîner la parole, plus la pensée protestante réagit et déborde, prenant pour organes ceux-là même qui avaient applaudi, avec le plus de fureur, à la répression de la parole et de la pensée.

De quoi s’entretiennent le plus volontiers messieurs les académiciens dans leurs discours solennels ? de politique. Sans la politique, ils ne sauraient que dire la plupart du temps. Et nosseigneurs les évêques, si prompts à accuser l’esprit de révolte qui caractérise le siècle, que traitent-ils avec le plus de prédilection dans leurs mandements ? la politique. Il est vrai que c’est pour le bien de la chose, et l’intention justifie tout ; mais il ne tient qu’aux ouailles de réfléchir à leur tour sur les instructions de leurs pasteurs ! Et nos graves magistrats, comment se dédommagent-ils, dans leurs mercuriales, des longs et fastidieux ennuis de la judicature ? en dissertant de politique. Eux aussi se croient obligés d’apporter au système le contingent de leurs observations ! Pas une leçon donnée au peuple, avec l’assentiment de l’autorité, qui ne soit le développement d’une thèse politique. Bourgeois qui faisiez si bon marché du gouvernement, pourvu qu’il vous donnât l’ordre matériel, la sécurité de la rue, savez-vous pourquoi la confiance ne vous revient pas ? c’est que tous tant que vous êtes, et pour une infinité de raisons, toutes plus décisives les unes que les autres, vous ne pouvez vous empêcher de parler politique. La politique, en effet, dans cet ambigu où vous vivez depuis 1830, est l’alpha et l’oméga de toutes vos spéculations, de tous vos intérêts, de toutes vos idées. Ce n’est pas Robespierre ou Rousseau qui vous dit cela : c’est la nécessité des choses, l’économie inéluctable de la société. Vous êtes, bon gré mal gré, des hommes politiques ; qui pis est, vous êtes de l’opposition. Homme de lettres, vous vous proposez d’écrire l’histoire ? prenez garde, ce sera un traité de politique. Économiste, vous examinez les sources de l’impôt, la composition du budget, le prix de revient d’un soldat, le morcellement de la propriété, l’influence de la protection sur la circulation, etc. ? vous aurez beau danser sur la corde raide des distinctions et jongler avec les mots, votre économie politique sera encore de la politique, toujours de la politique. Philosophe, vous cherchez les principes du droit, les conditions de la société et de la morale ? politique. Industriel, commerçant, agriculteur, la nature de vos entreprises vous met en rapport permanent avec le domaine, la régie, l’administration, la douane, l’octroi : tout cela est de la politique. Vous ne pouvez élever une réclamation, adresser une plainte, proposer une réforme, sans remuer les fondements de l’état, toucher les secrets de la police et de la diplomatie. Au bout d’une question de transit, il y a l’équilibre européen. Vous êtes adjudicataire, concessionnaire, rentier de l’état ? qui plus que vous a l’obligation, partant le droit, de se préoccuper de la politique ? Tant vaut le gouvernement, tant vaut votre inscription : ceci est l’a b c de la Bourse. Que des ouvriers s’associent pour l’exploitation en commun de leur industrie : le contrat qu’ils forment entre eux ne vous semble relever que des codes civil et de commerce ; la police, non sans raison, y découvrira une tendance politique. Qu’un particulier ouvre, pour les escomptes de ces ouvriers, un comptoir : Banque du Peuple ! aussitôt visite domiciliaire, perquisition de papiers, apposition de scellés. Le prétendu comptoir est un centre politique.

Du haut de la société jusques en bas, tout ce qui se produit, se meut, se consomme, tient à l’action politique et peut être considéré comme une fonction du gouvernement. Chaque individu qui travaille, qui vend et qui achète, est, par un certain côté, représentant de l’état ; il participe au gouvernement, qui ne peut rien sans son libre concours et son adhésion. Il serait étrange que dans un pays où, par le progrès des siècles, le gouvernement n’est plus, en réalité, que le rapport des intérêts, on eût la prétention d’exclure les intérêts du gouvernement, et de régir la nation à la manière de l’autocrate de Russie ou des sultans de Babylone. Combien ils doivent se trouver empêchés, mortifiés, ces prétendus hommes d’état qui, sur la foi des jésuites, ont accepté pour moyen curatif et pris pour dogme, sous le nom d’autorité, l’interdiction politique, de se voir à chaque heure, dans tous leurs actes, soumis au contrôle inévitable des intérêts, forcés de reculer devant lui, et cela à peine de non confiance ! Et comme ils doivent regretter cet âge d’or de l’autorité, où le travail étant peu ou point spécialisé, le commerce et l’industrie sans engrenage, la science nulle, la philosophie réputée démoniaque, chaque pauvre famille logée dans sa maisonnette et vivant du seul produit de son petit champ, du bois d’affouage et de l’herbe communale, le gouvernement, je veux dire l’Église, n’ayant pour toute politique que la dîme à lever et le superflu de la population à envoyer en Terre-Sainte, planait au-dessus des groupes obéissants comme la nuée sur le désert !…

Trêve donc, s’il vous plaît, de vaines délicatesses et de faux scrupules. La politique, déjà primée, subalternisée par l’économie, mais s’obstinant à garder une position distincte, supérieure, impossible : voilà le secret de notre situation, et ce qui m’oblige, moi socialiste, après quatre ans de négation politique, à m’occuper de politique. Ici la forme emporte le fonds, et quand la maison brûle, ce n’est pas le cas de chercher si l’on est mal ou bien avec le portier. Pendant trois ans une réaction imbécile a prêché la restauration de l’autorité, l’absorption des libertés individuelles dans l’état. Louis-Napoléon n’est que le premier terme de cette enfilade contre-révolutionnaire, j’allais dire sa première dupe. D’autres feront le procès à l’auteur du coup d’état, raconteront les Mystères du 2 Décembre, diront les ordres impitoyables, la multitude des suspects, les noms des victimes. Pour moi à qui l’exil, et j’en remercie la prison qui m’a protégé de ses murailles, n’accorde pas de telles franchises, j’obéis à d’autres devoirs. Je ne laisserai point, sans exprimer auparavant mes réserves, s’ouvrir le testament mystique et olographe du 2 décembre, se préparer à l’étranger une restauration subreptice, ou bien encore s’organiser dans l’ombre un second essai de corruption constitutionnelle. Solidaire, bon gré mal gré, comme citoyen, comme écrivain, comme travailleur et chef de famille, des actes d’un pouvoir que je n’ai pas voulu ; convaincu, du reste, que dans l’événement du 2 décembre il y a autre chose encore qu’un complot ; n’ayant aucune garantie, tant s’en faut, ni que la démocratie, une vraie démocratie, revienne à temps aux affaires, ni qu’une autre révolution de palais nous fasse jouir d’un régime plus complet de liberté ; ne me fiant à aucune notabilité, ni princière, ni populaire, du soin des intérêts généraux et des libertés publiques : je reprends le cours de mes publications. J’use, en me conformant aux lois, de ce qui me reste d’initiative ; j’adresse à mes concitoyens, et par eux au Président de la République, mes réflexion sur les causes qui ont amené les derniers événements, et sur les résultats que, selon moi, ils doivent produire ; et j’adjure sans honte Louis-Napoléon d’aviser au plus tôt, car, en vérité, et pour lui-même et pour nous, j’ose dire qu’il y a urgence !

Pour lui, d’abord. On dit que, semblable à l’Empereur, il a foi à son étoile. Si telle est sa superstition, loin de l’en railler, je l’en félicite. Point ne faut de lunettes pour la découvrir, cette étoile, ni d’une table de logarithmes pour en calculer la marche. On l’aperçoit à l’œil nu, et tout le monde peut dire où elle va.

Le 24 février 1848, une révolution renversait la monarchie constitutionnelle, et la remplaçait par une démocratie ; — le 2 décembre 1851, une autre révolution substitue à cette démocratie une présidence décennale ; — dans six mois peut-être une troisième révolution chassera cette présidence, et rétablira sur ses ruines la monarchie légitime.

Quel est le secret de cette péripétie ? les mêmes propositions, reproduites en d’autres termes, vont nous le révéler.

Ce que n’a su prévoir et préparer Louis-Philippe a perdu Louis-Philippe et amené la République ; — ce que n’ont osé entreprendre les républicains a perdu les républicains, et décidé le succès de Louis-Napoléon ; — ce que ne saura exécuter Louis-Napoléon le perdra à son tour, et il en sera de même de ses successeurs autant il s’en présentera, à supposer que le pays consente à payer indéfiniment les frais de ces vocations infidèles.

Ainsi, depuis 1848, et je pourrais remonter bien plus haut, un sort est jeté sur les chefs politiques de la France : ce sort, c’est le problème du prolétariat, la fin de la politique, l’idée sociale. C’est pour cela que la mission de Louis-Napoléon n’est pas autre que celle de Louis-Philippe et des républicains, et ceux qui viendront après lui n’en auront pas d’autre à leur tour. En politique, on n’est pas l’héritier d’un homme, on est le porteur d’une idée. Celui qui la réalise le mieux, c’est celui-là qui est l’héritier légitime.

Qu’importe donc que l’idée sociale ne soulève plus dans la presse d’irritants débats, qu’elle ait cessé de passionner la multitude, que le capitaliste se croie délivré du cauchemar, que les commissaires de Louis-Napoléon le félicitent dans leurs rapports d’avoir terrassé le monstre, comme ces médailles, frappées à l’effigie de je ne sais plus quel césar, le glorifiaient d’avoir aboli le nom chrétien, nomine christianorum deleto ; qu’importe tout cela, dis-je, si, en croyant frapper le socialisme on n’a fait qu’en répercuter le venin ; si la pensée qui errait à la surface a gagné déjà les parties nobles ; si le pouvoir qui devait l’écraser n’exprime, en résultat, par le fait de son institution, par ses besoins, malgré ses protestations officielles et ses proscriptions officieuses, que le socialisme, l’absorption de la politique dans l’économie ; si Louis-Napoléon, dans les plus importants de ses décrets, manifeste la tendance irrésistible qui le pousse à la révolution sociale ?

Non, le socialisme n’est pas vaincu, puisqu’il n’est pas résolu ; puisqu’il n’a rencontré jusqu’à présent que des injures et des baïonnettes ; puisque le gouvernement du 2 décembre, après l’avoir proscrit, a dû se poser comme son interprète ; qu’il lui emprunte sa popularité, qu’il s’inspire de ses solutions, qu’il ne semble retenu que par le désir de concilier les intérêts existants avec ceux qu’il voudrait créer ; puisqu’en un mot, d’après certains rapports auxquels il est permis d’ajouter quelque créance, Louis-Napoléon serait le pire, lisons, si vous voulez, le premier des socialistes, le dernier des hommes d’état ! Est-ce donc Louis-Napoléon qui abolira la politique et fera la révolution sociale ? est-ce le petit-fils de Charles X, celui de Louis-Philippe, ou tel autre qu’il vous plaira ? car en vérité nous ne pouvons plus dire le soir par qui nous aurons l’honneur d’être gouvernés le matin. Que nous importe, encore une fois, le nom du personnage ? Le même astre les régit tous, et notre droit vis-à-vis d’eux reste le même. Badauds, qui demandiez en 48 quand cela finirait ! qui avez tout livré, Constitution, Liberté, Honneur, Patrie, pour que cela finît, vous voilà relancés dans une autre aventure ! Vous croyiez toucher au débarcadère, vous n’étiez qu’à la station. Entendez-vous le sifflet de la locomotive ? Croyez-en un homme que votre journal favori, le Constitutionnel, a breveté prophète : laissez aller le convoi, arrangez-vous dans votre coin, buvez, mangez, dormez et ne soufflez mot ! Car, je vous en avertis, si vous continuez à crier et rager, le moins qui vous puisse advenir sera d’être jetés sous le wagon.

Que si telle est en France la condition du pouvoir, que, s’il ne sait, ne peut ou ne veut servir la révolution, se défaire lui-même, il est balancé par elle, qu’avons-nous de mieux à faire, socialistes et non-socialistes, radicaux et modérés, que d’étudier sans relâche l’immense problème, de chercher la conciliation de nos idées, et, sans attendre que des chefs plus aimés nous arrivent, d’exercer dès maintenant sur le pouvoir, quel qu’il soit, la pression légitime, incessante, de la science et du droit ? Que Louis-Napoléon, puisqu’il est en ligne, devienne, s’il veut, par le mandat révolutionnaire qu’il s’est donné le 2 décembre, plus grand que ne fut l’Empereur ; qu’il accomplisse l’œuvre du dix-neuvième siècle ; surtout qu’il ait l’orgueil de ne rien laisser à faire à son successeur, et qu’après lui la nation rendue à elle-même, fortement constituée dans son économie, n’ait plus à redouter, de la part d’un parti, d’une secte, ou d’un prince, ni usurpation, ni restauration, ni dictature ; qu’elle puisse dire adieu à la politique : et je ne serai point, quant à moi, détracteur de Louis-Napoléon. Je ferai le décompte de ses torts envers la démocratie au fur et à mesure de ses services ; je lui pardonnerai son coup d’état, et lui rendrai grâce d’avoir donné au socialisme certitude et réalité.

Mais que parlé-je toujours de socialisme ? Je voudrais que ce sobriquet d’origine contre-révolutionnaire, que le peuple accepta en 48 comme il avait accepté en 93 celui de sans-culotte, et qui rend tout aussi mal l’idée du siècle, eût fait son temps. La période d’agitation qu’il exprimait est finie, et la question soulevée par lui tellement posée qu’aucun ordre du jour ne l’écartera plus. Sans la persécution dont il est le prétexte, j’abandonnerais, peut-être, ce mot de passe de la révolution économique, qu’affectionnent pour le besoin de leurs calomnies les écrivains de la réaction, grands publicistes, qui en pleine marche révolutionnaire nient la réalité du mouvement. Pendant que les regrattiers occupent la foire, soldats de l’avant-garde, pionniers infatigables, ne laissons pas faiblir l’étude, et jeûner l’opinion. L’histoire de l’humanité est l’histoire des armées, a dit le neveu de l’Empereur :


En avant la trente-deuxième,
La trente-deuxième en avant !