La Révolte (Verhaeren - Les Flambeaux noirs)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 149-151).

LA RÉVOLTE


Vers une ville au loin d’émeute et de tocsin,
Où luit le couteau nu des guillotines,
En tout à coup de fou désir, s’en va mon cœur.

Les sourds tambours de tant de jours
De rage tue et de tempête.
Battent la charge dans les têtes.


Le cadran vieux d’un beffroi noir
Darde son disque au fond du soir,
Contre un ciel d’étoiles rouges.

Des glas de pas sont entendus
Et de grands feux de toits tordus
Échevèlent les capitales.

Ceux qui ne peuvent plus avoir
D’espoir que dans leur désespoir
Sont descendus de leur silence.

Dites, quoi donc s’entend venir
Sur les chemins de l’avenir.
De si tranquillement terrible ?

La haine du monde est dans l’air
Et des poings pour saisir l’éclair
Sont tendus vers les nuées.


C’est l’heure où les hallucinés
Les gueux et les déracinés
Dressent leur orgueil dans la vie.

C’est l’heure — et c’est là-bas que sonne le tocsin ;
Des crosses de fusils battent ma porte ;
Tuer, être tué ! — qu’importe !