La Révision des procès criminels

La Révision des procès criminels
Revue des Deux Mondes4e période, tome 153 (p. 753-778).
LA
RÉVISION DES PROCÈS CRIMINELS

Au temps où l’on parlait latin, les légistes avaient inventé les expressions les plus fortes et les plus pittoresques pour faire comprendre aux faibles mortels tout ce qu’il y a de sacré, de vénérable, d’inviolable dans la « chose jugée. » Les uns disaient : « Elle est l’équivalent de la vérité (Res judicata pro veritate habetur) ; » d’autres : « Elle rend droit ce qui était courbe et noir ce qui était blanc (Facit ex curvo rectum, ex albo nigrum) ; » d’autres encore : « Elle est le seul port où puissent expirer les tempêtes humaines, et si les hommes n’y jettent pas l’ancre, ils seront emportés sans retour sur l’océan des procès (Hic unus inter humanas procellas portus, quem si homines fervidà voluntate præterierint, in undosis semper jurgiis errabunt). » On avait ciselé beaucoup d’autres métaphores pour exprimer la même pensée. Enfin notre Cour de cassation a plusieurs fois entendu répéter cette phrase de Cicéron : Status reipublicæ maxime judicatis rebus continetur.

Ces belles phrases enveloppent une idée juste. Il faut choisir de bons juges, éclairés et probes ; ouvrir, dans la plupart des cas, une voie de recours ordinaire contre leurs sentences, qui est l’appel, placer encore au-dessus de ce second tribunal, si l’on veut, une juridiction suprême qui garantisse aux justiciables la plus exacte application des lois. Mais, quand on a tout dit, tout épuisé, le procès criminel ou civil doit être clos : il serait absurde de le recommencer indéfiniment. D’abord, les plaideurs y perdraient la tête en même temps qu’ils y laisseraient leur dernier écu. Ensuite, on n’aperçoit pas pourquoi l’affaire serait mieux jugée la dixième fois que la première. Il faudrait envoyer aux Petites-Maisons le législateur qui n’attacherait pas à la chose jugée définitivement une présomption de vérité.

Mais on ne gouverne pas le monde à coup de syllogismes, et c’est surtout dans la conduite des affaires criminelles que la raison ne doit pas être bannie par le raisonnement. S’il devient évident qu’un innocent a été condamné, la société doit se poser la question suivante : faut-il sacrifier la justice à la chose jugée ? La réponse n’est pas douteuse : la condamnation d’un innocent est un malheur public ; entre ces deux maux : abandonner la chose jugée, maintenir l’erreur judiciaire par respect de la chose jugée, la société doit choisir le moindre et remettre en question l’œuvre du juge pour rétracter, s’il y a lieu, l’erreur du juge. C’est la voix du sens commun et le cri de la conscience universelle. Le principe de la révision, qui tend à réparer une erreur judiciaire commise au fond par un arrêt, même régulier en la forme, doit donc être inscrit dans la législation pénale.

La difficulté consiste à faire la part des deux vérités et des deux nécessités sociales. Un bon législateur, s’il ne doit pas fermer cette voie de recours extraordinaire, ne doit pas non plus provoquer ou encourager les tentatives inconsidérées de révision. Il est très simple d’énoncer cette maxime ; il est malaisé de l’appliquer.


I. — L’ANCIEN RÉGIME

Voltaire a dit, dans son commentaire sur le livre Des Délits et des Peines, de Beccaria : « L’ordonnance criminelle, en plusieurs points, semble n’avoir été dirigée qu’à la perte des accusés. En Angleterre, un simple emprisonnement fait mal à propos est réparé par le ministre qui l’a ordonné ; mais, en France, l’innocent qui a été plongé dans les cachots, qui a été appliqué à la torture, n’a nulle consolation à espérer, nul dommage à répéter contre personne ; il reste flétri pour jamais dans la société. » Certes notre ancienne procédure pénale était fort imparfaite. Mais il y a toujours un grand inconvénient à parler de ce qu’on sait mal. Voltaire paraît avoir ignoré que l’ancien régime admettait avec une grande facilité la révision des procès criminels.

Elle était pratiquée même au moyen âge. Bien plus, dès ces temps reculés, on pensa qu’il y avait un intérêt public non seulement à rétracter les erreurs judiciaires commises à l’égard des vivans, mais à réhabiliter la mémoire des morts. Il me suffira de citer deux exemples célèbres. En 1409, Jean de Montagu, seigneur de Marcoussis, avait été condamné à mort injustement et décapité à Paris sur la place des Halles : sa mémoire fut « rétablie » et la confiscation de ses biens fut annulée. Les héritiers de Jeanne d’Arc furent également admis à « purger » sa mémoire par des lettres patentes de février 1449.

Dans cette période de notre histoire et jusqu’en 1667, on pratiquait une procédure de révision sous le nom de « proposition d’erreur. » Deux ordonnances royales, l’une de 1313, l’autre de 1344, s’en étaient occupées. « La proposition d’erreur, disaient nos très anciens jurisconsultes, est une concession faite par le souverain, sur la requête d’une partie, pour raison d’une erreur de fait contre un jugement qui ne peut être rétracté par la voie d’appel ou de nullité. » En 1579, l’ordonnance de Blois décida que « les arrêts de cours souveraines ne pourraient être cassés ni rétractés sinon par les voies de droit, qui sont requête civile et proposition d’erreur. » Il fallait recourir au prince pour obtenir des lettres de « proposition d’erreur, » et l’on disait communément que cette concession, tendant à détruire un jugement irrévocable, était « une véritable grâce contraire au droit commun[1]. » Le prince se laissait d’ailleurs assez facilement persuader quand il s’agissait de grands personnages, comme cet amiral Chabot, gouverneur de Bourgogne, durement condamné par des commissaires à la dévotion de François Ier, puis déclaré, par arrêt du 29 mars 1541, absous de ses prétendus crimes ; ou le chancelier Poyet, condamné par les chambres réunies du parlement de Paris, en 1545, à dix mille livres d’amende et à cinq ans d’exil, puis déchargé de ces condamnations l’année suivante ; ou Remond-Pelisson, président au parlement de Chambéry, que le parlement de Dijon avait condamné, en 1552, pour faussetés et malversations, à faire publiquement amende honorable, et qui, à la suite de lettres adressées au parlement de Paris par le Roi, obtint, le 15 octobre 1576, non seulement un arrêt d’absolution, mais une sentence flétrissante contre le procureur général au parlement de Dijon, etc. Puisqu’il s’agissait d’une grâce, il appartenait au conseil du Roi, qui fut appelé de bonne heure à délibérer sur ces matières, d’ouvrir ou de fermer, au gré du Roi, cette voie de recours.

La grande ordonnance civile de 1667, préparée sous le ministère de Colbert par le premier président de Lamoignon et d’autres savans magistrats, qui servit de code de procédure jusqu’en 1806, abrogea les propositions d’erreur ; l’ordonnance criminelle de 1670, en s’abstenant de les mentionner, changea plutôt d’étiquette que de système. Elle organisa en effet, dans ses titres XVI[2] et XXVII[3], une autre procédure qui tendait au même but. La « proposition d’erreur » disparut alors de l’instruction même criminelle, mais pour faire place à la « révision » proprement dite.

La nouvelle procédure débutait comme l’ancienne. Il fallait, au préalable, obtenir du roi des lettres de révision « pour revoir et examiner de nouveau le procès criminel. » D’ailleurs, au rebours de presque tous les codes modernes, le législateur du XVIIe siècle ne limitait pas les cas dans lesquels les procès pourraient être révisés. Comme rien ne limitait non plus la puissance royale, il était à prévoir qu’on allait étendre démesurément la sphère de la révision. Les commentateurs de l’ordonnance criminelle ne tentèrent pas de remonter le courant. En général, ils commençaient par dire : « Il n’y a à proprement parler que l’erreur de fait qui soit le motif des lettres de re vision ; en effet, tout l’objet ordinaire des accusations est de savoir si un accusé est coupable ou non, et c’est un fait unique[4]... » Mais on était bien forcé d’ajouter : « Quoique l’erreur de fait soit le moyen principal de révision, et celui qui s’emploie le plus ordinairement, on peut aussi se servir en général de tous les autres moyens propres à établir l’innocence de l’accusé[5]. » On admettait donc qu’une sentence fût encore révisée, soit quand son injustice pouvait être attribuée à l’ignorance ou à la prévarication du juge, soit quand une des partie s’avait été mal défendue ou avait usé de fraude. Les criminalistes du XVIIIe siècle ne se dissimulaient pas qu’on encourageait ainsi certains abus : n’était-ce pas, disaient-ils eux-mêmes, rendre ces jugemens définitifs sujets à l’appel, éterniser les contestations ? Il paraît, répondait l’un des meilleurs, qu’on doit néanmoins admettre dans la révision toutes sortes de moyens de mal jugé : « L’ancienne pratique de la révision, la signification du mot même de révision, le désir qu’on doit avoir de découvrir l’innocence, tout concourt à donner toute l’étendue possible à la révision et à autoriser un condamné, ou ses héritiers, à faire connaître qu’il est innocent. » Il faut reconnaître qu’un sentiment généreux animait dans la circonstance ces praticiens endurcis, et Beccaria n’eût pas dit mieux. Jousse ajoutait, pour rassurer les autres, peut-être pour se rassurer lui-même : « D’ailleurs, revoir un procès déjà vu et jugé, ce n’est pas traiter le juge comme un juge sujet à appel, si on lui renvoie cette révision à lui-même, ainsi qu’il est porté par l’art. 9 du titre XVI de l’ordonnance de 1670 ; c’est appeler du juge mal informé au juge mieux informé. » Sans doute, mais ce raisonnement de jurisconsulte n’avait pas une bien grande portée.

Pour élargir encore la sphère de la révision, on donnait un dernier coup à la chose jugée : « Et quand, poursuivait le même criminaliste, on soutiendrait, avec quelques auteurs, qu’anciennement, dans les révisions et propositions d’erreur, on ne pouvait être admis qu’en prouvant une erreur de fait, il y aurait toujours cette différence entre les révisions qui étaient admises en matière civile et en matière criminelle que, pour les premières, il fallait qu’il parût une espèce d’évidence d’erreur de fait ; au lieu qu’en matière criminelle, un simple doute raisonnable suffit quand il s’agit d’établir une innocence. » Nous touchons au plus complexe et au plus grave des problèmes : le lecteur s’en apercevra plus tard.

Les jurisconsultes modernes ont expliqué d’une manière assez étrange cette grande faveur que nos aïeux attachaient aux procédures de révision. Tandis, ont-ils dit, que nos jugemens par jurés, où toutes les garanties entourent l’accusé, où toutes les preuves éclairent le débat, où la défense est libre, « portent en eux-mêmes un caractère de vérité, » les accusés, sous l’ancien régime, étaient jugés sur une instruction écrite, sur des preuves légales, et par une magistrature permanente : « Le législateur, qui avait la conscience de la débilité de ses moyens de preuve, concluait en 1860 M. Faustin Hélie[6], avait dû affranchir la révision de toute condition et de toute limite. »

Mais, d’abord, on présumait trop du jury, il y a quarante ans : de nos jours, M. Ch. Gide, dans son journal l’Émancipation, M. Chailley-Bert et bien d’autres publicistes, en présentant divers échantillons de verdicts inexplicables, ont ébranlé cette confiance superstitieuse ; nous croyons que, pour être juré, l’on n’en est pas moins homme, et que le jury lui-même est capable de se tromper. Ce qui nous surprend tout à fait, c’est qu’on impute aux gens de l’ancien régime un pareil excès de modestie : nous avons de si mauvaises lois et de si mauvais juges, se seraient-ils dit, que nous pouvons bien nous donner la satisfaction de tout remettre en question sous n’importe quel prétexte. Je ne saurais leur prêter, pour mon compte, ce raisonnement extraordinaire.


II. — 1789 et 1808

Cependant un revirement d’opinion bizarre allait se produire. Plusieurs erreurs judiciaires avaient été signalées avec un grand éclat dans les dix années qui précédèrent la Révolution française. En 1780, cinq accusés de vol nocturne avec effraction avaient été condamnés par le parlement de Bourgogne ; l’un d’eux fut pendu, un autre mourut aux galères ; mais on découvrit d’autres coupables, qui étaient les seuls coupables. Des lettres de révision furent obtenues : un mémoire justificatif intitulé Réhabilitation de la mémoire de deux accusés et justification de trois autres, une consultation signée par Target, de Sèze, Lacretelle, Bonnet frappèrent au plus haut point l’esprit public. L’année précédente avait paru la consultation de Fournel pour la fille Salmon, condamnée comme empoisonneuse par le parlement de Normandie[7]. Ce procès fut révisé. L’opinion publique s’enflamma ; des sommes importantes furent envoyées de toutes parts à la prisonnière. Une ovation lui fut faite dans les rues de la capitale, quand le parlement de Paris l’eut entièrement déchargée par une sentence définitive. En même temps paraissait le Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue[8], qui contient des appels enflammés à la justice royale, conjurant Louis XVI de prêter un moment l’oreille « au sang innocent des Galas, des Montbailly, des Langlade, des Cahuzac, des Barreau » et d’abaisser ses regards sur « les écueils sanglans de notre législation criminelle. » Ce mémoire se vendit à profusion au profit des condamnés, non seulement dans toute la France, mais dans toute l’Europe. Qui le croirait ? C’est à la suite de ces émotions violentes que la procédure de révision disparut momentanément de nos lois dans les premières années qui suivirent la Révolution française.

Le 17 août 1792, l’Assemblée législative prit une mesure transitoire. Elle pensa qu’il convenait de statuer encore sur les demandes en révision adressées au « ci-devant conseil du Roi » avant qu’il eût été supprimé, ou formées, dans un délai de trois mois, contre les jugemens criminels antérieurs au 8 octobre 1789. En conséquence, elle investit de cette fonction temporaire le tribunal de cassation. Mais aucune juridiction ne fut chargée de statuer à l’avenir sur les demandes en révision, et cette voie de recours se trouva supprimée. Les deux premières assemblées de la Révolution pensèrent, s’il faut en croire M. F. Hélie, que « les puissantes garanties dont elles entouraient les jugemens criminels » écartaient désormais toutes les chances d’erreur. Cependant nous touchons à l’époque où les Jacobins sommeront la Convention de « débarrasser le tribunal révolutionnaire des formes qui étouffent sa conscience ; » où l’on coupera légalement la parole aux Girondins et à Danton ; où l’on affectera de ne signifier les actes d’accusation aux accusés (quand on les leur signifiera) que la veille de leur jugement à dix ou onze heures du soir ; où Couthon expliquera aux représentans du peuple qu’on a, en donnant à tort et à travers des défenseurs à ces accusés, « remis la liberté en question et la patrie en danger. »

Toutefois il paraît que la condamnation d’un « innocent, » démontrée dans un procès, « émut (c’est M. Hélie qui parle) la conscience publique. » La Convention vota (15 mai 1793) le décret suivant : « Art. 1er. Si un accusé a été condamné pour un délit et qu’un autre accusé ait aussi été condamné comme auteur d’un même délit, en sorte que les deux condamnations ne puissent se concilier et fassent la preuve de l’innocence de l’une ou de l’autre partie, l’exécution des deux jugemens sera suspendue, quand même on aurait attaqué l’un ou l’autre sans succès au tribunal de cassation. — Art. 2. Si c’est le même tribunal qui a rendu lesdits jugemens, il sera compétent pour en ordonner la révision et renvoyer à cet effet les accusés devant le tribunal criminel le plus voisin, sur leur propre demande ou sur la réquisition du ministère public, lequel sera tenu en pareil cas d’agir d’office pour faire ordonner la re vision. — Art. 3. Lorsque lesdits jugemens auront été rendus en des tribunaux différens, l’accusateur public ou les parties intéressées en instruiront le ministre de la Justice : celui-ci dénoncera le fait au tribunal de cassation, qui cassera, si les deux condamnations ne peuvent se concilier, les jugemens dénoncés, et en conséquence renverra les accusés en un même tribunal criminel le plus voisin du lieu du délit, mais qui ne pourra être choisi parmi ceux qui auront rendu lesdits jugemens. »

La grand code Des délits et des peines, présenté par Merlin à la Convention expirante, et promulgué le 3 brumaire an IV[9], avait-il abrogé ce décret ? Oui, d’après un jugement du tribunal criminel du Bas-Rhin du 1er nivôse an VIII ; mais le tribunal de cassation cassa cette décision le 9 vendémiaire an IX. Cet arrêt, bien motivé, ne laisse subsister aucun doute. Une théorie de la révision, très imparfaite, il est vrai, subsista donc dans notre législation jusqu’à la promulgation du Code d’instruction criminelle, en 1808.

Le conseiller d’Etat Berlier, homme habile et qui pratiquait avec dextérité l’art des transactions, expose dans les termes suivans la pensée du législateur impérial : « Longtemps on a cru que toute révision, quelque plausible qu’en fût le motif, était incompatible avec l’institution du jury. Cette crainte eût été et serait encore légitime s’il s’agissait de généraliser la révision et de l’appliquer hors un petit nombre de cas où il y a soit erreur évidente, soit du moins une juste présomption d’erreur. Qu’y a-t-il donc à examiner en ce moment ? Si la révision, ainsi restreinte, est juste et praticable... Car tout excès serait nuisible et, sans les limites tracées avec sagesse et précision, ce ne serait plus la justice appliquée à quelques espèces, mais l’arbitraire planant sur toutes et tendant, sous de frivoles prétextes, à tout remettre en question. L’écueil a été aperçu et évité. » L’ancien régime avait trop aisément sacrifié la chose jugée ; l’optimisme révolutionnaire avait fait trop bon marché des erreurs judiciaires : le Code de 1808, prenant un moyen terme, admit trois cas de révision.

Premier cas. — Deux condamnations sont inconciliables. — On avait transcrit à peu près textuellement l’article 1er du décret du 15 mai 1793, que j’ai cité plus haut. Par exemple, deux hommes (ce cas s’est présenté souvent) ont été condamnés pour un vol commis sans aucun doute par une seule personne, ou bien comme auteurs de blessures faites par un seul coup de fusil[10]. Au contraire, il n’y a pas lieu de réviser si deux jugemens ont déclaré quatre accusés coupables du même crime, quand il n’est pas établi que les auteurs de ce fait sont en moins grand nombre[11], car les condamnations ne sont plus inconciliables.

J’épargne au lecteur l’exposé des difficultés techniques que souleva l’interprétation du nouveau texte[12]. Je me borne à constater que la commission du Corps législatif avait proposé d’étendre, dans cette hypothèse même, la faculté de réviser au cas de décès d’un des condamnés ou des deux condamnés. Le Conseil d’Etat repoussa la proposition, sous prétexte que la révision était impossible, si l’affaire n’était pas de nouveau jugée à l’égard des deux condamnés. Or, il n’y avait pas moyen de rouvrir les débats, si l’un des deux n’existait plus : comment choisir entre eux, comment décider, hors des voies ordinaires, lequel des deux était vraiment coupable, sans discussion contradictoire, quand les meilleurs élémens d’une conviction solide se seraient évanouis ? L’objection était faible. Toutefois le rapporteur du Corps législatif consentit à la trouver décisive, et le Code de 1808 resta, sur ce point, en deçà de l’ancienne législation pénale.

Deuxième cas. — Après une condamnation pour homicide, des pièces sont produites, propres à faire naître des indices suffisans sur l’existence de la prétendue victime.

La Cour de cassation peut alors désigner, par arrêt préparatoire, une cour d’appel, pour reconnaître l’existence, l’identité de cette fausse victime, et « les constater par tous les moyens propres à mettre en évidence le fait destructif de la condamnation[13]. » Cette fois, on admettait, par exception, qu’un condamné pût être réhabilité même après sa mort[14]. Le conseiller d’Etat Berlier avait découvert qu’une telle réhabilitation était, « dans ce cas, d’une extrême justice. » Sans doute, mais pourquoi pas dans les autres cas ?

Troisième cas. — Un des témoins entendus a été, depuis la condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l’accusé. « Ici toutefois, lisait-on dans l’exposé des motifs, l’erreur de la condamnation ne se montre pas avec la même évidence que dans les autres espèces ; car il est strictement possible que le faux témoignage n’ait pas seul dicté la déclaration du jury... ou formé l’opinion des juges... Mais, si l’erreur de la condamnation ne résulte pas évidemment de la seule circonstance d’un faux témoignage depuis reconnu et puni, du moins faut-il convenir que ce fait est assez grave pour établir une suffisante présomption que l’accusé a été victime d’une horrible calomnie. »

Les formes de procéder, tracées par le Code de 1808, sont fort simples. Les demandes en révision sont déférées à la Cour de cassation (chambre criminelle) comme jadis au Conseil du Roi. Ce haut tribunal ne peut être régulièrement saisi que par un réquisitoire de son procureur général, donné sur l’ordre du ministre de la Justice, lequel intervient tantôt d’office, tantôt sur la réclamation d’un condamné, tantôt sur celle du procureur général lui-même, mais toujours en vertu de son pouvoir propre. Après quoi, la procédure se divise en deux phases.

Première phase. — Y a-t-il lieu de recevoir la demande ? La Cour n’a pour le moment qu’à déterminer, par l’examen des arrêts ou des indices produits devant elle, si l’on est dans un des trois cas prévus par le Code. C’est ainsi que la Cour de cassation (chambre criminelle) déclara d’abord « recevable en la forme » la demande en révision formée dans l’intérêt de Dreyfus ; elle décidait simplement alors que les conditions de forme avaient été remplies et ne préjugeait pas même la solution finale du litige. Au contraire, la demande de Virginie Lesurques avait été, le 17 décembre 1868, écartée comme irrecevable par la Cour de cassation, parce que les deux condamnations présentées comme inconciliables ne se contredisaient pas nécessairement.

Seconde phase. — En fait, y a-t-il lieu de réviser ? Cette question pouvait être, tout de suite, résolue négativement[15]. Au contraire, si la réponse était affirmative, la chambre criminelle devait, en thèse et sauf un seul cas[16], renvoyer aux juridictions inférieures compétentes l’examen du fait, en les chargeant de statuer de nouveau sur le procès après le résultat de cet examen.

Même avant la promulgation des codes de justice militaire pour l’armée de terre et pour l’armée de mer, la Cour de cassation avait jugé que la voie de la révision était ouverte devant elle contre les jugemens rendus par les juridictions militaires et maritimes. Les codes spéciaux de 1857 et de 1858 érigèrent cette solution de la jurisprudence en règle positive.


III. — LA MÉMOIRE DES MORTS. — DE 1821 A 1867

Au mois de thermidor an IV, six accusés, Couriol, Lesurques, Bernard, Richard, Bruer, Guesnot, avaient été traduits devant le tribunal criminel de la Seine comme auteurs ou complices de l’assassinat du courrier de Lyon et du postillon qui conduisait la malle. Couriol, Bernard et Lesurques avaient été condamnés à mort. Ce dernier, en entendant sa condamnation, avait protesté de son innocence : sur l’échafaud même, il exprimait encore l’espoir que l’erreur serait un jour reconnue et que sa mémoire serait vengée. La famille Lesurques ne cessa pas de réclamer, avec une constance inébranlable, la réhabilitation du nom qui était son patrimoine et fut, plus ou moins heureusement, secondée dans cette tâche, soit par la presse périodique, soit par le théâtre. Le premier obstacle qu’elle rencontrait sur sa route était l’inflexible législation de 1808.

En 1821, les héritiers de Lesurques ayant adressé, pour obtenir la réhabilitation de sa mémoire, une pétition à la Chambre haute, un rapport fut présenté par le comte de Valence, et les pairs votèrent, le 15 avril 1822, la motion suivante : « Sa Majesté sera suppliée de vouloir bien adresser aux Chambres une loi qui statue sur un mode de révision à suivre, lorsque, deux individus ayant été condamnés par deux arrêts différens pour le même crime, les deux arrêts, ne pouvant se concilier, seront la preuve de l’innocence de l’un ou l’autre condamné, et que le premier de ces condamnés aura cessé de vivre. »

Mais il ne fut pas donné de suite à ce vœu, soit par la Chambre des députés, soit par le gouvernement. Une seconde pétition fut renvoyée, le 26 mai 1833, par la Chambre des députés aux ministres de la Justice et des Finances ; une troisième, le 10 mai 1834, aux mêmes ministres et au président du Conseil. Les héritiers Lesurques obtinrent alors, il est vrai, toutes les réparations pécuniaires auxquelles ils avaient droit, soit une somme totale de 491 737 francs indûment perçue par le domaine, mais ils ne pouvaient pas obtenir la réhabilitation du nom tant que le Code d’instruction criminelle n’aurait pas été modifié. C’est pourquoi, le 19 mars 1836, M. de Laborde proposa d’ajouter à l’article 443 du Code d’instruction criminelle trois alinéas conçus de manière à permettre la révision du procès Lesurques ; mais la Chambre des députés, à une grande majorité, refusa de prendre ce projet en considération.

La Monarchie de Juillet ayant succombé, ces mêmes héritiers saisirent l’Assemblée législative d’une quatrième pétition (1850). M. de Laboulie, rapporteur, conclut à la formation d’une commission parlementaire chargée de réviser le procès de l’an IV. Une commission de quinze membres fut en effet nommée. Par conséquent, une assemblée politique s’arrogeait le droit de réviser directement un procès criminel, et par là même empiétait sur les attributions du pouvoir judiciaire. Des scrupules se manifestèrent. Deux représentans, MM. de Riancey et Favreau, déposèrent une proposition qui modifiait le Code d’instruction criminelle en permettant de réviser les procès après le décès des condamnés. On abandonna donc les conclusions du précédent rapport : une nouvelle commission fut élue et choisit un nouveau rapporteur, M. de Parieu. Celui-ci conclut au maintien de la législation existante ; mais l’assemblée, après une vive discussion, décida, le 11 juillet 1851, de passer à une seconde lecture. Elle était dissoute par la force avant que la seconde lecture eût été réclamée. En 1856, les héritiers Lesurques adressèrent une cinquième pétition au Sénat impérial, qui passa, sur le rapport du baron de Crouseilhes, à l’ordre du jour. Mais rien ne lassait leur patience et ne décourageait leur ardeur. En 1862, une sixième pétition fut transmise au Sénat. Dans l’intervalle, un nouveau scandale avait éclaté. Deux malheureux, Buffet et Louarn, condamnés pour vol qualifié, le 1er avril 1854, par la cour d’assises du Finistère, aux travaux forcés, l’un à perpétuité, l’autre pour vingt ans, avaient protesté tous les deux de leur innocence jusqu’à leur dernier soupir. Le premier était mort au bagne de Brest en 1855, le second à Cayenne en 1859. Après quoi, les vrais coupables étaient découverts et condamnés, le 21 janvier 1860, par la cour d’assises de leur département, trop tard pour que le procès pût être révisé. Toutefois, si ce terrible incident frappa la magistrature et le barreau, l’affaire Lesurques passionnait exclusivement l’opinion populaire. Aussi, quand le Sénat eut passé pour la seconde fois à l’ordre du jour sur la pétition des héritiers, la question fut posée bruyamment, sous la forme la plus concrète, au Corps législatif.

Trois amendemens furent soumis à la commission du budget en 1864. Les deux premiers tendaient au même but : ouvrir au ministère des Finances le crédit nécessaire pour rembourser à la famille Lesurques 54 584 fr. 35, somme égale au montant du vol de l’an IV. C’était la restitution, non plus de ce que le Trésor avait indûment touché au delà du chiffre des condamnations pécuniaires, mais du montant même de ces condamnations : par là, le pouvoir législatif aurait indirectement annulé l’arrêt que le pouvoir judiciaire ne pouvait pas réviser. Le troisième amendement, signé par MM. Darimon, J. Favre, de Janzé, Terme, de la Guistière, Clary, était ainsi conçu : « Les auteurs demandent que le gouvernement s’engage à présenter, à la prochaine session, un projet de loi modifiant l’article 443 du Code d’instruction criminelle et permettant, morne après la mort du condamné, la révision de l’arrêt de condamnation dans les cas prévus par ledit Code. » Les termes de cette proposition parurent trop impératifs à la commission du budget, qui refusa de l’adopter, mais crut devoir la signaler « aux méditations les plus sérieuses du gouvernement, » et les conclusions mêmes de ce rapport furent votées par 160 voix contre 47. M. de Parieu, vice-président du Conseil d’Etat, ne laissa pas clore la discussion sans donner une demi-satisfaction au Corps législatif : « Le gouvernement, dit-il, a été frappé du vote de la Chambre, et il examinera de nouveau la question qui se rattache à l’article 443. » La loi du 29 juin 1867 naquit de cet examen.

D’abord, elle exauça le vœu du Corps législatif en permettant de réviser, dans tous les cas de révision, même après la mort des condamnés[17]. Le droit de demander la révision n’appartenait plus seulement au ministre de la Justice, comme l’avait décidé le Code d’instruction criminelle, mais encore : 1° au condamné lui-même ; 2° après la mort du condamné, à son conjoint, à ses enfans, à ses parens, à ses légataires universels ou à titre universel, à ceux qui en avaient reçu de lui la mission expresse. Ces personnes, à vrai dire, ne pouvaient pas porter directement leur demande à la cour suprême comme s’il s’était agi d’un simple pourvoi en cassation : la Cour ne pouvait être saisie, comme dans le passé, que par son procureur général sur l’ordre du ministre ; mais le ministre, intermédiaire obligé, ne peut plus se refuser à donner cet ordre, lorsque la réclamation des parties est fondée sur un des cas de révision prévus par le Code et présentée dans le délai légal[18].

Tandis que le Code de 1808 n’admettait expressément la révision que pour les condamnations en matière criminelle proprement dite[19], le législateur de 1867 l’étendait aux matières correctionnelles. Toutefois, d’après le nouveau texte, la révision des procès correctionnels ne pouvait « avoir lieu que pour une condamnation à l’emprisonnement ou pour une condamnation prononçant ou emportant l’interdiction, soit totale, soit partielle, de l’exercice des droits civiques, civils et de famille. »

La loi de 1867 contenait, en outre, une innovation très grave. « En cas de recevabilité, lisait-on dans le nouvel article 445, si l’affaire n’est pas en état, la Cour procédera directement ou par commissions rogatoires à toutes enquêtes sur le fond, confrontations, reconnaissances d’identité, interrogatoires et moyens propres à mettre la vérité en évidence. » Les criminalistes accueillirent, en général, cette disposition avec une grande froideur. Pourquoi, dirent-ils, bouleverser les attributions de notre cour suprême ? Sa chambre criminelle va donc jouer, le cas échéant, le rôle que nos lois d’organisation judiciaire donnent aux cours d’assises ou aux tribunaux correctionnels ! de véritables débats s’ouvriront à sa barre ! les témoins, les indices, les vestiges, les élémens de preuve les plus divers y seront transportés de tous les points du territoire continental ou colonial, produits et discutés ! que d’inconvéniens et de difficultés ! Pour s’y soustraire, la Cour de cassation jugera-t-elle sur pièces ? Mais on ressusciterait alors, même au grand criminel, le jugement sur pièces en matière pénale, emporté par la révolution de 1789. Quelles seraient d’ailleurs ces pièces, et où la Cour pourrait-elle prendre connaissance des débats à réviser, puisque le Code d’instruction criminelle (art. 372), pour mieux assurer le système de la procédure orale, défend de résumer, dans les procès-verbaux des cours d’assises, les réponses des accusés et les dépositions des témoins ? Il aurait été plus simple, plus raisonnable, plus conforme aux règles de la législation française, d’autoriser la Cour à statuer directement et sur-le-champ, quand l’erreur judiciaire résultait avec une évidence immédiate des pièces transmises par le Garde des sceaux, mais de l’astreindre, en cas de doute, à faire opérer toutes les vérifications de fait par une cour d’assises ou une cour d’appel autres que celles qui auraient déjà connu de l’affaire. Ces critiques, reproduites sous une forme très laconique, il y a quelques mois, par le premier de nos journaux judiciaires, la Gazette des Tribunaux, ont une véritable portée.

On se divisa surtout, au Corps législatif, en 1867. sur la question suivante : continuera-t-on de limiter à trois cas, comme en 1808, la faculté de réviser ? M. Martel proposait de bouleverser ce système. « Ajouter à l’art. 443, demandait-il, la proposition suivante : Dans tout autre cas, lorsqu’une condamnation criminelle ou correctionnelle sera attaquée pour cause d’erreur de fait, le ministre de la Justice, sur le vu du mémoire et des pièces justificatives, devra d’office saisir la Cour de cassation. » Une minorité de la commission, sans adopter cette proposition radicale, jugeait les conditions du projet trop étroites, et se montrait disposée à les élargir ; mais la majorité pensa « qu’il ne fallait pas sortir des trois cas prévus par le projet, que là seulement était la certitude, base essentielle, indispensable, de la révision[20]. » En séance publique, M. Martel développa son amendement. C’est alors qu’un très curieux débat s’engagea sur la question suivante : la Cour de cassation doit-elle avoir acquis, pour ordonner la révision, la certitude de l’erreur ? Sans nul doute, aux yeux de M. Pinard, commissaire du gouvernement. « Dans les trois cas prévus, disait-il, la Cour est nécessairement déterminée par une erreur, totale ou partielle, mais certaine. Dans le premier (fausse supposition d’homicide), l’erreur porte sur le crime lui-même ; dans le second, elle porte sur l’imputabilité du crime ; dans le troisième, elle porte sur la preuve, elle porte sur la charge. » Il observait alors que, dans la proposition de M. Martel, une simple présomption ferait échec à la chose jugée : on ne doit pas plus condamner sur une simple présomption un arrêt qu’un accusé. M. Emile Ollivier réfuta vivement et clairement cette proposition dans un très beau discours, en montrant que le projet même du gouvernement s’attachait, au moins dans un cas, non pas à la certitude, mais à la simple présomption d’une erreur. La révision ne devait-elle pas être admise dès qu’un des témoins entendus dans l’instruction aurait été reconnu coupable de faux témoignage ? Cinquante témoins ont déposé dans un procès criminel ; un seul témoignage est argué de faux, et cependant la révision peut être obtenue, quand même, autant et plus que le témoin condamné, dix autres auraient attesté la culpabilité de l’accusé. M. Ollivier tenait, à vrai dire, sur ce point spécial, le même langage que le Conseil d’Etat de 1808.

La Cour de cassation s’appropriera néanmoins l’argumentation de M. Pinard, lorsqu’elle déclarera non recevable la demande en révision formée par Virginie Lesurques : « Si la justice est appelée à statuer sur le sort d’un accusé, lit-on dans l’arrêt du 17 décembre 1868, l’innocence de celui-ci doit être présumée jusqu’à preuve contraire, et si le doute doit être interprété en sa faveur, ce principe reste sans application possible, lorsque l’accusé a été condamné par une décision passée en force de chose jugée, et que le procès se fait, non plus à l’accusé, mais à l’arrêt de condamnation. » Toutefois, le lecteur va se convaincre que la discussion législative de 1867 ne fut pas stérile.


IV. — AUJOURD’HUI

Dieu seul est infaillible : la justice humaine peut être trompée sans que la moindre faute lui soit imputable. Il arrive aussi qu’elle se trompe par sa faute. L’opinion publique s’égare lorsqu’elle enveloppe les deux sortes d’erreurs judiciaires dans une même réprobation. Mais il faut excuser l’excès même de son zèle, quand elle demande à la justice de réparer toutes les défaillances de la justice. Il n’y a rien qui doive nous surprendre dans ces émotions violentes qui secouent, à certains momens, un peuple, dès qu’on lui dénonce la condamnation d’un innocent. Or un mouvement d’opinion analogue à celui qui se produisit de 1780 à 1789 s’est dessiné dans notre pays depuis une dizaine d’années. Nous assistons aux mêmes explosions de colère et aux mêmes accès de fièvre.

Un certain Borras avait été frappé d’une condamnation capitale par la cour d’assises de l’Aude : au moment où l’exécution était imminente, on se prit à douter de sa culpabilité ; il fut transporté. Quelques années après, on arrêta, en Espagne, un personnage qui avait pris part au crime et qui, en avouant cette participation, déclara Borras innocent. La presse s’échauffa pour cet homme, ouvrit une souscription en sa faveur et recueillit une somme assez importante. Cependant, il n’y avait ni fausse supposition de meurtre, ni inconciliabilité de jugemens, ni condamnation contre un faux témoin : donc, pas de révision possible. Beaucoup d’hommes politiques prirent le parti de Borras, soit dans l’une, soit dans l’autre Chambre, avec une grande véhémence[21]. Le 2 juin 1890, MM. Laguerre, faisant, Naquet, etc., proposèrent d’étendre la faculté de réviser à tous les cas d’erreur judiciaire, en chargeant la Cour de cassation de statuer directement sur les indemnités réclamées par les victimes de l’erreur ; un crédit de 50 000 francs devait être, en outre, ouvert au profit de Borras. Le lendemain, M. Reinach déposait une seconde proposition, qui conférait aux cours d’appel le droit de statuer sur les indemnités (avec détermination d’un minimum par le législateur) au profit du condamné, de son conjoint, de ses descendans et de ses ascendans. Le 7 juin, MM. Chiché. Castelin, etc., entendaient faire décréter : 1° que, « si des présomptions sérieuses d’innocence s’élevaient en faveur d’un condamné, » le ministre de la Justice devrait saisir la Cour de cassation ; 2° que toute personne victime d’une arrestation, d’une poursuite judiciaire ou d’une condamnation reconnue erronée aurait droit à une indemnité égale au préjudice matériel et au préjudice moral dont elle aurait à se plaindre. Le 12 juin, quatrième proposition déposée par M. de Lacretelle, qui se bornait à réclamer l’allocation d’une pension viagère à Borras. M. Pourquery de Boisserin fit deux rapports sur ces quatre propositions réunies (26 juin 1890, 25 février 1892). Un projet de loi fut discuté, puis voté par la Chambre et transmis au Sénat le 8 avril 1892 : il modifiait le Code d’instruction criminelle sur trois points principaux : 1° les cas de révision cessaient d’être strictement déterminés ; 2° la demande en révision était recevable, même si la condamnation consistait en une simple amende ; 3° des dommages-intérêts devaient être accordés à la victime de l’erreur judiciaire reconnue, si elle les réclamait.

C’est alors que le gouvernement présenta, par l’organe de M. Ricard, ministre de la Justice, un projet de loi sur la révision des procès criminels ou correctionnels et sur les indemnités aux victimes d’erreurs judiciaires. La commission sénatoriale chargea M. Bérenger du rapport à faire sur ce projet et sur la proposition votée par la Chambre. Un nouveau texte fut adopté successivement par les deux branches du pouvoir législatif (2 mars 1894, 27 mai 1895), et devint la loi du 8 juin 1895.

En vertu de cette loi, la révision peut être demandée en matière criminelle ou correctionnelle[22], quelles que soient la juridiction qui ait statué et la peine qui ait été infligée, par conséquent alors même qu’une simple amende est prononcée. « Le souvenir de la flétrissure, même légère, a dit très bien M. Pourquery de Boisserin dans son rapport du 26 juin 1890, survit et suit une famille : la grâce, la réhabilitation, l’amnistie ne l’effacent pas. » C’est aussi notre avis. Il ne faut pas d’ailleurs laisser croire, même quand le délit est puni d’une peine pécuniaire, que, si la chose jugée tient debout, c’est parce qu’elle est légalement inattaquable.

L’innovation suivante est beaucoup plus grave. La révision peut désormais être demandée, non seulement dans les trois cas prévus par l’ancien Code, mais encore « lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats seront représentées, de nature à établir l’innocence du condamné. » L’amendement de M. Martel, écarté par le Corps législatif du second Empire, prévaut devant le parlement de la troisième République, ou peu s’en faut. « Il y a lieu d’étendre par une disposition générale, lit-on dans le rapport de M. Bérenger au Sénat, le droit de demander la révision à tous les cas où l’erreur judiciaire peut être reconnue. » Toutefois, tandis que la Chambre des députés se bornait d’abord à exiger, pour admettre la recevabilité des demandes, qu’un fait vînt à se produire ou à se révéler d’où parût résulter la non-culpabilité du « condamné, » le Sénat, plus circonspect, réclamait la production ou la révélation d’un fait propre à établir son innocence, » en précisant que le fait devait avoir été révélé après la condamnation, et en assimilant à cette révélation la production de pièces nouvelles, inconnues lors des débats.

M. Ballot-Beaupré, dans le rapport qu’il a présenté, le 29 mai 1899, à la Cour de cassation sur l’affaire Dreyfus, a fait ressortir la portée de cet amendement. Le Sénat, en exigeant la révélation d’un fait « propre à établir l’innocence, » a voulu dire que de simples doutes sur la culpabilité ne suffiraient pas à légitimer la révision. Sans doute, il n’a pas entendu décider que la démonstration immédiate de l’innocence devait ressortir d’un fait nouveau[23] ; mais il en doit résulter du moins « une présomption particulièrement grave d’erreur. »

Mais ne nous figurons pas que la réforme ait mis un terme aux anciens dissentimens. Un assez grand nombre de jurisconsultes ont protesté contre cette extension, en faisant observer que la multiplicité des révisions achèverait d’ébranler le respect de la chose jugée. L’accusé d’hier saisira donc le moindre prétexte pour se transformer en accusateur et mettra son juge sur la sellette. Avec une « bonne presse, » il aura facilement sa revanche. On a rappelé cette phrase du réquisitoire prononcé par le procureur général Delangle dans l’affaire Lesurques : « L’autorité du jury, tous les jours attaquée, sur le motif que tous les jours les décisions sont entachées d’erreurs, serait infailliblement ruinée dans l’opinion publique. Il n’y a pas d’institution qui puisse résister à tant d’assauts sans cesse répétés. » Or M. le conseiller Bard constatait, dans son rapport du 27 octobre 1898, que la cour suprême avait déjà dû statuer sur vingt procès de révision depuis la promulgation de la loi de 1895 avant que l’affaire Dreyfus lui fût déférée.

Je ne prétends pas qu’on n’abusera jamais de la législation actuelle. Mais il faut d’abord observer qu’il ne sera pas si facile au condamné de tout remettre en question. Hors des trois cas prévus par l’ancien code, le droit de demander la révision appartient exclusivement, d’après le nouveau texte (art. 444), au ministre de la Justice, qui statue après avoir pris l’avis d’une commission composée des directeurs de son ministère et de trois magistrats de la cour suprême, choisis par elle en dehors de la chambre criminelle. Le ministre ne s’écartera que bien rarement de cet avis : il se gardera d’encourager des tentatives aventureuses ou ridicules et de se prêter à des manœuvres ourdies pour préparer la revanche de l’accusé contre ses juges.

J’approuve M. Ballot-Beaupré d’avoir écrit dans son rapport que la faculté de réviser n’avait pas été suffisamment élargie par la loi de 1867.

La loi nouvelle a du moins un avantage : elle coupe court à des récriminations déraisonnables. Nul ne peut se figurer qu’il soit possible, aujourd’hui, d’ensevelir une réclamation quelconque, sous prétexte d’éviter un scandale. La presse voit tout et devine le reste.

Or les plaignans avaient autrefois beau jeu, quand ils étaient dans leur tort : il leur était si facile de crier qu’ils démontreraient aisément leur innocence, si des lois barbares ne leur fermaient la bouche en limitant les cas de révision ! On a le droit de leur répondre aujourd’hui : les chemins sont ouverts ; qui peut vous arrêter ?

Un poète a dit :


Le crime fait la honte et non pas l’échafaud.


Ce n’est pas la découverte de l’erreur, dis-je à mon tour, qui porte atteinte au respect de la chose jugée ; c’est l’erreur judiciaire elle-même ou, mieux encore, l’impunité de cette erreur.

Certes il est bon que l’ordre judiciaire soit respecté. Comme aucun pays ne peut se passer de justice régulière, les écrivains qui s’acharnent à représenter systématiquement les magistrats comme des malfaiteurs font une triste besogne. Mais, s’il est bon que les juges soient protégés contre les calomnies, s’il est utile que les juges possèdent la confiance des justiciables, il ne faut pas perdre de vue que les juridictions criminelles de tout ordre sont instituées avant tout pour rendre la justice. Cherchons d’abord à prévenir, ensuite à réparer les sentences injustes, et le reste viendra par surcroît. D’ailleurs, si la découverte de quelque erreur grossière nuit au prestige du tribunal qui l’aura commise, la réparation publique, éclatante, rehaussera celui de l’ordre judiciaire tout entier.

La loi de 1895 étendait encore les pouvoirs donnés à la Cour de cassation par la loi de 1867. Déjà celle-ci permettait à la chambre criminelle de statuer au fond sans renvoi, lorsqu’il ne pourrait plus être procédé de nouveau à des débats oraux entre toutes les parties[24], et lorsque, après une condamnation pour homicide faussement supposé, l’annulation de l’arrêt à l’égard du condamné vivant ne laisserait rien subsister qui pût être qualifié crime ou délit[25]. La loi nouvelle s’exprime en termes beaucoup plus généraux : « Si l’annulation de l’arrêt à l’égard d’un condamné vivant, dit-elle, ne laisse rien subsister qui puisse être qualifié crime ou délit, aucun renvoi ne sera prononcé. » La Cour de cassation (chambre criminelle) a fait une première application de ce texte, le 22 janvier 1898 : il s’agissait d’un prétendu déserteur qui, n’étant pas régulièrement lié au service, n’avait pas pu déserter[26].

Il faut lire dans le mémoire publié par Brissot de Warville en 1781, sous ce titre : Le sang innocent vengé, les pages enflammées que ce philosophe écrivit sur les « moyens de dédommager l’accusé reconnu innocent. » Il réclamait en sa faveur des dédommagemens pécuniaires « immenses, » les demandait à l’Etat, indiquait même sur quelle branche des revenus publics ils devaient être prélevés. On se disputait d’ailleurs, à cette date, l’honneur de venger l’innocence. Marat avait même devancé Brissot, dans son banal et médiocre Plan de législation criminelle, imprimé pour la première fois à Neufchâtel en 1780, ne se doutant pas du terrible démenti qu’il allait bientôt se donner à lui-même et se faire donner par son ami Fouquier-Tinville[27]. Dupin reprit et développa cette thèse en 1821[28] Enfin, si les amendemens par lesquels on tenta d’introduire le principe des réparations dans la loi de 1867 furent repoussés au Corps législatif par 111 voix contre 74, M. Albert Desjardins, professeur de législation pénale à la Faculté de Paris, protesta, quelques années après, contre ce vote et souhaita de le voir rétracter dans une autre législature. Ce vœu fut exaucé par la loi de 1895.

Aujourd’hui, l’arrêt ou le jugement de révision d’où résulte l’innocence d’un condamné peut, sur sa demande, lui allouer des dommages-intérêts à raison du préjudice que lui aura causé la condamnation. Si la victime de l’erreur judiciaire est décédée, le droit de demander des dommages-intérêts appartient, dans les mêmes conditions, à son conjoint, à ses ascendans et descendans. Il n’appartient aux parens d’un degré plus éloigné qu’autant qu’ils justifieront d’un préjudice matériel, résultant pour eux de la condamnation. Les dommages-intérêts alloués sont à la charge de l’Etat, sauf son recours contre la partie civile, le dénonciateur ou le faux témoin par la faute desquels la condamnation aura été prononcée.

La Cour de cassation a fait elle-même, dès le 16 décembre 1897, une éclatante application de cette disposition nouvelle dans l’affaire de Pierre Vaux, ancien instituteur à Longepierre, que le jury de Saône-et-Loire avait déclaré complice de six incendies allumés dans cette commune, et que la cour d’assises avait condamné, à la suite de ce verdict, aux travaux forcés perpétuels. Le véritable incendiaire était un faux témoin, dont la déposition avait été regardée comme accablante. La chambre criminelle écarta la demande de dommages-intérêts formée par un frère de la victime, parce qu’il « ne produisait la justification d’aucun préjudice matériel, mais condamna l’Etat à payer aux trois enfans légitimes une somme de 100 000 francs. » Il y a quelques semaines (5 mai 1899), un nommé Fétis, à tort condamné pour diffamation par la cour de Bordeaux, obtint de la chambre criminelle, sans qu’elle eût à constater un préjudice matériel, une indemnité de 15 000 francs.

Cette partie du Code d’instruction criminelle fut encore amendée le 1er mai 1899.

Mme Lucie Alfred Dreyfus avait prié, par une lettre du 3 septembre 1898, le ministre de la Justice de provoquer la re vision du jugement rendu par le premier conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris, le 22 décembre 1894, qui avait condamné son mari à la déportation dans une enceinte fortifiée, et à la dégradation militaire. M. le procureur général Manau fut, en effet, chargé par M. le Garde des sceaux Sarrien, dès le 27 septembre, de demander la révision. La chambre criminelle déclara, le 29 octobre, la demande recevable en la forme ; mais, comme les pièces produites ne la mettaient pas en mesure de statuer au fond, elle crut devoir procéder elle-même (article 445 du Code d’instruction criminelle) à une enquête supplémentaire.

Une partie de la presse exerça sur la conduite de l’enquête une surveillance active, ombrageuse, violente : elle agita l’opinion publique. La confiance qu’avait inspirée jusqu’alors l’impartialité de cette chambre fut ébranlée dans certains esprits. Le gouvernement, à son tour, s’inquiéta. Le nouveau ministre, M. Lebret, chargea le premier président de la Cour et deux de ses plus anciens membres d’éclairer diverses imputations dirigées contre la section criminelle et d’en déterminer la portée. Les trois enquêteurs adressèrent au Garde des sceaux, le 29 janvier 1899, une lettre qu’ils terminèrent ainsi : « Nous craignons que, troublés par les insultes et les outrages et entraînés pour la plupart dans des courans contraires par des préventions qui les dominent à leur insu, les magistrats de la chambre criminelle n’aient plus, après l’instruction terminée, le calme et la liberté morale indispensables pour faire l’office de juges. » A la suite de ce rapport, le gouvernement soumit au parlement un nouveau projet de loi.

La Chambre des députés avait été déjà saisie par un de ses membres, M. Rose, d’une proposition qui reposait tout entière sur un principe inscrit dans une loi récente (10 décembre 1897) : Le magistrat instructeur ne peut pas concourir au jugement des prévenus contre lesquels il a procédé à une information. Toutes les fois que la chambre criminelle, en vertu de la loi du 8 juin 1895, aurait décidé d’ouvrir une enquête supplémentaire, l’arrêt ne pouvait plus être rendu, d’après cette proposition radicale, que par ceux de ses membres qui n’avaient pas été chargés de l’instruction ; si la chambre criminelle avait procédé tout entière à cette instruction, les autres membres de la Cour, réunis en audience solennelle, devaient seuls statuer ! C’était, aux yeux de M. Rose, œuvre de logique législative. Après tout, on se bornait à mettre la Cour de cassation dans le droit commun.

Le gouvernement recula devant cet excès de logique. Sans doute, le Code d’instruction criminelle décide que les membres de la cour d’appel, après avoir voté sur la mise en accusation, ne peuvent, dans la même affaire, ni présider les assises, ni assister le président, à peine de nullité ; sans doute, le juge d’instruction ne peut, dans aucun cas, depuis la loi de décembre 1897, prendre part au jugement des affaires qu’il a instruites. Mais, entre le juge d’instruction et la chambre criminelle procédant, en matière de révision, à une enquête préliminaire, l’analogie n’est pas absolue. La section criminelle ne statue pas par un arrêt préalable sur les résultats de sa propre instruction : son rôle ressemble plutôt à celui du juge civil chargé d’une enquête ou d’un interrogatoire sur faits et articles : ce dernier prend part au jugement du fond, parce qu’il se borne à recueillir des élémens de preuve sans déduire dans une ordonnance les conséquences de ses investigations. Une juridiction plus large, celle des chambres réunies, dans laquelle la chambre criminelle conserverait une place, devait donc être appelée à statuer sur le fond. « Les chambres réunies, lit-on dans l’exposé de la loi du 1er mars 1899, forment dans notre législation le tribunal suprême, offrent les garanties les plus élevées qu’on puisse assurer aux justiciables. Il est donc naturel, dans une matière qui s’attaque à l’autorité de la chose jugée, d’y recourir pour les affaires qui apparaissent, par la nécessité même d’une instruction préalable, comme soulevant des questions particulièrement délicates. » Les deux chambres se rangèrent à cet avis et le Code d’instruction criminelle (art. 445) fut une fois de plus remanié, selon les vues du gouvernement : « En cas de recevabilité, lit-on dans le nouveau texte, la chambre criminelle statuera sur la demande en révision, si l’affaire est en état. Si l’affaire n’est pas en état, la chambre criminelle procédera directement ou par commissions rogatoires à toutes enquêtes sur le fond, confrontations, reconnaissances d’identité et moyens propres à mettre la vérité en évidence. Après la fin de l’instruction, il sera alors statué par les chambres réunies de la Cour de cassation...[29]. »

Nous ne saurions désapprouver cette nouvelle mesure. Les quarante-neuf magistrats inamovibles qui constituent la suprême juridiction des chambres réunies offrent, en effet, les plus complètes garanties d’indépendance qu’on puisse rencontrer dans un corps judiciaire. Or les procès de ce genre mettent quelquefois aux prises les partis politiques, les masses populaires, tous les organes de l’opinion, les pouvoirs publics eux-mêmes : il importe d’opposer aux courans les plus impétueux, aux poussées les plus violentes, la digue la plus forte.

Les Français ont, en ce moment, faim et soif de la révision en matière pénale. C’est la tournure qu’a prise chez nous, depuis quelques années, l’amour de la justice. Cet amour est très vif sous sa forme particulière : on n’en contient pas les impatiences. C’est ainsi que nos contemporains se reprochent souvent, avec une sorte d’inquiétude, de n’avoir pas fait assez pour une telle cause. Ils remettent vingt fois leur ouvrage sur le métier, pensant qu’il reste quelque chose à faire. Si je ne me trompe, il faut à la fois les féliciter d’une si généreuse ardeur et leur demander un peu plus de sang-froid.

Un homme d’Etat qui serait assez haut placé pour être entendu, assez généralement estimé pour être écouté, leur tiendrait sans doute le langage suivant : Prenez garde ! Il s’agit moins aujourd’hui de perfectionner les textes tant de fois remaniés que d’assurer l’efficace application des lois nouvelles. Le meilleur moyen de discréditer une législation si favorable aux révisions serait de prendre avec un emportement extrême parti pour ou contre la révision dans quelques procès de ce genre, de préjuger la solution des questions avant de les avoir étudiées, et d’adresser au juge des sommations violentes en lui dictant d’avance son arrêt. Il y a quelque douceur, paraît-il, à médire des gens qui participent à l’administration de la justice. Cependant Proudhon écrivait en 1858 : « L’homme, en vertu de la raison dont il est doué, a la faculté de sentir sa dignité dans la personne de son semblable comme dans sa propre personne : la justice est le produit de cette faculté. » Massol, vénérable de la Loge la Renaissance, enseignait encore en 1864[30] que « la réciprocité du respect entre les personnes humaines est l’élément constitutif de la conscience. » Or les justiciables n’ont pas, en thèse, de bonnes raisons pour s’abstenir d’appliquer ces maximes aux juges. Il faut songer qu’un certain nombre de magistrats sont, par la force des choses, les instrumens nécessaires de la révision. Ce n’est peut-être pas trop demander que d’engager les directeurs ordinaires de la conscience publique à laisser respirer ces personnages nécessaires et à leur permettre de s’acquitter librement de leur tâche.

Le même homme d’Etat ne manquerait pas d’ajouter que, pour calmer l’effervescence et gagner la confiance des justiciables, les gouvernans ne doivent point se lasser de recruter les juges parmi les hommes les plus désintéressés et les plus respectés, même s’il faut parfois sacrifier l’apparence d’un intérêt politique aux nécessités permanentes du gouvernement.


ARTHUR DESJARDINS.

  1. On trouve en effet cette phrase dans une ordonnance de Louis XI : « impetrer lectres de grace pour estre receu à proposer erreur » (novembre 1479).
  2. Intitulé : Des lettres d’abolition, rémission, pardon, pour ester à droit. Rappel de ban ou de galères, Commutation de peine, Réhabilitation et Révision de procès.
  3. Intitulé : Des procédures à l’effet de purger la mémoire d’un défunt.
  4. On citait, à titre d’exemple, le cas où l’accusé qu’on croyait avoir été tué était vivant, celui où il avait été condamné pour un autre. Ainsi, lorsque, au cours d’une instruction, comme dans une certaine affaire Langlade (en 1693), on vient à découvrir les véritables auteurs du crime, pour lequel un accusé aurait été auparavant condamné, etc.
  5. Jousse, Traité de la Justice criminelle, t. II, p. 780.
  6. M. F. Hélie, membre de l’Institut, présida la chambre criminelle de la Cour de cassation.
  7. Consultation pour une jeune fille condamnée à être brûlée vive, Paris, 1786.
  8. Bradier, Lardoise et Simare, que le parlement de Paris avait condamnés à la roue pour vol nocturne. On sait que le véritable auteur de ce mémoire était le président Dupaty.
  9. Sur les 646 articles que comptait ce code, 599 traitaient de la procédure criminelle.
  10. Voir l’arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 1855.
  11. Arrêt du 9 vendémiaire an IX.
  12. Art. 443 du Code d’instruction criminelle.
  13. Art. 444 du Code d’instruction criminelle.
  14. « La Cour de cassation créera un curateur à sa mémoire, avec lequel se fera l’instruction et qui exercera tous les droits du condamné. Si, par le résultat de la nouvelle procédure, la première condamnation se trouve avoir été portée injustement, le nouvel arrêt déchargera la mémoire du condamné. »
  15. Le 28 août 1884, sur mes conclusions, la chambre criminelle déclara recevable la demande en révision de la femme Lepestipont, parce qu’un des témoins entendus dans une instance correctionnelle avait été condamné, le 25 avril 1883, pour faux témoignage contre la prévenue ; mais, comme cette condamnation laissait subsister d’autres élémens de preuve, le haut tribunal termina lui-même et sur-le-champ cette seconde phase en décidant qu’il n’y avait pas lieu de réviser.
  16. Le cas d’homicide supposé. Si les pièces produites établissaient clairement l’existence de la fausse victime, la cour suprême pouvait, au vu de ces seules pièces, annuler la condamnation attaquée et tout finir d’emblée.
  17. On sait que la famille Lesurques ne profita pas de cette réforme législative et que la demande en révision de Virginie Lesurques fut déclarée non recevable par la Cour de cassation le 17 décembre 1868.
  18. Le nouvel article 444 imposait à ces parties, pour faire inscrire utilement leur demande au ministère de la Justice, dans le cas de condamnations inconciliables ou de condamnation d’un faux témoin, un délai de deux ans à partir de la condamnation donnant ouverture à révision ; mais cette déchéance, que le Code de 1808 ne prononçait pas, puisqu’il ne conférait pas de droit propre aux parties intéressées, n’atteignait pas le ministre agissant d’office.
  19. Toutefois la Cour de cassation avait admis que deux condamnés pour de simples délits par des arrêts inconciliables pouvaient se prévaloir de l’ancien article 143 (arrêts du 30 décembre 1842, du 1er septembre 1843, du 10 mai 1850, du 25 avril 1851).
  20. Rapport de la commission législative.
  21. M. le sénateur Monsservin prétendit, de son côté, « n’avoir jamais vu une affaire criminelle où la culpabilité fût aussi bien établie. » On sait que le gouvernement prit le parti de gracier ce condamné.
  22. La révision n’existe donc pas en matière contraventionnelle, c’est-à-dire pour les infractions réprimées par des peines de simple police, qu’elles soient appliquées par le tribunal de simple police ou par le tribunal correctionnel.
  23. Autrement, le renvoi à un second tribunal de répression serait sans objet ou aboutirait fatalement à une contradiction. C’est pourquoi la chambre criminelle avait dit, le 23 avril 1896, « qu’il n’échet pour la Cour de cassation, alors qu’il y a possibilité de procéder à de nouveaux débats oraux devant le jury, de constater elle-même l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. »
  24. « Notamment en cas de décès, de contumace ou de défaut d’un ou de plusieurs condamnés, en cas de prescription de l’action ou de celle de la peine » (ancien art. 446). La loi de 1895 ajoute à ces cas, cités à titre d’exemple, ceux d’irresponsabilité pénale ou d’excusabilité.
  25. Ancien art. 447.
  26. Le texte de 1867 lui eût déjà permis de casser sans renvoi dans l’affaire Fétis (arrêt du 5 mars 1899), où, l’innocence du condamné lui paraissant d’ores et déjà manifeste, l’action publique se trouvait éteinte par la prescription.
  27. Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, t. IV, p. 125.
  28. Observations sur plusieurs points importans de notre législation criminelle, p. 289.
  29. L’exposé des motifs explique très bien pourquoi l’on n’a pas substitué d’une façon complète et pour tous les cas, dans l’examen des recours en révision, la compétence des chambres réunies à celle de la chambre criminelle.
  30. Voyez la Revue du 1er mai 1899.