La Question homérique
question homérique
Il y a, disions-nous ici même, dans une étude dont se souviennent peut-être encore quelques-uns des lecteurs de la Revue[1], il y a bien des manières de lire Homère, et, ce jour-là, nous cherchions à montrer quel parti l’archéologue pouvait tirer de l’Iliade et de l’Odyssée pour l’histoire des arts primitifs de la Grèce et de son industrie naissante. Aujourd’hui, c’est à un autre point de vue que nous nous placerons pour rouvrir et feuilleter ces poèmes, que ne saurait manquer de relire plusieurs fois dans sa vie tout homme qui aime les lettres grecques et qui a eu l’honneur de les enseigner. L’attention de tous ceux qui s’intéressent encore à l’antiquité vient d’être appelée de nouveau sur un problème qui divise les meilleurs esprits et qui, dans les premières années de ce siècle, a provoqué des débats passionnés sur ce que l’on est convenu d’appeler la Question homérique.
Ce réveil d’une discussion qui a longtemps occupé la critique et qui n’est pas près de finir, nous le devrons à un ouvrage dont le premier volume, le seul qui ait paru jusqu’ici, est presque tout entier consacré à la poésie épique ; nous voulons parler de cette Histoire de la littérature grecque, au frontispice de laquelle on fit les noms de deux frères, M. Alfred et Maurice Croiset. L’un et l’autre étaient bien préparés à l’entreprise en vue de laquelle ils ont associé leurs efforts. Ce fardeau est trop lourd pour les épaules d’un homme seul ; de tous ceux qui ont conçu cette haute ambition, aucun, ni Mure, ni Otffried Muller, ni Bernhardy, ni Bergk n’a pu remplir tout son programme et aller jusqu’au bout de la voie. Ceux qui s’y engagent aujourd’hui de concert ont une longue habitude de travailler et de penser en commun ; l’exacte correspondance des destinées a encore resserré les liens que le sang avait créés. La maison paternelle les avait formés dans les mêmes disciplines ; un peu plus tard, les mêmes maîtres les avaient initiés au culte des modèles classiques, aux mystères de cette religion qui compte encore quelques fidèles ; ils ont ensuite passé par la même école et suivi la même carrière ; ils occupent, l’un à Paris et l’autre à Montpellier, des chaires pareilles. Ils auraient pu se contenter d’être gens de goût et professeurs excellens ; c’est une tentation à laquelle ne cèdent, dans notre université française, que trop d’esprits distingués ; ceux-ci se sont astreints au dur labeur de composer et d’écrire. Comme s’ils avaient conçu de bonne heure la pensée de l’ouvrage considérable dont ils nous offrent aujourd’hui les prémices, toutes leurs recherches ont porté sur des parties de cet ensemble qu’ils s’apprêtent à embrasser tout entier. C’est ainsi que M. Maurice Croiset a su parler, avec une élégance aisée qui était bien de mise en un pareil sujet, du plus spirituel des sophistes grecs, de Lucien, que l’on a souvent comparé à Voltaire ; il l’a, d’une main adroite, replacé dans son milieu, entre le polythéisme, qui n’obtient plus que des respects vides de croyance, et le christianisme qui commence par en bas la conquête de la société gréco-romaine ; il a fait connaître, par une complète et lucide analyse, l’œuvre très variée du brillant écrivain[2]. Quant à M. Alfred Croiset, il suffira de rappeler son étude sur Pindare, où un si vif sentiment des beautés originales du poète thébain s’allie à une érudition si curieuse et si sûre, que n’effraient point les problèmes les plus ardus, la difficulté de restituer la métrique des odes et de se faire une idée de la musique qui leur servait d’accompagnement[3]. La magistrale édition de Thucydide n’a pas été accueillie avec moins de faveur ; elle a trouvé grâce devant les philologues les plus exigeant, et elle a gagné le suffrage des lettrés les plus délicats[4]. Un sens des plus fermes y préside à l’établissement du texte ; une profonde connaissance du vocabulaire et de la grammaire aide l’éditeur à choisir entre les leçons que lui fournissaient les manuscrits ; les notes sont sobres et précises. L’introduction renferme tous les renseignemens nécessaires sur l’histoire de Thucydide et de son livre ; mais ce qui en fait surtout le prix, ce sont les pages où le critique définit la méthode de son auteur et celles où il montre comment s’est formée la prose attique, quels sont les caractères qui la distinguent et qui l’ont rendue propre à jouer, dans le monde antique, comme l’instrument par excellence de la pensée, un rôle dont rien n’approche, si ce n’est celui dont la prose française s’est emparée dans les temps modernes, et qu’elle a su soutenir avec tant d’éclat depuis trois siècles.
Ces pages, qui ont été si vivement goûtées par ceux qui ont été les chercher dans les prolégomènes d’une édition savante, nous les retrouverons à leur place dans l’ouvrage où les deux collaborateurs se proposent de suivre, depuis ses commencemens jusqu’à son terme, le développement organique du génie grec et l’évolution de sa pensée ; on y verra reparaître, appropriés aux exigences d’un autre cadre, leurs travaux et leurs idées sur la poésie lyrique et sur la sophistique du temps des Antonins. Avant de prendre leur élan, M. Alfred et Maurice Croiset ont ainsi mesuré le champ qu’ils se proposent de parcourir ; ils en ont exploré les chemins ; ils ont écrit par avance quelques-uns des chapitres du livre dont ils ont osé concevoir le plan, et qu’ils auront, je le souhaite et je l’espère fermement, le bonheur d’achever, car ils sont jeunes encore : ils n’ont pas dépassé la moitié de cette longue vie sur laquelle semblent avoir le droit de compter ceux qui font un bon emploi de leurs heures, sans abuser de la force qui est en eux et sans la laisser s’engourdir dans l’oisiveté.
Dans ces conditions mêmes, il leur faudra bien des années pour atteindre le but qu’ils se sont fixé. La carrière s’étend devant eux comme à perte de vue ; aucune autre littérature n’a en une longévité qui se puisse comparer à celle de la littérature grecque. Lorsque l’historien cherche dans l’épopée homérique les matériaux qu’elle a mis en œuvre, il remonte bien au-delà d’Homère, et, tout décidé qu’il soit à s’arrêter au seuil de la période byzantine, au moins est-il tenu de descendre jusqu’aux Julien et aux Libanius, aux Basile et aux Chrysostome ; c’est environ treize ou quatorze siècles d’une incessante et prodigieuse activité d’esprit qu’il s’agit de faire passer sous les yeux du lecteur, au moyen d’une série de tableaux qui conservent à chaque époque et à chaque groupe d’écrivains l’expression particulière de sa physionomie propre, sa vivante originalité. Pour ne pas se laisser effrayer par la grandeur de la tâche, il faut être soutenu, comme le dit l’auteur de la préface, par « cet enthousiasme qui est nécessaire aux œuvres de longue haleine[5] ; » il faut l’être par la sympathie et l’estime d’un public d’élite. Cet enthousiasme ne s’éteindra pas ; il sera entretenu, il sera réchauffé sans cesse par les découvertes et les surprises de cette longue exploration, par l’infinie variété de tous les beaux ouvrages que les deux voyageurs rencontreront à chaque détour du chemin ; l’accueil fait par les gens de goût à cette première partie répond de celui que les volumes suivans trouveront auprès des mêmes lecteurs. Il va d’ailleurs de soi que ceux-ci ne seront pas toujours, sur tous les points, de l’avis des deux historiens ; mais ce n’est pas ici le lieu de s’arrêter aux discussions minutieuses et aux chicanes de détail. Ce qui fait l’intérêt du livre, c’est le compte qu’il rend de la naissance et du développement de la poésie épique. M. Maurice Croiset est un disciple modéré de Wolf ; malgré la discrétion de sa critique et la finesse de ses jugemens, il n’a pas réussi à nous convaincre. Nous saisirons donc cette occasion pour exposer les vues que nous a suggérées à nous-même une lecture attentive et complète de l’Iliade.
I
Il y a quelques années, j’avais à ouvrir un cours de littérature grecque devant des auditeurs qui ont le droit de beaucoup demander à leurs maîtres, devant les élèves de l’École normale ; c’était par Homère et par la question homérique que je devais commencer. Ma première préoccupation avait été de savoir comment étaient posés, à cette heure, les problèmes sur lesquels j’avais à me prononcer ; or je n’avais pas tardé à reconnaître que, dans ces derniers temps, la critique n’avait guère fait que tourner toujours dans le même cercle, sur les traces des grands érudits de la première moitié du siècle ; elle n’avait pas présenté de solutions vraiment nouvelles ; elle avait plutôt discrédité, en les poussant jusqu’à leurs conséquences extrêmes, celles qui, pendant un certain temps, avaient paru sur le point de prévaloir. Un critique d’un esprit d’ailleurs vigoureux et pénétrant, Paley, n’allait-il pas jusqu’à soutenir, par des raisons dont quelques-unes pouvaient sembler presque spécieuses, que l’Iliade et l’Odyssée, sous leur forme actuelle, ne s’étaient constituées qu’après les guerres médiques, dans le cours du Ve siècle[6] ? Comment faire pour prendre parti, pour choisir entre toutes ces hypothèses qui se détruisent l’une l’autre, très fortes tant qu’il ne s’agit que d’ébranler et de renverser la théorie contraire, très faibles et bientôt ruinées jusque dans leurs fondemens dès qu’elles sont à leur tour attaquées et battues en brèche par un vigoureux assaillant ? Où chercher un moyen terme entre la conception un peu enfantine dont se contentait la bonhomie de nos pères et ces systèmes tout arbitraires où l’on exalte la poésie et où l’on supprime le poète, entre les pensées que suggère au critique l’étude comparative des littératures et cette vérité d’expérience qu’il n’y a pas, dans l’histoire des lettres et des arts, de grand monument où un homme de génie n’ait mis la main et laissé l’empreinte de sa personne exceptionnelle et sacrée ? C’est dans l’analyse et, si l’on peut ainsi parler, dans la dissection des deux épopées, que l’on dit trouver la justification de toutes ces hypothèses ; pour mesurer le degré de confiance qu’elles méritent, le mieux ne serait-il pas de fermer, au moins pour un temps, tous ces gros livres où la matière est souvent si mince, tous ces programmes, toutes ces thèses où la polémique, presque toujours pédantesque, prend parfois des allures injurieuses ? Le plus sûr n’est-il pas de s’adresser aux deux sœurs immortelles, l’Iliade et à l’Odyssée, pour les interroger en toute franchise et pour tâcher de saisir leur réponse ?
L’heure des vacances avait sonné ; je partais pour aller passer l’automne à la campagne, dans un village de la côte normande ; tout ce que je tirai de ma bibliothèque, ce fut un dictionnaire et l’Homère de Boissonade, celui qui fait partie de cette jolie collection des poètes grecs que ce fin helléniste s’amusa jadis à publier. sans autre ambition que de fournir un texte correct aux honnêtes gens qui auraient envie de mettre dans leur poche un Sophocle ou un Théocrite et de l’emporter en promenade ou en voyage[7]. Les volumes sont petits et très bien imprimés, sur papier de fil, avec des caractères nets et fermes que Jules Didot avait fondus tout exprès ; il y en a quatre pour Homère : deux pour l’Iliade, deux pour l’Odyssée et pour les Hymnes. Au bas des pages, point de notes, ni critiques ni explicatives ; l’éditeur suppose que l’on soit, comme lui, assez de grec pour ne pas être embarrassé par les difficultés qui arrêteraient les écoliers ; tout ce qu’il semble avoir mis là du sien, ce sont quelques notules, comme il les appelle, qui sont reléguées à la fin des volumes. Il les donne, comme il le confesse non sans une pointe d’ironie, telles qu’elles lui venaient à l’esprit, pendant qu’il corrigeait les épreuves. Rien de plus inégal et de plus capricieux que cette annotation ; il est tel chant de l’Iliade qui ne lui suggérera que deux ou trois observations, tandis que, pour tel autre, les remarques se presseront bien plus nombreuses sous sa plume. Ici, ce sera quelque correction ingénieuse qu’il propose d’un air souriant et détaché ; là, quelque leçon généralement admise qu’il discute brièvement, ou quelque conjecture d’un de ses devanciers qu’il écarte d’un mot malicieux. Le plus souvent, ce sont des rapprochemens inattendus que lui fournit sa vaste lecture, ou bien des citations d’auteurs inédits qu’il était seul à avoir lus dans les manuscrits de la Bibliothèque royale ; lui qui pèche d’ordinaire plutôt par excès de sobriété, il abuse un peu de Planude. Dans cet érudit qui ne s’est jamais attaqué au texte d’aucun grand écrivain classique, qui n’a pas formé d’élèves et qui n’a exercé aucune influence sur les philologues ses contemporains, il y a toujours eu, malgré la précision de sa science, quelque chose de l’amateur et, qu’on nous passe l’expression, du dillettante.
Ces notules, qui sont servies à part, comme ces plats que se réservent les gourmets, on peut, à volonté, s’en donner le régal ou n’en tenir aucun compte ; elles ne gênent pas le lecteur qui veut se mettre seul en face du texte grec et en recevoir l’impression directe. C’était ce que je voulais tenter ; dans mes courses solitaires par les sentiers de la falaise ou « sur le rivage de la mer retentissante, » je ne pouvais donc avoir meilleurs compagnons que ces volumes discrets, d’où ne sortirait aucune voix qui prévint mon jugement, qui risquât de troubler mon tête-à-tête avec Homère. Chaque matin et chaque après-midi, j’en prenais un avec moi et, pour l’ouvrir, j’allais me cacher loin des importuns, tantôt dans quelque verger dont j’avais appris à franchir la haie, tantôt dans une petite anse où des rochers tout noirs de coquillages me dérobaient à la vue. Une fois établi dans ma retraite, je m’empressais de reprendre ma lecture là où je l’avais laissée la veille. Suivant les jours, elle avançait plus ou moins vite. Je ne manquais jamais de marquer au passage, pour en chercher le sens quand je serais de retour à la maison, les mots qui m’étaient inconnus ; un coup de crayon suffisait à me les rappeler, et il y avait telle séance où, entraîné par le charme du récit, j’allais d’un trait jusqu’au bout de quelqu’une des grandes scènes du poème ; d’autres fois, quelques vers m’occupaient toute une matinée ; un épisode, moins encore, une comparaison, une simple épithète, me suggéraient des réflexions que je jetais à la hâte, en abrégé, sur les marges de mon exemplaire ; le soir, je les développais et les tirais au clair ; je rédigeais et je classais ces notes, d’où je comptais tirer la matière de mon enseignement. Tantôt assis dans ces prés que les humides caresses du vent d’ouest gardent éternellement verts, tantôt étendu sur le sable humide de la grève, jusqu’au moment où la marée montante venait me mouiller les pieds et m’avertir de la fuite des heures, j’employai ainsi trois mois, qui comptent parmi les temps les plus heureux de ma vie, à lire l’Iliade de la première à la dernière ligne. Je souhaitais, j’espérais en faire autant pour l’Odyssée, et celle-ci aurait été plus vite lue ; chaque jour, la langue homérique me devenait plus familière. Le temps me manqua pour remplir tout mon programme ; ce n’est pas aux seuls collégiens que les vacances paraissent toujours trop courtes. À peine avais-je terminé l’Iliade que le moment était venu de retourner à Paris, pour y reprendre la chaîne de ces occupations multiples et brisées qui ne permettent pas à l’esprit de se recueillir, de se dégager du présent, et d’avoir du passé, par instans, une vision aussi pleine et aussi claire que l’est celle du paysage entrevu, la nuit, à la lueur d’un éclair. Depuis lors, la vie est ainsi faite, je n’ai jamais retrouvé les quelques semaines de loisir qui m’auraient été nécessaires pour reprendre et pour achever cette lecture.
L’étude que j’avais entreprise est donc restée incomplète ; mais n’est-ce pas surtout de l’Iliade que se sont occupés les critiques qui ont émis une opinion sur les origines de l’épopée ? N’est-ce pas d’elle qu’ils partent et à elle qu’ils reviennent toujours, dans leurs raisonnemens et leurs conjectures ? l’Iliade est le plus beau des deux poèmes ; c’est aussi le plus ancien, comme les Grecs l’avaient senti, ce qu’ils disaient à leur manière en attribuant l’Iliade à la jeunesse et l’Odyssée à la vieillesse d’Homère. Arrivez à montrer qu’il convient de voir dans l’Iliade l’œuvre d’un homme de génie qui ordonne et qui utilise les matériaux poétiques élaborés par ses prédécesseurs, et la preuve sera faite pour l’Odyssée. Plus on descend dans le temps, plus on s’éloigne de la période vraiment primitive, de celle où les aèdes, les chanteurs comme Phémios ou Démodocos, célébraient, dans des récits de courte durée, tel ou tel de leurs héros favoris, racontaient telle ou telle de ses aventures et de ses prouesses, et mieux on s’explique la naissance d’un poème digne de ce nom, où, dans un cadre spacieux et d’un ferme dessin, viennent se grouper et agir de concert plusieurs de ces personnages dont chacun avait eu d’abord son histoire séparée, sa geste particulière, comme disaient nos ancêtres. C’était là le progrès organique, la marche régulière et naturelle ; partout et toujours, dans ses créations successives, l’esprit humain va du simple au composé. C’est le premier Homère, celui de l’Iliade, qu’il s’agit de dégager des ombres qu’a épaissies autour de lui la critique assembleuse de nuages, pour prendre une expression homérique ; une fois celui-ci retrouvé, le second, celui de l’Odyssée, suit la fortune de son devancier ; la statue reparaît, en pleine lumière, debout sur son piédestal.
II
On l’a déjà deviné : nous sommes de ceux qui croient à l’existence d’Homère ; mais nous sommes arrivé à cette conviction par une voie un peu différente de celle qu’ont suivie ceux que l’on peut appeler, comme on dit aujourd’hui, les conservateurs libéraux ; nous donnerons ce titre aux critiques qui, tout en tenant grand compte des observations, souvent si fines et si pénétrantes, de Wolf et de ses continuateurs, ne peuvent se décider à admettre que les vrais auteurs de l’Iliade et de l’Odyssée soient Onomacrite d’Athènes, Zopyre d’Héraclée et Orphée de Crotone. Ce qui surtout a frappé les défenseurs de la tradition, ce que plusieurs d’entre eux ont fait ressortir avec beaucoup de force et de talent, c’est la qualité partout pareille et la couleur uniforme de la langue ; c’est, dans la description des mœurs et de l’état social, dans l’expression des sentimens et des idées, cette suite et cette cohérence parfaites qui ne sauraient se rencontrer que dans un ouvrage où tout est bien d’une seule et même venue ; c’est la constance avec laquelle les caractères se soutiennent jusqu’au bout, tels qu’ils se sont annoncés et posés tout d’abord ; c’est enfin et surtout l’unité de la composition, unité que l’on s’attache à rendre sensible en prouvant que toutes les péripéties de l’action s’expliquent par la colère d’Achille, par « cette colère funeste » qui, comme le disent les premiers vers du poème, « causa aux Grecs des milliers de maux, jeta chez Hadès beaucoup d’âmes vaillantes de héros, et fit de leurs corps la pâture des chiens et des oiseaux de proie ; ainsi s’accomplissait la volonté de Zeus. »
La critique française, qui répugne d’instinct aux conceptions vagues et qui aime les idées claires, a été en général, dans ce siècle, plutôt portée à réagir contre les systèmes qui sont nés des Prolégomènes de Wolf. Sans fermer les yeux ni les oreilles à ce qu’il y avait de juste dans les observations des novateurs, sans méconnaître les différences profondes qui séparent l’Iliade de l’Énéide, par exemple, ou des épopées modernes, elle a défendu pied à pied le terrain, et, à de rares exceptions près, elle ne s’est pas résignée à sacrifier la personnalité d’Homère. Edgar Quinet, malgré ses sympathies pour la science allemande, avait donné l’exemple dans plusieurs essais qui ont paru ici même, et, dans les derniers jours de sa longue vie, après avoir relu Homère auprès de moi, et souvent avec moi, il revenait sur cette question ; dans son dernier livre : l’Esprit nouveau, il défendait encore les opinions chères à sa jeunesse, et mettait à son plaidoyer une chaleur et une verve que l’âge ne paraissait pas avoir refroidies[8]. Sainte-Beuve était du même avis, et l’on ne relira pas sans profit et sans plaisir l’article qu’il écrivait sur ce sujet, en 1843, à propos d’une traduction d’Homère qui venait de paraître[9]. On a pris l’habitude de demander au grand critique plutôt ses jugemens sur les auteurs modernes et contemporains que ce qu’il pense des écrivains de l’antiquité. C’est qu’il ne s’est attaqué à ceux-ci que de loin en loin, comme pour se dépayser et pour se reposer ainsi, par une sorte de voyage, des études où il s’enfermait d’ordinaire ; mais aussi, lorsqu’il cède à cette tentation, avec quelle vivacité de goût et quel accent ému il parle des anciens, un peu comme s’il les découvrait, comme s’ils avaient encore pour lui, chaque fois qu’il les retrouve sur son chemin, tout l’attrait de la nouveauté !
Sainte-Beuve, dans ces pages qui sont trop oubliées, ne faisait guère que donner ses conclusions ; mais, en même temps que lui et après lui, d’autres critiques ont essayé d’exposer la question dans son ensemble, de discuter et de réfuter un à un les argumens des sceptiques, de montrer l’invraisemblance de leurs hypothèses et ce qu’elles impliquent de contradictions. Personne ne s’est acquitté de cette tâche avec une dialectique plus nerveuse et plus incisive que M. Havet dans un de ses premiers ouvrages, dans une thèse de doctorat à laquelle il n’a manqué, pour devenir populaire, en dehors du cercle fermé des érudits, que d’avoir été écrite en français, au lieu de l’être dans un latin excellent[10]. M. Jules Girard s’est prononcé dans le même sens, et les auditeurs de ses leçons de l’École normale et de la Sorbonne, ceux qui regrettent qu’il soit sitôt descendu de sa chaire, n’ont pas oublié son cours de 1869 ; ils se rappellent comment ce fin connaisseur des lettres grecques s’entendait à renouveler les aspects d’un débat que l’on pouvait croire épuisé, avec quelle ingénieuse adresse il mettait le doigt sur les points faibles des systèmes, quel sentiment sincère et tout personnel de la poésie homérique il portait dans cette controverse. C’est que, depuis bien des années, il entretenait avec cette poésie un doux et familier commerce ; il n’était pas de ceux comme il y en a tant, même parmi les plus renommés, qui dissertent sur Homère sans l’avoir jamais la ailleurs que dans une traduction[11].
Après ces maîtres, on n’aurait plus rien à dire, si on ne se plaçait à un point de vue un peu différent. Par de nombreux exemples empruntés à d’autres civilisations primitives, ils ont prouvé que le poète et le public auquel il s’adressait ont pu se passer de l’écriture, le premier pour composer son œuvre, le second pour en recevoir et en transmettre le dépôt. On a très bien compris ce qu’avaient pu être la puissance et la ténacité de la mémoire quand elle était toujours exercée, et, comme dirait un ingénieur, sous pression ; mais ce que l’on n’a pas assez montré, ce me semble, c’est comment, dans de telles conditions, l’intelligence avait pu prendre assez de souplesse et de force pour être capable d’enfanter des œuvres qui eussent ces caractères d’ampleur et d’unité que nous admirons dans l’Iliade.
Une première étude s’imposerait au critique qui aurait l’ambition de ne négliger aucune des données du problème : ce serait l’étude, une étude méthodique et approfondie, de la langue d’Homère. On devrait en relever toutes les particularités et les classer sous les trois chefs que comporte toute analyse de ce genre : phonétique, morphologie et syntaxe ; mais cet inventaire n’aura de valeur qu’à la condition d’être poussé jusque dans le dernier détail, ce qui ne saurait se faire que dans des travaux tout techniques, destinés aux philologues de profession. Ici, l’on se bornera à deux remarques ; elles portent sur des faits qui avaient déjà frappé les commentateurs anciens et que les modernes ont soumis à un examen plus rigoureux.
« Il ne suffit pas à Homère, dit Dion Chrysostome, de mêler ensemble les diverses façons de parler des Hellènes et de s’exprimer tantôt en éolien, tantôt en dorien, tantôt en ionien ; il faut encore qu’il parle olympien, διαστὶ διαλέγεσθαι[12]. « N’insistons pas sur l’allusion que renferment ces derniers mots à ce que les anciens appelaient la dionymie homérique, c’est-à-dire à quelques rares passages de l’Iliade dans lesquels le nom d’un même objet ou d’un même personnage est donné deux fois, d’abord dans la langue des hommes, puis dans ce que le poète appelle la langue des dieux ; selon toute apparence, les termes qu’il indique comme appartenant au seul parler des dieux sont des termes déjà vieillis de son temps, qui empruntaient à la désuétude où ils étaient déjà presque partout tombés je ne sais quel air mystérieux et sacré. Quant aux formes doriennes, on a reconnu, en y regardant de plus près, qu’il n’y en a pas, à vrai dire, dans l’Iliade ; de celles que l’on qualifiait ainsi, les unes n’étaient nées que de leçons incorrectes qui ont été corrigées dans les meilleures éditions du texte, et les autres s’expliquent par les habitudes du dialecte éolien[13]. Ce qui subsiste, c’est le mélange de l’éolisme et de l’ionisme. Comme M. Croiset le fait remarquer, les formes éoliennes se rencontrent tout d’abord dans un grand nombre de locutions traditionnelles ; mais l’emploi de l’éolisme dans la langue homérique n’est pas restreint à ces formules et à ces épithètes consacrées. On trouve ailleurs encore que, dans cette sorte de répertoire traditionnel, dans des passages qui n’ont pas ce caractère, beaucoup de formes éoliennes substituées à des formes ioniennes quand la nécessité de la mesure l’exige ; on les trouve même là où elles sont, non pas indispensables, mais simplement plus commodes.
Tout fréquent que soit le retour de ces formes, c’est l’ionien qui fait le vrai fond de la langue épique ; mais il est difficile d’admettre que cet ionien corresponde exactement à celui qui aurait été parlé, du temps où sont nés ces poèmes, dans l’une ou l’autre des villes de l’Ionie. Ce qui rend cette hypothèse très invraisemblable, c’est le fait bien constaté que le poète a souvent le choix, pour un même mot, pour une même flexion, casuelle ou verbale, entre trois ou quatre formes différentes, qui ont d’ailleurs absolument la même valeur ; or, l’expérience le prouve, nulle part, chez aucun peuple, le langage vivant et spontané ne reste dans cette indifférence qui serait un embarras pour l’esprit ; toujours, parmi toutes les formes que pourraient lui fournir ses ressources propres, les procédés de dérivation dont il dispose, il en choisit une et il laisse tomber les autres, ou, pour mieux dire, il ne les crée pas, il ne les appelle pas à l’existence. Ne lui demandez pas les raisons qui le décident, il n’en a pas conscience ; elles sont instinctives et secrètes, mais elles n’en agissent que plus impérieusement. L’usage courant ne connaît pas ces hésitations des grammairiens qui mettent parfois, dans leurs paradigmes, deux formes l’une à côté de l’autre ; partout et toujours, dans les limites d’un district de quelque étendue, d’une ville pu même d’un de ses quartiers, il prend résolument son parti et s’y tient pendant un temps plus ou moins long, jusqu’au jour où il en change, par l’effet d’une de ces causes qui modifient et qui renouvellent perpétuellement les langues.
On a donné, du mélange des deux dialectes, une de ces explications que, par politesse, on qualifie souvent d’ingénieuses. On a émis l’idée que les chants qui constituent l’Iliade ont été composés d’abord en grec éolien ; puis, plus tard, d’autres aèdes les auraient portés dans les villes ioniennes, et, pour en rendre l’intelligence plus facile à ce nouvel auditoire, il les auraient mis en langue ionienne, sans réussir pourtant à faire disparaître tout vestige de l’éolisme primitif ; les formes éoliennes subsistantes seraient celles qui, en raison de difficultés métriques, auraient résisté à cette transposition. « Le texte de l’Iliade, répond M. Croiset, ne se prête pas à cette conjecture ; car d’abord il renferme bien des formes éoliennes qui auraient pu, sans inconvénient pour la mesure, être transposées en ionien, et, en second lieu, si elle était exacte, il devrait y avoir des différences notables, au point de vue du nombre des formes éoliennes, entre les parties anciennes ainsi traduites et les plus récentes qui ne l’auraient pas été ; or, en fait, cette inégalité n’existe pas. »
Cette hypothèse ne soutient donc pas l’examen ; d’ailleurs, elle ne rend pas compte d’un autre des caractères qui sont propres à la langue homérique ; elle n’explique pas l’existence simultanée, dans un idiome, de ces formes synonymes qui, sans avoir une origine dialectale différente, se remplaçaient l’une l’autre, au gré du poète ; suivant les exigences de la mesure, il emploie tantôt l’une, tantôt l’autre de ces désinences. C’est toujours le même phénomène : par une suite d’opérations où interviennent nécessairement la réflexion et le choix, le poète épique s’est assuré la possession et le libre usage de ressources dont ne dispose nulle part la langue populaire ; celle-ci a la simplicité, la détermination rigoureuse de toutes les œuvres que crée l’instinct.
Comme l’idiome qu’elle emploie, le mètre dont se sert l’épopée suppose, lui aussi, un long développement antérieur. Les philologues ont émis différentes conjectures sur les origines de l’hexamètre ; quelle que soit celle que l’on préfère, on admettra que les Grecs n’ont pas dû trouver du premier coup un type rythmique aussi beau, aussi merveilleusement approprié à sa destination. Il a pu y avoir, pendant un certain temps, hésitation entre plusieurs rythmes différens, entre les rythmes anapestiques, par exemple, qui sont ceux de la marche ou de la danse, et les rythmes dactyliques, qui parurent moins sautillans et plus graves, mieux faits pour le cours soutenu du récit épique. Alors même que ceux-ci eurent prévalu, ce fut, comme le soupçonne Aristote, par une série de tentatives et de retouches que l’on en vint à donner au vers sa forme définitive[14]. On avait peut-être commencé par le composer d’un moindre nombre de pieds ; les métriciens croient y apercevoir la trace d’une soudure qui aurait réuni en un seul tout deux parties autrefois distinctes ; puis on se préoccupa de lui assurer l’ampleur qui convenait à la noblesse du thème, et il est possible que l’on ait essayé d’aller jusqu’à des systèmes de sept à huit dactyles ; mais, à l’épreuve, on reconnut que six de ces groupes constituaient le plus grand nombre de syllabes que le chanteur pût aisément prononcer sans reprendre haleine ; au-delà de cette limite, l’effort se faisait sentir. La voix commençait même à tomber, au moment où elle atteignait cette limite ; ainsi s’explique le parti que l’on prit d’écourter le pied final, de remplacer le dernier dactyle par un trochée. La syllabe terminale était à peine entendue, dans le mouvement que faisaient les poumons afin de se remplir d’air pour lancer le vers suivant ; on s’habitua donc à ne point attacher d’importance à la quantité de cette syllabe, et ce fut ainsi que le spondée remplaça souvent le dactyle à la fin de l’hexamètre. On arriva de même, par toute une suite d’expériences, à faire un choix entre les différentes coupes ou césures que comportait le vers ; tandis que l’on s’attachait à éviter celles qui paraissaient mal sonner, les autres étaient recherchées pour l’effet heureux qu’elles produisaient, et elles donnaient le moyen de varier les allures du vers sans en rompre la cadence.
Ce vers dont la destinée et le rôle ont été si brillans, cette langue dont la richesse fournit au poète tant de formes toutes prêtes à entrer dans le vers et à y prendre une place comme marquée d’avance, tout cela témoigne très haut de cette activité poétique, de cette élaboration prolongée qui avaient précédé l’apparition des deux grandes épopées. Si de l’étude des formes on passe à celle de la valeur et du sens des mots, on a la même impression : partout on rencontre, dans l’Iliade, ce que l’on peut appeler l’élément antérieur et primitif, celui que ne suffisent pas à expliquer le poème lui-même et les habitudes d’esprit qu’il suppose, les traditions qu’il met en œuvre. Prenez, par exemple, les épithètes dites homériques, ces adjectifs que l’on voit reparaître chaque fois que revient le nom qu’elles qualifient. Pour peu que l’on ait quelque idée des lois qui président à l’évolution de l’intelligence et des idiomes qui lui servent à exprimer ses pensées, on sent, on devine que ce n’est pas l’auteur de l’Iliade qui a introduit ces épithètes, comme un ornement cherché et voulu, dans la trame de sa poésie. Si l’on embrasse, dans une vue d’ensemble, toute l’histoire du développement de la langue grecque, on peut dire que ces épithètes correspondent à la seconde des phases qu’a traversées cette langue, à la seconde période de cette vie qui devait être si longue et si pleine.
La science n’atteint point et ne peut pas étudier, par l’observation directe, les premiers balbutiemens et les débuts de la parole articulée ; aucun linguiste n’a vu une langue se créer sous ses yeux ; cependant l’étymologie ouvre plus d’un jour sur les profondeurs mystérieuses de cette période initiale et sur les phénomènes qui la caractérisent ; la rigueur des méthodes que suit aujourd’hui cette analyse des élémens du langage permet d’avoir confiance dans les résultats ainsi obtenus. Dans la plus ancienne forme du langage, la distinction de l’adjectif et du substantif n’existe pas encore ; à proprement parler, il n’y que des adjectifs. Toutes les choses sont dénommées, non par un signe abstrait qui les représente avec tous leurs attributs secondaires, mais par une épithète qui fait revivre, qui renouvelle une des principales sensations que l’objet a produites quand il a été pour la première fois perçu par l’intelligence. Pour ne prendre qu’un exemple, la mer, c’est la salée ἅλς, ou la troublée θάλασσα[15], ou bien encore c’est le chemin, le chemin qui mène partout πόντος[16]. Peu à peu ces mots, affaiblis et comme usés par une longue répétition, finissent par perdre leur valeur pittoresque ; leur sens primitif s’oublie. À mesure que l’intelligence note de plus nombreux attributs des choses, elle s’accoutume à désigner chacun des êtres qui l’entourent par un terme qui acquiert la vertu de rappeler à l’esprit tout un groupe d’idées accessoires, de propriétés secondaires. Les adjectifs primordiaux pâlissent et se décolorent ; ils deviennent de vrais noms.
Cependant l’homme est trop jeune encore, trop sensible, trop aisément étonné ; il voit encore autour de lui trop de neuf et d’imprévu pour se résigner du premier coupa ce changement de régime ; quand commencent à se flétrir et à perdre de leur éclat les premiers noms des choses, l’esprit se prend à trouver que les termes usuels ne sont pas assez représentatifs ; il sent le besoin de leur rendre cette couleur qui s’était évanouie, cette puissance qu’ils avaient pour parler à l’imagination. C’est alors que naît, pour satisfaire ce désir, toute une nouvelle génération d’épithètes descriptives. Ainsi, à la longue, la notion du sens étymologique de l’expression θάλασσα s’était perdue ; quand on prononçait ce mot, il ne suscitait plus qu’une idée assez vague, celle de cette grande masse liquide qui enveloppe la Grèce et ses lies. Voulait-on que l’esprit ne s’en tint pas là, qu’il éprouvât quelqu’une des impressions déjà ressenties dans le voisinage et au spectacle de la mer, c’était aux adjectifs que l’on demandait ce réveil de la sensation. L’un, πολύφλοισϐος, évoquait le bruit de la vague qui vient à intervalles réguliers battre ses rivages ; un autre, ἁλμυρός, faisait songer au goût salé de ses eaux ; ceux-ci, εὐρύπορος, ἀτρύγετος, rappelaient son étendue indéfinie ou son éternelle stérilité, qui contraste avec la fécondité de ces guérets que l’on ensemence et que l’on moissonne chaque année. Ces épithètes de formation secondaire se distinguent tout d’abord à ce trait que ce sont, en général, des mots composés ; qu’elles soient faites, comme c’est le cas le plus ordinaire, de deux radicaux différens, ou bien d’un radical unique et d’un suffixe de dérivation, la complexité de ces élémens est l’indice d’un état déjà très avancé de la langue. La plupart de ces termes ont dû être créés par les poètes, par les auteurs de ces hymnes, dont nous n’avons plus que de courts fragmens ou des imitations très postérieures, et surtout par ces chanteurs épiques dont Homère fut le continuateur et le glorieux héritier.
À l’origine, quand l’homme commença de s’élever au-dessus de la bestialité, la première poésie, c’était la langue même. Chaque mot était à la fois une image et l’expression d’un sentiment, une description et un cri de joie et d’amour ou d’horreur et de haine, d’admiration ou d’effroi. C’était tout un poème en raccourci ; ce serait le plus beau de tous, parce que c’est le plus sincère et le plus naïf, s’il était encore lisible, si la signification primitive du plus grand nombre des mots ne se dérobait aux analyses les plus subtiles. Comment la saisirions-nous aujourd’hui ? Elle ne tarda point à s’obscurcir pour les créateurs mêmes de la langue ; elle leur échappait à mesure qu’ils percevaient de nouveaux rapports et que, pour les noter, ils faisaient passer les termes du sens particulier au sens général, du sens propre au sens figuré. C’est alors que, grâce à quelques âmes privilégiées, plus réfléchies et plus susceptibles de fortes émotions que ne le sont les âmes vulgaires, naquit une seconde poésie, celle qui emprunta le secours du rythme et de la musique. Le poète arrive ainsi à tirer de sa langueur l’imagination assoupie, à lui rendre, pour un moment, la faculté d’être aussi vivement touchée par la beauté et par la variété du monde qu’elle l’a été jadis, aux jours lointains de son enfance ; il y réussit encore aujourd’hui, trois mille ans après Homère, dans notre siècle de raisonnement abstrait, de sciences exactes et d’industrie. Le choix des épithètes est un des plus puissans moyens qu’il emploie à cet effet. Le substantif ne nous suggère qu’une idée indéterminée et comme incolore de l’objet ; l’épithète nous le fait voir par une sorte d’hallucination. Plus la poésie s’adresse à une société raffinée et plus elle recherche les épithètes dites de circonstance, celles qui rendent les aspects variés, momentanés, successifs des choses. L’esprit, accoutumé, par un continuel usage de l’abstraction, à réunir sous un même terme tout un nombreux groupe d’attributs qu’il considère comme connexes, ne trouve plus plaisir à se les entendre rappeler, à s’entendre dire que la mer est agitée ou qu’elle est stérile. Ces notions sont entrées dans le concept même de la chose ; il n’y a plus d’intérêt à les en détacher. La poésie des âges reculés connaît aussi les épithètes de circonstance et les emploie souvent avec un goût exquis ; mais ce qu’elle a de particulier, c’est l’usage qu’elle fait des épithètes qui, comme un déterminatif nécessaire, reparaissent chaque fois qu’est mentionné un certain objet. Ces épithètes définissent les propriétés essentielles, peignent les états continus et durables. C’est que l’idée des choses et des hommes n’est pas encore, dans les esprits, assez ferme et assez arrêtée pour qu’ils ne se complaisent pas à voir qualifier l’objet par ses attributs les plus sensibles. Ceux-ci lui causent encore une sorte de surprise et de joie perpétuelle ; le monde n’est pas encore assez vieux, les hommes ne sont pas assez blasés sur son ordonnance et sur sa marche pour ne plus s’étonner de rien, pour admettre, sans réflexion et par une sorte d’induction machinale, qu’il leur offrira demain les scènes auxquelles il les a fait assister la veille. Cette affirmation sans cesse réitérée de la permanence des êtres rassure en quelque manière l’intelligence ; celle-ci croit découvrir ainsi de nouveau, à chaque instant, les phénomènes naturels ; elle jouit de sa découverte ; on ne la lassera jamais en lui répétant que l’aurore teint de rose le monde qui renaît au matin, ou que les grands bœufs qui traînent la charrue ont des jambes torses et des cornes recourbées.
La création de ces épithètes, la saveur et l’agrément qu’on y trouvait, ne s’expliquent donc que par un état d’âme qui correspond à un moment très particulier, à une heure fugitive de la vie et du développement de la race grecque. Ce qu’elles représentent, ce sont les derniers efforts, les derniers effets de cette force créatrice qui avait donné naissance au langage. Ces épithètes, inséparables du nom qu’elles accompagnent, forment avec lui un groupe dont les élémens, sans être soudés l’un à l’autre comme dans le mot composé, sont pourtant unis par le lien étroit d’une juxtaposition constante ; elles ont ainsi quelques-uns des caractères de cette poésie spontanée qui naquit d’elle-même sur les lèvres à peine entr’ouvertes de l’humanité, quand celle-ci commença de donner des noms aux choses. D’autre part, les matériaux qui constituent ces épithètes ont été choisis avec goût et assemblés avec art, en vue de la place qu’elles devraient occuper dans le vers ; à ce titre, elles relèvent déjà de cette poésie savante qui joue de la langue comme d’un instrument, qui sait y chercher et y trouver les mots les plus lumineux et les plus brillans, ceux aussi que le timbre de leur son et la quantité de leurs syllabes rend les plus aptes à faire vibrer, en vertu de certaines affinités mystérieuses, toutes les cordes de la sensibilité, à mettre l’imagination en branle et à lui donner ainsi la plus vive et la plus délicate des jouissances.
Ces épithètes reviennent presque à chaque vers dans l’Iliade ; mais, si nous en avons bien compris la valeur et la portée, elles remontent à une plus haute antiquité. Je ne sais qui a dit que la mythologie homérique était déjà de la mythologie défraîchie. Les dieux n’étaient, à l’origine, que les forces mêmes de la nature avec lesquelles ils se confondaient ; dans l’Iliade, ils sont devenus des personnes morales, à âme et à visage d’homme ; or, pour créer des types tels que ceux de Zeus et d’Apollon, d’Aphrodite et d’Athéna, des types dont chacun représente déjà un notable effort d’abstraction et de pensée, il faut que l’intelligence soit sortie de l’âge des longs et candides émerveillemens. On n’en est pas assez loin encore pour avoir perdu le sens et le goût de ces beaux adjectifs, de leur ampleur sonore et de leur puissance expressive ; on continue d’en user parce qu’on y est accoutumé, parce qu’ils entrent bien dans le vers, parce qu’ils facilitent la tâche du poète ; mais l’état d’esprit que traduisent ces épithètes n’est déjà plus tout à fait celui des contemporains d’Homère. Elles sont un legs du passé, d’un passé déjà lointain ; comme une foule de phrases faites et de locutions qui portent la même empreinte et dont il serait intéressant de dresser la liste, elles font partie du fonds que ces premiers interprètes du génie grec ont amassé laborieusement et qu’ils ont transmis, comme un trésor qui grossissait d’année en année, au poète souverain qui devait en tirer la matière d’une œuvre immortelle.
Ce qui confirme l’induction psychologique en vertu de laquelle nous attribuons un caractère antérieur et primitif à celles des épithètes dites homériques qui définissent des phénomènes naturels ou des catégories d’êtres vivans, c’est une observation à laquelle donnent lieu ceux de ces qualificatifs qui sont attachés à la personne des dieux et des héros. Plusieurs de ces épithètes ne s’expliquent pas par les données mêmes du poème, par les traditions qui y ont été mises en œuvre. Deux exemples suffiront. Kronos est souvent mentionné dans l’Iliade ; il y est toujours nommé ἀγϰυλομήτης, le dieu « aux pensées crochues, rusé. » Or les seuls faits de son histoire légendaire qui soient rappelés dans l’Iliade, c’est qu’il est le père commun de Zeus, de Poséidon et de Hadès, et que Zeus l’a détrôné, qu’il l’a précipité là « où on ne jouit ni de l’éclat du soleil qui monte au firmament, ni du souffle des vents, mais où l’on est enveloppé par les profondeurs du Tartare. » Où trouver, dans ces récits, rien qui justifie une épithète comme celle que nous venons de citer ? Celle-ci est née certainement d’autres épisodes du mythe de Kronos, qui ne sont même pas visés dans les poèmes homériques ; elle fait allusion aux embûches que Kronos dressa pour saisir son père Ouranos et le dépouiller de sa virilité, puis au moyen qu’il imagina pour se garantir lui-même contre un accident de ce genre, en dévorant les fils que lui donnait Rhéa.
Voici qui est plus curieux encore et plus significatif. Prenez le premier des héros, Achille. C’est par sa vaillance incomparable et par la force irrésistible de son bras qu’il s’élève au-dessus de tous ses compagnons d’armes ; à peine le poète a-t-il une ou deux fois l’occasion de vanter sa légèreté à la course, quand il le montre fuyant devant le Scamandre qui précipite sur lui ses ondes bouillonnantes, puis, bientôt après, poursuivant Hector autour des murs de Troie ; cependant, de la première à la dernière ligne de l’épopée, Achille est toujours le héros « aux pieds légers, » πόδας ὠϰὺς Ἀχιλλεύς. Pour rendre raison de cette apparente anomalie, il faut supposer que les premiers chants où Achille ait fait figure racontaient son adolescence passée parmi les forêts du Pélion et ces chasses où, dans les ravins et sur les plateaux de la montagne, il arrivait à lutter de vitesse avec son maître le centaure. Les aèdes, qui s’emparèrent ensuite de ce personnage, lui conservèrent ce surnom, sous lequel il était déjà connu de leurs auditeurs ; ils le lui gardèrent d’autant plus volontiers que cette épithète leur fournissait une fin de vers commode. À ses débuts, la poésie épique avait certainement tous les caractères de l’improvisation, et il lui en est toujours resté quelque chose, jusque dans de grands poèmes comme l’Iliade et l’Odyssée ; la mémoire, quelque souple et tenace qu’on la suppose, trouve un secours précieux dans ces groupes de mots qui viennent se ranger comme d’eux-mêmes dans un des compartimens du cadre métrique ; pendant que la bouche les prononce, l’esprit a le temps de se reposer et de reprendre haleine en vue d’un nouvel effort.
Ce n’est pas seulement dans certaines des épithètes qui caractérisent les héros que se laisse deviner tout ce long travail d’invention poétique et de formation graduelle qui a précédé l’Iliade ; ce poème, et avec lui l’Odyssée, témoignent en plus d’un endroit du rôle que jouaient déjà, dans les plaisirs de la société grecque, ces récits rythmés de guerre et d’aventures. Ici, c’est Achille qui, retiré dans sa tente, charme les loisirs de son oisiveté forcée en chantant, au son de la lyre, « les prouesses des vaillans, » ἄειδε δὲ ϰλέα ἀνδρῶν[17]. Composait-il des espèces de ballades ou récitait-il des cantilènes que lui avaient appris les aèdes ? Le poète ne le dit point, et il n’indique pas non plus quel était le thème des chants de ce Thamyris, le seul aède qui soit nommé dans l’Iliade, dont les Muses furent jalouses et dont elles châtièrent l’orgueil en le rendant aveugle et muet[18]. Si le poète est presque absent de l’Iliade, c’est peut-être parce que celle-ci ne représente que la vie du camp, que la guerre et ses péripéties sanglantes ; la vraie place de l’aède, c’est, dans le palais du roi, la salle où se réunissent ses parens, ses compagnons et ses hôtes, la salle du festin où l’on passe, à se divertir, des journées entières et une partie de la nuit. Là, entourés d’auditeurs qui ne se lassent pas d’écouter, Phémios et Démodocos, l’un à Ithaque et l’autre chez les Phéaciens, célèbrent les amours adultères d’Ares et d’Aphrodite, les exploits des Achéens sous les murs de Troie et les maux qu’ils y ont subis, les ruses qui leur ont assuré la victoire, enfin les périls et les désastres du retour ; on les remercie par des paroles comme celles qu’Ulysse adresse à Démodocos : « Les aèdes sont dignes d’honneur et de respect parmi tous les hommes qui habitent sur la terre, car la Muse leur a enseigné le chant et elle aime la race des aèdes[19]. »
Si les tableaux de bataille qui remplissent l’Iliade n’ont pas fourni à son auteur l’occasion de montrer l’aède dans l’exercice de sa fonction sociale, l’Iliade, cependant, elle aussi, rappelle, sous une autre forme, les poèmes qui l’ont précédée. Tydée, le père de Diomède, avait été le héros de chants qui étaient encore très répandus au temps d’Homère ; c’est ce que permet de supposer une allusion deux fois répétée aux exploits qui signalèrent Tydée quand, seul des Argiens, il pénétra, comme messager, comme parlementaire, dirions-nous, dans la ville de Thèbes, quand il ne craignit pas d’y provoquer tous les Thébains à des exercices de force et d’adresse, et se tira, au retour, par sa seule vaillance, d’une embuscade où pensaient le faire périr ceux dont il avait humilié l’orgueil. Dans la bouche d’Agamemnon, qui exhorte Diomède à se couvrir d’autant de gloire que l’a fait son père en cette occurrence, les phases principales de l’aventure sont clairement indiquées ; nous avons là comme une analyse de ce chant d’une Thébaïde antérieure à l’Iliade[20]. Ailleurs, Pallas, dans une circonstance semblable, se contente d’un résumé bien plus succinct ; mais, dans ces quelques vers, elle n’oublie aucun des détails qui ont de l’importance ; c’est bien le même récit qu’elle vise[21].
Tydée, dont le souvenir est ainsi plusieurs fois évoqué dans l’Iliade, n’y paraît pas ; il est censé avoir péri bien avant que commence la guerre de Troie ; mais l’Iliade met en scène un contemporain de Tydée, Nestor. Nestor est presque inutile à l’action, car son bras, appesanti par l’âge, n’est plus d’aucun secours, et ce n’est pas son éloquence un peu diffuse, c’est celle d’Ulysse, plus nerveuse et allant plus droit au fait, qui, dans les conjonctures difficiles, entraîne et décide le conseil des rois. Pourquoi donc le poète fait-il reparaître sans cesse Nestor sur la scène et ne le mentionne-t-il jamais qu’avec honneur ? Pourquoi lui fait-il prendre sans cesse la parole, dont il abuse quelquefois ? C’est que Nestor, l’ancêtre légendaire des Néléides, de ces grandes familles qui tenaient le premier rang à Milet, à Éphèse et dans la plupart des cités ioniennes, était, quand parut l’Iliade, un personnage déjà très populaire, au moins dans une moitié de la Grèce asiatique ; il était le héros de prédilection des aèdes de l’Ionie. De même que tous les exploits dont Nestor entretient les chefs grecs datent du premier âge de sa vie, de même le personnage appartient tout entier à un cycle antérieur où a été le prendre, déjà célèbre, le poète de l’Iliade.
« Le vieux cavalier Pelée, l’excellent conseiller et harangueur des Myrmidons, » est comme une autre épreuve, moins nette de contour, du type de Nestor. Comme celui-ci, il est encore vivant au moment où son fils combat devant Troie ; mais, tandis que Nestor est venu voir Antiloque faire ses premières armes en champ clos, Pelée est resté en Thessalie, où, triste et seul, il attend celui qui ne doit pas revenir, et ce trait ajoute quelque chose au tragique de la destinée d’Achille. Il est cependant fait bien souvent allusion, dans l’Iliade, aux aventures de Pelée, à cette lutte étrange qui fit entrer l’époux mortel dans la couche d’une déesse, à ces noces auxquelles assista tout l’Olympe ; on devine que Pelée, lui aussi, a dû avoir, chez les Éoliens, sa geste, qui précéda peut-être celle d’Achille, qui en fut comme la préface. La légende de Pelée, telle que la raconte Apollodore, est le sec résumé d’une Péléide perdue. Il serait aisé de signaler, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, bien d’autres exemples de ces personnages que le poète mentionne au passage sans rien expliquer ; maints épisodes qui supposent une action assez complexe, avec des péripéties variées, sont indiqués en quelques vers. On sent que le poète compte sur la mémoire de ses auditeurs pour animer et pour développer cette sorte de sommaire, pour susciter dans l’imagination, au premier appel, la vue rapide et claire des incidens sur lesquels il ramène leur attention et des différens acteurs qui s’y trouvent mêlés.
C’est ainsi que, derrière la scène où se joue le drame de l’Iliade, apparaît, comme dans le lointain d’une toile de fond, toute la luxuriante végétation de l’épopée naissante, cette silva carminum, comme dit Wolf, cette forêt de poèmes qui, par les beaux jours et sous la tiède chaleur d’un printemps que le monde ne reverra plus, jaillit si drue et si vigoureuse d’un sol où pullulaient les germes, des profondeurs fécondes de l’âme grecque. Ces poèmes que nous apercevons ainsi aux limites de notre horizon, dont nous pouvons affirmer l’existence, mais que nous ne lirons jamais, comment et par quels traits s’en distingue l’Iliade ? Pourquoi a-t-elle vécu, tandis que ses sœurs aînées sont mortes presque avec la génération qui les avait vues naître et qui les avait saluées de ses applaudissemens ? Quelle idée convient-il de se faire du rôle et de l’œuvre de celui que l’antiquité a nommé Homère ? Peut-être serons-nous mieux en mesure de répondre à ces questions maintenant que, sans apporter ici tout l’appareil de preuves que demanderait une démonstration complète, nous avons indiqué tout au moins, par quelques brèves remarques et par quelques exemples choisis, comment la critique peut s’appliquer avec succès à chercher dans Homère ce que nous appellerons les élémens préhomériques. Cette méthode, si nous ne nous faisons illusion, conduit à des résultats qui, aujourd’hui même, après tant de théories et de redites, ont encore le mérite d’une certaine nouveauté.
III
On a vu combien sont singuliers les caractères qui distinguent la langue de l’Iliade, et comme on a mal réussi à les expliquer. Au contraire, le mélange, en proportions inégales, des deux dialectes et la multiplicité des formes équivalentes, tout cela devient facile à comprendre si l’on se place à un autre point de vue, si l’on fait une très large part à l’action personnelle et à la libre volonté de l’auteur de l’Iliade. Des aèdes qui l’avaient précédé, les uns, les plus anciens peut-être, avaient employé l’éolien, et les autres, l’ionien, lequel comportait d’ailleurs presque autant de variétés qu’il y avait de villes dans la confédération ionienne ; quelques-uns même avaient sans doute déjà donné l’exemple d’allier les uns aux autres, dans un même chant, des élémens empruntés aux deux dialectes. Ioniens et Éoliens ne vivaient-ils pas côte à côte sur les rivages occidentaux de l’Asie-Mineure ? N’y avait-il pas, entre les deux groupes, d’étroits-rapports de race et d’intérêts, d’idées et d’affaires, un commerce quotidien et comme une pénétration réciproque ? Telle ville, comme Smyrne, avait été fondée par les Éoliens ; mais les Ioniens avaient fini par y prendre le dessus et par la rattacher à leur ligue nationale. Il n’y avait pas, entre les deux peuples ou plutôt entre ces deux branches d’un même peuple, de frontière définie qui pût arrêter les chantres épiques ; ceux-ci, par profession, étaient d’éternels voyageurs ; la parole étant le seul moyen dont ils disposassent pour produire au dehors leurs inventions et leurs pensées, il leur fallait chercher chaque jour un nouvel auditoire, et, pour le trouver, se déplacer sans cesse, courir le monde par terre et par mer, aller de Milet, la reine de l’Ionie, jusqu’à l’éolienne Cymé, puis se laisser porter par le vent, sur quelque barque de pêcheur où ils payaient leur passage en chansons, jusqu’à Délos, où les Ioniens, en habits de fête, se donnaient rendez-vous autour du vieil oracle d’Apollon ; ils revenaient ensuite par Chios et par Lesbos. Dans cette vie errante, l’aède devait acquérir une connaissance pratique et familière de tous les parlera divers qui étaient en usage sur ce littoral et dans les iles contiguës. En même temps, pour satisfaire ses auditeurs et pour les servir suivant leurs goûts, il lui fallait savoir les plus beaux des chants qu’avaient fait entendre ses prédécesseurs ; il pourrait ainsi mettre en scène les héros les plus populaires et les plus aimés, tout en relevant l’intérêt du récit par quelques additions heureuses, par un grain de nouveauté ; car « la chanson la plus nouvelle, » disait-on déjà du temps de ces vieux poètes, et est celle que les hommes écoutent le plus volontiers[22]. »
Dans ces conditions, supposez un poète, supérieur à ses devanciers par l’originalité de son génie, qui naît à propos, vers la fin d’un siècle qu’a tout entier rempli et charmé la riche floraison des cantilènes épiques ; supposez-le cédant à l’ambition de composer une œuvre plus considérable et mieux liée qu’aucune de celles qui se sont jusque-là disputé la faveur des Grecs d’Asie, concevant le plan et mûrissant la pensée de l’Iliade ; pour réussir dans cette entreprise, il lui faudra une langue noble, riche et variée, qui se prête en même temps avec toute la souplesse possible aux exigences du mètre. Afin de se donner cet instrument, l’inventeur, le novateur que nous nous figurons, puisera tout ensemble dans l’ample trésor de tous ces parlers locaux qu’il a entendus retentir à son oreille et dans celui de l’idiome poétique déjà élaboré par les aèdes antérieurs, par ceux de l’Éolie et par ceux de l’Ionie ; il saura mettre à contribution tout à la fois les deux principaux dialectes de la Grèce orientale avec leurs variétés secondaires et les formules, les épithètes, les termes de tout genre qui, pour avoir été déjà souvent usités dans ces narrations, étaient dès lors comme investis d’une sorte de dignité supérieure ; il prendra plaisir, les anciens l’ont déjà remarqué, à relever la simplicité de sa phrase par l’emploi de mots vieillis, qui réveilleront l’attention de l’auditeur et paraîtront bien à leur place dans ces tableaux d’un passé héroïque, plus grand et plus glorieux que le présent[23]. Par le jeu simultané de tous ces procédés, il continuera, mais avec plus de décision, le travail qu’avaient commencé ses devanciers ; il achèvera de créer une langue composite, une langue artificielle, si l’on veut, qui, grâce à ses mérites propres et au succès prodigieux de l’Iliade, restera désormais pour toujours la langue de l’épopée ; elle remplira cette fonction non-seulement entre les mains des poètes cycliques, les successeurs immédiats d’Homère, mais bien plus tard encore, jusqu’au temps d’Apollonios de Rhodes, le poète érudit, et même de Nonnos de Pannopolis, ce dernier né, ce fils posthume de la muse grecque.
La langue de l’Iliade, c’est donc une langue littéraire, dans le même sens et au même titre que celle des odes de Pindare, des chœurs de la tragédie attique et de la prose d’Hérodote ; formée d’élémens empruntés à des sources très différentes, elle a pourtant, des premières aux dernières lignes du poème, une unité de ton qui ne peut être obtenue que par un dessin suivi, par un choix réfléchi. Si l’on n’en a pas reconnu plus tôt le véritable caractère, c’est que, par l’effet des habitudes prises, on a grand’peine à se représenter l’intelligence s’acquittant de cette tâche sans le secours des lettres ; mais il n’est pas plus difficile d’accomplir, par un simple travail de tête, cette œuvre de sélection et d’habile combinaison qu’il ne l’est de composer et de retenir, à l’aide de la seule mémoire, des chants d’une certaine étendue ; or il n’est plus aujourd’hui personne qui s’imagine que les aèdes aient jamais écrit par avance les récits qu’ils faisaient entendre dans la salle du banquet, quand ils avaient détaché la lyre de la colonne où elle était pendue et qu’ils s’étaient assis, comme le dit l’auteur de l’Odyssée, sur le siège aux clous d’argent.
Le poète dont l’intervention opportune a doté l’épopée de la langue qu’elle ne désapprendra plus n’en a-t-il pas fuit autant pour le mètre dont elle se servira désormais jusqu’au jour où elle mourra de vieillesse ? Ce qui est certain, c’est que l’aède qui a inventé l’hexamètre et qui l’a mis en vogue était un homme d’un goût particulièrement délicat, que distinguait de ses rivaux une oreille plus sensible et plus fine. On est tenté de croire qu’il n’est autre qu’Homère. Consultez l’histoire de la poésie lyrique, qui succédera, en Grèce, à la poésie épique ; tous les poètes dont elle a fait la gloire, tous ceux qui s’y sont fait admirer pour la puissance de leur imagination et pour les beautés originales de leur style ont été, en même temps, les créateurs de formes rythmiques nouvelles ; on devait à Archiloque le trimètre iambique et le tétramètre trochaïque, à Arion le dithyrambe, à Alcée et à Sapho les strophes qui portent leur nom.
En tout cas, si l’auteur de l’Iliade n’a pas eu le mérite de l’invention, ce que nous ne saurons jamais, tout au moins ne peut-on lui refuser l’honneur d’avoir compris combien ce type était supérieur à tous ceux qui lui avaient fait et qui lui faisaient peut-être encore concurrence, à tous ceux que la poésie naissante avait mis à l’essai. Par le parti qu’il en tira, il lui valut le privilège de devenir et de rester à tout jamais le mètre héroïque, comme l’appelaient les Grecs, c’est-à-dire le seul mètre qui fût digne d’être employé à célébrer les prouesses des héros, ces ancêtres légendaires de la race hellénique, les brillans acteurs de cette histoire merveilleuse à laquelle l’imagination grecque, même après Hérodote et Thucydide, s’intéressa toujours bien plus vivement qu’à l’histoire vraie. Cet instrument, tel qu’il se révélait dans l’Iliade, parut aux générations qui suivirent si accompli de tout point, que personne, même dans les siècles les plus raffinés, ne tenta d’en modifier le jeu, d’en raccourcir ou d’en allonger les cordes, d’en changer le timbre. Les étrangers mêmes en subirent la séduction. Lorsque Rome s’éprit de la Grèce, le premier souci des écrivains philhellènes, ce fut d’importer l’hexamètre en Italie et de l’y acclimater ; or l’entreprise était malaisée. Le fond primitif du latin était pauvre en dactyles ; par l’effet des contractions qu’y avaient subies nombre de désinences nominales et verbales, on y trouvait surtout des ïambes, des trochées et des spondées. Ennius et ses continuateurs ne s’arrêtèrent pas à ces difficultés. Pour que la langue admît les systèmes dactyliques, ils la remanièrent hardiment, ils mirent de côté certaines formes récalcitrantes, ils en introduisirent de nouvelles, et, grâce à ces expédiens, ils firent si bien que Lucrèce et Virgile, deux siècles plus tard, n’éprouvaient plus aucun embarras à couler le métal de leurs pensées dans le moule dont les aèdes éoliens avaient jadis tiré la matière d’un idiome où les voyelles brèves surabondaient, ici appuyées l’une sur l’autre, là séparées par des consonnes simples, et où le dactyle naissait sans effort de leur multiplicité.
Cet artiste, sûr de son propos, qui sait choisir avec une liberté si judicieuse et si hardie, dans les élémens de provenance diverse qu’il a sous la main, ceux dont il pourra tirer le meilleur parti, on le retrouve dans toute la composition de son œuvre, dans l’emploi qu’il fait des mots et dans la manière dont il les groupe, dans la nature des combinaisons auxquelles il a recours afin de varier ses tableaux, dans le ferme dessin des caractères, dans la noblesse et la simplicité de l’action. Ainsi, d’ordinaire, il use largement, comme l’avaient fait ses devanciers, de ces épithètes descriptives et permanentes dont nous avons essayé d’expliquer l’origine et la raison d’être ; n’ont-elles pas le double avantage de faire plaisir à ses auditeurs en répondant à un besoin secret de leur esprit, et d’alléger en même temps l’effort d’attention et de mémoire auxquels sont condamnés, par l’effet des conditions où s’exerce alors la faculté poétique, et le poète qui compose et le rapsode qui, l’œuvre une fois créée, se charge de la faire vivre ? Mais, si ces épithètes abondent dans la narration et dans les discours où l’orateur prend son temps, comme elles deviennent rares dès que c’est la passion qui éclate et que, pour en traduire les emportemens, les mots se pressent sur les lèvres ! On n’en trouve qu’un bien petit nombre dans les invectives qu’échangent Agamemnon et Achille ; il n’y en a pas une seule dans ce couplet par lequel Achille, la voix toute sifflante de haine et de colère, répond à Hector, qui, avant d’engager la lutte suprême, lui demande de convenir que le cadavre du vaincu sera rendu à ses proches pour recevoir de leurs mains la sépulture :
« Hector, ennemi détesté, ne me parle pas de promesses mutuelles. Point de sermens entre les lions et les hommes ; point d’entente entre les loups et les agneaux ; la haine, et toujours la haine ! De même entre toi et moi : ni amitié ni promesse ; il faut que l’un ou l’autre meure et qu’il rassasie de son sang Ares, l’opiniâtre combattant. Appelle à toi toute la vertu ; c’est maintenant qu’il est à propos d’exceller à manier la lance et à combattre. Plus de fuite pour toi ; Pallas-Athéné va le dompter par mon fer ; tu paieras en une seule fois les deuils de tous mes amis, massacrés par ton fer[24] ! »
Là où les données du thème que développe le poète s’accommodent de ces épithètes, elles rendent encore un autre service ; elles distraient et elles reposent l’esprit, que risqueraient de fatiguer, à la longue, toutes ces scènes de bataille et de carnage ; elles lui font sentir discrètement un contraste qui l’émeut toujours, celui des misères auxquelles est en proie la race éphémère des hommes et de l’éternité de la nature, de son immortelle sérénité. Il en est de même des comparaisons. Comme le dit très bien M. Croiset, « elles étendent de la manière la plus heureuse l’horizon du poème. Dans un récit de guerre, elles nous font voir incidemment, et comme par d’ingénieuses échappées de vue, des scènes de chasse, des épisodes de la vie rustique ou urbaine, et plus souvent encore les aspects divers de la nature. »
On n’a, sans doute, aucune raison de penser que l’Iliade ait été le premier poème où aient paru ces comparaisons ; à leur fréquence même, au caractère de la formule qui sert à les introduire, on sent qu’elles étaient déjà dans les habitudes de la narration épique ; mais, d’autre part, il n’y avait certainement rien de pareil dans les plus anciennes cantilènes. Celles-ci étaient encore de la poésie populaire ; elles en avaient la brièveté un peu sèche et se passaient de transitions ; elles se contentaient de résumer, en quelques mots heurtés et rapides, les phases principales de l’action. Ce n’est qu’un art déjà très avancé qui a pu avoir l’idée de chercher dans ces peintures accessoires, dans ces ressemblances et ces analogies, un moyen de rendre plus forte et plus vive l’impression que voulait laisser tel détail du récit. L’exemple de ces comparaisons descriptives a donc été donné par quelque prédécesseur immédiat d’Homère ; mais, avec celui-ci, ces courtes descriptions auraient pris plus de relief et de couleur. Peut-être faut-il voir encore la marque de la supériorité de son génie dans une particularité qui nous a toujours frappé. Nulle part le poète ne décrit pour le plaisir de décrire, comme le feront souvent ses imitateurs ; il semble avoir compris que la nature ne se suffit pas à elle-même, qu’elle n’est pour l’homme qu’un cadre où se déploie son activité, qu’une source inépuisable de sentimens et de pensées ; aussi presque toutes ces comparaisons se terminent-elles par un trait qui indique comment tel ou tel phénomène de la nature retentit dans le cœur de l’homme. L’homme n’est jamais absent de ses tableaux. Rappelez-vous, par exemple, un passage célèbre du poème, celui où la plaine tout étincelante des feux allumés par les Troyens est comparée au ciel resplendissant d’étoiles. En quelques beaux vers, le poète rappelle l’effet d’une de ces nuits transparentes et lumineuses où l’œil distingue au loin les crêtes des montagnes, leurs pentes et les ravins qui en sillonnent les flancs ; il s’arrête sur ce mot : « Le pâtre se réjouit en son âme[25]. » Ailleurs, le poète peint le brouillard que le vent du sud répand autour des sommets et sur les hauts pâturages, ou bien la nuée orageuse que le zéphyr pousse devant lui sur la mer qui devient noire comme de la poix[26] ; là encore, la nature est aperçue à travers les sentimens de l’homme, définie, dans la variété de ses aspects, par l’influence que les divers incidens de sa vie exercent sur celle de l’homme, sur ses mouvemens et sur ses actions. Dans la première de ces comparaisons, Homère ; au lieu d’insister, comme le ferait peut-être un poète moderne, sur les formes qu’affectent les masses mobiles de ces vapeurs que roule et que chasse la brise, songe surtout à la terreur du berger, dont la vue, au milieu de la brume, « ne porte pas plus loin qu’un jet de pierre, » et qui craint pour son troupeau. Dans la seconde de ces peintures, c’est encore aux émotions et au trouble du berger que nous assistans ; celui-ci ; du haut de quelque promontoire escarpé, a regardé venir l’orage ; au moment où vont l’atteindre le vent et les averses, il se hâte, plein d’effroi, de rassembler ses brebis, et il les entraîne vers une grotte où elles seront à l’abri,
C’est surtout la délicatesse de l’art homérique que l’on admire dans la sobriété de ces descriptions si pittoresques à la fois et si concises ; pour faire sentir toute la puissance de cet art, il faudrait étudier, l’une après l’autre, les figures des héros du poème. On n’aurait pas de peine à montrer que ces héros, ceux du moins qui occupent le devant de la scène, ne sont pas des types généraux, des images incertaines et vagues, comme il y en a trop dans l’Énéide. Chacun d’eux se distingue par des traits qui lui sont propres, qui en font une personne vivante, un individu. Tous ces personnages ont un caractère, commun, le courage militaire ; mais dès que l’on y regarde d’un peu près, on s’aperçoit que ce courage n’a pas partout la même physionomie et la même couleur ; suivant que l’on passe de l’un à l’autre des acteurs du drame, il offre des variétés et des nuances très curieuses. Ajax, fils de Télamon, c’est surtout la force de résistance ; c’est le type du courage d’endurance, comme on dirait en anglais[27] ; ce n’est pas sans motif qu’Homère, quand il le peint abrité sous son large bouclier et arrêtant, par sa résistance, la marche en avant de toute une armée, le compare à l’âne, que : les coups qui pleuvent sur son des ne peuvent faire bouger du champ où il a trouvé sa pâture[28]. Ulysse, c’est le courage réfléchi, ingénieux, inventif ; c’est, si l’on peut rapprocher ces deux mots, le courage prudent. Que reste-t-il donc pour Diomède ? Le fils de Tydée représente le courage aventureux et emporté ; Diomède est de ceux pour qui le péril est par lui-même un attrait, qui vont à la bataille et au danger comme à une fête. La lutte l’enivre ; c’est dans ces momens que, comme le dit Aphrodite qu’il a blessée, « il combattrait même Jupiter[29]. »
Homère a donné aux héros grecs une plus grande importance qu’aux héros troyens. Du côté des Grecs, les caractères sont plus nettement dessinés et plus variés. C’est pourtant chez les Troyens que l’on trouvera une autre forme du courage, la plus noble de toutes, le courage par devoir, celui du soldat qui se sait condamné à périr et qui n’en va pas moins à la bataille pour donner l’exemple à ses compagnons et pour payer sa dette à la patrie[30]. Mieux que toutes les autres, cette forme du courage s’allie aux tendres affections. Seul de tous ces héros, Hector est époux et père. Chez lui, l’amour de sa cité natale, l’amour de sa femme et de son fils, ne sont pas étouffés par cette ardeur presque sauvage qui entraîne au combat les autres héros. Hector est le plus touchant de tous les héros ; il est le plus complet, parce qu’il a l’âme la plus riche et la plus large ; c’est, en un certain sens, le plus moderne, celui dont le courage se rapproche le plus de l’idée qu’une société civilisée se fait de cette vertu. On retrouverait dans Sarpédon quelque chose du même caractère, de cette douceur qui tempère la force, de ce sentiment du devoir qui fait que l’on se sacrifie sans illusion, mais non sans orgueil. Dans les paroles et sur les traits de l’un et de l’autre, il y a cet accent, ce triste et fier rayon qu’y met la conscience d’un sacrifice généreux.
Quant à Achille, ce dieu mortel, il réunit en sa personne tous les dons que se partagent les autres chefs des deux peuples. Il a tous les courages à la fois : le courage obstiné d’Ajax, — voyez-le soutenir l’assaut incessant et fougueux que lui livrent les flots conjurés du Scamandre et du Simoïs ; — le courage intelligent d’Ulysse, — il remet son épée au fourreau quand la voix d’Athéné, c’est-à-dire celle de la réflexion, le détourne d’engager contre Agamemnon une lutte où il ne serait pas suivi par l’opinion de l’armée ; — le courage brillant de Diomède, celui dont l’exaltation joyeuse supprime jusqu’à l’idée du danger. Il se sait condamné comme Hector, et par un arrêt encore plus certain, à mourir sur le champ de bataille ; et, s’il s’immole plutôt à l’amour de la gloire qu’aux intérêts de l’armée qui ne peut triompher sans lui, son image n’en a pas moins cette poésie et ce charme mélancoliques qui, dans la fiction comme dans l’histoire, s’attachent aux figures de ces jeunes héros que couchent dans la poussière, un jour de victoire, la flèche d’un Paris ou la balle d’un soldat inconnu. Deux traits de caractère donnent à Achille, dans ce groupe tragique, une physionomie à part et très originale : nous voulons parler de son amitié pour Patrocle et de sa tendresse pour sa mère.
Achille a bien laissé à Skyros une femme et un fils ; dans le camp, il a une captive qui partage sa couche, Briséis aux belles joues ; mais la grande passion de sa vie, c’est son affection pour le compagnon de sa jeunesse, pour Patrocle. Patrocle, à côté d’Achille, c’est la bonté, la sagesse, le conseil toujours écouté patiemment, sinon toujours suivi. À la nature violente d’Achille, il faut un contrepoids ; il faut quelqu’un qui la retienne ou plutôt qui la ramène, car il n’est pas possible d’arrêter l’élan de cette colère au moment même où elle s’emporte et se déchaîne. C’est ensuite que Patrocle intervient, qu’il gagne quelque chose sur des résolutions qui semblaient d’abord absolues et invincibles ; c’est ainsi que, dans la pitié que lui inspirent les désastres des Grecs, il réussit à obtenir d’Achille cette concession qui lui sera fatale à lui-même. Ce qui gagne les cœurs à Patrocle, on le devine dans la courte lamentation que Briséis prononce sur son cadavre ; elle rappelle comment il la consolait et l’encourageait, comment il lui promettait un avenir meilleur qui ferait oublier un passé douloureux, et elle résume sa plainte en ce dernier vers, qui mérite de ne point être oublié : « C’est pourquoi je ne cesserai de le pleurer, toi qui as toujours été si doux pour moi[31]. » La touchante simplicité de cet hommage fait comprendre comment Achille a pu aimer assez Patrocle pour que, séparé de lui par la lance d’Hector, son affliction se tourne en haine sauvage contre le meurtrier, en une haine qui va jusqu’à la férocité.
Par un contraste qui donne encore à ce personnage une physionomie plus particulière et plus attachante, ce vainqueur terrible dont le cri seul suffit à faire reculer toute l’armée des Troyens, cet implacable qui s’acharne sur le corps de son ennemi vaincu, Achille, quand il se trouve en présence de Thétis, redevient le petit enfant qui court en pleurant conter à sa mère ce qui lui a fait de la peine et se cacher la tête dans son sein, se laisser bercer et consoler par ses caresses. Sans doute, ces faciles effusions s’expliquent en partie par l’âge de l’humanité que peint Homère ; dans tous ces héros, il y a de l’enfant ou tout au moins de l’adolescent ; mais, de tous, Achille est celui chez qui ce caractère devait le plus se marquer. Ulysse est trop réfléchi, trop rusé et trop fier de sa ruse pour avoir de ces attendrissemens abandonnés et de ces épanchemens sur l’épaule maternelle : il en rougirait ; quand ses yeux se mouillent, alors que, chez les Phéniciens, il écoute Démodocos chanter les maux que les Grecs ont soufferts devant Troie, il se cache la tête sous son manteau, pour qu’on ne le voie pas pleurer. Achille, au contraire, est à la fois le plus jeune des héros et le plus primesautier, celui qui s’est le moins fait une contenance et un rôle, celui qui cède le plus vite et le plus volontiers à son premier mouvement. Ses émotions sont trop vives et trop fortes pour qu’il n’éprouve pas le besoin de les répandre au dehors. La donnée même du poème et les conditions de cette vie de camp, où le danger était toujours proche, ne permettaient pas de mettre auprès de lui une épouse ; mais son ami pouvait partager sa tente et être le premier confident de toutes ses joies et de toutes ses douleurs ; mais, dans les grandes occasions, sa divine mère, la plus charmante des déesses, pouvait sortir des flots pour venir l’écouter et le plaindre sur la grève.
Pour découvrir le vrai fond de cette âme mobile et sensible, il faudrait encore assister à l’entrevue de Priam et d’Achille, au revirement qui s’y produit quand le vieillard, « portant à sa bouche les mains de l’homme qui a tué son fils, » adresse à son hôte la prière qui commence par ces mots : « Souviens-toi de ton père, ô Achille égal aux dieux ! » Mais cette analyse, si l’on voulait l’appliquer à tous les personnages de l’Iliade, risquerait de mener loin ; il n’en faut pas tant pour prouver que le poète excelle à marquer, par des nuances finement saisies, les différens aspects que prend, d’un homme à un autre, tel ou tel défaut, telle ou telle qualité. On a vu de quelle manière il arrive à créer des êtres qui, malgré leur apparente simplicité, sont nettement définis et par suite bien vivans, plus vivans que ne le sont, dans le monde réel, ces êtres effacés et vulgaires qui ne se distinguent pas les uns des autres par des caractères franchement accusés. Que nous voilà loin de la poésie naïve et populaire qui se contente d’ébaucher, par quelques touches hardies et brusques, des portraits qu’elle n’achève pas et qui laissent souvent l’esprit incertain !
Où se révèlent plus clairement encore une maturité d’esprit et une science de composition que l’on est surpris tout d’abord de trouver ici, c’est dans l’artifice, déjà signalé, par lequel le poète a mêlé à l’action de l’Iliade un héros qui, d’après l’âge que lui attribue la légende, ne devait pas figurer parmi les preux qui prirent Troie. En s’arrangeant pour donner une place à Nestor dans les rangs de l’armée d’Agamemnon, Homère a eu la pensée d’établir un lien entre les générations héroïques et d’en indiquer la suite ; il a, de plus, cherché et obtenu un effet dont le succès était certain. On pourrait, au besoin, s’aider de nos chansons de geste ou même d’œuvres littéraires bien plus modernes, des pièces historiques de Shakspeare et des romans de Balzac, pour se représenter le genre de plaisir que devait goûter le public du temps à voir reparaître là, dans un rôle nouveau, sous des traits dont quelques-uns s’étaient déjà gravés dans la mémoire, tandis que d’autres se montraient pour la première fois, un personnage que l’on avait déjà rencontré dans d’autres chants. C’est comme lorsqu’on retrouve après bien des années, vieilli et déjà changé, mais pourtant encore reconnaissable, un camarade d’enfance, un ami de jeunesse. Dans les récits qui faisaient de Nestor le contemporain d’Hercule et de Pirithoüs, « le cavalier Gérénien, » comme on l’appelait, était vanté pour sa bravoure, pour ses rapides incursions sur le territoire ennemi, pour ses exploits de force et d’agilité ; mais sans doute il se distinguait déjà par un don précoce de réflexion et de sagesse. Il était l’Ulysse de ce premier cycle, et peut-être avait-il mérité dès lors le titre qu’il porte dans l’Iliade, celui de « l’harmonieux harangueur des Pyliens, » λιγὺς Πυλίων ἀγορητής. En passant sur sa tête, les années lui ont enlevé la force de combattre ; mais elles ont beaucoup ajouté à son expérience, elles ont mûri sa sagesse, elles en ont augmenté le crédit et l’autorité. Les contes où il se complaît servent à établir son identité ; les premiers auditeurs de l’Iliade, en le voyant, dès le début du poème, siéger parmi les chefs et chercher à empêcher la querelle d’éclater entre Agamemnon et Achille, ont dû être charmés de saluer, au milieu de ces figures dont plusieurs peut-être n’éveillaient pas en eux de souvenirs, un visage qui leur était familier. Avec cette finesse de perception que donnait à ces illettrés l’habitude qu’ils avaient de ces récitations épiques, le principal divertissement de leur vie, avec la bonne foi et le sérieux qu’ils y portaient, ils ont dû noter curieusement les différences et les ressemblances ; rien n’a dû leur échapper de ce que le poète ajoutait à l’image qu’ils avaient dans l’esprit, et c’était pour eux une jouissance de comparer le vieillard au jeune homme, de le sentir, dans cette existence qui avait dépassé le terme moyen de la vie, à la fois un et divers, d’expliquer son présent par son passé, son rôle actuel par son caractère d’autrefois, que l’âge avait marqué de son empreinte, sans en effacer la physionomie et l’expression première.
IV
Je n’ai jamais, pour ma part, rouvert l’Iliade sans avoir, dès l’abord, en relisant le premier chant, le sentiment très vif d’un grand dessin conçu clairement et exécuté d’une main sûre. On se rappelle cette exposition magistrale où des incidens si bien amenés mettent aux prises Achille et Agamemnon, où, dans la dispute qui s’engage, les voix s’enflent par degrés, et, de réplique en réplique, montent jusqu’à cette invective superbe qui provoque la menace de l’Atride, menace bientôt suivie d’effet ; Achille se retire sous sa tente, fait appel à Thétis, et celle-ci arrache à Zeus la promesse de donner la victoire aux Troyens tant que les Grecs n’auront pas réparé l’injustice commise. Toute la suite du poème n’est-elle pas le développement de cette sorte de programme, et de si spacieux propylées seraient-ils en rapport avec l’édifice de très médiocre dimension que supposent ceux qui prétendent trouver le noyau de l’Iliade dans une Achilléide très courte, qui n’aurait compris que le tiers ou le quart du poème que nous avons aujourd’hui sous les yeux, et à laquelle seraient venues s’ajouter, en divers temps, la plupart des scènes dont se compose aujourd’hui cette épopée ? C’est ce qu’a très bien mis en lumière Sainte-Beuve, dans une page qui méritait de ne pas être oubliée ; nous ne résisterons pas au plaisir de la citer :
« Ce qui me parait, dit-il, demeurer bien évident, et sauter aux yeux quand ils lisent au naturel et sans les lunettes des systèmes, c’est que le sujet et le héros de l’Iliade, c’est Achille. Il paraît peu, il se retire tout d’abord ; on ne l’a envisagé, dans cette première scène de colère, que pour le perdre de vue aussitôt ; mais sa grande ombre est partout, son absence tient tout en échec. C’est pour le venger que Jupiter châtie les Grecs et porte son tonnerre du côté des Troyens. Si Hector se hasarde hors des murs, c’est qu’Achille se tient sur ses vaisseaux ; s’il hésite, malgré les présages favorables, avant de franchir le seuil et la muraille du camp, c’est qu’Achille à tout moment peut reparaître. La grande et solennelle députation de Phœnix, d’Ajax et d’Ulysse, compose, en quelque sorte, le milieu moral du poème et nous transporte au centre même de l’absence d’Achille. Cela donne patience au lecteur et lui rafraîchit, s’il en avait besoin, la mémoire, l’image toute-puissante du héros. Ce vaisseau noir, à l’extrémité de l’aile droite du camp, domine tout ; les regards à chaque instant se retournent vers lui comme vers une divinité muette ; il recèle la foudre presque à l’égal de l’Ida. Si Ajax, le grand Ajax, occupe la première place dans la défense et résiste comme une tour, le poète répète toujours qu’Ajax n’est que le second des Grecs, de même que l’autre Ajax, aux instans de poursuite, est appelé le plus léger, mais toujours après Achille. Ces deux Ajax, ce n’est donc encore, l’un en force et l’autre en légèreté, que la monnaie d’Achille. Et qu’est-ce que Patrocle, dès qu’il apparaît, sinon son ami, son suppléant, un autre lui-même ? Il en a les armes, et lui seul tient la clé de cette indomptable colère. Achille n’a pas cessé d’être présent à la pensée jusqu’au moment où il se retrouve en personne, gémissant et terrible, remplissant d’un bond l’arène pour ne plus la quitter. Qu’il y ait eu des épisodes intercalés, des scènes d’Olympe à tiroir, ménagées çà et là pour faire transition et relier entre elles quelques-unes des rapsodies, c’est possible, et la sagacité conjecturale peut s’y exercer à plaisir et s’y confondre ; mais si l’on est sans prévention, on ne peut méconnaître non plus un grand ensemble et ne pas voir planer dans toute la durée de l’action la haute figure du premier des héros, de celui qui agitait en songe et qui suscitait Alexandre. »
Ce grand ensemble que devinent et que saisissent ainsi d’emblée, dans l’Iliade, les vives intuitions du goût, on prétend qu’il n’a pu ni se former, ni surtout se transmettre et se conserver sans le secours de l’écriture. On a répondu par des considérations qui étaient de nature à lever ces doutes ou tout au moins à en affaiblir singulièrement la portée. « Je trouve, disait M. Girard, que cette argumentation veut expliquer l’inexplicable, et qu’elle se meut en grande partie dans l’incertain. Si j’essaie de me représenter l’âge fortuné auquel on fait remonter la première origine de l’épopée hellénique, cette naissance de la Grèce que le monde n’a vue qu’une fois, dit Wolf lui-même, et qu’il ne reverra plus jamais, au milieu de cette merveilleuse jeunesse, si simple et si riche, où les sens et l’imagination se partagent l’homme tout entier, où les premiers sentimens de l’humanité ont tant de force et tant de grandeur, en vérité, je serais plutôt tenté de me demander si les facultés d’un poète de génie ont des limites que de leur en imposer d’arbitraires. On nie que la mémoire d’un Homère ait été assez forte pour suffire seule à une grande composition. Qu’en sait-on ? »
Il en est de même pour ces assertions tranchantes qui prétendent établir l’impossibilité d’une récitation suivie de l’Iliade et de l’Odyssée ; « des remarques analogues à celles que nous venons de présenter paraissent en diminuer de beaucoup la valeur. Il ne faut pas nous flatter de trop bien connaître l’époque homérique, et surtout il faut nous garder, en lui prêtant nos mœurs, de nous substituer aux véritables auditeurs de ces antiques poèmes. Songeons un instant à ce que devaient être, à l’apogée de la civilisation athénienne, lorsque tant d’autres objets sollicitaient la curiosité des Grecs, les représentations des concours tragiques, à combien de pièces devait suffire, en un ou plusieurs jours, l’attention des spectateurs, et, si je ne me trompe, nous reconnaîtrons deux choses : d’abord qu’il ne fallait pas plusieurs semaines ni même beaucoup de jours pour réciter de suite les seize mille vers de l’Iliade, la plus longue des deux épopées ; ensuite, qu’on ne doit pas se défier si vite de cette foule d’auditeurs que nous cherchons à nous figurer autour d’Homère ou des homérides qui chantent son œuvre. Platon nous représente un contemporain de Socrate, le rapsode Ion d’Éphèse, dans un temps où on lisait Homère et où le drame avait produit la plupart de ses chefs-d’œuvre, passionnant avec les vers du vieux poète un public de plus de vingt mille personnes ; il nous les montre les yeux étincelans, pleurans, épouvantés. Quelles ne furent donc pas les émotions des premiers auditeurs d’Homère, dans cette ardeur encore neuve de curiosité, quand le poète leur apportait l’unique nourriture de leur esprit et de leur âme, quand toute science religieuse et humaine, toute idée de gloire et de patriotisme, n’avaient d’autre interprète que lui ? Croit-on qu’ils dussent laisser facilement échapper l’impression des caractères homériques si fortement tracés, ou que les lignes si simples et si grandes des principales situations dussent se confondre dans leurs esprits oublieux ou distraits ? Il paraît probable, au contraire, que la suite de l’Iliade et de l’Odyssée était aussi sensible pour eux qu’elle a jamais pu l’être pour aucun lecteur d’aucun temps. »
On ne saurait méconnaître la justesse de ces observations, et cependant l’esprit de ceux mêmes qu’elles touchent le plus conserve encore quelque inquiétude ; on en revient toujours à se demander comment, dans de telles conditions, un poète a pu produire une œuvre si étendue, si bien liée, si voisine de la perfection, une œuvre qui, à peine née, suscita-nombre d’imitations, dont une seule, l’Odyssée, approcha du modèle. Pour n’être pas troublé par cette question, il faut s’être convaincu que cette poésie est, à sa manière, une poésie savante et réfléchie. Si nous ne nous trompons, les chants des aèdes, tels que Phémios et Démodocos, sont à l’Iliade ce que l’Ailinos, le Lityersès, les Thrênes qui s’improvisaient au chevet, des morts, les Péans et les Hymnes primitifs, les Nomes attribués à Olénos qui se chantaient à Délos, ce que toute cette poésie lyrique populaire est aux compositions des Archiloque, des Aleman, des Alcée et des Sapho. Le rapport est le même ; toute la différence serait que les maîtres de la lyrique ionienne, dorienne et éolienne ont pu se servir de l’écriture (il n’est d’ailleurs pas certain qu’ils en aient fait un grand usage), tandis que l’auteur de l’Iliade n’avait pas cette ressource. Il ne l’avait point, mais il n’en sentait pas le besoin. L’erreur et le préjugé, l’erreur qui fausse nos jugemens, le préjugé que renouvellent sans cesse et qu’enfoncent chaque jour plus avant dans notre esprit les habitudes du milieu où nous vivons, c’est d’attacher une importance capitale à l’introduction des signes graphiques. Parce qu’aujourd’hui nous ne savons plus nous en passer, nous sommes portés à croire que l’intelligence, avant de les avoir à sa disposition, a langui dans une sorte d’enfance, qu’elle n’a pu se tendre et se concentrer par la méditation en vue de l’acte créateur. Or c’est plutôt le contraire qui est le vrai. Platon l’a si bien montré dans une page célèbre du Phèdre qui n’a de paradoxal que l’apparence : « Père de l’écriture, » dit un roi thébain au dieu Thoth qui est venu lui apporter son invention, « par une bienveillance naturelle pour ton ouvrage, tu l’as vu tout autre qu’il n’est ; il ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger la mémoire. En effet, ils laisseront à ces caractères étrangers le soin de leur rappeler ce qu’ils auront confié aux lettres ; ils ne s’appliqueront plus à en garder, par leurs propres forces, le souvenir intérieur et vivant. »
Rien de plus juste, dans un certain sens. Sans l’écriture, il est vrai, point de prose possible, et, par suite, point de science. Seule, l’écriture permet de classer, de conserver, de consulter à volonté ces longues séries de faits et de raisonnemens qui fournissent la matière de l’histoire, des sciences d’observation et des sciences mathématiques ; mais on ne saurait nier, d’autre part, que, du jour où l’esprit compte sur la plume pour enregistrer la pensée au fur et à mesure qu’elle se produit, il n’est plus tenu de garder en lui-même toute une suite d’idées bien liées, qui, toujours présentes, reparaissent et défilent au premier commandement, dans l’ordre logique. Or cet effort suffit pour donner naissance à l’œuvre d’imagination, au plus beau des poèmes. Là, il n’y a qu’une action à inventer et des caractères à développer. Plus la réflexion aura été prolongée, intense, obstinément fixée sur un même objet, et plus le poète aura chance d’arriver à voir ses personnages vivre et s’agiter sous ses yeux, comme des êtres réels ; mieux il se les représentera avec la diversité de leurs physionomies et de leurs gestes familiers, de manière à lire dans leurs âmes, à savoir d’avance ce que chacun d’eux devra dire et faire dans telle ou telle circonstance. Cette vision, par sa force et sa netteté, ira presque jusqu’à l’hallucination. Comme l’esprit humain, tout en changeant d’outils, ne change pas de nature, aujourd’hui encore la faculté poétique s’exerce dans des conditions qui rappellent à beaucoup d’égards celles où étaient placés les inventeurs des plus anciennes fictions, les auteurs des premières épopées de l’Inde, de la Grèce et de la Germanie. Il est tel romancier qui ne commence à écrire que lorsque, à force d’y penser, il a réglé, jusque dans les moindres détails, toute la marche de son intrigue, lorsqu’il a arrêté tout le canevas de son dialogue. Tel poète moderne ne remettait au papier le dépôt de son œuvre que le jour où la pièce entière, ode, élégie ou drame, était achevée dans sa tête ; n’eût été la tentation d’user des instrumens que l’on a sous la main, tentation à laquelle on finit toujours par céder, il aurait composé ainsi, sans trop de peine, tout un volume. Le difficile, ce n’est donc pas de beaucoup obtenir de la mémoire, — plus on lui demande et plus elle donne, surtout quand elle est aidée par le rythme, — c’est d’avoir du génie, un génie comme celui qui éclate dans l’Iliade.
Dans ces derniers temps, on a demandé souvent à la méthode comparative d’éclairer de ses lumières cet obscur problème de la question homérique ; on a cherché, dans la Grèce, dans l’Inde, en Scandinavie, en Germanie, en Espagne, chez les Slaves, enfin un peu partout, comment les choses s’étaient passées chez les peuples qui ont eu, eux aussi, sous une forme quelconque, une épopée nationale, où sont venus s’agréger et se fondre, dans une œuvre d’ensemble, les principaux mythes et les plus anciennes traditions d’une race ou d’une tribu, les souvenirs, altérés et embellis par l’imagination populaire, des grandes luttes héroïques, des migrations aventureuses et des chefs qui les ont conduites. À la suite de ces études, on a cru pouvoir distinguer, d’une manière générale, dans l’histoire de ce travail et de cet enfantement poétiques, les deux périodes que l’on a appelées la période de production et la période de rédaction. Le premier de ces termes n’a pas besoin d’être expliqué ; le second désigne l’époque, plus ou moins tardive, où l’on a recueilli, en y faisant un choix, des chants et des récits qui, jusqu’alors, avaient été conservés, quelquefois pendant plusieurs siècles, par voie de transmission orale. La distinction est fondée ; pris dans leur ensemble, les faits la confirment. Il y a donc lieu de l’appliquer à la Grèce, comme aux autres nations chez lesquelles l’épopée est arrivée à son plein épanouissement, l’épopée, cette fleur merveilleuse et rare qui ne réussit pas dans tous les terrains et dont ne se parent pas tous les printemps. En Grèce, la première de ces deux périodes, c’est celle que remplissent ces aèdes qui ont tiré de la carrière, qui ont taillé, qui ont amené sur le chantier les matériaux de l’édifice grandiose que construisit plus tard un maître architecte ; ce qui répondrait à la seconde, ce seraient les poèmes homériques, ce seraient l’Iliade et l’Odyssée. Sans doute, il peut paraître étrange d’entendre parler de rédaction à propos du legs d’un siècle qui ne savait pas écrire ; ce mot fait songer tout d’abord au travail d’un scribe qui fixe sur le papier les fictions qui, jusqu’à ce moment, ont volé de bouche en bouche. La contradiction n’est d’ailleurs qu’apparente ; elle n’est que dans les termes. Certains peuples, comme, par exemple, les Scandinaves et les Germains, vivaient à côté de nations civilisées, qui possédaient l’alphabet depuis des centaines d’années ; lorsque, chez eux, l’épopée diffuse et populaire eut fait son temps, lorsque s’éveilla le désir de ramasser les épis et de lier la gerbe, on avait déjà emprunté à ses voisins l’usage des lettres. Il n’en était pas de même des contemporains d’Homère ; leurs relations avec les Phéniciens ne remontaient pas assez haut pour qu’ils leur eussent déjà dérobé le secret
S’ensuit-il que l’esprit grec n’ait point passé par les mêmes phases, et qu’il n’ait pas, à une heure donnée, éprouvé le même besoin ? Ce besoin, il l’a certainement ressenti, quand se fut formé, quand eut grossi le trésor des mythes sourians ou sévères et des beaux contes de batailles et de voyages ; mais il l’a satisfait à sa manière, et ce qui nous étonne comme un vrai tour de force ne semble pas lui avoir coûté de peine. On ne se fait pas une juste idée de ce qu’il y a de ressources dans l’intelligence, de sa souplesse et de son élasticité. L’étude comparative des langues, dès qu’elle étend ses recherches au-delà des limites du monde aryen, suffit à prouver que l’homme emploie à l’expression de ses idées des instrumens très divers, qu’il tire un excellent parti de ceux mêmes qui nous paraissent les plus imparfaits. Ce qui est vrai des idiomes l’est aussi des littératures ; celles-ci, suivant les temps et les lieux, arrivent à des résultats presque pareils par des procédés fort différens. Deux phénomènes, très curieux et tout exceptionnels, caractérisent le premier âge de la poésie grecque, ce que l’on peut appeler sa période épique. L’œuvre où sont venus se grouper et s’ordonner les élémens préparés par les générations antérieures, cette œuvre qui fera oublier toutes ses devancières, s’en distingue par ses proportions plus amples et par sa beauté supérieure ; elle est d’ailleurs, elle aussi, fille de la mémoire, et c’est sur la mémoire reconnaissante et fidèle de ceux qu’elle a charmés qu’elle compte pour ne pas périr. De plus, il s’est trouvé que le rédacteur, le compilateur (on a cru quelquefois que c’était là le sens étymologique du mot Homeros), était un homme de génie ; personne ne contestera ce titre au poète de l’Iliade.
À l’heure marquée où tout concourait à favoriser cette entreprise, il s’est donc rencontré un poète d’une originalité singulière qui a pu s’emparer, pour en faire son profit, de tous les fruits du travail antérieur. Il a employé, tout en les perfectionnant, les formes rythmiques et la langue poétique qu’avaient créées les aèdes ; des linéamens encore incertains de la légende, il a tiré le cadre d’une action restreinte et bien définie ; il a prêté aux traits des personnages de son drame un air de vie et à leurs paroles un accent que l’on n’avait pas connus jusqu’alors ; il a produit ainsi une œuvre, l’Iliade, qui, tout en se rattachant à ce qui l’avait précédée et en ne changeant rien aux habitudes du public, a provoqué tout d’abord une vive admiration, a paru très supérieure à tout ce que l’on se souvenait d’avoir entendu. du second poète, presque égal au premier, quoique son imagination ait moins de puissance et d’éclat, a composé l’Odyssée ; il s’était si bien aidé du modèle qu’il avait sous les yeux, il s’en était si habilement approprié la langue, il en avait imité avec tant de goût la savante ordonnance, en introduisant déjà dans son ouvrage plus d’artifice et de complication, que les générations suivantes ont confondu les deux auteurs, qu’elles n’en ont plus fait qu’une seule personne. Ainsi attribués au seul Homère, les deux poèmes ont bientôt acquis, dans tout le monde grec, une situation à part, une popularité qui les mettait hors ligne et au-dessus de toute comparaison. C’est ce que démontre un fait capital qui domine toute cette recherche. Les poètes cycliques ont ajusté leurs poèmes sur l’Iliade et sur l’Odyssée. Pour ne nous occuper ici que de l’Iliade, les Chants cypriaques arrêtaient leur récit au jour où Agamemnon et Achille avaient reçu en prix ces captives, Chryséis et Briséis, qui devaient devenir ensuite la cause des malheurs des Grecs ; de même la Petite Iliade prenait la suite des événemens après la mort de Patrocle et les conduisait jusqu’à la chute d’Ilion. Aucun de ces poèmes ne racontait, avec d’autres incidens, les aventures qui forment la matière même de l’Iliade. Il y a là un des plus forts argumens que l’on puisse alléguer en faveur de l’opinion que nous avons soutenue. D’après divers indices, c’est vers le temps des premières Olympiades que les plus anciens des poètes dits cycliques, Arctinos de Milet, Leschès de Mitylène et Stasinos de Cypre, ont repris et continué, dans des conditions nouvelles, avec l’aide de l’écriture, la tâche qu’Homère avait si brillamment inaugurée, la coordination de tous ces récits où s’était jouée librement la fantaisie des premiers chanteurs épiques ; or si, dès ce moment, l’Iliade assujettissait ainsi les poètes du Cycle à certaines données qu’ils n’étaient pas libres d’écarter, si elle leur prescrivait et le point de départ et le terme de leurs narrations, c’est qu’elle était déjà constituée, c’est que ce grand corps avait déjà la stature et les contours que nous lui connaissons. L’Iliade de l’antiquité classique, notre Iliade, existait donc au milieu du VIIIe siècle ; on peut le conclure de l’influence qu’elle a exercée sur la formation des poèmes cycliques, comme on a, de nos jours, affirmé l’existence de la planète Neptune, sans la voir, d’après les mouvemens qu’elle imposait aux astres voisins.
Tout indirecte qu’elle soit, cette preuve n’en a pas moins une valeur sérieuse, que n’a pu méconnaître M. Croiset ; il ne cherche point à nier qu’Arctinos, quand « il entreprit de compléter l’Iliade par le dehors en la continuant, » l’ait connue telle, à quelques détails près, que la lisait Hérodote ; mais si, selon lui, l’Iliade ressemblait dès lors à « cet être vivant, un et complet » auquel Aristote devait plus tard la comparer, elle n’était pas née avec ce caractère ; il n’y avait pas été imprimé par une pensée ordonnatrice et maîtresse, par celle du poète qui avait eu le premier l’idée de raconter la dispute d’Achille avec Agamemnon et ses conséquences funestes. Ce poète n’aurait composé que quelques chants, tels que la Querelle, les Exploits d’Agamemnon, l’Ambassade, la Patroclie, les Adieux d’Hector et d’Andromaque, la Mort d’Hector. Ces chants répondaient bien aux phases principales d’une même action ; mais c’était là le seul lien qui les réunit, lien bien faible et bien lâche ; dans ce premier état, ils n’étaient même pas rattachés les uns aux autres par des transitions qui permissent de les réciter à la suite ; ils ne formaient pas une série continue. La beauté de ces narrations leur aurait aussitôt valu l’avantage de jouir auprès du public contemporain ; d’une faveur exceptionnelle ; ceux qui les répétaient, pour aller au-devant des désirs de leurs auditeurs, se seraient appliqués à étendre ce thème devenu si vite populaire ; ils auraient obtenu ce résultat au moyen de ce que M. Croiset appelle les chants de développement et les chants de raccord. Ce travail aurait été poursuivi, pendant un siècle et plus, de l’art 900 environ jusque vers les premières Olympiades, par les membres de cette école de chanteurs épiques que l’on nommait les Homérides, et qui paraissent avoir habité surtout l’île de Chios ; il aurait créé cet ensemble et fait l’unité là où il n’y avait d’abord que des chants connexes, mais isolés, des fragmens épars.
Nous ne saurions suivre ici M. Croiset dans le compte qu’il rend de cette opération. Malgré tout ce qu’il y a d’ingénieux dans ses remarques et de subtil dans ses raisonnemens, il n’arrive pas plus que ceux qui l’ont précédé dans cette voie à faire comprendre comment l’unité a pu sortir de la multiplicité. On parle de noyaux de cristallisation, ou bien d’un centre organique autour duquel seraient venues se grouper, par l’effet d’une sorte d’attraction, les parties les plus récentes du poème. Ce sont là de pures métaphores, et, comme dit le vieux proverbe, comparaison n’est pas raison. Un poème n’est ni un minéral, ni une plante ; c’est une simple projection de la pensée, une suite de pensées traduites par des mots ; or ce qu’il faudrait alléguer, pour rendre vraisemblable l’hypothèse que l’on propose, c’est un outre exemple, bien attesté, d’un beau poème qui, avec cette unité de composition et de ton, serait, comme Vico le disait de l’Iliade, l’œuvre non pas d’un homme, mais de toute une nation.
Nous ne discuterons pas non plus, — il y aurait trop à dire, — le critérium auquel M. Croiset prétend reconnaître les parties du poème qui appartiennent à Homère, c’est-à-dire au plus ancien et au mieux doué des nombreux auteurs de l’Iliade. Il analyse deux ou trois chants où il croit trouver la première esquisse de toute la fable ; puis il attribue ou il retire à Homère les autres rapsodies suivant qu’elles ressemblent à ces chants qu’il a pris comme types ou qu’elles en diffèrent. En partant de ce principe, ce qu’il refuse de porter à l’actif d’Homère, ce n’est pas seulement tout ce qui peut sembler languissant et médiocre, c’est encore plus d’un morceau justement admiré, sous ce prétexte que les beautés n’en sont pas du même ordre et du même genre que dans les chants qu’il considère comme primitifs ; il n’y retrouve pas ce qu’il appelle « la grande manière homérique. » L’entrevue de Paris et d’Hélène après le combat singulier, la scène où Hélène, sous les yeux des vieillards troyens, monte aux murs de Troie pour nommer à Priam les principaux chefs de l’armée grecque, la rencontre d’Héra et de Zeus sur le sommet de l’Ida, enfin jusqu’à la merveilleuse prière de Priam prosterné aux pieds d’Achille, tout cela est fort beau sans doute, mais n’appartient plus à Homère. Que penser d’une méthode qui aboutit à de pareils résultats ? Est-il rien de plus hasardé, de plus arbitraire, de plus dangereux ? En procédant ainsi, on aurait bientôt fait de démontrer que le même homme ne peut avoir écrit Macbeth, le drame le plus sombre et le plus tragique qui fut jamais, et les charmantes fantaisies du Songe d’une nuit d’été. Dans Victor Hugo, sans parler du poète dramatique, on trouverait au moins quatre poètes différens : celui des premières Odes, celui des Feuilles d’automne et des Chants du crépuscule, celui des Châtimens, celui de la Légende des siècles.
Restent les contradictions que l’on a signalées dans l’Iliade. À tout prendre, elles sont sans importance et ne portent que sur des détails. On en a relevé de plus graves dans des livres tels que l’Enéide et le Don Quichotte, livres dont chacun n’a qu’un auteur, un auteur qui savait écrire et qui pouvait se relire. D’ailleurs, ces légères discordances s’expliquent encore mieux dans l’hypothèse d’un poème, né d’un effort unique, que dans celle d’un ouvrage qui, composé de pièces de rapport, aurait été l’objet de plusieurs révisions successives, révisions au cours desquelles on aurait remarqué et fait disparaître ces incohérences. Quant aux inégalités de l’exécution, il n’est pas nécessaire, pour en rendre raison, de supposer la collaboration de plusieurs poètes qui ne pouvaient avoir tous le même génie. Quelque soigné qu’il soit, tout récit étendu comporte des parties secondaires, des morceaux de transition, qui ne sauraient avoir le même intérêt et le même éclat que les scènes capitales. De tout temps, d’ailleurs, l’inspiration a eu ses défaillances. Peut-on citer un poète, je dis des plus grands, qui, dans une œuvre de longue haleine, soit partout égal à lui-même ? Pourquoi ne pas admettre avec Horace, en toute simplicité, que, lui aussi, le bon Homère sommeille quelquefois,
Qu’on ne s’y trompe point : nous ne nous flattons pas d’avoir prouvé l’existence d’Homère. De tels problèmes ne sont pas susceptibles d’une solution rigoureuse, qui s’impose comme une vérité démontrée. Tout ce que l’on peut se proposer, en pareille matière, c’est de faire voir que l’hypothèse pour laquelle on se prononce est encore celle qui offre le moins de difficultés, celle qui est le mieux d’accord avec l’ensemble des faits sur lesquels a pu porter l’observation, et avec ce que l’on sait des lois auxquelles est soumis le développement de l’esprit. Sans doute, ce n’est qu’au prix d’un puissant effort pour nous détacher de toutes nos habitudes et pour sortir de nous-mêmes que nous arrivons à admettre cette conception d’un poète illettré composant de tête un poème qui, si large que l’on fasse la part aux interpolations, devait bien avoir, de premier jet, au moins dix mille vers. Ce qui ajoute à notre embarras, c’est que ce poème a certains des caractères de ces œuvres savantes qui viennent, vers le moment où s’achève un mouvement littéraire, faire oublier, par l’harmonie de leurs proportions et par la perfection de leur forme, tous les essais antérieurs, tous ces ouvrages d’où elles ont tiré les élémens de la langue qu’elles emploient, des idées qu’elles expriment et des personnages qu’elles créent. Un pareil phénomène déconcerte et surprend la critique ; elle a peine à s’expliquer cette alliance d’une naïveté si sincère et d’un art si consommé ; elle comprend mal comment ce poète, chez qui la pensée a des teintes d’aurore et qui a pris la première fleur de tous les sentimens humains, est en même temps un maître d’une habileté si prodigieuse, un maître que l’on imitera désormais sans l’égaler.
Nous ne nous dissimulons pas ce qu’il y a là d’insolite et d’étrange ; nous croyons pourtant avoir montré que l’Homère multiple et flottant de Wolf et de ses continuateurs est encore plus invraisemblable que l’Homère de la tradition, ou tout au moins que celui dont nous avons entrevu l’image et dessiné le rôle. L’Iliade telle que nous la connaissons reste, il est vrai, quelque chose d’unique en son genre, une sorte de miracle du génie poétique de la Grèce ; mais, après tout, elle est moins inexplicable qu’une Iliade à laquelle je ne sais combien de poètes auraient mis la main, et qui se serait, pour ainsi dire, faite toute seule, ou que celle des commissaires de Pisistrate, que l’Iliade par une Société de gens de lettres, comme disait Sainte-Beuve. Toutes ces théories, qui n’éclairent rien et qui ne font que rendre les ténèbres plus épaisses, n’ont de spécieux que leur partie négative. Ne serait-il pas sage d’en revenir au mot de La Bruyère : « On n’a guère vu jusqu’à présent de chef-d’œuvre de l’esprit qui soit l’ouvrage de plusieurs. »
- ↑ Homère, d’après les plus récentes découvertes de l’archéologie, 15 Juillet 1885.
- ↑ Croizet (Maurice), Essai sur la vie et les œuvres de Lucien, 1 vol. in-8o, 1882 ; Hachette.
- ↑ Croiset (Alfred), la Poésie de Pindare et les lois du lyrisme grec, 1 vol in-8o, 1880 ; Hachette.
- ↑ Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponèse, texte grec, publié d’après les travaux les plus récens de la philologie, avec un commentaire critique et explicatif, et précédé d’une introduction, par M. Alfred Croisét Livres I-II, 1 vol. in-8o, 1886 ; Hachette.
- ↑ Cette préface est signée de M. Alfred Croiset.
- ↑ Homeri quæ nunc exstant au reliquis cycli carminibus antiquiora jure habita sint, auctore F. A. Paley, M. A., Homeri Iliadis, Hesiodi, Æschyli editore. Londres Norgate. Dans au article de la Revue critique (20 septembre 1879), nous croyons avoir montré combien était paradoxale et impossible à soutenir la thèse de M. Paley, fondée tout entière sur des assertions gratuites ou sur des textes et sur des faits mal interprétés ; elle n’a d’ailleurs, que nous fâchions, été admise par aucun critique dont l’opinion compte.
- ↑ Poetarum græcorum sylloge, 24 vol. in-32,1823-1826, chez Lefèvre. En 1867, voici comment l’éditeur définissait lui-même son entreprise : Ces volumes, disait-il dans la préface du tome Ier, l’Anacréon, c’étaient des « libelli belluli, qui otio magis et deambulationi litteratorum conveniunt quam studiis reconditioribus. »
- ↑ De la poésie épique (Revue du 1er janvier 1836) ; Poètes épiques, Homère (Revue du 15 mai 1830) ; l’Esprit nouveau, 1 vol. in-8o, 1875.
- ↑ Portraits contemporains, t. III, p. 408-433 : Homère.
- ↑ De Homericorum poematum origine et unitate, 1 vol. in-8o, 1843.
- ↑ La leçon d’ouverture du cours de M. Jules Girard a été publiée dans la Revue des cours littéraires du 20 mars 1865.
- ↑ Dion Chrysostome, Orationes, XI, 23.
- ↑ Croiset, Histoire de la littérature grecque, t. I, p. 260.
- ↑ Aristote, Poétique, § 24 : Τὸ δὲ μέτρον τὸ ἡρωιϰόν ἀπὸ τῆς πείρας ἠρμοϰεν (sous-entendu τῇ ἐποποιίᾳ.
- ↑ θάλασσα, dit Max Muller (Essais sur la mythologie comparée, 1 vol. in-8o, 1873, traduction G. Perrot, p. 62), est une forme dialectique de θάρασσα ou τάρασσα, exprimant les vagues agitées de la mer ἐτάραξε δὲ πόντον Ηοσειδῶν.
- ↑ De la racine pad, marcher. Max Muller, Essais sur la mythologie comparée, p. 61.
- ↑ Iliade, IX, 189.
- ↑ Iliade, IV, 594-660.
- ↑ Odyssée, VIII, 479-481.
- ↑ Iliade, IV, 375-401.
- ↑ Iliade, V, 801-809. La Dolonie, petite composition qui fut d’abord étrangère à l’Iliade et ne s’y agrégea qu’assez tard, fait aussi allusion à cette prouesse de Tydée. Ce devait être là une des parties les plus goûtées de la geste de Tydée.
- ↑ Odyssée, I, 351.
- ↑ Croiset, Histoire de la littérature grecque, t. I, p. 263-264.
- ↑ Iliade, XIII, 261-272. Nous empruntons à M. Croiset, qui a cité aussi ce passage, son excellente traduction.
- ↑ Γέγηθε δέ τε φρένα ποιμήν. Iliade, VIII, 555-559.
- ↑ Iliade, III, 10-12, et iv, 276-380.
- ↑ Ce mot, d’un usage courant dans le parler populaire de la Normandie, mériterait de passer dans la langue littéraire.
- ↑ Iliade, III, 558-563.
- ↑ Iliade, V, 363.
- ↑ Iliade, VI, 361-370 ; 444-447 ; 476-494.
- ↑ Iliade, XII, 300.