La Question des tarifs de chemins de fer en France

DES
TARIFS DE CHEMINS DE FER
EN FRANCE

I. Enquête sur l’application des Tarifs de chemins de fer devant le conseil d’état, 1850. — II. Documens législatifs sur la même question, 1843-1860. — III. Des Tarifs d’abonnement proposés par les compagnies de chemins de fer, opinion de M. de Vatimesnil, 1857. — IV. Les Tarifs de chemins de fer et l’intérêt public, 1858, etc.

Au moment où la politique extérieure de la France entrait dans une crise dont il est encore difficile de prévoir le terme, au début même de l’année 1859, un simple problème de politique intérieure, — l’expression n’est point ambitieuse, on pourra s’en convaincre, — préoccupait vivement les esprits. A côté de la question des céréales, dont l’état actuel a été présenté dans la Revue par un écrivain si compétent[1], la réduction des tarifs de transport sur les voies ferrées donnait lieu à de vives controverses entre tous ceux qui suivent avec curiosité, ou par intérêt, les diverses phases de l’exploitation commerciale du nouveau mode de communication. Il n’est guère de question économique qui ait été plus discutée. Le débat, qui se poursuit encore aujourd’hui même, a déjà quinze années de date : il a été successivement porté, sous le gouvernement du roi Louis-Philippe, devant la chambre des députés et la chambre des pairs, notamment en 1843 et 1844, par la discussion des cahiers des charges des compagnies des chemins de fer d’Avignon à Marseille et d’Orléans à Bordeaux; — sous la république, en 1851, devant l’assemblée législative, à l’occasion d’un article du cahier des charges de la compagnie de l’Ouest; — enfin sous le régime actuel, en 1856, devant le sénat, par suite de pétitions d’industriels ou de commerçans, et en 1857 devant le corps législatif, lors de la constitution de nos principaux réseaux de chemins de fer. Sans aucun doute, une nouvelle discussion se serait engagée à la session de 1859, lorsque fut présenté le projet de loi concernant la nouvelle organisation financière de ces mêmes réseaux, si le corps législatif n’avait point eu à voter, pendant les derniers jours de cette session, le budget de l’exercice 1860 et la loi sur l’agrandissement de la ville de Paris.

Indépendamment de ces discussions publiques, le mode d’abaissement des tarifs a également été étudié sous toutes ses faces au conseil d’état. Il y a plus : en 1850, une commission, prise au sein de cette assemblée et présidée par un homme éminemment impartial, M. Vivien, avait soumis à une enquête approfondie la question des transports à prix réduits sur les voies ferrées. Constamment à l’ordre du jour, cette question a été l’objet de vœux énergiques des conseils-généraux, de délibérations multipliées des chambres de commerce, d’études variées entreprises par ordre de l’administration supérieure, de publications nombreuses faites sous l’inspiration des compagnies ou de leurs adversaires. Depuis deux ans surtout, la lutte entre les divers systèmes nés successivement d’une polémique aussi persistante a pris d’assez grandes proportions pour qu’il devienne opportun de traiter ce grave et difficile sujet, en s’attachant surtout à en distinguer nettement les différentes faces, à remettre particulièrement en lumière le point de départ, enfin à préciser les diverses catégories de tarifs réduits adoptées, ensemble ou séparément, pour les transports par chemins de fer.


I.

Avant tout, il est nécessaire d’avoir une idée juste de ce qu’on appelle une « concession de chemin de fer, » en ne considérant d’ailleurs la compagnie à laquelle elle est octroyée que comme une entreprise de transports. Il y a quelques mois, un membre du corps législatif, M. E. Ollivier, disait à la tribune qu’il attaquait les compagnies de chemins de fer au nom de la liberté, « parce qu’elles ont créé un monopole, elles qui étaient les filles d’une industrie libre, parce qu’elles ont mésusé, et qu’au lieu de se faire pardonner leur métamorphose, elles ont rendu plus pesante l’oppression qu’elles avaient organisée. » D’autre part, on a pu lire l’opinion suivante dans un écrit remarquable attribué à un homme qui, après et avant son entrée aux affaires, a présidé aux destinées d’une de nos plus grandes et plus anciennes compagnies[2] : « La loi a entendu laisser à l’industrie des chemins de fer toute liberté d’action nécessaire à toute industrie….. C’est donc au libre arbitre de l’industrie elle-même qu’est confié l’établissement des tarifs dans les limites qui sont fixées par les maxima. » L’orateur et l’écrivain sont également dans l’erreur : aucune industrie n’est moins libre que l’industrie des chemins de fer, qui a été à dessein laissée dans une dépendance complète de l’administration, et il importe de se rendre un compte très exact de cette dépendance.

On sait que l’état a employé deux modes d’établissement des chemins de fer en France : il les a construits ou il les a fait construire par des compagnies. Il serait inutile de rappeler cette origine, si l’on n’y trouvait l’occasion de réduire à sa juste valeur un argument maintes fois présenté dans la question qui fait le sujet de cette étude, argument qui consiste à supposer que les compagnies sont d’autant plus engagées vis-à-vis du public, que, comme contribuable, le public a supporté la plus grande partie des frais occasionnés par la construction des voies ferrées. C’est placer mal à propos le débat sur un terrain étranger, car les 9,000 kilomètres établis en France au 31 décembre 1859, pour la somme énorme de 4 milliards et demi, n’ont coûté au trésor ou aux localités intéressées que 740 millions de francs environ, tant en travaux qu’en subventions pécuniaires, et le capital complémentaire de 3 milliards 760 millions de francs a été entièrement fourni par les actionnaires ou les créanciers des compagnies.

Quel que soit le mode suivant lequel ait été établi un chemin de fer, l’exploitation est confiée à une compagnie concessionnaire, c’est-à-dire ayant le privilège, compensé par certaines charges, d’y opérer les transports. La seule de ces charges qu’on doive considérer ici est celle qui a formellement enlevé à cette compagnie la libre disposition des tarifs. Pour indemniser le concessionnaire des dépenses de diverse nature qu’il s’engage à acquitter, l’acte de concession lui accorde l’autorisation de percevoir, pendant la durée du contrat formé entre lui et le gouvernement, des prix de transport dont le maximum est déterminé par un tarif aussi détaillé qu’un document semblable peut l’être. De là une première sorte de tarif, dit maximum légal, qui est généralement appliqué au transport des personnes, sauf dans quelques cas exceptionnels, par exemple lorsqu’il s’agit d’un de ces détournemens dont un type saillant est certainement le trajet de Bordeaux à Nantes en passant par Tours, soit encore pour le service de la banlieue des grandes villes, où les conditions de distance ne permettent pas, ainsi qu’on peut le voir à Paris, de vaincre la concurrence sérieuse qui est faite au chemin de fer par la route de terre. Quant au transport des choses, ce maximum légal est seulement usité pour les petites distances et les marchandises chères; comparativement fort élevé, il ne permettrait pour ainsi dire aucun trafic. Ce résultat n’avait pas précisément été prévu à l’origine, et il est curieux de voir combien, lorsque les enseignemens de l’expérience faisaient tout à fait défaut, il était difficile de prévoir l’avenir.

Dans le principe, les voies ferrées en France avaient été considérées comme devant être essentiellement affectées au transport des voyageurs; relativement aux marchandises, les esprits hardis admettaient qu’à la rigueur celles qui, par un faible poids et une grande valeur, auraient besoin d’une vitesse un peu considérable et pourraient supporter des prix élevés fourniraient seules un élément de trafic aux nouvelles voies de communication. Les premiers de nos chemins de fer, ceux de Saint-Etienne à la Loire et au Rhône, qui avaient été exclusivement construits pour le transport de la houille, et dont l’acte de concession avait d’ailleurs complètement passé sous silence tout autre transport, étaient regardés comme une exception motivée par le riche bassin houiller qui en avait déterminé la création. Tandis qu’aujourd’hui les adversaires des voies ferrées semblent ne se préoccuper que d’un abaissement excessif des prix perçus par les compagnies, le public expéditeur n’avait alors d’autre crainte que la trop grande élévation de ces prix.

Il n’a pas fallu moins de quinze ans pour que l’hypothèse d’une diminution du maximum légal fût constatée officiellement dans un cahier des charges, celui de la concession de la ligne de Strasbourg à Bâle (1838); en même temps apparaissait le principe fondamental de la législation de nos tarifs de chemins de fer, celui de l’homologation administrative des changemens de tarifs. Dans l’origine, c’était le préfet qui donnait cette homologation, aujourd’hui c’est le ministre qui l’accorde ; mais en principe ce libre arbitre que les compagnies ont longtemps prétendu revendiquer en matière d’exploitation commerciale leur avait été immédiatement refusé. C’est donc avec étonnement que, dans les procès-verbaux de l’enquête faite en 1850 au sein du conseil d’état, on lit certaines réponses de quelques administrateurs de chemins de fer, dont l’un, M. Em. Péreire, s’exprimait ainsi : « J’ai toujours compris que le droit d’homologation consistait uniquement dans la constatation de ce fait matériel, que les compagnies se sont renfermées dans les limites extrêmes des tarifs. Il serait puéril en effet que l’on reconnût aux compagnies le droit d’agir, pour les empêcher ensuite d’en user dès qu’elles y seraient disposées. Quand on parle du maximum, on entend établir une limite extrême, invariable, dans laquelle on pourra se mouvoir en toute liberté... Le mot homologation lui-même ne signifie rien autre chose que vérification. » Il convient d’ajouter que l’administration ne paraissait guère pressée au début de constater l’étendue de son droit, car sa formule d’homologation était primitivement ainsi conçue : « J’ai reçu le nouveau tarif... J’ai reconnu que les prix étaient tous maintenus dans le maximum fixé par la loi. En conséquence, je ne puis qu’homologuer ce tarif. » Finalement, l’incertitude ainsi jetée dans les esprits au sujet de la base même du régime des chemins de fer était telle que M. Vivien pouvait, dans l’enquête de 1850, poser à M. Péreire la question suivante : « L’administration peut-elle en certains cas apprécier le montant du tarif, même inférieur au maximum, et apposer son veto à la proposition de la compagnie? » et en recevoir la réponse que je viens de transcrire. Aujourd’hui les compagnies admettent très nettement que l’administration est autre chose qu’un bureau d’enregistrement; mais il est à remarquer que dans le mémoire, d’ailleurs écrit avec une connaissance profonde de la question, sur les tarifs de chemins de fer et l’intérêt public, on chercherait en vain un mot sur ce rôle fondamental que joue l’administration relativement aux transports sur les voies ferrées.

Un abaissement de tarif accordé par une compagnie concessionnaire à tous les expéditeurs, sans qu’ils aient à se préoccuper d’autre chose que des conditions du cahier des charges, constitue, sous le nom de tarif général, la seconde sorte de tarif et la première forme de tarif réduit. Plus ou moins abaissé au-dessous du maximum légal, ce nouveau tarif ne pouvait suffire par lui-même à développer le trafic. Comme toute autre entreprise commerciale, une compagnie de chemin de fer a, dans certaines limites, un intérêt manifeste à s’assurer, pour la denrée qu’elle débite, un grand nombre de consommateurs lui offrant individuellement une faible rémunération, plutôt qu’à en réunir un petit nombre auquel elle pourrait la vendre à un haut prix. Elle n’atteindra donc son but qu’au moyen d’une nouvelle et dernière grande catégorie de tarifs, qu’on appelle spéciaux, parce que la jouissance n’en est accordée qu’en échange de conditions particulières, dont le cahier des charges d’une concession de chemins de fer n’a pu prévoir que le principe. Ce sont précisément les détails d’exécution qui donnent en partie lieu à cette lutte acharnée dont il est nécessaire de rappeler les divers incidens.

Le tarif maximum légal et le tarif général ne se prêtent naturellement à aucune combinaison; mais le tarif spécial se distingue par une malléabilité qui laisse le champ libre et permet à un chef d’exploitation habile d’appeler sur le chemin de fer des élémens de trafic dont plusieurs même n’étaient point acquis précédemment aux entreprises de transport des routes de terre ou des voies navigables. A cet effet, une réduction de prix est consentie à tous les expéditeurs de certaines classes de marchandises moyennant des conditions variables, dont l’une, celle dite de l’abonnement, devra nécessairement être l’objet d’un examen détaillé.

Si les chemins de fer étaient exploités par l’état, représentant de l’intérêt général, l’abaissement des tarifs n’aurait d’autre limite que celle où les recettes n’excéderaient plus les dépenses, l’intérêt général exigeant que les chemins de fer soient utiles au plus grand nombre. Tel n’est évidemment pas le point de vue où doit légitimement se placer une compagnie concessionnaire, pour laquelle l’intérêt public en somme est secondaire, et qui se propose, comme but essentiel, de tirer de son exploitation le plus de bénéfice possible. L’abaissement des tarifs sera donc subordonné à cette considération et calculé de manière à diriger vers la voie ferrée le maximum de transports productifs. Le problème n’est point aussi simple qu’il le paraît au premier abord, le législateur ayant dû prévoir le cas où la compagnie se proposerait de ne faire jouir le public d’un abaissement momentané de tarifs que pour lui faire ultérieurement subir une élévation définitive, où elle n’aurait voulu en un mot que masquer, par une mesure libérale en apparence, l’extinction des entreprises de transport qui lui font concurrence, et s’attribuer ainsi un monopole exorbitant. Les compagnies ont toujours prétendu que les craintes de cette nature étaient chimériques, et que leur propre intérêt était une garantie sérieuse de la droiture de leurs intentions. En réalité, il paraîtrait que jusqu’à ce jour, sur 2,000 abaissemens de tarifs, on ne compterait encore que 20 relèvemens; mais enfin il fallait prendre des précautions réglementaires contre le danger qui vient d’être signalé, et on les a inscrites dans le cahier des charges des concessions de nos voies ferrées. C’est encore à propos de la ligne de Strasbourg à Bâle que l’hypothèse est posée pour la première fois, et le législateur stipule que les taxes abaissées ne pourront être relevées qu’après un délai de trois mois au moins. Six ans plus tard, c’est-à-dire en 1844, sur un amendement proposé par M. Muret de Bort, dans la discussion à la chambre des députés d’une loi concernant le chemin de fer de Nîmes à Montpellier, malgré le rapporteur de la commission, malgré même le ministre des travaux publics, ce délai a été porté à une année pour les marchandises et n’a plus été modifié depuis. Il est évident que la mobilité des tarifs ne peut pas être excessive, sous peine d’engendrer des abus; mais il est assez difficile d’évaluer en général ce qu’elle doit être pour répondre aux besoins du commerce. L’administration, comme on vient de le voir, pensait que M. Muret de Bort, dont l’opinion fut du reste adoptée à une forte majorité par la chambre des députés, n’accordait pas aux compagnies une assez grande liberté de mouvement. Elle rappelait d’ailleurs en 1843, devant la chambre des pairs, également par l’organe du ministre des travaux publics que, l’autorisation du relèvement des tarifs pouvant être refusée, toute certitude était donnée de ne point voir les compagnies de chemins de fer se livrer à ces jeux de tarifs qui avaient été l’objet des appréhensions du public. Et M. Daru, rapporteur, ajoutait : « Il n’y a pas moyen de tout prévoir, et quel que soit le désir de réglementation qui nous domine, nous ne parviendrons jamais à embrasser dans nos prévisions tous les faits qui peuvent se présenter. C’est pour cela qu’on a pris le parti le plus sage en se décidant à en référer toujours et pour tout à l’administration. » Ces paroles de M. Daru, où se trouve si nettement constaté le pouvoir réglementaire attribué au gouvernement par la législation française, forme la conclusion naturelle de cet exposé du caractère général des tarifs de nos chemins de fer.

En Angleterre, un tout autre système a prévalu, et la concurrence est poussée jusqu’à l’abus : les compagnies peuvent à volonté faire jouer leurs tarifs au-dessous d’une limite fixée par le bill de concession. En Amérique, la liberté des transactions est encore plus complète : il n’y a même point de tarif maximum.


II.

Depuis deux ans pour la plupart d’entre elles et depuis quelques mois pour toutes, les grandes compagnies de chemins de fer sont régies par un type uniforme de cahier des charges, où l’on trouve cette disposition, qui est en quelque sorte la charte des tarifs, et qu’à ce titre on doit citer textuellement :


« Dans le cas où la compagnie jugerait convenable, soit pour le parcours total, soit pour les parcours partiels de la voie de fer, d’abaisser, avec ou sans conditions, au-dessous des limites déterminées par le tarif, les taxes qu’elle est autorisée à percevoir, les taxes abaissées ne pourront être relevées qu’après un délai de trois mois au moins pour les voyageurs et d’un an pour les marchandises.

« Toute modification de tarif proposée par la compagnie sera annoncée un mois d’avance par des affiches.

« La perception des tarifs modifiés ne pourra avoir lieu qu’avec l’homologation de l’administration supérieure. »


Tel est le code en miniature qu’il ne faut pas perdre de vue lorsqu’on se préoccupe des transports à prix réduits sur les voies ferrées. On remarquera, contrairement à une opinion qui a eu sa raison d’être, mais qui ne l’a plus aujourd’hui, que l’individualité de l’expéditeur n’apparaît nullement. Nous ne saurions trop insister sur cette suppression des traités particuliers, aujourd’hui légalement consommée depuis près de deux ans, attendu que la confusion qui règne à l’égard du vocabulaire commercial des chemins de fer, chez les nombreux écrivains qui s’occupent journellement des transports à prix réduits, tendrait à faire croire que ces traités existent encore. Les tarifs, il ne faut pas le perdre de vue, ne s’adressent qu’à des collections d’expéditeurs. Le tarif spécial convie simplement le public, s’il ne préfère payer les taxes du tarif général, à jouir de la réduction de prix consentie par la compagnie concessionnaire aux conditions qui lui assurent la compensation des sacrifices qu’elle s’impose.

Pendant vingt ans, de 1838 à 1858, il n’en avait point été ainsi : le cahier des charges des concessions de chemins de fer reconnaissait aux compagnies le droit d’accorder à un ou plusieurs expéditeurs une réduction sur les tarifs approuvés. La compagnie n’était pas tenue, comme pour un tarif général ou spécial, de demander à l’administration une autorisation préalable; elle n’était obligée qu’à lui en donner connaissance avant de mettre cette mesure à exécution, et l’administration conservait simplement le droit de déclarer cette réduction, une fois consentie, obligatoire vis-à-vis de tous les expéditeurs, sans distinction aucune. Tel était le régime des traités particuliers, devenus bientôt si impopulaires que le gouvernement dut les supprimer. L’administration, par suite de l’abandon qu’elle avait cru devoir faire, pour ce seul cas, de sa prérogative d’homologation, la justice par la divergence de ses décisions, les compagnies enfin, à raison des inconvéniens que présentaient certaines conditions de ces traités, ont également contribué à ce résultat, d’ailleurs peu regrettable.

Au fond, les compagnies pensaient bien avoir le droit de consentir un traité particulier à un expéditeur isolé, et parce que tel était leur bon plaisir; mais elles n’ont jamais osé prétendre officiellement à ce droit. Elles ont immédiatement suivi l’administration, au moins en apparence, sur le terrain où celle-ci les appelait, celui de la perception des taxes faite indistinctement et sans faveur, comme le prescrit formellement le cahier des charges. Elles regardaient tout expéditeur acceptant les conditions d’un traité particulier comme appelé, ipso facto, à jouir de la réduction de prix et des avantages que cette convention stipulait. D’autre part, l’administration, obligée à veiller avec sévérité à ce que la communication de tous les traités particuliers lui fût régulièrement faite, avait fini par organiser en 1852 un système de publicité garantissant aux expéditeurs la connaissance des traités particuliers qui les intéressaient et leur permettant dès lors d’en réclamer le bénéfice. L’administration, après avoir renoncé à ce droit d’homologation qui joue un si grand rôle dans la question des tarifs, se bornait à accuser réception à la compagnie du traité particulier que celle-ci lui communiquait; elle rappelait d’ailleurs expressément son droit de généralisation et déclarait que, tout en ne jugeant point à propos d’en user immédiatement, elle se réservait du moins de l’exercer à toute époque où l’intérêt général rendrait cette revendication nécessaire.

Si cet accusé de réception eût constitué, à proprement parler, un acte administratif, il n’eût pu être soumis à l’appréciation de l’autorité judiciaire, assez indécise par suite du principe fondamental de la séparation des pouvoirs; mais telle en était la nature qu’un procès pouvait s’engager devant les tribunaux aussitôt qu’une contestation s’élevait au sujet d’un des traités particuliers. Tout légal et libéral qu’il pouvait être, — puisque l’administration se trouvait ainsi provoquer, au grand jour et en toute liberté de discussion, une enquête loyale sur les conventions passées entre les compagnies et les commerçans, — ce système n’était pas sans inconvéniens pour l’administration elle-même. Ainsi il pouvait se faire qu’un traité particulier, jugé par l’administration sans inconvéniens pour l’intérêt public, fût dans un procès déclaré illégal et attentatoire aux droits des tiers. C’est précisément ce qui est arrivé pour certaines conditions et pour les traités particuliers mêmes, dont la légalité a été plus d’une fois, fort mal à propos d’ailleurs, mise en doute par l’autorité judiciaire, armée de son indépendance omnipotente.

Parmi les conditions stipulées dans les traités particuliers comme devant être expressément acceptées par les expéditeurs, on remarquait des dispositions qu’il importe d’autant plus d’analyser qu’elles se retrouvent en partie dans les tarifs spéciaux. La compagnie se faisait décharger de toute responsabilité en cas d’avarie survenue aux marchandises qui lui étaient confiées pendant qu’elles se trouvaient dans ses gares ou sur ses convois. C’était à l’expéditeur de calculer si les chances d’avarie d’un transport par chemin de fer étaient en rapport avec la réduction de tarif dont il bénéficiait. — La compagnie déclinait également d’avance toute responsabilité au sujet de tout retard apporté par elle dans la remise des marchandises au destinataire. On sait du reste que si, dans le transport des voyageurs, une accélération considérable de vitesse a été le résultat de la substitution des voies ferrées aux routes de terre, la conquête faite par le grand perfectionnement des voies de communication n’est guère représentée, dans le transport des marchandises, que par la différence existant anciennement entre le roulage ordinaire et le roulage accéléré. — L’expéditeur était souvent assujetti à un cautionnement; souvent aussi il devait faire lui-même le chargement et le déchargement de ses marchandises, clause aussi avantageuse pour lui, qui ne payait plus les taxes afférentes à cette manutention, que pour la compagnie, qui y trouvait le moyen de faire une économie de personnel dans ses gares. Souvent enfin un mode particulier d’emballage des colis remis par l’expéditeur était imposé à celui-ci.

On sait qu’entre gens en procès, c’est à qui abusera des formalités nécessaires de la justice pour dégoûter son adversaire d’aller jusqu’au bout. Avec l’intention évidente d’inspirer aux expéditeurs une terreur salutaire à l’endroit des frais qu’entraînerait le jugement des contestations, et aussi de centraliser les litiges à Paris, où elles ont une administration contentieuse parfaitement organisée, les compagnies de chemins de fer posaient toujours en principe, dans tous les traités particuliers, la compétence du tribunal de commerce de la Seine. Cette attribution de juridiction n’est point admise par l’administration à figurer dans les clauses des tarifs spéciaux.

Enfin la clause dite du minimum de tonnage doit d’autant moins être oubliée qu’il importe d’établir, contrairement aux assertions erronées de ceux qui attaquent les compagnies de chemins de fer, qu’il n’en est plus question depuis longtemps, et qu’elle ne figure jamais dans les tarifs spéciaux. Pour notre part, nous ne comprenons pas qu’une compagnie de chemin de fer ait pu songer à imposer à un expéditeur, comme compensation d’un sacrifice qu’elle lui faisait sur le prix de transport, l’obligation de lui fournir annuellement au moins un poids déterminé de marchandises, alors que l’importance de son commerce ou de son industrie place cet expéditeur, dans l’impossibilité absolue de remplir un semblable engagement. Les partisans de cette condition du minimum de tonnage objectent, il est vrai, qu’elle est passée dans les habitudes des maisons de roulage ; mais quelle parité peut-il exister entre une entreprise privée de transports, cherchant naturellement et légitimement à attirer à elle les cliens les plus importans, et un service public concédé par le pouvoir social dans l’intérêt général, et ne pouvant dès lors classer les intérêts particuliers en catégories déterminées par le chiffre des produits qu’elles doivent lui rapporter? La question a du reste été définitivement tranchée par l’administration, qui a fini par proscrire la condition du minimum annuel de tonnage des traités particuliers, et l’a toujours repoussée des tarifs spéciaux. Le chargement d’un wagon a seul paru une limite assez faible pour pouvoir être facilement atteinte par la très grande majorité des expéditeurs: c’est ce qu’on appelle la condition du wagon complet, et il n’est pas besoin de dire qu’elle n’est exigée que pour des marchandises qui se transportent nécessairement en grandes masses.

Les compagnies ne mettaient pas toujours, il faut le dire, une entière bonne foi dans l’exécution de ces traités particuliers. Une clause qui a notamment donné lieu à de nombreux procès réservait au contractant le droit, dans le cas où la compagnie viendrait à passer avec d’autres expéditeurs un traité qui lui semblerait plus avantageux, d’en revendiquer le bénéfice. Les compagnies prévenaient le moins possible les intéressés de l’existence de pareils actes; d’autres fois, essayant de se dérober à la généralisation de ces traités, elles voulaient avoir le droit d’établir entre les expéditeurs une distinction à raison du domicile, et objectaient de prétendues nécessités de service. Enfin, comme s’il existait vis-à-vis des chemins de fer autre chose que des expéditeurs à l’égard desquels il n’y a aucune exception à établir, les compagnies émettaient la singulière prétention de refuser le bénéfice de certains traités particuliers à une catégorie déterminée de négocians, à des commissionnaires de transports par exemple, sous le prétexte qu’ils n’étaient pas des négocians proprement dits.

Les difficultés innombrables ainsi soulevées par les traités particuliers décidèrent le gouvernement, vers la fin de 1857, à les proscrire définitivement. Quant aux compagnies qui n’étaient point encore régies par le nouveau cahier des charges, le ministre usa purement et simplement du droit de généralisation qu’il s’était réservé. Ce cahier des charges interdit formellement « tout traité particulier qui aurait pour effet d’accorder à un ou plusieurs expéditeurs une réduction sur les tarifs approuvés. » L’autorité judiciaire a naturellement été chargée de régler la transition de l’ancien état de choses au nouveau, quand la liquidation n’a pu s’en faire à l’amiable. Lorsque chaque compagnie a signifié aux expéditeurs qu’à partir du 1er janvier 1858, elle se trouvait dans l’impossibilité de continuer l’exécution des traités dont la durée n’était point encore expirée, quelques-uns de ces expéditeurs ont demandé qu’il leur fût, par mesure de réparation, payé des dommages-intérêts. Les compagnies ont voulu invoquer les dispositions du code Napoléon relatives à la force majeure et aux cas fortuits, mais elles ont échoué devant tous les degrés de juridiction. La clause suspensive qui se trouvait dans l’ancien cahier des charges leur était connue, et elles avaient manqué de prudence en ne la reproduisant pas dans chaque traité. La mise en vigueur de cette clause ne plaçait pas les compagnies dans l’impossibilité de remplir leurs engagemens; mais elle les leur rendait préjudiciables, car ces compagnies n’avaient plus que l’alternative entre la généralisation du traité particulier et le rachat de leur liberté d’action à prix d’argent, lorsqu’elles avaient omis de s’assurer cette liberté.

III.

Il est une condition qui a passé des traités particuliers dans les tarifs spéciaux, sans pour cela faire cesser les réclamations dont elle a de tout temps été l’objet, car elle était toujours inscrite dans les traités particuliers. Je veux parler de l’abonnement, c’est-à-dire de l’obligation imposée aux expéditeurs de ne confier, pour un temps déterminé (un an au moins suivant l’usage), et exclusivement à toute autre voie concurrente, le transport de toutes leurs marchandises qu’à un chemin de fer, dont la compagnie concessionnaire concède alors en retour une réduction de prix. Le programme de politique commerciale publié en janvier 1860 par le gouvernement français fera disparaître, dans un court délai, cette condition, qui, on le verra, était à la fois inutile et imprudente.

Cette condition, dont la légitimité a été violemment attaquée par un jurisconsulte éminent, M. de Vatimesnil, était-elle légale? — Il n’est pas possible d’hésiter à répondre par l’affirmative. Si elle n’a pris place dans les dispositions du cahier des charges qu’en 1857, elle y est évidemment comprise parmi les conditions dont il est parlé dans ce membre de phrase avec ou sans conditions de l’article textuel reproduit plus haut. Antérieurement aucune disposition ne l’autorisait, mais aussi aucune disposition ne la proscrivait. Elle ne froisse en rien le principe salutaire de l’égalité à établir entre les expéditeurs, puisqu’elle est évidemment accessible à tous, d’autant plus que, contrairement à une assertion erronée de M. de Vatimesnil, la condition de l’abonnement n’a point pour annexe celle du minimum annuel de tonnage. Le tarif n’oblige l’expéditeur qu’à remettre la totalité de ses marchandises, quelle qu’elle soit, en exigeant parfois cependant qu’elles remplissent un wagon complet, simple clause restrictive dont la raison d’être a été indiquée. La privation pour l’abonné de tout autre moyen de transport que le chemin de fer est, dit M. de Vatimesnil, une violation de la liberté qui appartient à tout expéditeur : cette opinion n’est pas fondée. On pressent que ce moyen de transport rival ne peut être que la navigation. L’expéditeur perd certainement en droit la liberté de se servir du canal, lorsque les prix y sont inférieurs à ceux du chemin de fer concurrent, et de recourir au chemin de fer pendant ces chômages trop fréquens qui constituent les inconvéniens fondamentaux du canal; mais il est libre de calculer s’il lui est plus avantageux de conserver la faculté de se servir indistinctement des deux voies de communication rivales ou d’aliéner son indépendance, en acceptant la condition qui lui est proposée par l’une d’elles comme compensation d’une réduction notable de prix. En se plaçant au point de vue des compagnies de chemins de fer considérées comme entreprises de transport spéciales, on ne peut trouver injuste qu’elles cherchent à s’assurer à l’avance la quantité considérable de marchandises qui leur est nécessaire pour utiliser l’énorme matériel qu’elles sont obligées d’entretenir, sous peine d’être prises au dépourvu dans une circonstance donnée. Chacun doit comprendre qu’il ne leur est possible d’abaisser leurs tarifs que si elles ont la certitude d’opérer des transports considérables ; chacun sait que le trafic d’un chemin de fer est toujours supérieur dans un sens, et personne ne peut trouver mauvais que, pour le sens où il est inférieur, la compagnie concessionnaire cherche par des moyens loyaux à rétablir un équilibre qui lui permette de ne pas ramener son matériel vide aux principaux points de départ. En résumé, il est impossible de voir en quoi le public commerçant peut être fondé à se plaindre, alors que le tarif d’abonnement n’est point, entre les mains d’une compagnie, une machine de guerre qui doive anéantir une voie de navigation concurrente et permettre ensuite à la compagnie de relever les tarifs primitivement abaissés. Telle est donc la question excessivement délicate qu’il faut aborder.

Le règne de la navigation est-il terminé ? les fleuves navigables, ces routes qui marchent, comme les appelle éloquemment Pascal, les canaux ne sont-ils plus qu’un vieil engin qui doive être impitoyablement mis au rebut ? On répugne à le croire. Un petit écrit, récemment publié[3], porte cette épigraphe séduisante : A la télégraphie électrique les nouvelles et les dépêches, — aux chemins de fer les lettres, les voyageurs et la messagerie, — à la navigation les marchandises lourdes et encombrantes. Nous sommes disposé à penser, comme l’auteur, que ces deux modes de communication ont chacun son utilité propre, ses fonctions spéciales, et qu’il vaudrait mieux sans doute qu’ils fussent respectivement organisés et administrés de manière à se renfermer dans ce qui semble être leur rôle naturel. Toutefois on ne peut, d’une part, théoriquement admettre qu’il soit possible d’attirer sur les chemins de fer un nombre suffisant de voyageurs pour que ce seul élément de trafic procure aux capitaux un intérêt bien supérieur à celui qu’on obtient aujourd’hui[4] ; de l’autre, on doit s’incliner devant la brutale toute-puissance du fait. Or, dans le rapport du ministre des travaux publics à la suite duquel a été rendu, le 24 février 1858, un décret déclarant libre le commerce de la boucherie dans la ville de Paris, se trouve ce passage remarquable : «La célérité avec laquelle les chemins de fer permettent d’amener aujourd’hui les bestiaux sur les marchés d’approvisionnement, la promptitude extraordinaire que procure le télégraphe électrique pour la transmission des ordres dans les pays d’élevage n’ont-elles pas créé une situation nouvelle?... » N’est-il pas probable, n’est-il pas certain que cette situation nouvelle correspond à une révolution singulière, dont il est impossible de ne pas tenir un grand compte dans les habitudes commerciales ? Dans combien d’industries ne supprimera-t-on pas des magasins devenus inutiles, et partant onéreux, par suite de la facilité et de la certitude avec lesquelles, en peu de jours et même en quelques heures, on peut s’approvisionner de matières premières achetées au moment opportun? Mais alors l’insuffisance des voies navigables, dont la lenteur et l’irrégularité sont malheureusement deux caractères essentiels, apparaît dans tout son jour, et quelques pessimistes se demanderont peut-être s’il leur reste un moyen de salut. Pourtant au nombre des projets de loi que le temps seul a empêché le corps législatif de discuter dans sa dernière session figurait un projet relatif à l’acceptation par l’état de l’offre, que font la ville de Colmar et plusieurs propriétaires ou industriels de l’Alsace, d’avancer une douzaine de millions pour la construction d’un canal destiné à desservir le bassin houiller de Sarrebruck, et d’un embranchement sur la ville de Colmar du canal du Rhône au Rhin. Ce fait prouve au moins que tout le monde ne désespère pas de l’avenir des canaux, et qu’on les regarde comme devant exister en même temps que les chemins de fer. Telle a toujours été la solution adoptée en France à l’égard de la rivalité, pressentie d’ailleurs dès 1838, entre les voies ferrées et les voies navigables. Il est même inutile de se reporter aux discussions qui ont lieu depuis vingt ans dans le sein de nos diverses assemblées législatives, ce point n’ayant jamais été l’objet d’aucune contestation. Il suffira de citer le passage suivant du rapport fait au corps législatif en 1857, par M. Lequien, à propos de la création de six grandes compagnies, qu’on a représentée récemment comme une division de la France en six grands commandemens industriels et commerciaux[5]: « C’est la somme des avantages qu’il faut toujours rapprocher de celle des inconvéniens, avec assez d’exactitude pour ne jamais laisser dominer les seconds sur les premiers, et à notre sens ce cas se reproduira chaque fois que d’un abaissement de tarifs devra résulter une atteinte à la concurrence, toujours favorable aux intérêts généraux, et surtout chaque fois que cet abaissement pourra compromettre les légitimes intérêts de notre navigation intérieure. L’amélioration de nos voies fluviales et l’établissement de nos canaux, leur entretien même ont exigé et exigent encore annuellement du pays des sacrifices assez considérables pour que la conservation de ces utiles voies de transport ne soit jamais compromise. Nous ne doutons pas que le gouvernement ne sente toute l’importance de cette précieuse conservation... » Dès lors le programme à suivre par l’administration est tout tracé : puisque les compagnies de chemins de fer n’ont qu’un droit de proposition relativement aux modifications de tarifs, il ne faudrait homologuer que celles de ces modifications qui ne paraîtraient pas de nature à porter préjudice au trafic des voies navigables. On ne peut se dissimuler que le maintien de cet équilibre ne soit une tâche excessivement délicate. Relativement aux canaux, dont le remaniement des tarifs était déjà une grosse question sous le règne de Louis-Philippe, il a été beaucoup fait durant ces derniers temps dans l’intérêt de la batellerie. En échange d’une réduction dans les prix de transport, que les concessionnaires de canaux ont le droit de fixer librement, l’état a diminué les droits de navigation, dans une proportion notable, pour plusieurs rivières ou canaux importans. Le programme de politique commerciale auquel nous venons de faire allusion annonce même que le gouvernement français ne s’arrêtera pas dans cette voie libérale. En continuant d’apporter aux cours d’eau les améliorations qui sont commencées depuis longtemps déjà et de combler les lacunes qu’ils présentent, le gouvernement prendra une mesure très propre à empêcher le commerce de déserter les voies navigables au profit des chemins de fer. Ce serait même un incident curieux de la lutte entre les deux modes de communication que l’achèvement du réseau de notre navigation intérieure. En ce moment du reste, il ne s’agit guère encore que d’un procès de tendance, le mouvement des transports par eau étant en progrès, contrairement à l’opinion qui tend à s’établir par suite des plaintes incessantes et multipliées dont la navigation est le prétexte. La mesure de ce progrès peut être approximativement donnée par l’augmentation de la somme des droits qu’a perçus l’état durant la dernière période décennale, augmentation qui n’a pas été moindre de 1,500,000 francs. La valeur annuelle de ces droits peut être de 11 millions de francs au moins, dont il convient de défalquera peu près 7 millions de francs pour les frais d’entretien des canaux et rivières : le trésor n’encaisserait donc finalement qu’une somme de II millions de francs environ. À ce point de vue secondaire, bien qu’on mette toujours en avant les droits du trésor, les voies navigables sont hors de toute comparaison avec les voies ferrées, le seul impôt du dixième perçu sur les prix des places des voyageurs et du transport des marchandises à grande vitesse rendant annuellement plus de 17 millions de francs. Si l’on tient compte en outre des charges importantes qui ont été imposées aux compagnies de chemins de fer au profit de certaines administrations publiques (postes, guerre, marine), on verra que si l’état, propriétaire tout à la fois des diverses voies de communication, était tenté d’avoir, au point de vue financier, des préférences pour un de ces frères ennemis, ce ne pourrait être qu’au détriment des voies navigables. Il vaut mieux conclure de ces chiffres que le gouvernement pourrait, sans grand sacrifice, faire droit à la demande qui lui a été adressée, notamment par l’industrie houillère, et supprimer complètement les droits de navigation pour toutes les voies d’eau. Ainsi favorisée, la batellerie, qui a résisté jusqu’à présent aux atteintes que lui ont portées les compagnies de chemins de fer par les traités particuliers et les tarifs spéciaux, n’aurait plus rien à exiger pour être en mesure de lutter à armes égales avec ces compagnies. L’état pourrait alors laisser à une sorte de jugement de Dieu le soin de trancher la question controversée. Si, après un duel loyal, la navigation intérieure venait à succomber devant les chemins de fer, il faudrait bien avouer que la loi fatale d’un progrès inattendu la destinait à périr[6].

A côté de la navigation intérieure se présente la navigation côtière, qui a de plus pour elle l’intérêt inhérent à ce personnel maritime qu’elle entretient, au grand avantage de la puissance nationale. L’antique cabotage aux placides allures est certainement menacé par les lignes qui longent le littoral, ou par celles qui, comme le chemin de fer de Bordeaux à Cette, joignent directement deux mers; mais il bénéficie du trafic que lui apportent les lignes plus ou moins perpendiculaires à nos côtes. En somme, le cabotage a jusqu’à présent résisté à la concurrence : il n’a pas diminué d’importance, et même il a fait quelques progrès; mais il lui faut entrer dans la voie des perfectionnemens et profiter de la leçon que lui donnent ces steamers anglais à hélice venant, en quatre jours, de Londres à Paris, malgré les chemins de fer et les entraves douanières, après avoir traversé un détroit et remonté un fleuve à une assez grande distance de son embouchure. Tout se transforme au XIXe siècle, et ce qui ne suit pas la loi universelle est en danger de mort.


IV.

Après avoir tenté d’initier le lecteur aux détails du vocabulaire un peu compliqué des tarifs de chemins de fer, nous n’aurions pas complètement rempli notre tâche, si nous ne commentions point aussi ces mots de l’article fondamental du cahier des charges d’une concession : soit pour le parcours total, soit pour les parcours partiels de la voie de fer. Nous sommes ainsi amené à parler des tarifs différentiels. Jusqu’à présent, on n’a considéré ici les voies ferrées qu’au point de vue des conditions mises par les compagnies aux réductions de tarifs; il reste à les considérer au point de vue de la longueur des parcours. Prenons pour exemple le transport des céréales, sur lequel les chemins de fer ont une action si puissante, en raison de la rapidité des expéditions et de la diminution de frais qu’elles entraînent, ce qui produit une sorte de nivellement général des prix sur toute la France : il sera aisé de récapituler les notions maintenant acquises sur ce point important.

Qu’on ouvre le cahier des charges d’une concession quelconque de chemin de fer; on trouvera au tarif, pour le transport à petite vitesse des marchandises de la deuxième classe, qui comprend les grains, farines, etc., le prix de fr. 14 c. par tonne et par kilomètre : c’est le maximum légal[7]. Supposons que la compagnie concessionnaire juge à propos d’abaisser 0 fr. 10 c. sur tout son réseau le prix du transport des grains; nous aurons ce qui est appelé le tarif général. Admettons maintenant que ce prix de 0 fr. 10 c. ne soit appliqué qu’à ceux des expéditeurs qui accepteront certaines conditions, celle de l’abonnement par exemple; nous aurons un type de tarif spécial. Dans ce cas, les tarifs légaux, généraux, spéciaux, sont tous les trois proportionnels; ils ne sont point différentiels, parce que le prix du kilomètre de parcours total du réseau est identique au prix du kilomètre du parcours partiel, parce qu’un point situé à 500 kilomètres de Paris sera régi par le même tarif kilométrique qu’un autre point du même réseau situé à 60 kilomètres.

Si nous supposons au contraire qu’il n’en soit pas ainsi, que la tonne de céréales parcourant de 5 à 600 kilomètres ne soit taxée par kilomètre qu’à fr. 08 c, tandis que celle qui parcourt de 4 à 500 kilomètres doive payer fr. 09 c, nous aurons l’exemple d’un tarif différentiel. Cette inégalité kilométrique, poussée à l’extrême, pourrait donner lieu, on le remarquera, à une anomalie choquante, parce qu’il arriverait que les taxes seraient en raison inverse des longueurs parcourues : dans tous les cas de ce genre, l’administration exige que ces taxes soient égales, de telle sorte qu’il n’y a prétexte à aucune plainte. Pourquoi en effet le négociant de Nancy trouverait-il mauvais que le négociant de Strasbourg paie au même prix que lui le transport d’une tonne de marchandise à Paris? Pourquoi le prix total de transport ne serait-il pas le même entre Meaux et Nancy qu’entre Paris et Strasbourg?

On entrevoit maintenant en quoi consistent les tarifs différentiels. La partie non commerçante du public en usait depuis longtemps, mais comme M. Jourdain faisait de la prose, soit par l’emploi des billets d’aller et retour à prix réduit, soit, pour prendre un exemple ailleurs que sur les chemins de fer, dans ses relations avec l’administration des postes[8]. Quant à la partie commerçante, elle les connaissait pour les avoir vus toujours et partout appliqués par les entreprises de transport de toute nature; mais cet argument n’a que peu de valeur, eu égard à la situation spéciale faite par la législation à l’industrie des voies ferrées. Il importe donc de montrer que le régime des tarifs différentiels est légal, et rien n’est plus aisé. Dès 1834, M. Legrand, directeur-général des ponts et chaussées et des mines, disait à la chambre des députés, avec l’impartiale autorité que lui donnait sa haute position administrative : « Les prix différentiels sont la base de toutes les opérations de transport ; les interdire, c’est paralyser l’industrie, et, je le déclare, sans eux vous ne trouverez pas de compagnie qui se charge d’exploiter vos chemins de fer. » Cette catégorie de tarifs n’a cependant paru pour la première fois qu’en 1843, dans le cahier des charges de la ligne d’Avignon à Marseille, par l’insertion, toujours maintenue depuis, du membre de phrase que je rappelais tout à l’heure. Enfin cette nouvelle disposition, qui a immédiatement trouvé des partisans et des détracteurs, a été remise sur le tapis en 1857 au corps législatif. M. Le conseiller d’état Vuillefroy, commissaire du gouvernement, a fait la déclaration suivante : «En ce qui concerne les tarifs différentiels, personne n’en conteste l’utilité; il aurait été trop tard du reste pour la contester, le principe en est écrit dans tous les cahiers des charges, et il eût été impossible d’obtenir le retrait d’un avantage aussi considérable. » Il convient d’ajouter que quelques cahiers des charges ont imprimé le caractère différentiel au maximum légal du tarif pour le transport des voyageurs ou des marchandises, et que la très grande majorité des tarifs généraux est également différentielle.

Voyons maintenant quels avantages retire le public des tarifs spéciaux différentiels, quels inconvéniens il peut redouter de l’application de ces tarifs. Le but légitime des concessionnaires est, comme pour les tarifs d’abonnement et par les mêmes motifs rationnels, de se procurer la plus grande masse possible de transports en abaissant les prix à l’égard de certaines marchandises, qui sans cela ne se déplaceraient point. Quoi de plus conforme à l’intérêt du public? L’agriculture peut-elle se plaindre de voir, grâce aux combinaisons différentielles, le lait, le bétail, les fruits et autres denrées qui ne peuvent supporter un temps trop long dans le trajet entre les centres de production et de consommation, le plâtre, la chaux, la marne et les engrais, franchir des distances énormes pour un prix très modique? Le producteur trouvera, il est vrai, un concurrent sur lequel il ne comptait pas; mais le consommateur y gagnera le bon marché. — Il est même à propos de remarquer que, durant la disette de 1857, la plupart des compagnies de chemins de fer, contre lesquelles le groupe des anciennes compagnies de transport s’élève avec tant d’acharnement, avaient consenti au gouvernement un tarif différentiel descendant jusqu’à 0 fr. 05 c. En pareille occurrence, ainsi que cela eut lieu en 1846 et 1847, la batellerie du Rhône, industrie libre et appelée bientôt à crier au monopole, élevait ses prix dans la proportion de 30 fr. à 140 fr.[9] pour un trajet que la compagnie de chemin de fer rivale a fait franchir moyennant la somme minime de 17 fr. 50 c! De quel côté est donc le patriotisme, si l’on veut absolument lui faire jouer un rôle dans une question commerciale? — Ce que je dis là des productions du sol s’applique tout aussi bien aux produits industriels, dont l’échange se fait maintenant entre des régions très éloignées. C’est précisément cette sorte de renversement des conditions géographiques qui constitue la grande objection soulevée par les tarifs différentiels, après avoir été considérée comme un précieux moyen d’action. On conçoit que le pouvoir politique se préoccupe particulièrement de ces questions de situation géographique; mais il est évident que, pour l’économiste, l’assemblage de ces deux mots n’est que l’expression d’un fait éminemment variable, qui dépend d’une multitude de conditions complexes, au premier rang desquelles doit se placer l’élément des transports, complètement transformé aujourd’hui.

Si l’on tient compte des circonstances multiples qui les font surgir, le nombre des espèces de tarifs différentiels peut être en quelque sorte illimité. Sans prétendre en donner une idée complète, il suffit de faire observer qu’ils ne sont pas, à l’égard des canaux, une machine de guerre moins dangereuse que les tarifs d’abonnement. On peut néanmoins ramener ces circonstances à quelques causes principales. Ainsi les compagnies de chemins de fer essaient d’appeler sur leur réseau les marchandises dont l’expédition, sous le régime d’un tarif proportionnel, trouverait dans la distance à parcourir un obstacle insurmontable, puis les marchandises en provenance ou en destination d’une localité particulière, et celles qui circulent dans un sens déterminé. Cette dernière sorte de tarifs différentiels est précisément une combinaison usitée pour enlever le trafic naturel d’une voie d’eau ou de fer concurrente; elle peut être mise en jeu sur un seul réseau ou à la fois sur deux réseaux dont les compagnies concessionnaires se sont entendues après s’être assuré l’approbation administrative. Dans cette seconde hypothèse, le tarif commun (c’est le nom qu’il prend alors) sert, soit à établir une concurrence entre deux voies ferrées, soit à détourner, au détriment de l’étranger et sans qu’aucun intérêt régnicole soit froissé, le transit auquel la position géographique de la France la convie si visiblement. Si l’une des deux compagnies ayant un tarif commun est étrangère, le tarif devient international.


« La vérité n’est ni blanche ni noire, elle est grise; » si jamais ce mot si juste de l’illustre et regrettable historien anglais Macaulay a pu recevoir une application rationnelle, c’est à coup sûr en matière de chemins de fer, sous quelque face que soit considérée la question. Pour quiconque a une connaissance, même superficielle, des associations industrielles en général et des compagnies de chemins de fer en particulier, il n’est pas douteux qu’il n’y ait eu, dans les relations de celles-ci avec le public expéditeur, des abus commis et des tentatives d’abus faites. De leur aveu même, elles ont quelquefois mérité une partie des reproches qui leur ont été adressés. D’un autre côté, il ne faudrait pas conclure, du bruit exagéré qui s’est fait, que les compagnies ont toujours et partout eu tort : leurs adversaires très souvent ne sont pas de la plus entière bonne foi, et de plus ils commettent de graves erreurs d’appréciation. Il ne faudrait pas faire pâtir outre mesure les concessionnaires des voies ferrées du rôle qu’ils sont appelés fatalement à jouer. En mettant en relations plus directes le producteur et le consommateur, ils ont notamment amené la suppression d’intermédiaires qui ont pu avoir jadis quelque utilité, mais qui ne seraient plus aujourd’hui que des parasites improductifs. Partisans intéressés de l’ancien régime, ces intermédiaires ne se sont pas facilement résignés à le voir tomber, et ils ont essayé de le maintenir debout en exploitant les fautes des compagnies et les sentimens de défiance qu’elles ne se sont point suffisamment attachées à combattre. S’il doit en être ainsi des commissionnaires de roulage, la question n’est plus la même quand il s’agit de la navigation intérieure. Pour le moment, les bénéfices de la batellerie diminuent beaucoup plus que le trafic, et le public ne songe pas à s’en plaindre, estimant d’ailleurs que les deux modes de transport lui sont fort utiles, ne fût-ce qu’indirectement, en entretenant une concurrence salutaire à sa bourse. L’avenir au contraire est gros de menaces à l’égard d’une entreprise dont la ruine, si elle n’était pas produite par la force naturelle des choses, serait vraiment une calamité publique. Il est donc légitime que, de ce côté, ait surgi une agitation qui autrement ne serait qu’artificielle.

Si l’on réfléchit à l’influence qu’exercent les entrepreneurs de transports dans les chambres de commerce, où ils sont peut-être en majorité, on ne s’étonnera pas d’apprendre que, lorsque ces chambres ont été consultées par l’administration sur les questions de l’abonnement et de la perception différentielle des tarifs, elles ont presque à l’unanimité repoussé ces deux combinaisons. Les conseils-généraux, dont la composition et le caractère sont des garanties certaines d’impartialité, ont spontanément émis des vœux dans le même sens pour une quinzaine de départemens. Il est regrettable que la rédaction de quelques-uns de ces vœux ne dénote point toujours une entente parfaite des difficultés qu’ils ont en vue. Parmi ces nombreuses doléances, le dixième à peine a trait à l’élévation des tarifs. Je sais bien qu’on ne doit point attendre que la maison soit brûlée pour lui porter secours en cas d’incendie; mais si le feu a pris quelque part, les cris d’alarme qui ont été jetés ont dû suffisamment attirer l’attention publique.

Il y a longtemps qu’un philosophe écossais a dit qu’une question bien définie était à moitié résolue. C’est à bien définir le problème des tarifs de chemins de fer que je me suis attaché. Je n’ai point eu d’autre prétention. L’exposer avec impartialité, avec précision, telle est la seule tâche que puisse se proposer l’écrivain; le résoudre dans les limites du possible, quant à la conciliation délicate des intérêts mis en présence, cela n’appartient en France qu’au gouvernement. C’est à lui en effet que la loi a confié la lourde tâche de maintenir l’équilibre entre ces intérêts opposés, au moyen de l’homologation administrative des modifications de tarifs.

En résumé, il y a lutte entre des individualités parfaitement libres dans leurs allures et une compagnie gênée dans sa marche à raison même des privilèges que lui a conférés la concession. La réduction des tarifs est une condition vitale de l’industrie des chemins de fer, qui doit développer son trafic en attirant à elle celui de ses concurrens. Cette réduction ne jettera-t-elle aucune perturbation dans le système général des relations industrielles et commerciales? C’est peu probable. Anéantira-t-elle la navigation? Là est la question. Les tarifs d’abonnement et les tarifs différentiels sont parfaitement distincts; mais ils se combinent souvent, et partagent d’ailleurs le privilège d’être l’objet des plus vives attaques de la part des défenseurs de la navigation. — Quant à la condition de l’abonnement, elle était destinée à disparaître, sans préjudice pour les compagnies de chemins de fer. En effet, bien que la bonne foi soit l’âme du commerce, il est permis de supposer que les abonnés et les non abonnés s’entendaient pour se procurer mutuellement l’usage des voies ferrées ou des voies navigables, suivant les fluctuations des tarifs sur les unes ou les autres, et il était difficile, pour les compagnies de chemins de fer, de s’opposer efficacement à l’existence de cette fraude. L’administration y gagnera de ne plus même avoir l’apparence de protéger les chemins de fer au détriment de la navigation. — Restent les tarifs différentiels, qui doivent subsister et subsisteront toujours.

Tel est, esquissé à grands traits, l’état actuel de la question des tarifs de chemins de fer. On peut regretter que l’intérêt individuel se trouve sacrifié dans le développement laborieux de l’agent le plus énergique de la civilisation moderne; mais n’est-ce pas l’intérêt collectif qui doit prédominer? De tels froissemens sont inévitables, et notre temps surtout doit y être préparé. Il en est de tout progrès comme de certaines victoires, glorieuses, mais achetées au prix de pertes cruelles : l’industrie, elle aussi, est un combat.


E. LAME-FLEURY.

  1. M. Michel Chevalier; voyez la livraison du 1er mai 1859.
  2. Les Tarifs de chemins de fer et l’Intérêt public.
  3. D’un Nouveau Système d’exploitation des chemins de fer, par M. H. Peut.
  4. Les compagnies de chemins de fer pourraient facilement provoquer le public à un déplacement bien plus considérable que celui auquel nous assistons : c’est ce qu’on a déjà essayé de prouver dans la Revue en montrant aussi que le produit des marchandises devenait incessamment une fraction de plus en plus importante du produit total (Revue du 1er  octobre 1858, — les Voyageurs et les Chemins de fer en France). Le système de M. Peut, qui, selon l’inventeur, quadruplerait et peut-être même sextuplerait les revenus actuels des chemins de fer, est le suivant : correspondance des réseaux français entre eux à l’instar des lignes d’omnibus de Paris, — suppression des trains de petite vitesse, — institution de cartes d’abonnement délivrées par une compagnie quelconque et donnant le droit de circuler librement sur une section quelconque du réseau général, — fixation à 100 fr. de l’abonnement d’un mois, etc. M. Peut suppose qu’il ne serait pas délivré moins de 2 millions d’abonnemens mensuels, etc. : — revenu brut annuel de 1, 150 millions de francs, triple à lui seul de la recette totale actuelle ! — Avec ce système, dont les avantages seraient nombreux et divers, « le mouvement devient la loi générale et le repos l’exception ! » Il ne manquerait plus qu’un pareil régime à la furia francese.
  5. On lit, dans l’exposé des motifs du projet de loi qui a financièrement organisé notre réseau de voies ferrées, que les compagnies du Nord, de l’Est, de l’Ouest, du Midi, d’Orléans et de Lyon avaient, au 1er février 1859, 8,567 kilomètres exploités sur 8,701, — 7,551 kilomètres à construire sur 7,651, — finalement 16,118 kilomètres concédés sur 16,352, — Les petites compagnies de Bessèges à Alais, de Graissessac à Béziers, de Carmeaux à Albi, d’Anzin à Somain et de Bordeaux au Verdon, n’avaient donc ensemble que la concession de 234 kilomètres de chemins de fer, dont 134 seulement sont en exploitation. On passe sous silence d’autres lignes uniquement affectées au transport des marchandises, et d’ailleurs fort peu importantes.
  6. Dès 1850, l’enquête du conseil d’état révélait qu’en Angleterre des canaux avaient été comblés, puis remplacés par des voies ferrées!
  7. Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici que, par suite d’un droit que s’est réservé le gouvernement, pour chaque concession de chemin de fer, dans le cas où le prix de l’hectolitre de blé vient à atteindre 20 fr. sur le marché régulateur de la région où elle s’étend, le maximum légal ne peut s’élever qu’à fr. 07 c.
  8. On remarquera en effet, pour ne parler que d’une récente mesure de cette administration, la loi sur le transport par la poste des valeurs déclarées, que l’expéditeur, indépendamment d’un droit fixe et du port de la lettre, paie, par chaque centaine de francs, un droit qui ne varie pas, quelle que soit la distance. Ne pas tenir compte de cet élément et faire ainsi ressortir, suivant qu’il s’agit d’un point ou d’un autre, des prix kilométriques inégaux, c’est appliquer un tarif différentiel.
  9. De la Perception des Tarifs sur les chemins de fer, par M. Teisserenc.