La Puce de Mme Desroches/Catherine Desroches

La Puce de Mme Desroches
Texte établi par D. Jouaust,  (p. 9-13).

LA PUCE DE CATHERINE DES ROCHES


Petite Puce fretillarde,
Qui d’une bouchette mignarde
Sucçotes le sang incarnat
Qui colore un sein delicat,
Vous pourroit-on dire friande
Pour desirer telle viande ?
Vrayment nenni, car ce n’est poinct
La friandise qui vous poingt,
Et si n’allez à l’adventure
Pour chercher vostre nourriture,
Mais, pleine de discretion,
D’une plus sage affection,
Vous choisissez place honorable
Pour prendre un repas agreable :
Ce repas seulement est pris
Du sang le siege des espris.
Car, desirant estre subtile,

Vive, gaye, prompte et agile,
Vous prenez d’un seul aliment,
Nourriture et enseignement.
On le voit par vostre allegresse
Et vos petits tours de finesse,
Quand vous sautelez en un sein,
Fuyant la rigueur d’une main.

Quelquesfois vous faites la morte,
Puis, d’une ruse plus accorte,
Vous fraudez le doigt poursuivant,
Qui pour vous ne prent que du vent.
O mon Dieu ! de quelle manière
Vous fuiez cette main meurtrière
Et vous cachez aux cheveux longs
Comme Syringue entre les joncs !
Ah ! que je crain pour vous, mignonne,
Ceste main superbe et felonne !
Hé ! pourquoi ne veut-elle pas
Que vous preniez vostre repas ?
Vostre blesseure n’est cruelle,
Vostre pointure n’est mortelle,
Car, en blessant pour vous guerir,
Vous ne tuez pour vous nourrir.
Vous estes de petite vie,

Mais, aymant la Géométrie,
En ceux que vous avez espoint
Vous tracez seulement un point,
Où les lignes se viennent rendre.
Encor avez vous sceu apprendre
Comment en Sparte les plus fins
Ne se laissoient prendre aux larcins.
Vous ne voulez estre surprise :
Quand vous avez fait quelque prise,
Vous vous cachez subtilement
Aux replis de l’acoutrement.
Puce, si ma plume estoit digne,
Je descrirois vostre origine,
Et comment le plus grand des Dieux,
Pour la terre quittant les deux,
Vous fit naitre, comme il me semble,
Orion et vous tout ensemble.
Mais il faudra que tel escrit
Vienne d’un plus gentil esprit ;
De moy je veux seulement dire
Voz beautez et le grand martire
Que Pan souffrit en vous aymant,
Avant qu’on vit ce changement
Et que vostre face divine
Prit cette couleur ebenine.

Et que vos blancs pieds de Thetis
Fussent si gresles et petis.
Puce, quand vous estiez pucelle,
Gentille, sage, douce et belle,
Vous mouvant d’un pied si leger,
A sauter et à voltiger,
Que vous eussiez peu d’Atalante
Devancer la course trop lente,
Pan, voyant voz perfections,
Sentit un feu d’affections,
Desirant vostre mariage.
Mais quoy ? vostre vierge courage
Aima mieux vous faire changer
En Puce, afin de l’etranger,
Et que, perdant toute esperance,
Il rompit sa perseverance.
Diane sçeut vostre souhait ;
Vous le voulustes, il fut fait :
Elle voila vostre figure
Sous une noire couverture.
Depuis, fuyant tousjours ce Dieu,
Petite vous cherchez un lieu
Qui vous serve de sauvegarde,
Et craignez que Pan vous regarde.
Bien souvent la timidité

Fait voir vostre dexterité ;
Vous sautelez à l’impourveuë,
Quand vous soupçonnez d’estre veuë,
Et de vous ne reste, sinon
La crainte, l’adresse et le nom.