La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle/Conclusion

CONCLUSION


Il n’y a pas de traces dans le Roman russe d’un caractère discipliné et constant. — Par contre, les cas de pathologie de la volonté y abondent. — Causes. — Psychologie des classes. — Les dirigeants. — Le peuple. — Les libéraux. — Les partis avancés. — Enthousiasme et réaction. — Gaspillage d’intelligences et de volontés. — L’absence du rire dans le Roman russe. — Le rire, la liberté et la critique sociale. — Souffle nouveau. — Besoin universel de lumière, de liberté, de justice. — Nécessité d’une union de toutes les forces vives de la Russie. — Devoir de l’Europe.


Tout en constatant l’immense effort individuel des romanciers russes du xixe siècle, on est presque étonné, au premier abord, de ne pas trouver chez eux cette faculté maîtresse qui anime l’œuvre d’un Balzac et d’un Zola : la volonté. Il n’y a pas de traces, dans le Roman russe, d’un caractère discipliné et constant, ardent à la réalisation d’un dessein sagement conçu, d’une volonté ferme, luttant contre les manifestations extérieures du mal, les défiant avec sang-froid, les subjuguant résolument. L’idéal même des Roudine, des Bazarov, des Oblomov, des Lévine, des Bezoukhov, des Nekhloudov, des Raskolnikov, des Gromov, des Konovalov est obscur, nébuleux. Rien de précis dans leurs aspirations. — vagues, incertaines. Tout, dans leur existence, trahit les lacunes de leur jugement ; leur vie manque de direction, de prévoyance, de but.

Aucune littérature n’offre autant de cas de pathologie de la volonté que la littérature russe. La volition des personnages, dans le Roman russe, est toujours paralysée, elle ne se transforme jamais en actes. Ces hommes savent souvent vouloir intérieurement, mais ils ne savent pas tra- duire leur désir par une action. A force de ne pas agir, ce désir même s’affaiblit chez eux et disparaît. Ceci s’explique par les particularités de la vie sociale en un pays qui, pendant une période de cent ans, n’a presque pas éprouvé, comme les autres pays, le changement qui accompagne toute vitalité. Les mœurs décrites dans Guerre et Paix, qui se rapportent au commencement du xix e siècle, sont très peu distantes de celles de Résurrection, c’est-à- dire delà fin du même siècle. Le mouvement social est nul. La volonté individuelle n’a pas de champ pour son déve- loppement, pour son activité. iNotre volonté ne se dépense pas seulement dans le détail de nos actes personnels, elle règle notre vie entière, lui donne son allure propre, elle domine la chaîne de toutes les manifestations individuelles et sociales. Notre volonté n’est que le résultat d’une lente succession d’acquisitions associées, synthétisées par un travail continu. Elle est faite d’une sorte de stratification de toutes les impressions per- çues au cours de notre existence, elle s’accroît lentement de toute notre expérience. Elle est d’autant plus riche qu’elle contient davantage de souvenirs, d’exemples. Plus elle est en contact avec l’extérieur, plus elle se réveille promptement. Son rôle sera d’autant plus fréquent et d’au- tant plus accentué que le champ de son activité sera plus riche. La volonté doit rester ouverte à toutes les sollicita- tions, elle ne peut s’isoler, se soustraire aux exigences de la vie et de l’action, sous peine de s’atrophier. L’absence des manifestations de notre volonté amène la réduction progressive de nos tendances, de nos désirs, de nos actes ; elle engendre des phénomènes morbides, qui abondent dans le Roman russe. L’inertie dans laquelle il est obligé de vivre nous explique parfaitement l’absence chez le Russe de résolution, de volonté, d’énergie. Toute lutte est accomPage:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/447 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/448 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/449 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/450 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/451 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/452 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/453 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/454 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/455 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/456 Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/457

L’Europe qui a donné à l’humanité l’affranchissement relatif de l’homme et la science moderne, l’Europe tout entière doit considérer comme son devoir moral de venir en aide à ces forces civilisatrices.