La Prise de Jéricho

Œuvres complètes de Madame Cottin
tome douzième — Élisabeth
12
Ménard et Desène fils.

LA PRISE
DE JÉRICHO,
ou
LA PÉCHERESSE CONVERTIE.


LIVRE PREMIER.


Béni soit le Dieu d’Israël ! si sa colère est terrible au méchant endurci sa miséricorde est infinie pour le pécheur repentant. Humilions nos fronts devant lui, et il tournera son visage vers nous ; pleurons sur nos péchés, et il nous en lavera ; demandons grâce, et nous l’obtiendrons : pour tous les bienfaits qu’il nous prodigue, il ne demande que notre amour ; et n’est-ce pas un bienfait de plus ? Oh ! louons le saint nom de l’Éternel ! que la création entière s’émeuve à sa parole, s’émerveille de sa puissance, adore sa bonté, s’élève vers lui, le bénisse et s’écrie : C’est par lui que je suis. Mais du sein de ce concert universel de louanges, que l’homme, ce triste enfant du péché, élève surtout la voix pour glorifier la clémence adorable qui ne demande qu’un repentir sincère pour effacer des années d’erreurs. Ah ! que le plus criminel des enfans de Bélial crie vers le Seigneur, avec un cœur contrit, en disant : J’ai péché ; aussitôt ses crimes lui seront remis, et l’Éternel lui ouvrant les bras, lui dira : « Tu m’appelles, me voici ; mon fils, mon fils, pourquoi m’avais-tu abandonné ?

Ô murs de Jéricho ! vous, témoins, dans ces temps reculés qui touchent presqu’à la naissance du monde, des merveilles inouïes dont le souvenir se prolongera jusque dans les années éternelles, dites comment, à la vue de Josué conduisant la sainte arche, vos orgueilleux et formidables remparts s’ébranlant tout à coup, croulèrent avec fracas, et par leur terrible chute portèrent l’effroi dans l’âme des pervers, en leur annonçant qu’un même sort les attendait comment, du sein de cette désolation générale, le Tout Puissant, miséricordieux jusque dans ses justes vengeances fit briller la lumière de vérité en éclairant la jeune Rahab aux yeux des fils de Canaan comment ceux-ci, au lieu d’être touchés de son exemple, voulurent la mettre à mort, et par leur endurcissement appelèrent enfin sur leurs têtes l’effrayant anathème dont l’Éternel ne frappa jamais ses enfans qu’à regret.

Israël en deuil, campé dans les plaines de Moab, pleurait depuis trente jours son chef et son législateur Moïse n’était plus, Josué l’avait remplacé Josué, moins éloquent, moins sublime peut-être, mais aussi soumis à son Dieu et plus intrépide guerrier c’était lui que l’Éternel avait choisi pour conduire les Hébreux dans la terre de Canaan. Un jour qu’il priait sur les hauts lieux Dieu se communiqua à lui, et lui révéla sa volonté en ces termes à J’ai juré à Abraham à Isaac et à Jacob, de donner à leurs descendans le riche pays qu’occupent encore les fils de Canaan il est temps de remplir ma promesse ; marche contre les infidèles a la tête de tout Israël, traverse le Jourdain et toute la terre où tu imprimeras tes pieds je te la donne depuis le désert au midi, jusqu’au Liban au septentrion, et depuis l’Euphrate à l’orient, jusqu’à la grande mer à l’occident. Cette vaste étendue de pays sera soumise à la domination des Hébreux tant qu’ils observeront strictement mes lois. Toi, Josué, mon serviteur, que j’ai élu chef de ce peuple immense, fais-lui méditer jour et nuit mes commandemens qu’il soit soumis et fidele, et j’attacherai la victoire à ses pas. »

Dieu dit et Josué la face prosternée contre terre, s’écria « Que ta volonté soit faite ô Éternel et que ton serviteur s soit écrasé sous tes pieds comme un vermisseau, s’il n’exécute pas ponctuellement tes saintes lois. » À ces mots une lumière resplendissante sortit de la nue, entoura et éblouit Josué, et l’effroi s’empara de son cœur ; il craignit de voir la face du Dieu vivant, que nul mortel ne peut envisager sans mourir[1]. Mais Dieu le rassura, disant : « Ne tremble pas, car tu es mon serviteur bien-aimé ; va, assemble ton peuple, et fais-lui part de mes volontés. » Alors la nuée se dissipa, et Josué, en se relevant de son humble posture, n’aperçut autour de lui qu’un cercle de terre consumé par le feu, et il délia ses souliers pour y marcher, car il connut que ce lieu était saint.

Alors il descendit de la montagne, et quand il fut assis dans sa tente, il fit sonner la trompette sacrée, pour que toutes les tribus se rassemblassent autour de lui. À cet appel, qui annonçait que le ciel avait parlé, tout le peuple entier fut en mouvement, et parut dans ces vastes déserts comme les vagues d’une mer agitée ; chacun accourait avec empressement, interrogeait avec curiosité, impatient de connaître la révélation divine d’où dépendait le sort général. Cependant chaque tribu s’avance vers la tente de Josué. À leur tête parut Juda, superbe et nombreuse, et qui est en possession du premier rang depuis que le sceptre et la gloire de donner un Sauveur au monde lui ont été promis par Jacob. L’orgueilleuse Ephraïm la suit de près, fière de descendre de Joseph, de former une tige patriarcale, et surtout de voir dans le vénérable chef d’Israël un membre pris dans son sein. Lévi paraît à son tour ; quoique exclue du partage des terres, elle pense que le droit réservé à elle seule de donner des prêtres au Seigneur, peut compenser tout autre avantage. Tu parais après, malheureuse Benjamin, toi qui te glorifiais d’être issue du favori de Jacob ; tu ne prévoyais pas alors qu’il naîtrait de telles abominations de ton sein ; que tes frères même irrités contre toi, s’uniraient pour te détruire. Enfin chaque tribu se place en son rang ; celle de Dan vient la dernière, quoique son droit d’aînesse lui assigne la primauté sur celle de Nephthali mais sans doute que destinée à donner aux autres l’exemple de l’idolâtrie, Dieu voulut la punir d’avance de ce qu’elle serait la première à abandonner son culte.

Josué étendit ses regards paternels sur ces nombreux descendans de Jacob, qui tous, les yeux fixés sur lui et le corps à demi-courbé, attendaient avec soumission qu’on leur révélât la volonté du Seigneur. Il les bénit avec ferveur ; et, après s’être recueilli quelques instans, élevant la voix au milieu du silence que la multitude des auditeurs rendait si imposant, il dit : « Enfans d’Israël, le Dieu des armées m’a parlé ; il nous commande d’aller conquérir l’héritage que depuis long-temps il destine à la postérité d’Abraham ; il nous promet la victoire, si notre foi est sincère et notre obéissance aveugle. Vous allez voir renouveler tous les miracles dont nos pères furent témoins dans le désert. L’Éternel lui-même marchera au-devant de son peuple ; à sa voix, les montagnes qui ont été de tout temps tomberont, les rochers des siècles se briseront, et les fleuves lui ouvriront un passage ; car l’Éternel est grand, il commande aux élémens, et les chemins du monde sont à lui. Alors il foulera les infidèles sous ses pieds avec indignation, et le tremblement les saisira, et ils invoqueront le néant ; mais ils ne l’auront pas, et nous les verrons fuir devant nous comme la feuille desséchée que l’ouragan balaie. Ainsi, ce que Dieu commande, ne tardons pas à l’exécuter ; obéissons aveuglément, et il nous soutiendra dans notre sainte entreprise. Mais avant de quitter les plaines de Moab pour nous rendre au bord du Jourdain, tandis que nous offrirons des sacrifices au Seigneur, et que tout Israël, soumis à un jeûne austère, s’abstiendra pendant trois jours des embrassemens de ses compagnes, je vais envoyer deux vaillans hommes à Jéricho, pour nous rendre compte des forces de la ville et de la disposition des habitans. »

Josué se tut, et tout le peuple, applaudissant avec acclamation aux paroles de son chef, brûle d’aller vaincre sous lui, et témoigne sa gratitude au Seigneur par des holocaustes sans nombre. Cependant tous les premiers de chaque tribu s’assemblent en tumulte pour savoir sur qui tombera le choix du général ; les faibles fuient, effrayés de la périlleuse entreprise ; les forts s’approchent, empressés de l’obtenir. Josué nomme Horam et Issachar, et s’applaudit d’un choix qu’il doit moins à sa sagesse qu’à une inspiration divine : Horam, d’un âge mûr, est né dans la tribu d’Ephraïm ; ainsi que Josué, il fut jadis compté parmi les amis de Moïse, et était digne de l’être ; Issachar, à l’aurore de la vie, voit remonter ses aïeux jusqu’à Juda ; ses traits sont majestueux, sa noire chevelure flotte sur ses épaules en boucles nombreuses, semblables aux bouquets de la jacinthe. Instruit des honneurs promis à sa postérité, il espère s’en rendre plus digne aux yeux du Seigneur, en se dévouant pour le bien de ses frères. Déjà dans les combats il s’est acquis une haute réputation de vaillance, et plus d’une fois sa beauté a fait soupirer les jeunes vierges d’Israël ; mais indifférent à leurs charmes, il n’a point vu encore celle qu’il desire nommer son épouse, et il s’en étonne ; car Moïse lui a prédit qu’avant l’année révolue il engagerait sa foi. Cependant il part, sa tendre mère désespérée le presse dans ses bras, et ne peut se résoudre à quitter ce premier fruit de ses amours ; tandis que son père dont l’âge a blanchi les cheveux, se rappelle la résignation d’Abraham, et soumis, ainsi que le saint patriarche, à la volonté du Très-Haut, se prosterne la tête couverte de cendres, et suit de l’œil son fils bien-aimé, sans que la douleur puisse lui arracher une seule larme.

FIN DU PREMIER LIVRE.
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et les harpes divines, retentissent dans la vallée d’Harcor, et sont répétés par les échos du mont Ephrem. Ils se prolongent jusqu’au soir ; mais quand la nuit vint jeter son manteau d’ébène sur toute la création, Israël rentra dans le silence ; les vierges se retirèrent sous la tente de leurs mères, le sommeil s’approcha de la couche des fils de Jacob pour les délasser de leurs rudes travaux ; et Rahab, sur un lit de mousse, de violette et de muguet, n’ayant pour ornement que sa beauté, pour voile que sa pudeur, et pour pavillon que le ciel, apprit dans les bras d’Issachar que les seuls plaisirs vrais sont ceux qu’embellit l’innocence, que permet le devoir, et que consacre à jamais des sermens prononcés au pied des autels du Seigneur.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME ET DU DOUZIÈME VOLUME.
  1. Et quand Gédéon eut connu qu’il avait vu l’Éternel face à face, il se crut mort ; mais Dieu lui dit : « Il va bien pour toi ; ne crains rien, tu ne mourras pas. » {{droite|(Juges, ch, 7, v. 22 et 23.)