La Population française

La population française
Alfred de Foville

Revue des Deux Mondes tome 114, 1892


LA
POPULATION FRANCAISE

E. Levasseur. — La population française, Histoire de la population avant 1789 et démographie de la France comparée à celle des autres nations au XIXe siècle ; précédée d’une introduction sur la statistique, 3 vol. in-8o ; Arthur Rousseau. 1889, 1891 et 1892.

Quel est le père de famille qui, riche ou pauvre, illettré ou philosophe, ne s’est pas quelquefois oublié dans la muette contemplation des postérités successives que le sort peut lui réserver ? Après ses fils et ses filles viendront ses petits-fils et ses petites-filles, puis ses arrière-petits-fils et ses arrière-petites-filles, légion déjà nombreuse ; puis d’autres descendances encore qui iront pullulant, sans que notre langue ait pris la peine de leur attribuer des noms distincts et sans que l’imagination même les puisse voir autrement qu’en raccourci, vaguement échelonnées qu’elles sont dans la fuyante perspective des siècles futurs.

Et si, après avoir ainsi sondé les profondeurs de l’avenir, nous nous retournons vers le passé, voici venir une autre vision qui ressemble à la première. Chacun de nous a eu un père et une mère qui, l’un et l’autre, avaient eu un père et une mère aussi, soit quatre aïeuls, précédés par huit bisaïeuls ; et ainsi de suite, en remontant le cours des âges ; de sorte que là encore le cortège s’élargit progressivement, à mesure que la distance augmente.

L’homme se trouve ainsi relié par d’innombrables parentés à toutes les générations qui ont précédé ou qui suivront la sienne ; et ce double rayonnement, dont il est le centre commun, semble mêler sa vie à celle de l’humanité entière.

Toutes ces filiations individuelles composent, d’ailleurs, en s’entrelaçant, la trame dont les nations sont faites. L’homme naît et meurt : la famille reste ; la race se perpétue. Nous ne sommes que les feuilles éphémères des arbres qui forment la forêt humaine, et nos intérêts personnels sont peu de chose à côté des intérêts collectifs que la mort n’atteint pas. Plus le monde se peuple, plus ceux qui conduisent le monde devraient tenir à se rendre exactement compte des conditions générales ou particulières dans lesquelles s’effectuent, sur les différens points du globe, la propagation, l’entretien et la distribution de l’espèce privilégiée à qui la terre appartient.

La science qui a pour mission de répondre à ces questions délicates s’appelle la démographie ; et, tout en rendant un hommage mérité aux remarquables travaux qu’elle a inspirés en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Italie et ailleurs, on peut dire que la démographie est aussi une science bien française. On se sent doublement autorisé à le dire après avoir lu et médité l’œuvre magistrale que M. Émile Levasseur vient d’extraire de plus de vingt années d’étude et d’enseignement. Les trois volumes dont il a, cet été, achevé la publication n’annoncent, par leur titre principal, que l’histoire de la population française ; mais l’auteur est de ceux qui tiennent volontiers plus qu’ils n’ont promis, et les étrangers ne trouveront guère moins de profit que nous-mêmes à feuilleter un ouvrage où les comparaisons internationales tiennent une grande place et dont les conclusions sont, en partie, applicables à tous les pays. M. Levasseur était peut-être le seul homme capable de pousser à fond une si vaste et si laborieuse entreprise. Pour ne rien laisser d’incomplet ou d’obscur dans une pareille enquête, il fallait être tout à la fois géographe, historien, statisticien, économiste, moraliste aussi. L’auteur est tout cela et n’est pas seulement cela. Don bien rare que celui de pouvoir ainsi se multiplier, ou plutôt se diviser, sans perdre en profondeur ce qu’on gagne en surface ! Il faut, pour y réussir, une extrême facilité d’assimilation, une sûreté de jugement peu commune, une haute probité scientifique. M. Levasseur, qui professe tant de choses, ne parle de rien légèrement. Tel chapitre de la Population française n’est que l’incarnation définitive d’une leçon qu’ont applaudie tour à tour, sous des formes diverses, l’auditoire à demi populaire du Conservatoire des Arts et Métiers, la clientèle moins mêlée du Collège de France, la jeunesse d’élite qui se dispute les bancs de l’École libre des sciences politiques et les groupes de spécialistes qui constituent nos grandes sociétés savantes. Pour qui ne croit pas que le mieux soit l’ennemi du bien, c’est un exercice infiniment profitable que cet enseignement varié et gradué : la pensée de l’homme est comme le cristal qu’il faut avoir trotté successivement sur trois ou quatre matières différentes pour lui voir acquérir son maximum de solidité et d’éclat.

La question de la population avait déjà, depuis cent cinquante ans, donné lieu à bien des recherches et à bien des dissertations. Sans parler des vivans, il faut au moins citer, parmi les fondateurs de la démographie française, Deparcieux, Expilly, Messance, Moheau, au XVIIIe siècle, et, au XIXe siècle, Dufau, Ach. Guillard, Ad. Bertillon, et les chefs de la statistique générale de France. Mais personne jusqu’ici, ni chez nous, ni ailleurs, n’avait embrassé le sujet dans son intégralité et exposé méthodiquement la suite des destinées d’une race depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’époque actuelle, en analysant à tous les points de vue le jeu des évolutions qui viennent sans cesse en modifier l’économie intérieure. L’œuvre de M. Levasseur est, par l’ampleur de son p.an comme par la solidité de ses matériaux et la puissance de son architecture, un véritable monument.


I

La démographie est avant tout une science d’observation, et l’observation, en cette matière, ne peut devenir féconde que si le champ dont elle dispose présente une étendue suffisante. L’extrême variété des vicissitudes humaines n’empêche pas la vie et la mort d’obéir à un certain nombre de lois générales ; mais elle oblige celui qui les veut dégager de l’apparent désordre des phénomènes ambians à faire parler les foules et non les individus. Pour cela, il lui faut nécessairement la coopération des administrations publiques, seules capables d’interroger tout un peuple à la fois. Nous avons aujourd’hui, pour nous instruire des mouvemens de la population, l’état civil et les dénombremens. Mais on sait que la pratique régulière de ces deux institutions s’est fait longtemps attendre et les aspirons démographes du bon vieux temps étaient à peu près réduits à deviner ou à inventer ce qu’ils voulaient enseigner aux autres.

Parmi les quelques recensemens dont l’antiquité nous a transmis le souvenir, plusieurs avaient été improvisés et les meilleurs ne semblent mériter qu’une confiance très relative. Dans celui des premiers-nés d’Israël par Moïse[1], l’addition laisse à désirer. Le roi David, à son tour, voulut se rendre compte numériquement de sa puissance militaire[2]. Il dit à son ministre de la guerre : — « Parcours toutes les tribus, de Dan jusqu’à Berchaba, et compte mon peuple pour que j’en sache le nombre. » — Joab aurait bien voulu se faire dispenser de cette corvée, mais le roi tenait à son idée : il fallut s’exécuter. L’opération dura dix mois ; puis le prince des armées fit son rapport : il prétendait avoir trouvé 1,300,000 hommes en état de porter les armes. M. Levasseur dénonce l’exagération probable de ce chiffre. On sait, au surplus, que l’affaire finit mal. David dut s’accuser d’orgueil et de folie, et Dieu lui ayant donné le choix entre trois châtimens, la famine pendant sept ans, l’invasion pendant trois mois ou la peste pendant trois jours, le roi choisit la peste, ce qui semblait assez sage, et perdit du coup 70,000 hommes.

Cette expérience malencontreuse a dû contribuer à dégoûter les Orientaux de la statistique. Ils la méprisent et s’en défient. Joab avait dit à David : — « Que le Dieu tout-puissant multiplie votre peuple ; mais pourquoi vouloir le compter ? » — En plein XIXe siècle, le cadi de Mossoul répondait de même à sir Henry Layard, qui lui avait demandé des renseignemens précis sur la population de la ville, sur son commerce, sur sa richesse : — « O mon illustre ami ! ô joie des vivans ! ce que tu me demandes est à la fois inutile et nuisible. Bien que tous mes jours se soient écoulés dans ce pays, je n’ai jamais songé à en compter les maisons, ni à m’informer du nombre de leurs habitans. Ce que celui-ci met de marchandises sur ses mulets, celui-là au fond de sa barque, c’est une chose qui ne me regarde nullement. O mon ami, ô ma brebis, ne cherche pas à connaître ce qui ne te concerne pas[3]… »

Les Romains, esprits plus pratiques, dédaignaient moins la statistique et organisaient mieux la comptabilité humaine. Les questionnaires de leurs censores formaient la base d’un état civil très complet. Le citoyen n’avait pas seulement à décliner ses noms, prénoms et surnoms, mais aussi à faire connaître ses parens, ses patrons, sa tribu, enfin son âge et sa fortune. L’interrogatoire comportait une mise en scène presque théâtrale. Le grand bas-relief du Louvre où le censeur romain est représenté dans l’exercice de ses fonctions montre bien quels en étaient l’importance et le prestige. Ce beau marbre aurait pu fournir au tome Ier de M. Levasseur un frontispice approprié si, partisan convaincu des méthodes graphiques, l’auteur n’avait préféré à tout autre genre d’illustration les courbes sinueuses et les cartes teintées dont l’usage se répand chaque jour davantage et qui facilitent tant au lecteur, novice ou non, l’intelligence des textes et l’interprétation des chiffres.

Limitée d’abord aux citoyens romains proprement dits, l’institution du cens finit par s’étendre aux provinces, et les dénombremens d’Auguste ou de Claude eurent certainement des bases plus solides que ceux de Moïse et de David. Mais, pas plus que les chevaux ou les bœufs, les esclaves n’y étaient compris, et l’hypothèse entre encore pour une bonne part dans les évaluations qu’ont tirées de ces sources incomplètes les Dureau de La Malle, les Gibbon et les Champagny. Il semble bien cependant que la population totale de l’empire romain dépassa 100 millions d’âmes, sans atteindre 150 millions.

Nos anciens rois n’ont pas eu les mêmes curiosités que les Césars, ou plutôt ils n’ont pas su les satisfaire. Les quelques documens datant du moyen âge sur lesquels s’exerce l’érudition des démographes avaient une destination fiscale et n’allaient pas, comme unité contributive, au-delà du « feu. » C’est le cas de ce fameux État des paroisses et feux des bailliages et sénéchaussées de France en 1328, où Voltaire est un des premiers à avoir cherché une indication du nombre des habitans du royaume au XIVe siècle, et qui a, depuis lors, servi de pièce justificative à des conclusions si divergentes. Ce qui est hors de doute, c’est que la guerre de cent ans a cruellement dépeuplé l’ancienne France. M. Levasseur le démontre de dix façons différentes. On peut en dire autant, toutes proportions gardées, des guerres de religion. Un contemporain d’Henri III, Froumenteau, s’est proposé de calculer les pertes occasionnées par ces luttes fratricides. Bien qu’il se prétende sûr de tout ce qu’il avance, la fantaisie entre évidemment pour beaucoup dans la précision qu’il affecte, et l’on peut espérer que, dans son livre, le compte des meurtres et des viols n’est pas moins amplifié que celui des lieux habités. Nous avons aujourd’hui 36,140 communes : Froumenteau, en 1581, attribuait à un territoire bien moindre 132,000 clochers ou paroisses ! C’était se montrer généreux. Et pourtant il y a encore loin de là aux 1,700,000 villes et villages dont l’imagination populaire avait longtemps doté les États du roi de France[4].

En passant au crible d’une critique minutieuse tous les témoignages disponibles, quelle qu’en soit la qualité, depuis les Commentaires de César jusqu’au Polyptyque de l’abbé Irminon, et depuis l’Etat des paroisses de 1328 jusqu’au Secret des finances, de Froumenteau, M. Levasseur s’est trouvé amené à admettre que notre territoire actuel de 53 millions d’hectares pouvait porter 6,700,000 habitans quand les légions romaines en firent la conquête, 8 millions 1/2 sous les Antonins, de 6 à 8 millions au temps de Charlemagne, de 20 à 21 millions dans la première moitié du XIVe siècle et environ 20 millions vers la fin du XVIe. Voilà, dira-t-on, une marche bien irrégulière. Ce qui doit étonner, ce n’est pas que la population de la France féodale ait pu tripler en cinq cents ans ; c’est qu’une progression si lente ne se soit même pas continuée. Mais depuis que l’histoire s’est mise, un peu tardivement, à retracer la vie des peuples en même temps que celle des rois, on ne sait que trop à quel degré de misère et de découragement l’invasion anglaise d’abord et ensuite la guerre civile avaient réduit nos campagnes.

Au surplus, il n’est pas besoin de remonter si haut dans le passé pour voir des causes semblables produire des effets analogues. La guerre de trente ans n’a-t-elle pas fait le vide dans nos provinces de l’Est ? Et la haine du huguenot n’a-t-elle pas, il y a deux cents ans, retiré à Louis XIV trois cent mille de ses sujets, perte d’autant plus funeste que les fugitifs, emportant avec eux la prospérité d’une foule de localités, allaient enrichir de leur labeur et de leur industrie la Suisse, l’Allemagne, la Hollande, l’Angleterre ? La fin du grand règne a été plus ruineuse encore, et rien ne le prouve mieux que la simple comparaison de ces deux chiffres, applicables l’un et l’autre au territoire actuel de la France : 21,136,000 habitans en 1700 et, tout au plus, 18 millions vers 1715 ! L’accusation qui se dégage de ce rapprochement est d’autant plus grave que ce ne sont pas là, comme tout à l’heure, des supputations conjecturales. L’enquête la plus attentive dont la population du royaume ait été l’objet sous l’ancien régime a précisément coïncidé avec la fin du XVIIe siècle. C’était pour l’instruction du duc de Bourgogne que M. de Beauvillier, gouverneur du jeune prince, en avait conçu l’idée. Mais Vauban et Fénelon collaborèrent à la rédaction du questionnaire, et le roi intervint en personne, a voulant, disait-il, être pleinement informé de l’état des provinces du dedans de son royaume. » Tout n’est pas d’égale valeur dans les « mémoires des intendans, » et ces hauts fonctionnaires n’ont pas tous répondu avec la même netteté aux questions très nettes qui leur étaient posées, notamment au point de vue démographique : « nombre des villes ; nombre des hommes en chacune ; nombre des villages et des hameaux ; total des paroisses et des âmes de chacune ; consulter les anciens registres pour voir si le peuple a été autrefois plus nombreux qu’aujourd’hui ; causes de sa diminution, etc. » Quoi qu’il en soit, les calculs des administrateurs de l’époque, coordonnés et révisés dès le début par Boulainvilliers et Vauban, repris en sous-œuvre de nos jours par M. des Cilleuls, jettent beaucoup de lumière sur un problème qui, même après Colbert, était resté bien obscur, puisqu’un Vossius, en 1685, a pu écrire, sans compromettre sa réputation de savant, que la France contenait « cinq millions d’âmes. »

Sous Louis XV et sous Louis XVI, les Français, malgré bien des épreuves encore, ont recommencé à croître et à multiplier. M. Levasseur, qui réduit à 18 millions la population que nourrissait en 1715 le territoire actuel de la France, la porte à 24 millions 1/2 vers 1770 et à 26 millions en 1789. Ici ce n’est plus la pénurie, mais bien la surabondance des documens à utiliser qui rend l’hésitation possible. La question de la population a perpétuellement été à l’ordre du jour pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et les évaluations s’offrent de tous côtés, appuyées le plus souvent sur le mouvement des naissances, mariages et décès, que l’on commençait à enregistrer avec soin et dont l’abbé Terray, en 1772, a contribué à assurer le dépouillement méthodique. Rappelons, sans nous y arrêter, les recherches du marquis de Mirabeau, de Montesquieu, de Voltaire ; puis celles de Messance, d’Expilly, de Buffon, de Moheau, de Necker, de Condorcet et Laplace, de Dupont de Nemours, de Calonne, du chevalier des Pommelles, de Bonvallet des Brosses, de Lavoisier, de Montesquiou, etc. Pour 1789, les indications varient de 23 à 29 millions. Le chiffre intermédiaire auquel s’est arrêté M. Levasseur (26 millions) paraît fortement motivé. Constatons cependant qu’il a rencontré, parmi les apologistes de l’ancien régime, d’assez ardens contradicteurs[5].


II

C’est en 1801 que la France, pour la première fois, s’est mise à compter ses enfans, un à un. Les dénombremens qu’avaient prescrits, à diverses reprises, la Constituante, la Convention, le Directoire, étaient tous restés en chemin. Les 98 départemens de 1801 donnèrent un peu plus de 33 millions d’âmes (33,112,000), dont 27,350,000 pour le territoire que nous ont laissé les traités de 1815. Un second recensement, fait en 1806, aboutit pour ce même périmètre à un total très supérieur : 29,107,000. Est-ce à dire qu’il ait été gagné près de 2 millions d’âmes en cinq années ? Assurément non ; et cet écart excessif convainc d’erreur, à lui seul, soit le chiffre de 1801 qui serait trop faible, soit le chiffre de 1806 qui serait trop fort. En 1811, on se borna à établir le nombre probable des habitans, en ajoutant les naissances et en retranchant les décès constatés. Mais c’était surtout hors frontières que, sous l’empire comme sous la révolution, nos soldats allaient mourir ; et quelles hécatombes, même quand on était vainqueur sur toute la ligne[6] ! Les chiffres de 1816 et de 1826 furent obtenus comme celui de 1811, et il n’y a eu de véritable recensement, entre Napoléon et Louis-Philippe, que celui de 1821 (30,461,900 âmes). À partir de 1831, les dénombremens effectifs sont devenus quinquennaux, et l’on s’est appliqué à en perfectionner le mécanisme, tout en en élargissant le cadre. On ne se borne plus à compter les individus ; on les interroge, par écrit, et on les classe tant bien que mal d’après leur sexe, leur âge, leur nationalité, leur condition civile, leur profession…

À la fin du second empire, la France devait avoir 38 millions et demi d’habitans, et c’est encore, à peu de chose près, ce que lui donne le dénombrement de l’année dernière (38,343.200 habitans, dont 1,101,800 étrangers). Les vingt années écoulées depuis la guerre n’ont fait que nous rendre ce que nous avions perdu, soit par la mutilation du territoire national, soit par les exceptionnelles calamités qui l’ont accompagnée.

Les dénombremens directs sont le correctif nécessaire des statistiques de l’état civil, parce que le double jeu de l’émigration et de l’immigration vient troubler chaque année, dans des proportions indéterminées, le double mouvement des naissances et des décès. Un recensement bien fait est pour la démographie une source d’informations que rien ne saurait suppléer. Cependant il ne faut pas s’exagérer la rigueur de ces comptages périodiques, et ceux qui y président doivent être les premiers à modérer, par l’aveu sincère des erreurs probables, la confiance un peu aveugle dont le public se montre disposé à les honorer. La précision de certains résultats est purement apparente. Quand la statistique agricole déclare qu’au 30 novembre 1882 la France possédait 12,871,878 lapins, on peut sans irrévérence faire suivre d’un point d’interrogation cette révélation mystérieuse. Il en est de même, jusqu’à un certain point, pour les 38,343,192 habitans qu’adjuge à notre pays le dénombrement du 12 avril 1891. Si ce total était exact à un millième près, l’administration aurait droit à des félicitations ; mais ce degré d’approximation très méritoire n’autoriserait pourtant à garantir ici que trois chiffres sur huit.

La première et la plus grande difficulté, quand il s’agit de saisir au vol, pour ainsi dire, toute une population, vient de la croissante mobilité des molécules humaines. Le ministre de l’intérieur ne peut pas dire, comme les photographes : « Ne bougeons plus ! » Quelle que soit la date choisie pour l’opération, il y a ce jour-là, outre les pauvres diables qui n’ont ni feu ni lieu, une foule de gens qui, pour une raison ou pour une autre, se trouvent hors de leur domicile. Songez que nos chemins de fer notent une moyenne quotidienne de près d’un million de voyages ! Il est vrai que l’activité de la circulation change notablement selon IHS saisons et selon les jours de la semaine. Les recensemens de 1876 et de 1881, qui ont eu lieu en décembre, valaient mieux, en cela, que celui de 1886 qui s’est fait en mai, et que celui de 1890 qui s’est fait en avril, un dimanche. Depuis 1881, pour tenir compte de la difficulté résultant des absences, on compte et on enregistre, en même temps que la « population domiciliée ou « population légale » la « population présente » ou « population de fait. » Cette distinction offre certains avantages, mais elle a l’inconvénient de compliquer les choses et de dérouter l’esprit, d’autant que les deux additions ne sont jamais d’accord. A priori, le nombre des étrangers qui visitent la France étant d’ordinaire supérieur au nombre des Français qui voyagent à l’étranger, on s’attendrait à trouver pour la population de fait un chiffre plus élevé que pour la population de droit. Or, c’est le contraire qui arrive, et le déficit est même considérable : 267,000 unités en 1881, 288,000 en 1886. Il est donc certain que les allans et venans échappent en grand nombre aux perquisitions des recenseurs, et toutes les classifications qui portent sur la population de fait restent incomplètes.

La population domiciliée comporte elle-même plus d’une cause d’erreur. Non-seulement l’administration se trompe, errare humanum est ; mais on la trompe souvent, quand on croit avoir intérêt à la tromper, et l’impunité qui semble acquise aux fraudes de ce genre est de nature à les encourager. Après le dénombrement de 1886, le bureau de la statistique générale a pu démontrer mathématiquement qu’un certain nombre de communes avaient exagéré ou atténué à dessein leur importance. Telle commune où l’on a trouvé 2,005 habitans n’en avouera que 1,995, par exemple, et telle autre qui n’en a que 398 en déclarera 402. Pourquoi ? Parce que, dans le premier cas, il y a à ne pas atteindre 2,000 l’avantage d’éviter certaines surcharges fiscales ; et parce que, dans l’autre hypothèse, il y a à dépasser 400 le profit pécuniaire d’une subvention pour les écoles de filles. Nul doute que le dénombrement de 1891, soumis aux mêmes analyses que le précédent, ne trahisse les mêmes spéculations. Dans un village du centre, où l’on désirait faire porter de 10 à 12 le nombre des conseillers municipaux, le maire, apprenant qu’il eût suffi pour cela de justifier d’un minimum de 500 âmes, redemandait bravement le dossier qu’il venait d’expédier à la sous-préfecture et s’assurait le succès sans autre effort que l’invention de quelques noms et prénoms supplémentaires.

Les bulletins individuels peuvent eux-mêmes se trouver viciés par les dissimulations volontaires ou inconscientes des déclarans. Quand, avant 1870, on demandait aux familles combien elles comptaient de membres idiots, crétins, goitreux, etc., il n’est pas étonnant qu’elles montrassent quelque répugnance à confesser de si fâcheuses disgrâces. Les faux ménages, sachant qu’ils n’ont pas de papiers à produire à l’appui de leurs dires, se font volontiers passer pour vrais. Les étrangers peuvent croire qu’ils éviteront certains ennuis en se naturalisant Français de leur propre autorité. La désignation des professions donne lieu à plus de quiproquos encore. Et les âges ! Il y a d’abord la tendance naturelle des illettrés à arrondir des nombres dont ils suivent mal la progression : tel paysan aura quarante ans jusqu’à ce qu’il en ait cinquante. Les femmes, au contraire, reculent devant le nombre rond et ne s’y laissent amener qu’à la dernière extrémité. Même devant le recenseur, à qui cela n’importe guère, elles aiment mieux avoir vingt-trois ou vingt-quatre ans que vingt-six ou vingt-sept ; et quand on dresse la « pyramide des âges, » figure familière aux démographes et où les philosophes trouveraient aussi des sujets de méditation, il suffit de comparer, en ce qui concerne le sexe féminin, les deux étages superposés que sépare la vingt-cinquième année pour s’assurer que la sincérité n’est pas la vertu dominante des servantes de sainte Catherine.

Une coquetterie inverse pousse certains vieillards et ceux qui les entourent à majorer indûment un âge déjà lourd à porter. C’est une gloire comme une autre que d’avoir cent ans, et les nonagénaires, qui n’ont plus guère à leur disposition que cette ambition-là, profitent parfois des caprices d’une mémoire fatiguée pour se décerner à eux-mêmes ou pour se laisser décerner par autrui le titre envié auquel ils n’ont pas encore droit. Le Canada et la Bavière en 1871, l’État de New-York en 1875, la Prusse en 1885, avaient reconnu que beaucoup de leurs soi-disant centenaires n’étaient que des aspirans centenaires. En France, le dénombrement de 1886 a été suivi d’une vérification du même genre et d’une démonstration identique. Il avait été inscrit 184 individus annonçant cent ans ou plus. Un tel cortège de siècles, comme dit Chateaubriand, faisait honneur à la longévité française. Mais lorsque l’administration se fut mise en campagne pour passer en revue cette légion de vétérans, il fallut en rabattre. Sur les 184 centenaires inscrits, 48 restèrent introuvables et 53 furent convaincus de s’être faits plus vieux qu’ils ne l’étaient. Plusieurs avaient quatre-vingt-dix-neuf ans sonnés ; mais il s’en trouvait aussi qui n’en avaient pas quatre-vingts. En plein Paris, en plein quartier latin, une jeune personne d’humeur folâtre avait simplement quintuplé son âge : le commissaire de police, qui s’était fait un devoir d’aller saluer en personne ce vénérable débris du passé, n’eut pas de peine à obtenir l’aveu écrit d’une espièglerie que l’on avait crue sans conséquence. Dans les 83 cas restans, certaines justifications ont pu être invoquées : cependant quelque scepticisme est encore permis quand on voit que la plupart des communes qui se vantaient de posséder des centenaires se trouvent groupées sur les bords de la Garonne ou de ses affluens. Le doyen des 83 Nestors supposés authentiques était un Espagnol, Joseph Ribas, baptisé à San Esteban de Litera, le 20 août 1770, si l’acte de baptême qu’il exhibait était bien le sien. Ce patriarche vivait encore à Tarbes en 1888, ce qui lui supposait 118 ans : c’est beaucoup. Parmi les femmes reconnues centenaires en 1886, une était depuis 80 ans, une autre depuis 86 ans domestique dans la même famille. Un vieux Corse, né en 1783 et habitant Ferrazo, comptait 95 descendans. Beaucoup étaient sans famille, ayant survécu à tous leurs proches, et plusieurs végétaient dans un dortoir d’hospice. Si les vrais centenaires sont clairsemés, les Fontenelle et les Chevreul sont plus rares encore, et, tout considéré, il n’y a pas à en vouloir à la statistique générale de France d’avoir diminué, par son enquête, les chances déjà bien restreintes qui semblaient offertes à chacun de nous de mettre un siècle entier entre son premier vagissement et son dernier soupir.


III

On vient de voir que tout n’est pas article de foi dans les énonciations de nos recensemens quinquennaux. Les registres des mairies méritent, au contraire, une confiance presque absolue. Sans doute, il peut leur échapper, de loin en loin, une naissance clandestine, un meurtre ou un suicide qui n’a pas laissé de traces. Les officiers qui président au recrutement savent aussi qu’il n’est pas sans exemple qu’un garçon se trouve inscrit comme de sexe féminin, ou réciproquement. Mais, au point de vue de la marche générale des destinées humaines, qu’importent quelques unités de plus ou de moins sur des centaines de mille, sur des millions ? Lors même que l’on divise par la population recensée le nombre annuel des naissances, des mariages et des décès pour calculer ce que les démographes appellent la natalité, la nuptialité, la mortalité, les rapports auxquels on arrive peuvent être considérés comme suffisamment sûrs ; et nos arrière-neveux trouveront, dans les relevés de l’état civil, ainsi utilisés, de quoi instituer des comparaisons concluantes entre leur temps et le nôtre.

Nous sommes moins à l’aise pour comparer le siècle qui va finir à ceux qui l’ont précédé, parce que nos aïeux ne voyaient pas grand intérêt à faire régulièrement l’inventaire de leurs baptêmes et de leurs enterremens. Toutefois, avec un guide expérimenté et sagace comme M. Levasseur, on peut remonter assez loin dans le passé et se faire au moins une idée approximative de ce que la vie, dans sa lutte continue contre la mort, a gagné ou perdu depuis quelques centaines, voire même depuis quelques milliers d’années.

Rappelons d’abord, sans la discuter, la tradition qui, à la faveur d’une chronologie très problématique, confère aux premiers hommes des longévités extraordinaires. La mythologie païenne nous donnait pour ancêtres des géans, hauts de cent coudées. La Bible nous donne pour ancêtres des patriarches vivant près de mille ans. Flourens, avec sa théorie des dédoublemens successifs de la vie, eût pu s’accommoder de ces majestueuses origines. Mais les docteurs enseignent maintenant que, loin que l’espèce ait dégénéré, l’homme représente le produit perfectionné d’une évolution ascendante où le singe lui-même a joué à son heure le rôle d’un parvenu. L’histoire proprement dite peut faire abstraction de ces conceptions contradictoires. L’Ancien Testament, d’ailleurs, nous ramène assez vite aux proportions normales : le psaume LXXXIX, intitulé Prière de Moïse et composé, sans doute, par quelqu’un de ses descendans, oppose éloquemment à l’éternité du Très-Haut la brièveté de l’existence humaine et dit expressément : « Notre vie dure à peine soixante-dix ans ; les plus forts vont à quatre-vingts. » C’est ce que pourrait encore dire un poète contemporain ; c’est ce qu’auraient pu dire les poètes de tous les temps.

Les anciens n’avaient pas attendu Sénèque pour s’apercevoir que la vie est courte ; mais il courait parmi eux d’étranges préjugés relativement à l’âge où l’on meurt, et nos pères ont longtemps conservé ces naïves illusions. Ne voit-on pas, jusque sous Louis XIV, le docte Salmasius s’attaquer gravement à la vieille superstition des « années climatériques[7] ? » C’était de sept en sept ans, selon les uns, de neuf en neuf ans selon les autres, que s’échelonnaient sur le chemin de la vie les passages critiques, et l’échéance la plus meurtrière était nécessairement la soixante-troisième année, 63 étant le multiple commun de 7 et de 9. On se persuadait donc que la mortalité était moindre à soixante-quatre, à soixante-cinq, à soixante-six ans qu’à soixante-trois. Il est surprenant que la crédulité populaire se soit attachée opiniâtrement à des légendes que l’expérience individuelle contredisait sans cesse. Il suffirait à chacun de nous de coordonner ses propres souvenirs ou de parcourir les allées d’un cimetière pour voir s’ébaucher au moins, dans son esprit, la loi qui fait d’abord décroître lentement, puis progresser peu à peu avec l’âge le taux de la mortalité humaine. La courbe n’est pas tout à fait la même dans tous les temps et dans tous les pays ; mais partout elle commence par une brusque descente, suivie d’une lente et longue montée. Pour la France entière, les calculs de la statistique générale, relatifs à la période de 1877-1881, montrent que deux nouveau-nés sur dix, plus exactement dix-neuf sur cent, succombent dès la première année ; et ce sont surtout les premiers mois, les premières semaines, les premiers jours qui voient s’accomplir cette œuvre de destruction. Presque toutes les espèces vivantes paient au trépas ce tribut initial. Il semble que l’enfant pour naître, plus encore que la mère pour le mettre au monde, ait un véritable combat à livrer, et sans parler des morts nés, qui deviennent si nombreux, beaucoup de petits êtres, condamnés avant même d’avoir vécu, ne font que passer du berceau qui les attendait au cercueil qui va les recevoir. Toutefois, le quantum de ce déchet n’est pas immuable. La proportion des pertes de la première année, qui en Bavière monte à 30 pour 100 nouveau-nés, descend à 11 ou 12 dans la froide Norvège. Avec plus de moralité et d’hygiène, on réduirait partout ce qu’on a pu appeler le massacre des innocens.

La seconde année est plus clémente que la première : sur cent enfans d’un an, il n’en périt d’ordinaire, avant deux ans, que trois ou quatre[8]. De deux à trois ans la « dîme mortuaire, » comme disent les démographes, est déjà inférieure à 2 pour 100, et elle va en diminuant de plus en plus jusqu’au seuil de l’adolescence : entre dix et quinze ans, chaque année réduit à peine de quatre ou cinq millièmes le contingent qui la traverse ; et la quatorzième année, en particulier, toute climatérique qu’elle soit, tue moins de monde que n’importe quelle autre.

Mais, c’est à partir de cet âge que la mortalité, après avoir été en déclinant, commence à remonter, avec quelques rigueurs alternatives pour l’un et l’autre sexe. Elle remonte assez vite pendant un lustre ou deux : 4 décès par an sur mille vivans de dix à quinze ans, 6 de quinze à vingt ans, 8 de vingt à vingt-cinq. Après la vingt-cinquième année, la pente ascendante continue ; mais, au lieu d’accélérer ses progrès, elle se modère jusque vers la cinquantième année, qui se contente encore, sur mille hommes ou femmes, d’une quinzaine de victimes. Hélas ! voici venir les cheveux blancs. La mort, qui dormait presque, se réveille et frappera bientôt à coups redoublés : sur mille vivans de chaque âge, c’est vingt, c’est trente, c’est cinquante exécutions par an qu’elle va faire. À soixante-quinze ans, la dîme mortuaire devient une vraie dîme, cent pour mille ; c’est ensuite cent cinquante, puis deux cents ; enfin pour les nonagénaires, c’est deux cent cinquante et plus, de sorte qu’en moins de quatre ans maintenant, le sombre moissonneur aura tout jeté bas, sauf ces quelques épis oubliés qui s’étonnent de rester debout après que la faux a passé.

On ne fait que donner aux mêmes lois une expression différente lorsqu’on dresse ces tables de mortalité ou plutôt ces tables de survie qui, supposant mille ou dix mille individus nés simultanément, montrent ce qu’il en reste au bout d’un an, au bout de deux ans, au bout de dix ans, au bout de cinquante ans,.. et ainsi de suite jusqu’à extinction. La réduction continue de l’effectif venant ici compenser, à un moment donné, le taux croissant des mortalités proportionnelles, c’est vers la soixante-quinzième année que se rencontrent, après celles du premier âge, les plus abondantes hécatombes. De soixante-dix à quatre-vingts ans, voilà bien, en 1892 comme au temps des prophètes, l’étape critique entre toutes. Un professeur allemand, à qui la fréquentation des chiffres n’a fait perdre ni le goût ni l’art des métaphores, traduit la chose d’une manière pittoresque. Il compare les créatures humaines à des boules qu’un joueur lance vers un but : ce but, c’est la soixante-quinzième année et la plupart des boules vont s’arrêter, à bout de force, autour de ce point central, soit en-deçà, soit au-delà. Mais le joueur a laissé aussi glisser de ses mains, engourdies ou distraites, un certain nombre de boules qui alors, tombant à ses pieds, s’éloignent à peine de leur point de départ : ce sont tous les enfans qui meurent au berceau.

Les tables de survie ne sont pas uniquement destinées à inspirer des réflexions philosophiques et de symboliques images. Pour en certifier l’utilité pratique, il suffit de rappeler qu’elles ont fait naître et qu’elles font vivre une des industries qui, en Europe et en Amérique, remuent le plus de milliards, à savoir l’industrie des assurances sur la vie, pensions viagères, etc. Chacun de ces contrats, qui sont la sécurité d’une personne ou d’une famille, implique beaucoup d’aléa pour la compagnie qui les pratique ; mais, sur l’ensemble de sa clientèle, si elle a pris pour base de ses tarifs une table bien faite, elle est sûre de ne pas avoir de mécompte, car, en somme, rien n’égale l’autorité de ce que l’éminent secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences appelait, ici même, il y a quelques années, « les lois du hasard[9]. » Les statisticiens de profession, et les autres surtout, abusent parfois des moyennes ; mais il y a des cas où elles n’ont rien d’illusoire, et les compagnies d’assurances le savent mieux que qui que ce soit.


IV

Lorsqu’on s’est mis à explorer, comme nous le faisons ici, les frontières qui séparent la vie de la mort, une question se pose et s’impose : vivons-nous autant, vivons-nous moins, vivons-nous plus que nos ancêtres ?

Les pessimistes, loin d’admettre que l’existence moyenne de l’homme tende à s’allonger, professent volontiers, comme le Mersolles de M. Jean Reibrach[10], que les fièvres auxquelles les sociétés modernes sont en proie doivent avoir pour effet de hâter notre fin. Ils allèguent que les poisons se sont répandus autour de nous, au moins autant que les antidotes. Ils trouvent la jeunesse d’aujourd’hui plus vieille que la vieillesse d’autrefois et, de bonne foi, ils posent en principe que nous mourons plus tôt que ne mouraient nos prédécesseurs[11].

Sans doute les argumens ne manquent pas à qui veut prouver que notre siècle est un siècle de décadence. La fréquence toujours croissante des précoces criminalités, des avortemens, des infanticides, des suicides, des aliénations mentales est un signe non équivoque de morbidité sociale, et le Marcellus d’Hamlet pourrait encore dénoncer autour de nous des fermentations délétères : something is rotten

Mais, au point de vue matériel, tout au moins, le milieu dans lequel se meut l’homme civilisé est évidemment plus clément, plus hospitalier que celui où l’homme primitif a fait ses débuts, et chaque jour y marque un nouveau progrès. Nous assainissons peu à peu notre planète, desséchant les marécages, amenant l’eau là où elle manquait, défrichant les terres trop boisées et convertissant en futaies les landes incultes. Parmi les causes de destruction qui nous assiègent ici-bas, plusieurs ont été conjurées, d’autres ont été affaiblies. La famine, qui jadis venait périodiquement décimer les peuples, n’existe plus qu’à l’état de souvenir partout où les moyens de transport se sont suffisamment développés. De la guerre on n’en peut pas dire autant, car tout nous la rappelle ou nous l’annonce, même en pleine paix ; cependant ses éruptions se font plus rares et plus courtes, partant moins meurtrières, malgré toutes les belles inventions dont s’enrichit l’art de tuer. Certaines maladies, qui longtemps ravagèrent le monde, comme la peste et la lèpre, ont capitulé ; et contre celles qui subsistent, nous sommes mieux armés qu’on ne l’était avant nous. Que la thérapeutique ait marché moins vite que la physiologie et la pathologie, les médecins eux-mêmes l’avouent. Mais qui pourrait méconnaître les bienfaits des vaccinations préventives et les merveilles de l’antisepsie ? Qui ne sait que, dans les maternités, dans les services de chirurgie bien tenus, les propagations infectieuses qui faisaient tant de victimes n’en font plus ? Voilà d’admirables succès. La sécurité publique est aussi mieux assurée qu’autrefois, sur terre comme sur mer, à la maison comme dans la rue. Et, cela étant, comment croire que la durée moyenne de la vie n’ait pas augmenté ?

Elle a augmenté, en effet, et dans des proportions considérables, soit que l’on compare les temps actuels aux temps anciens, soit que l’on compare seulement la fin de ce siècle à ses commencemens.

Pour l’antiquité, l’âge moyen de la mort n’est pas facile à préciser. On peut cependant s’en faire une idée en compulsant les inscriptions gravées sur les pierres tumulaires que la civilisation romaine nous a léguées en si grand nombre. M. Levasseur a surtout consulté les épitaphes chrétiennes du IVe siècle, collectionnées par M. de Rossi[12]. L’Afrique française a fourni à d’autres chercheurs d’autres élémens d’information : près de 20,000 inscriptions romaines, païennes ou chrétiennes, y ont déjà été recueillies. Le répertoire de M. Léon Renier date de 1855[13]. Les recherches du lieutenant Espérandieu[14] et du docteur Carton[15], en Tunisie, sont toutes récentes. Et plus récentes encore sont, à Lyon, celles de M. le docteur Mollière qui, avec le concours de M. Allmer, a mis à contribution, au profit de la science, toutes les ressources de l’archéologie locale[16]. Or, de tous ces documens combinés, il semble difficile d’extraire une vie moyenne qui ne soit pas inférieure d’une dizaine d’années à la vie moyenne d’aujourd’hui.

Et voici qui, dans le même sens, n’est pas moins significatif : au temps des Césars, le règlement des pensions viagères, dont Ulpien nous fait connaître le tarif, supposait un nombre d’échéances bien moindre que celui qu’il faudrait prévoir de nos jours. Aux personnes de quarante ans, par exemple, la jurisprudence romaine ne promettait que vingt années d’existence. Leur exportation of life, pour parler comme les Anglais, monte d’après Duvillard (XVIIIe siècle) à 23 ans, d’après Demonferrand (1817-1832) à 27 ans, d’après les récens calculs de la statistique générale de France (1877-1881) à 28 ans. Au même âge, la survie moyenne est de 27 ans pour les Anglais, de 24 ans pour les Prussiens, de 29 ans pour les Norvégiens, etc.

On nous objectera peut-être que quarante ans, c’est déjà un âge un peu avancé pour en faire la base de nos observations. Soit : au lieu d’interroger l’été ou l’automne, interrogeons le printemps. À vingt ans, les contemporains d’Ulpien n’avaient, en moyenne, que 30 ans devant eux. Buffon et Moheau en trouvaient déjà 3 ou 4 en plus ; Duvillard 5 ou 6 ; la statistique générale de France arrive à 40 années de survie moyenne à vingt ans. Et les tables étrangères offrent des indications analogues. On peut donc tenir pour certain que les adultes vivent plus longtemps de nos jours que sous l’ancien régime et surtout que dans l’antiquité.

La vie moyenne des nouveau-nés s’est également accrue ; mais c’est un terme de comparaison auquel il ne faut recourir qu’avec circonspection dans un pays dont la fécondité tend à décroître. Pour montrer les pièges où l’on risquerait de se laisser prendre en raisonnant ainsi, faisons remarquer que, si la France, l’an prochain, cessait absolument de procréer, il n’y aurait plus de mortalité infantile et que, par conséquent, l’âge moyen des décédés se relèverait brusquement, sans qu’en fait la longévité individuelle eût le moins du monde varié.


V

L’allongement de la vie moyenne suffit pour augmenter d’autant.la population des États où la natalité conserve son niveau. Émigration et immigration mises à part, il est clair qu’un pays qui enregistrerait chaque année un million de naissances aurait trente millions d’habitans si la vie moyenne y était de trente ans, et quarante millions d’habitans si la vie moyenne y était de quarante ans. En France, le progrès de la vitalité générale n’a pas produit, à cet égard, ses effets naturels, parce que les Français deviennent de moins en moins prolifiques. Notre pays manque d’enfans, ce qui l’expose à manquer un jour d’hommes ; et cette grosse question donne lieu, de nos jours, à de si vives controverses qu’il faut bien, ici aussi, la regarder en face.

La stérilité relative des familles françaises réjouissait déjà nos ennemis quand il n’en résultait pour nous qu’une trop lente multiplication. Aujourd’hui, le mal semble s’être subitement aggravé et l’on se demande s’il ne va pas y avoir stagnation absolue ou même recul. L’excédent annuel des naissances sur les décès était, bon an mal an, de 190,000 sous la restauration ; il atteignait encore 130,000 pendant les dernières années du second empire et pendant les premières années de la troisième république. Mais depuis lors la chute s’accélère. De 1886 à 1888, le chiffre normal paraît être de 50,000. En 1889, le nombre des décès s’abaisse tant que l’excédent des naissances remonte à 86,000. En revanche, en 1890, tout conspire contre nous : 42,500 naissances de moins, 82,000 décès de plus qu’en 1889, d’où une perte sèche de 38,500 existences[17]. Rien de pareil ne s’était vu depuis l’invasion. Perdre en un an près de 40,000 âmes ! N’est-ce pas un peu comme si, après Metz et Strasbourg, nous venions de nous voir prendre encore Cherbourg ou Dunkerque ?

Qu’en présence d’une telle révélation l’opinion publique se soit décidément émue, il n’y a ni à s’en étonner, ni à le regretter. L’administration elle-même, si disposée qu’elle soit, par tradition et par nécessité, à toujours trouver que tout va bien, n’a pu s’empêcher de confier au Journal officiel un gros soupir. La presse, les salons, les sociétés savantes, les académies, le parlement, se sont mis tour à tour à discuter le problème. Les propositions de lois des députés ont succédé aux mémoires des spécialistes. Les reporters, pour qui toute piste nouvelle est bonne, sont allés entretenir de u la dépopulation » des poètes comme M. Coppée, des auteurs dramatiques comme M. Alexandre Dumas, des romanciers comme M. Zola. Dans les bibliothèques, les annuaires gris et jaunes ont été beaucoup plus demandés qu’à l’ordinaire et, de toutes parts, on a vu surgir, comme s’ils s’appelaient l’un l’autre, les chiffres de mauvais augure. On a signalé le ralentissement des mariages : 300,000 par an avant la guerre et maintenant 270,000 seulement, avec 5,500 divorces. On a dénoncé la proportion croissante des naissances illégitimes : 5 ou 6 pour 100 sous Napoléon Ier, 7 pour 100 au milieu du siècle, plus de 9 pour 100 en dernier lieu. Les mariages ne deviennent pas seulement de moins en moins nombreux ; ils deviennent aussi de moins en moins féconds : près de 40 naissances pour 10 mariages après la grande Révolution, 35 après la révolution de juillet et moins de 30 actuellement. À la suite du recensement de 1886, le service compétent avait, pour la première fois, classé tous les ménages de France (veufs et veuves compris) d’après le nombre de leurs enfans vivans ; eh bien, là encore on se trouve en présence d’une indigence extrême : sur 1,000 ménages, 218 n’ont que deux enfans vivans, 244 n’en ont qu’un et 200 n’en ont pas du tout. Cela ne signifie pas que les unions absolument infructueuses soient dans la proportion d’une sur cinq. Telles maison aujourd’hui sans enfans peut en avoir eu, hélas ! on pourra en avoir[18]. Mais il est indéniable qu’une foule de couples n’assurent même plus, dans l’effectif national, leur propre remplacement, et se résignent, comme les célibataires, à laisser des vides après eux.

Parmi les causes de cette situation, qui devient menaçante pour l’avenir de la France, nous reconnaissons qu’il s’en rencontre d’accidentelles. L’année 1890 a dû bien des deuils supplémentaires à cette perfide épidémie dont médecins et malades avaient commencé par sourire ensemble et qui a fini par creuser tant de tombes. L’influenza, du même coup, a réduit le nombre des naissances. L’Exposition a pu aussi en empêcher plus d’une. Mais une autre considération nous fait craindre que, jusqu’à la fin du siècle, la disette des nouveau-nés n’aille en s’accentuant. Vingt et une années se sont écoulées depuis la guerre. Or, les affreuses misères de 1870 et 1871 avaient eu ce double effet d’aggraver prodigieusement toutes les formes de la mortalité, à commencer par la mortalité infantile, et de restreindre considérablement la natalité[19] Il y a eu ensuite réaction, comme toujours. Mais l’année terrible a fait tort au pays, soit en les empêchant de naître, soit en les faisant mourir par milliers, d’une grande partie des enfans qui devraient actuellement commencer leur majorité. Vingt et un ans ! Pour les garçons, ce serait bientôt, pour les filles, ce serait déjà, dans bien des cas, l’heure du mariage et de la procréation. De là les dépressions qui se manifestent ou s’annoncent dans la nuptialité et dans la natalité françaises. Cette cause spéciale de dépérissement va sévir pendant quelques années ; puis, forcément, elle préparera un autre minimum pour les années 1910 à 1920, et ainsi de suite… Triste périodicité ! Cycle fatal qui, quatre ou cinq fois par siècle, condamne la patrie à voir ses plaies se rouvrir ! Ces inévitables rééditions du même mal n’ont été nulle part mieux mises en lumière qu’en Suède. Il y a eu, là aussi, une année terrible, l’année 1809 ; et les ravages démographiques de cette crise lointaine vont se répétant de quart de siècle en quart de siècle, sauf à s’adoucir un peu chaque fois, comme fait l’écho. Un statisticien italien, M. Perozzo, a ingénieusement matérialisé ce phénomène de propagation intermittente, et l’on peut dire que son « stéréogramme » le fait toucher du doigt. C’est une sorte de montagne de plâtre, dont les hauts et les bas reproduisent toute l’histoire de la population suédoise ; et des ravins équidistans y soulignent les pertes successives dont l’origine remonte à 1809. Voilà une éloquente leçon de choses ! Rien ne rend si sensible l’étroite solidarité des générations entre elles : — « À un moment quelconque, dit M. Cheysson, les faits que l’on constate sont la résultante des causes contemporaines, mais aussi de tous les mouvemens antérieurs, de toutes ces ondes successives qui s’entre-croisent, se rencontrent ou s’atténuent, se combinent en un mot de mille façons et qui, par les répercussions les plus délicates et souvent les plus inaperçues, transmettent l’influence et le poids du passé aux hommes et aux choses du présent. »

Mais si le passé a sa part de responsabilité dans les perturbations actuelles, le présent a aussi la sienne, et ce n’est point à tort qu’en présence des douloureuses surprises de l’hiver dernier, la conscience française a comme tressailli.

Il faut bien le dire : la stérilité qui nous appauvrit est, très généralement, une stérilité préméditée. Les Français n’ont si peu d’enfans que parce que telle est la volonté bien arrêtée du plus grand nombre et que la fin, à leurs yeux, justifie les moyens, même les moins avouables. Il fut un temps où la gloire et l’orgueil des familles se mesuraient au nombre des rejetons. Là où la terre encore inculte appelait de tous côtés le soc de la charrue, les mères se trouvaient d’accord avec les pères pour mener bon train l’œuvre du peuplement. Il n’en est plus ainsi chez nous : la matrem filiorum lœtantem du psalmiste devient une exception et, au village comme à la ville, on se met vite à plaindre la femme à qui ont été [20] infligées plus de trois ou quatre fois les fatigues de la gestation, les douleurs de l’enfantement et les servitudes qui en sont la suite. Un démographe d’outre-Rhin, M. Rümelin, a dit : — « L’espèce humaine n’en aurait pas pour longtemps si l’on n’avait que les enfans qu’on a expressément souhaités. » — Cette réflexion, que d’aucuns trouveront plaisante, nous paraît mélancolique ; mais on n’en saurait contester la justesse ; et si les Allemands font de semblables aveux, ce ne sont pas les Français qui pourront protester. Qui oserait affirmer que sur les 71,000 enfans naturels de 1890, il s’en trouve 500 qui aient été les bienvenus ? Et même sur les 767,000 enfans légitimes de cette année-là, combien n’en est-il pas que leurs auteurs n’appelaient guère ? La nature fait certainement plus que la volonté pour le recrutement de l’espèce : quand ce n’est pas par entraînement qu’on lui obéit, c’est par simplicité, dans le meilleur sens du mot, ou par scrupule. La loi religieuse ici, contre son habitude, fait cause commune avec l’instinct physiologique. La religion catholique honore la virginité et a su organiser savamment le célibat ; mais à tous ceux qu’elle unit, elle répète sans hésitation le Crescite et multiplicamini de la Genèse. Seulement nous sommes dans un temps où la foi périclite, où les âmes simples se comptent, où l’impulsion même du cœur et des sens n’exclut pas toujours de prudens calculs. C’est ainsi que la nature, dont les moyens d’action ne changent pas, se heurte chez nous à des résistances dont elle ne vient plus aisément à bout.

Quant aux motifs de ces résistances, il n’y a pas à les aller chercher loin. Ceux que l’on pourrait appeler les grévistes de la procréation ne sont point, en France, de sombres disciples de Schopenhauer, estimant que « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue » et tenant à limiter le nombre des victimes de la destinée. Leur prévoyance est moins philosophique et leurs vues sont plus terre-à-terre. Ils partent de cet axiome que, lorsqu’on est dix à se partager un gâteau, les parts sont moindres que lorsqu’on est deux ou trois. Une multiple progéniture est pour les parens une entrave, un souci, une charge ajoutés à toutes les charges, à tous les soucis, à toutes les entraves qu’implique déjà la vie sociale ; et c’est surtout pour ne compromettre ni leur chère liberté ni leur cher bien-être que les Français s’appliquent à avoir si peu d’enfans. L’égoïsme proprement dit peut, d’ailleurs, trouver ici pour complice l’amour paternel lui-même : il y a des gens qui ne se marient pas ou qui, mariés, cherchent à éluder les conséquences naturelles du mariage parce qu’ils jugent cela, personnellement, commode et avantageux ; mais, souvent aussi, c’est bien l’amour paternel qui, par une singulière ironie, empêche les enfans de naître, à un moment donné. Beaucoup de parens, en France notamment, sont plus exigeans, plus ambitieux pour leurs descendans que pour eux-mêmes, et, voulant faire à leurs aînés le meilleur sort possible, ils dispensent les cadets de se présenter. Si cette politique intime n’avait cours que chez ceux à qui les moyens d’existence font vraiment défaut, on pourrait l’excuser. Qui ne serait disposé à faire l’éloge d’une société où les familles les mieux pourvues des biens de ce monde, et surtout les plus saines, physiquement, intellectuellement, moralement, seraient aussi les plus productives ? La sélection ferait alors pour l’homme ce qu’elle fait, quand on sait s’y prendre, pour les espèces animales et végétales, et il n’y aurait plus de dégénérescence à redouter. Il existe, en France comme ailleurs, un certain nombre de ces sources généreuses qui propagent résolument un sang de bonne qualité. Mais, d’une manière générale, on ne peut pas dire que ceux qui ont le plus d’enfans soient, comme la logique le voudrait, ceux qui sont le mieux à même de les élever, et que ceux qui en ont le moins soient ceux à qui manqueraient, pour faire souche d’honnêtes gens, les ressources nécessaires et les vertus désirables. C’est trop souvent le contraire qui est vrai. M. Othenin d’Haussonville, dans ses belles études sur la misère parisienne[21], n’a pu s’empêcher de maudire certaines fécondités bestiales qui, étant données la détresse ou la dégradation des pères et mères, semblent ne devoir servir à peupler que les hôpitaux ou les prisons. La natalité moyenne décroît, au lieu de croître, à mesure que l’aisance augmente. Hippolyte Passy en avait déjà fait l’observation il y a cinquante ans. Les recherches de MM. Bertillon père et fils, Levasseur, Javal et autres confirment le fait. Et le fait s’explique, en somme. D’abord, le pauvre, en fait de satisfactions, n’a pas, comme le riche, l’embarras du choix. Puis il y a autre chose : les progrès de la civilisation et de la richesse ont pour résultat de multiplier les étages de l’édifice social et de surexciter ainsi, chez les individus et dans les familles, la soif de monter, la peur de déchoir. Le prolétaire, qui n’a comme capital que ses deux bras et ses dix doigts, peut se dire que ses fils en auront toujours autant. Le bourgeois, lui, considère que plus son bien, petit ou grand, devra se diviser, plus ses fils ou ses filles auront peine à conserver leur rang. Dans un pays où la passion des masses pour l’égalité n’a fait qu’aviver la passion de l’inégalité chez les privilégiés de toutes catégories, c’est un frein puissant que le souci de ne pas laisser à son enfant une position inférieure à celle que l’on a soi-même occupée dans le monde ; et ce frein devient plus prohibitif encore quand le patrimoine consiste en un bien qui ne peut être morcelé sans perdre beaucoup de sa valeur. L’amour du propriétaire pour sa propriété s’allie alors avec l’amour du père pour son héritier, et il faut même croire que le premier de ces deux sentimens peut l’emporter sur le second, puisque d’excellens esprits professent que le meilleur moyen d’encourager les naissances serait la pleine liberté testamentaire, autorisant l’exhérédation des cadets. On invoque, à l’appui de cette thèse, l’exemple de la Grande-Bretagne où ceux qui possèdent usent largement de la liberté de tester, l’opinion reçue étant là qu’il y a moins d’inconvénient à diviser les familles qu’à diviser les fortunes. Les mariages sont certainement plus féconds en Angleterre qu’en France ; mais à cet égard la Belgique vaut l’Angleterre et le régime successoral des Belges n’est pas différent du nôtre. En France, où les mœurs sont devenues plus égalitaires encore que les lois et où les parens se servent rarement de la quotité disponible pour avantager un enfant aux dépens d’un autre, il est probable que la faculté de déshériter Pierre ou Paul ne modifierait guère l’état de choses existant. Il n’en est pas moins vrai que la discrétion systématique des ménages français a souvent pour cause la difficulté de concilier autrement les intérêts de l’héritier et ceux de l’héritage. Selon l’heureuse expression de M. P. Leroy-Beaulieu, il reste toujours un moyen de faire un aîné, là où il n’y a plus de droit d’aînesse : c’est de n’avoir qu’un fils.

Notre état économique peut encore, de plus d’une manière, contrarier l’expansion naturelle de la population. Pour les hommes, la généralisation du service militaire et l’encombrement des professions lucratives tendent à retarder le moment où le mariage est possible : or, quand on a trop tardé, il arrive que le pli est pris et qu’on renonce définitivement. C’est souvent l’égoïsme, souvent l’insouciance et l’irrésolution qui font les vieux garçons ; parfois aussi, et M. Maurice Block a raison d’insister sur ce point, cela peut être, en dehors même de la vie religieuse, le dévoûment et l’abnégation.

Aux femmes surtout, le célibat laïque s’impose plus fréquemment qu’autrefois. Quand un pays s’enrichit, la domesticité féminine s’y développe, et peu de conditions déconseillent davantage le mariage ou la maternité. Le commerce, grand et petit, soustrait aussi à la vie familiale beaucoup de jeunes filles ; et ne peut-on pas en dire autant de quelques-uns des débouchés nouveaux, qui, de nos jours, s’ouvrent aux femmes, soit dans l’enseignement, soit dans les administrations publiques, postes, télégraphes, chemins de fer[22], etc. ? Encore si, en mettant à la portée de celles qui veulent travailler, l’instruction d’abord et ensuite l’indépendance professionnelle sous ses formes les plus honorables, notre civilisation pouvait se flatter d’avoir réduit d’autant l’engeance malfaisante des déclassées et des dépravées ! Vain espoir : nous ne voulons parler ici de la prostitution que pour mémoire ; mais on sait avec quelle audace elle s’étale sur nos voies publiques, où tout semble réuni pour la servir, journaux licencieux, affiches libertines, images obscènes. Quand on voit cela, on comprend que c’est surtout la famille qui a dû perdre, chez nous, le terrain conquis par l’armée du vice ; et ce n’est pas peu dire !


VI

Si la France était seule au monde ; si seulement la France était une île, comme l’Angleterre ; si elle n’avait pas de voisins et si on pouvait croire qu’elle n’a pas d’ennemis, nous prendrions plus aisément notre parti de la situation. Nous pourrions surtout nous y résigner si nous voyions le progrès des autres populations s’interrompre aussi. On a dit et nous le répétons volontiers : « Plutôt deux millions de Suisses prospères que cinq millions d’Irlandais misérables ! » Le nombre n’est pas un bien par lui-même. Mais, la lutte pour la vie s’imposant aux nations comme aux individus, notre patriotisme peut-il ne pas s’alarmer de la disproportion croissante qui s’accuse entre la population française et les populations adjacentes ?

Le chapitre que M. Levasseur a consacré à l’équilibre politique et militaire des États européens est un des plus attachans, mais aussi un des plus attristans de l’ouvrage. En s’en tenant aux grandes puissances, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie et, depuis son unification, l’Italie, l’auteur fait voir que l’élément français constituait 38 pour 100 du total sous Louis XIV, 25 pour 100 à la veille de la révolution, 21 pour 100 au lendemain de Waterloo, 15 pour 100 seulement après Sedan. En 1891, la quote-part n’est plus que de 12 pour 100.

Voilà des comparaisons mortifiantes pour l’amour-propre national. Tout exactes qu’elles soient, numériquement, l’impression qui s’en dégage nous semble dépasser quelque peu la mesure ; car, évidemment, il serait paradoxal de parler de l’affaiblissement de l’Allemagne, et pourtant un raisonnement calqué sur le précédent ferait dire qu’elle ne représente plus que 15 pour 100 là où elle représentait 20 pour 100 il y a deux cents ans. Le seul empire qui ait assez grandi pour ne rien avoir à craindre de ce mode d’appréciation est l’empire russe, qui, comme nombre d’habitans, formait à peine, au XVIIe siècle, la cinquième partie d’un groupe dont il forme aujourd’hui le tiers. C’est là un épanouissement que la France de 1892 n’a pas à regretter. Mais il vaut toujours mieux pouvoir compter sur soi-même que sur autrui. Or, à nous seuls, que pèserons-nous dans la grande balance européenne dans cinquante ans ou dans cent ans[23] ?

À coup sûr, la nation française, malgré ses malheurs récens et son infécondité présente, tient encore une grande et belle place dans le monde. La puissance numérique n’est pas tout ici-bas, et les démographes eux-mêmes ne songent pas à dire : finis Galliœ ! Mais il faut, bien considérer l’avenir. Hors de France, sur les bords de la Tamise, sur les rives de l’Escaut, du Rhin, de la Vistule, du Danube et du Pô, les dernières générations ont été singulièrement prolifiques et, quoiqu’il se manifeste quelques velléités de ralentissement là même où la natalité se donnait si librement carrière, on ne peut pas se dissimuler que nous sommes destinés à nous voir de plus en plus distancés par nos rivaux. L’Europe, le monde, continuent à se peupler rapidement, pendant que la France se demande si elle ne va pas se dépeupler[24]. Considérées dans leur ensemble, les races européennes progressent encore, annuellement, de plus de 7 1/2 pour 1000. Or, à ce taux, s’il devait persister, l’impassible arithmétique nous montre que les 1,500 millions d’habitans que porte aujourd’hui la terre[25] lui en promettraient 3 milliards dans 93 ans, 6 milliards dans 186 ans, 24 milliards dans 372 ans, 256 milliards dans 744 ans et 2,625 milliards dans 1,000 ans. Il est clair que nous sommes là en plein rêve et que, bien avant d’en arriver à son vingtième milliard, la pauvre terre, épuisée, aurait demandé grâce. Les sombres prédictions de Malthus ont eu le tort de se produire au commencement d’un siècle qui allait leur opposer d’éclatans démentis, puisque de merveilleuses découvertes ont permis aux subsistances de s’y multiplier plus vite encore que les consommateurs. Mais tôt ou tard, le dilemme malthusien aura sa revanche, et il faudra bien que l’espèce humaine prenne un jour son parti d’un état stationnaire comme celui dont la France lui donne prématurément l’exemple. Pour en arriver là, le déclin naturel des natalités vaudrait mieux, de toute façon, que le retour des mortalités désastreuses dont, à certaines époques, la guerre, la famine et la peste ont été les impitoyables agens. On pourrait donc souhaiter sincèrement de voir tous les peuples à la fois se mettre à réduire leurs postérités dans des proportions égales. Mais, ce beau parallélisme n’étant pas dans la nature des choses, il est difficile de penser que le globe, avant d’arriver à son maximum de peuplement, ne doive pas redevenir le théâtre de terribles conflits où se jouera la vie même des nations et dans lesquels le nombre aura chance de l’emporter, finalement, sur toute autre cause de supériorité. Qu’adviendra-t-il alors de la France et des Français si, longtemps avant nos voisins, nous renonçons à serrer les rangs ? La difficulté est ici la même que lorsqu’on parle du désarmement. Le jour où l’Europe désarmerait tout entière et définitivement, un universel cri de joie pourrait retentir de Gibraltar à l’Oural et du Finistère au Bosphore. Mais à désarmer seuls, à désarmer avant les autres, ne nous exposerions-nous pas à être, à la première occasion, envahis, écrasés, détruits ?


VII

Puisqu’il est trop tôt pour que nous puissions impunément renoncer à élargir nos cadres, il faut bien admettre que la dépopulation de la France serait un grand malheur, serait un grand danger ; et les pouvoirs publics ne feront que leur devoir en mettant à l’étude les moyens de conjurer ce que M. Frary appelait « le péril national. » Le problème est ingrat, nous le savons, et le succès douteux. Mais faut-il en conclure qu’il n’y a rien à tenter ? Devons-nous prendre modèle sur le fanatisme oriental qui dit : « C’était écrit ! » et qui n’essaie pas même de lutter ? Par cela même que les causes de notre stérilité sont multiples et complexes, on a pu, à défaut d’un remède héroïque sur lequel il ne faut pas compter, suggérer toute une série de mesures utiles qui s’entr’aideraient l’une l’autre. Nous nous garderons bien d’entreprendre ici la discussion et même l’exposé détaillé de ces réformes. La plupart de celles qu’ont recommandées M. le docteur Javal, M. le docteur Lagneau, et, à la chambre des députés, M. Édouard Le Roy[26], méritent un sérieux examen. On pourra encore en proposer d’autres, et, comme le dit avec raison M. Jules Simon, qui ne se lasse pas de plaider cette grande cause, la vraie solution ne consistera pas à choisir tel ou tel expédient à l’exclusion des autres, mais à faire intervenir concurremment tous ceux qui, de la part des esprits réfléchis, ne rencontrent pas de fin de non-recevoir absolue. Il y a, en effet, plus d’un but à poursuivre. Avant tout, il faudrait diminuer, diminuer encore, diminuer toujours la mortalité du premier âge, qui reste excessive. La loi Roussel, comme on l’appelle du nom de l’homme de bien qui s’en est fait l’initiateur, a sauvé beaucoup de nouveau-nés dans les quelques régions où l’application en a été conduite avec intelligence et avec dévoûment. Comment se fait-il que tant de départemens aient pu en méconnaître les sages prescriptions ? D’autres modes de protection, visant tour à tour la mère et l’enfant, devront s’ajouter à celui qu’institue la loi de 1874. Sur la répression de l’adultère, sur la recherche de la paternité, sur les secours aux accouchées, mariées ou non, et sur la question des tours, on aura quelque peine, sans doute, à se mettre d’accord ; mais, dans d’autres directions, la ligne de conduite à suivre est toute tracée. L’hygiène et ses lois sont encore lettre morte, non-seulement pour l’immense majorité des familles, mais même pour la plupart des services publics, de sorte que l’État, sans sortir de son domaine propre et sans violenter la liberté individuelle, aurait à réaliser, dès demain, au profit de la santé publique, beaucoup d’urgentes améliorations.

N’arriverait-on pas aussi, avec un peu de diplomatie, à ranimer çà et là les virilités endormies ou paralysées, et à relever progressivement le niveau d’une nuptialité et d’une natalité vraiment insuffisantes ? Il ne s’agit point de décerner aux mères Gigognes des couronnes civiques, ni d’organiser contre les vieux garçons et les vieilles filles des persécutions qui seraient souvent iniques et toujours ridicules. Mais quel inconvénient majeur y aurait-il à rendre les procédures matrimoniales moins compliquées et moins coûteuses, à favoriser davantage, en matière successorale, les partages méthodiques et les indivisions entre cohéritiers ? Pourquoi surtout ne pas adoucir, au profit des familles nombreuses, la sévérité injustifiée des lois fiscales et de la loi militaire ? Puisqu’il est avéré que les stérilités totales ou partielles dont on se plaint sont des stérilités intéressées, peut-on être sûr que l’on n’obtiendrait rien en faisant parler l’intérêt ? La justice même est journellement blessée par un système contributif qui, prenant comme mesure de la richesse imposable, non les ressources libres, mais les dépenses et souvent même les dépenses de première nécessité, loyers, consommations alimentaires, etc., réserve ainsi toutes ses rigueurs aux parens courageux et toutes ses complaisances aux autres. Les législations étrangères tiennent déjà mieux compte, à cet égard, des sollicitations de l’équité, et c’est une voie où il est étrange que la France se laisse distancer par l’Allemagne. Il nous semble téméraire de nier l’efficacité possible des lois fiscales en matière de population. La statistique financière nous apprend avec quel empressement, avec quelle sensibilité la consommation et la production de certaines denrées se laissent impressionner par une surtaxe ou par un dégrèvement. La production humaine ne sera jamais si facile à influencer ; cependant, là aussi, il y a des réactions dont on peut tirer parti. On dit : Quid leges sine moribus ? et on a raison : changer les sentimens d’un peuple, régénérer ses mœurs rien qu’en révisant son code, on n’y doit pas songer. Mais, en somme, il ne faut pas longtemps pour doter d’un nourrisson de plus un jeune ménage, et ce serait déjà quelque chose que d’habituer les Gascons, les Normands, même les Parisiens à ne pas envisager l’arrivée d’un cadet ou d’une cadette comme une mésaventure sans compensation aucune.

Les petits moyens législatifs sont d’autant moins à dédaigner ici qu’en réalité, quelle que soit l’intensité du mal, il n’y aurait pas énormément à faire pour relever d’une manière très sensible le mouvement de la population française. Pour nous ramener, par exemple, au taux de progression d’il y a vingt-cinq ans, il suffirait que, par commune, il naquît annuellement deux enfans de plus et qu’il mourût annuellement deux enfans de moins. Est-ce là chose impossible ? Il existe sans doute de très petits villages pour lesquels l’effort serait considérable ; mais à Paris, à Lyon, à Marseille, dans toutes les grandes villes, c’est par milliers, et ailleurs c’est par centaines que devraient se compter, si l’on reprenait un peu courage, les naissances supplémentaires et les décès évités. Toutes compensations faites, on reconnaîtra que nos prétentions sont modestes : deux baptêmes de plus, deux enterremens de moins par clocher. Si c’est trop présumer de la sagesse et de la puissance législatives que de les croire capables d’obtenir cela, il faudra bien se résigner au statu quo. Il se peut que tout échoue ; mais tant que l’on n’a rien fait, n’y a-t-il pas au moins présomption à décréter que rien ne réussira ?


ALFRED DE FOVILLE.


  1. Livre des Nombres, ch. III.
  2. Deuxième livre des Rois, ch. XXIV.
  3. L’Islamisme et la science, conférence faite à la Sorbonne par Ernest Renan, en mars 1883.
  4. Ce chiffre extravagant se rencontre déjà dans la Chronique des religieux de Saint-Denis de 1405 ; et il sert de base à un projet d’impôt présenté au conseil du roi sous Charles VI. Il avait encore cours au XVIe siècle, et la Satire Ménippée en fait foi.
  5. Voir, dans la Réforme sociale, le compte-rendu des deux séances de la Société d’économie sociale des 11 novembre 1889 et 10 février 1890.
  6. On parait autorisé à croire que les guerres de la révolution ont coûté la vie à 1 million et les guerres de l’empire à 2 millions d’hommes (Français ou alliés). Voir le compte-rendu de la séance de l’Académie des Sciences morales et politiques du 18 juin 1892.
  7. Cl. Salmasii de annis climactericis et antiqua astrologia diatribœ, ex officina Elzevitiorum, 1648.
  8. En Italie, la proportion des décès de la seconde année dépasse 10 pour 100 ; mais le mépris de l’hygiène se complique là, comme on le sait, de l’insalubrité d’un grand nombre de localités.
  9. Les lois du hasard, par M. Joseph Bertrand, Revue des Deux Mondes du 15 avril 1884.
  10. Voir la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1892, p. 294.
  11. Les naïfs, — ils sont nombreux, — se trouvent parfois conduits à la même conclusion par un singulier mirage : toutes les fois qu’on a pu leur montrer un survivant des générations antérieures, il était très âgé, naturellement ; et l’impression leur en reste qu’on naissait plus robuste et plus résistant il y a cent ans que de nos jours.
  12. Inscriptiones christianœ urbis Romœ septimo sœculo antiquiores.
  13. Inscriptions romaines de l’Algérie.
  14. Académie d’Hippone, bulletin n° 21.
  15. Comité des travaux historiques et scientifiques, Bulletin archéologique, année 1890, II.
  16. Recherches sur l’évaluation de la population des Gaules et de Lugdunum et sur la durée de la vie chez les habitans de cette ville du Ier au IVe siècle, 1892.
  17. L’excédent exact des décès sur les naissances, en 1890, ressort à 77,505 dans 60 départemens et se trouve ramené à 38,446 par 27 départemens où les naissances l’emportent de 39,059 sur les décès. Pour 1891, la statistique officielle n’a pas encore parlé ; mais on a lieu de craindre qu’elle ne nous réserve aussi une perte au lieu d’un gain.
  18. D’après M. le docteur Lagneau, la proportion des unions radicalement stériles serait, en France, de 10 à 12 pour 100 (à Paris, 22 pour 100) et d’après le professeur Pajot, le fait serait, une fois sur cinq ou six, imputable au mari.
  19. D’après M. le docteur Lagneau, la proportion des unions radicalement stériles serait, en France, de 10 à 12 pour 100 (à Paris, 22 pour 100) et d’après le professeur Pajot, le fait serait, une fois sur cinq ou six, imputable au mari.
  20. Les deux années 1870 et 1871 réunies accusent 145,000 naissances de moins et 660,500 décès de plus que les deux années 1869 et 1872 réunies.
  21. Voir la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1883.
  22. « Les philanthropes sont peut-être un peu imprévoyans à ce point de vue. Presque toutes ces nouvelles carrières féminines, sans être absolument incompatibles avec le mariage, lui sont peu propices. Une receveuse des postes ou une institutrice publique ne peut guère épouser un simple manœuvre des champs, ni un ouvrier de manufacture, ni même un bien modeste artisan. Elle se sent intellectuellement très supérieure à ce niveau. Certaines de ces jeunes filles parviennent à se marier avantageusement ; mais beaucoup ne se marient pas du tout qui se seraient sans doute mariées si elles avaient été de simples couturières ou des ouvrières des champs. On se demande si de vertueux philanthropes ne travaillent pas parfois, sans le savoir, à la dépopulation… » (P. Leroy-Beaulieu, Académie des Sciences morales et politiques, bulletin de mai 1892.)
  23. M. Charles Richet, dans une solide étude sur l’Accroissement de la population française, qui a paru ici même il y a dix ans (Revue des 15 avril et 1er juin 1882), prévoyait qu’en 1932 la population de notre pays représenterait, tout au plus, 7 pour 100 de la population totale des grandes puissances. Cette hypothèse, fondée sur les faits constatés en 1880, pourrait presque, aujourd’hui, être taxée d’optimisme.
  24. L’empire d’Allemagne, par exemple, tout en déversant chaque année sur le monde des centaines de milliers d’émigrans, a vu sa population intérieure augmenter de 8 millions 1/2 depuis 1871 (41 millions en 1871, 49.4 en 1890). De 1885 à 1890, la progression y est encore de 11 pour 1,000.
  25. M. Levasseur dit 1,497 millions ; les successeurs du docteur Petormann disent 1,480 ; M. Kavenstein dit 1,408 et M. Otto Hubner 1,455. Ces chiffres risquent plus de pécher par omission que par exagération.
  26. La proposition de loi de M. Le Roy est du 20 juin 1892 (no 2182) et le rapport sommaire qui en demande la prise en considération est du 5 juillet (no 2249). L’exposé des motifs de la proposition est des plus substantiels.