La Politique des deux Rites

La Politique des deux Rites
Revue des Deux Mondes7e période, tome 6 (p. 380-403).
LA POLITIQUE DES DEUX RITES

Entre l’Église catholique romaine et les chrétientés d’Orient qui se sont séparées d’elle au XIe siècle, les perspectives de réconciliation n’ont guère fourni jusqu’ici qu’un sujet d’intérêt, sinon exclusivement dogmatique, du moins réservé aux spéculations des esprits religieux. La Papauté, à maintes reprises, a donné des preuves publiques, solennelles même, de sa foi en un retour à l’unité dont elle est le centre. Une de ses dernières tentatives date de 1864 : mais le projet de Concile œcuménique, envisagé par Pie IX, ne put aboutir. Ni le Patriarchat de Constantinople, ni les Eglises autocéphales d’Asie-Mineure et des Balkans, moins encore le Saint-Synode et le clergé russes, n’ont jamais mis une bonne volonté sincère à répondre à ces avances. Ou plutôt, la « Sainte Orthodoxie » grecque ou slave, quand elle faisait une réponse, se bornait à déclarer qu’elle forme des vœux, elle aussi, en faveur de l’unité chrétienne, mais sous la réserve, inacceptable du point de Vue du Saint-Siège, que le principe de la primauté dogmatique et juridictionnelle de l’évêque de Rome soit écarté. Des deux côtés, toutefois, on paraissait tomber d’accord pour admettre que le sort de cette grande question dépend de l’issue de controverses théologiques, et c’est à peu près exclusivement sous ce jour que, jusqu’à la guerre, elle a sollicité l’attention.


Nous sommes peut-être à la veille de voir la question évoluer dans deux directions parallèles. D’une part, les événements, depuis quelques années, semblent bien avoir travaillé au profil des desseins du Saint-Siège, ou tout au moins de façon à lui fournir des raisons humaines de persévérance. De l’autre, la question tend à passer du plan de la dogmatique à un plan où son caractère politique aussi commence à être entrevu, de sorte que la diplomatie aura vraisemblablement à lui consacrer mieux que des loisirs prélevés sur ses occupations professionnelles. S’il n’y a pas lieu de constater qu’un pas ait été fait, par quelque Eglise d’Orient que ce soit, pour se rapprocher de Rome, et si, par conséquent, la distance théorique est restée la même, la distance pratique s’est amoindrie de toute la différence entre un terrain défendu par mille obstacles, et un terrain sur lequel viennent de se produire des écroulements.

Tout d’abord, il ne reste plus trace du césaro-papisme russe, tellement ombrageux à l’endroit du catholicisme qu’il le tolérait à peine, et sous réserve de fastidieuses réglementations, quand il ne le persécutait pas. Avec son prestige disparait une force morale sur laquelle prenaient appui toutes les Églises gréco-slaves, surtout contre Rome. Avec le régime impérial s’évanouissent à leur tour, selon toute vraisemblance, ces traditions politiques qui, à l’intérieur, opposaient la raison d’Etat à la moindre tentative de pénétration et d’acclimatation du catholicisme en Russie, et, à l’extérieur, faisaient toujours craindre au Vatican que la Russie ne s’emparât, à Constantinople même, du sceptre de l’hégémonie orientale.

Au sein de l’ancien Empire ottoman, les races chrétiennes assujetties étaient d’autant plus attachées chacune à son Église qu’elles sentaient en celle-ci à la fois le critérium et la sauvegarde de la nationalité. Mais l’histoire balkanique du XIXe siècle n’est qu’une longue suite d’émancipations, et, dès les débuts du XXe, les destinées comme le territoire de cet Empire apparaissent tellement rétrécis qu’il n’en reste plus guère que l’ombre. A présent que les Grecs, les Roumains, les Bulgares, les Serbes sont parvenus à se constituer en États autonomes, est-il bien sûr qu’ils conservent, du moins au même degré, ce sentiment ancestral que là où est l’Eglise, là est aussi la nation, par conséquent que les intérêts du Rite et ceux de la patrie sont indissociables ? C’est peut-être l’avis, en tout cas ils se feront un devoir de l’exprimer, de beaucoup de dignitaires de ces Églises autocéphales. Mais le gros de l’opinion balkanique, plus particulièrement les classes dirigeantes, doivent s’avouer et laissent même un peu voir qu’elles ne pensent pas, sur ce point, comme les anciennes générations. C’est d’ailleurs tout naturel. On conservera donc, par tradition, par reconnaissance aussi, une Eglise nationale ; on l’associera plus ou moins aux manifestations officielles et aux cérémonies patriotiques ; elle sera respectée et prébendée. Pour le surplus, on suit la pente des doctrines et des exemples de l’Occident. Bref, l’État et les mœurs restant ce qu’ils sont, on peut dire en tout cas et au bas mot que, dans les Balkans, la nationalité est désormais laïcisée.

Les laïcisations de ce genre, en pays schismatique, ne sont pas pour déplaire au Vatican. Si elles n’ôtent guère de leurs arguments, ni surtout de leur opiniâtreté, aux théologiens de la partie adverse, elles atténuent singulièrement, et c’est déjà un résultat appréciable, le point d’honneur que le sentiment public attachait jadis à ne point paraître sensible à une avance latine.

Des catholiques éminents ont offert à la Cour romaine des consolations et même des félicitations spontanées au sujet du démembrement de l’Empire des Habsbourg. Il n’est pas sûr qu’elle les ait goûtées. Car enfin, tout pharisaïque qu’il fût, et peut-être parce qu’il l’était, cet Empire se piquait du moins d’offrir chez lui au catholicisme protection, déférence, libertés, garanties, et, quand il s’est écroulé, le Saint-Siège a pu mesurer la différence à l’étendue et à la variété des difficultés qu’il éprouve avec ses successeurs. Sur un point cependant tout le monde doit être d’accord : cette chute sert les intérêts du rapprochement des deux Rites, par la simple raison que la politique austro-hongroise était, à sa façon, aussi acharnée que celle des Tsars à discréditer et contrecarrer ce grand œuvre.

Toujours en garde contre la fascination exercée par la Russie sur les Slaves même catholiques, inquiet de toute détente dans les rapports religieux entre catholiques et « pravoslaves, » le gouvernement de Vienne sapait les moindres travaux d’approche du Vatican vers la réconciliation. En Serbie, il a tôt fait de détacher le roi Milan, sa créature, d’un projet de Concordat dont la conscience à compartiments de ce souverain avait un instant envisagé l’intérêt politique, et qui ne fut réalisé qu’en 1914, à l’honneur de la mémoire de Milenko Vesnitch. Entre temps, il s’était opposé aussi au Concordat monténégrin ; opposé encore, sans plus de succès d’ailleurs, à la confirmation par Léon XIII d’un très ancien privilège accordé par Adrien II et Jean VIII aux diocèses de Senj, de Veglia, de Zara et de Spalato, d’après lequel le clergé catholique est autorisé à se servir de la langue paléo-slovène (ou vieux-slave), comme langue liturgique, au lieu du latin.

Dans tous les Balkans, surtout depuis le Congrès de Berlin, l’agent officiel ou officieux du Baltplatz se posait en adversaire de l’influence « orthodoxe. » De Budapesth partaient les mêmes directives. Ce sont les Hongrois qui ont essayé d’allumer dans certaines régions de la Croatie, qui dépendait d’eux alors, une guerre religieuse artificielle entre les éléments catholiques et ceux de l’autre Rite. Enfin, Autrichiens et Magyars se sont certainement trouvés d’accord pour encourager, à la veille de la guerre, l’étrange mission de l’archevêque de Lemberg, Mgr Szepticky, qu’il a d’ailleurs payée de la déportation, dès la première invasion de l’armée russe en Galicie. Mgr Szepticky avait choisi ce moment d’extrême tension pour faire du prosélytisme par-dessus la frontière de la Monarchie, en Ukraine, où, cette fois, le gouvernement russe avait raison de démêler, derrière la propagande pseudo-religieuse, une tentative d’agitation politique et d’exploitation des ferments qui travaillaient déjà, le sous-sol de l’Empire.

Ainsi, des catastrophes qui ont rayé de la carte la Russie impériale et l’Autriche habsbourgeoise, et de l’effritement de l’ancienne Turquie, surgit une sorte de novus ordo qui prête incontestablement mieux que l’ancien à une politique de réconciliation des deux Rites. Sans doute les positions dogmatiques sont restées les mêmes, mais celles du schisme deviennent plus abordables, et, après tout, — on le sait au Vatican mieux qu’ailleurs, — la dissidence séculaire entre l’Occident et l’Orient religieux s’est entretenue bien davantage par le contraste de civilisations, de carrières historiques et d’intérêts dynastiques ou nationaux, que par l’acuité des problèmes que posent la « procession du Saint-Esprit, » ou même la primauté du Pape. Il faut ajouter que, si de grands changements viennent de s’effectuer dans la constitution de l’Europe, il s’en est opéré sans doute aussi dans la façon de penser de beaucoup d’individus. Après tout, sur le théâtre oriental de la guerre, les religions, comme les nations, se sont coudoyées dans les tranchées, dans les camps de prisonniers de guerre ou de concentration ; des fraternités de péril ou de misère se sont formées entre gens qui se croyaient peut-être irrémédiablement distants, à cause de leurs croyances, de leurs habitudes rituelles, sinon même de leurs fonctions sacerdotales. Comme le disait, dès 1916, un religieux français éminent, le R. P. Delpuch, dans un exposé des raisons qui rendent le rapprochement à la fois plus aisé et plus désirable, « les besoins de l’heure présente sont cause de tout un travail dans les milieux orthodoxes fermés jusqu’ici à l’idée de l’Occident. »

D’un tel ensemble de faits, comment le Saint-Siège n’aurait-il pas tiré de conclusions ?


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Pour apprécier la portée des attitudes et des décisions que cette situation a inspirées au Pontificat actuel, il faut d’abord tenir compte de ce que, entre la Catholicité latine et l’Orient qu’elle appelle « séparé, » se place un Orient « uni, » c’est-à-dire en communion régulière avec le Saint-Siège, bien qu’il ait conservé la liturgie et la discipline qui lui sont propres. Indépendamment de quelques églises d’Asie-Mineure, — arménienne, grecque-melchite, syro-chaldéenne, syro-maronite, — qui se trouvent dans ce cas, on compte de six à sept millions de catholiques uniates, en Europe même, répartis à travers la Galicie orientale, la Transylvanie, le Banat ; et ce Rite intermédiaire, dont l’établissement remonte à la fin du XVIe siècle, a certainement laissé de fortes traditions en Ukraine, d’où il ne fut extirpé que par la persécution des Tsars.

Ce groupe uniate, désavoué comme « oriental » par les Eglises séparées, honni de l’ancien régime russe, suspect aux Polonais, ne paraît pas sans mérite d’être resté attaché à l’Eglise romaine, compte tenu surtout de ce que les préjugés d’une partie de la Curie en avaient fait un peu, jusqu’à notre époque, un « parent pauvre. » Les Papes modernes ont vu plus haut. Déjà Pie IX avait créé, à la Propagande, une section spéciale pour les affaires du Rite oriental, Léon XIII, en 1894, avait convoqué à Rome une conférence entre cardinaux latins et patriarches orientaux, au cours de laquelle le cardinal Langénieux préluda brillamment au rôle très français qu’il devait assumer, en 1900, pendant le Congrès de Jérusalem. Il est à noter que déjà la diplomatie allemande usait de son influence sur la Porte pour faire obstacle à ces contacts, et que, da Saint-Pétersbourg, pour des raisons différentes, on intriguait dans le même sens. Le grand Pape qui régnait alors n’en réussit pas moins à donner l’impression, qu’il voulait produire, d’une parité solennellement reconnue entre la catholicité latine et la catholicité gréco-slave. En relevant le prestige des Églises unies aux yeux du monde et à leurs propres yeux, ne faisait-il pas d’ailleurs une ouverture indirecte de conciliation aux Eglises séparées, puisqu’il effaçait jusqu’au soupçon d’une disqualification attachée au Rite oriental, et, du même coup, donnait une leçon discrète à certaines préventions latines ?

On dira de la politique de Benoit XV qu’elle a eu le mérite de stabiliser ces intentions prévoyantes. Tout d’abord, en pleine guerre, par le Motu proprio du 1er mai 1917 (Dei providentis), la section des affaires orientales à la Propagande est érigée en Congrégation nouvelle et autonome, qui s’appellera désormais Pro Ecclesia orientali. Le Pape s’en réserve la présidence, et le secrétariat-général en est confié au cardinal Marini, connu pour l’érudition avec laquelle il dirige le Bessarione, et pour la persévérance qu’il apporte à défendre les intérêts de l’union des Eglises. Presque en même temps que la Congrégation, Benoît XV fonde l’Institut pontifical oriental, qui tient à la fois de l’Université, du Séminaire et de l’Académie ecclésiastique, du moins en germe. Pour le moment, c’est un centre de formation pour les jeunes prêtres des Rites latin et unis qui se proposent d’exercer le sacerdoce en Orient ; les cours en sont également accessibles aux sujets des Rites séparés, qu’on espère attirer à Rome. L’Institut offre sur les Collèges orientaux d’ancienne date (grec, ruthène, polonais, arménien, maronite, etc.), une double supériorité : le prestige qui s’attache à une fondation pontificale et son caractère hautement international. Qu’il ajoute à ces avantages originaires par son propre mérite, et qu’il acquière, avec les années, la réputation d’un corps savant, ce sera sans doute un des organes les plus sympathiques de controverse amiable avec les théologiens ou les érudits des Eglises dissidentes.

Un an plus tard, le Saint-Siège inaugure la série des « visites apostoliques, » dont chacune se justifie sans doute par quelque but concret, mais dont l’ensemble laisse l’impression d’une exploration systématiquement organisée à travers la périphérie de l’ancien empire russe. En mai 1918, mission en Pologne de Mgr Ratti, où il devait être par la suite promu nonce : en Pologne alors occupée, excellent observatoire pour les affaires de Lithuanie, de Lettonie, baltes, ukrainiennes, etc. Mission en Ukraine, un peu plus tard, du P. Genocchi, religieux distingué, ardent Italien. Celle-ci a dû être singulièrement entravée par les événements politiques et militaires ; nous ignorons même jusqu’à quel point elle a été remplie sur place. Cependant, il se peut qu’elle ait, par infiltration, donné certains résultats : s’il en faut croire une information des Nouvelles religieuses du 15 juin dernier, un congrès ecclésiastique se serait réuni à Kherson et aurait marqué des tendances significatives à fonder une Eglise nationale, en communion avec le Saint-Siège.

Mission de notre compatriote le R. P. Delpuch, des Pères blancs d’Afrique, dans les provinces transcaucasiennes d’Arménie, Géorgie et Tartarie, où sa qualité d’envoyé du Pape lui vaut des honneurs officiels et son caractère bien français des sympathies personnelles. Assez inopinément, il a été remplacé dans ce poste par un dominicain italien, le P. Moriondo. Mission en Sibérie de Mgr de Guébriant, aujourd’hui supérieur général de notre séminaire des Missions étrangères : c’est la plus récente, et ce ne fut peut-être pas la moins féconde en renseignements inédits, si l’on songe que les catholiques sibériens, pour la plupart descendants de déportés polonais, et encore qu’ils se comptent seulement par dizaines de milliers, représentent un élément auquel les retours de la politique ont pu donner de l’importance.

Entre temps, pendant la période aiguë de la Révolution, le Saint-Siège n’a pas hésité à entrer en rapports avec le gouvernement bolchéviste pour essayer de lui arracher quelques victimes, choisies parmi les hauts dignitaires de l’Église officielle russe. A cet acte de haute charité et confraternité chrétiennes fait pendant, en quelque manière, une gracieuseté toute diplomatique, et qui doit être sensible aux Russes émigrés : M. Lyssakowski, accrédité auprès du Saint-Siège par le gouvernement provisoire en 1917, et ses collaborateurs, MM. de Bock et de Leslie, qui faisaient partie du personnel de l’ancienne Légation impériale, figurent invariablement à la même place, on la même qualité, dans les éditions successives de l’Annuario pontificio depuis cette époque.

La paix rétablie, les nouveaux et peut-être encore fragiles États nés du démembrement de la Russie aspirent, comme de juste, au plus grand nombre possible de « reconnaissances. » Nulle part leurs délégués ou envoyés officieux, en attendant la création de Légations proprement dites, ne sont accueillis avec plus d’empressement qu’à Rome. D’ailleurs, représentants de pays dans lesquels le catholicisme a plus ou moins de reprises à exercer sur d’anciennes conquêtes du protestantisme et du schisme gréco-slave, il faut bien convenir qu’avec eux quelques questions religieuses sont à mettre sur le tapis. Dans le courant des mois de juin et juillet 1919, M. Virgo (Esthonie), M. de Christiensen, remplacé depuis par M. Gummerus (Finlande), le comte Tyskiévilch (Ukraine) apportent des lettres de présentation à la Secrétairerie d’État. Un an plus tard, c’est le tour de M. Rantsan (Lettonie). Entre temps, le Saint-Siège rétablit le siège épiscopal de Riga et institue un nouveau vicariat apostolique en Finlande.

Les nonciatures récentes de Belgrade et de Bucarest répondent à des besoins bien déterminés, et d’ailleurs réciproques, de conversations d’affaires entre le Saint-Siège et des gouvernements mis par des annexions en face de situations confessionnelles neuves. Probablement des besoins analogues donneront lieu, entre le Vatican et la Grèce, à l’organisation de rapports diplomatiques auxquels le gouvernement de M. Vénizélos avait déjà pensé, et la Bulgarie marchera sur les traces de ses voisins et compétiteurs, ne fût-ce que pour ne pas les laisser profiter de son absence à la Cour romaine. Mais enfin, la part réservée aux intérêts du moment, et toutes affaires courantes traitées, on sent que l’action soutenue de représentants du Saint-Siège dans les capitales balkaniques peut servir des desseins de beaucoup plus longue haleine. Leur seule présence y marque déjà un très sensible progrès de l’influence qui émane du centre de la catholicité. Il est à peine utile de souligner que ce progrès encore est une conséquence de la guerre, car la Russie et l’Autriche d’autrefois, jalouses chacune de son protectorat religieux dans les Balkans, eussent également pris ombrage de ce que des nonciatures auraient eu pour effet naturel d’en diminuer le prestige.

De ses nonces Rome peut attendre, au bas mot, une influence conciliatrice sur les rapports entre membres du clergé des deux Rites, et par conséquent sur les dispositions personnelles de ceux qui tiennent, en somme, les clefs de la position doctrinale. Ils sont appelés à mettre, — non pas en forme d’argumentation dogmatique, mais en attitude et en procédés, — l’accent juste et rassurant sur les approches du catholicisme, si redoutées dans les Balkans jusqu’alors. Habiles, ils finiront par créer autour d’eux une atmosphère de confiance ; utiles, par se constituer une clientèle. Ce sont déjà de grands résultats pour une Puissance spirituelle accoutumée à ne pas compter avec le temps, et à laquelle la patience n’a jamais manqué.

En définitive, de la veille au lendemain de la guerre, les différences qui marquent l’état de la question des deux Rites peuvent se ramener à quelques traits originaux et saillants.

Autrefois, tous les ressorts de la politique, intérêts dynastiques, intérêts nationaux, traditions de la diplomatie, semblaient raidis contre l’éventualité d’un rapprochement : les voici qui se détendent, et, si la politique reste en jeu, nous dirons tout à l’heure dans quelle mesure, c’est plutôt à l’avantage des desseins et des espoirs romains.

Autrefois, la théologie seule, ou presque seule, paraissait l’arbitre du problème, ce qui n’était peut-être point pour en rendre la solution plus aisée : aujourd’hui, on dirait qu’elle a rétrogradé au second ou même au troisième plan, et, quand elle reviendra au premier, — car après tout, le mot de la fin n’appartient qu’à elle, — les choses seront probablement assez avancées, du côté de l’opinion et des gouvernements, pour inspirer aux controversistes le désir d’un accord.

Autrefois, les Papes faisaient des avances à l’Eglise grecque, plus particulièrement au Patriarchat de Constantinople, en considération de son ancienneté, de son prestige et de son indépendance relative vis-à-vis des Puissances temporelles. Mais l’Eglise nationale grecque se laisse ballotter aujourd’hui au gré des courants vénizélistes ou anti-vénizélistes ; elle est d’ailleurs en délicatesse avec le Phanar, qui lui-même a beaucoup perdu de son influence. A présent donc, nul ne peut s’y tromper, c’est du côté du monde religieux slave et surtout de la Russie que le Saint-Siège s’oriente.

Autrefois enfin l’ambition, pour ainsi dire sacrée, que nourrissent les Pontifes romains, de ramener à la communion catholique tout le christianisme dissident, semblait tenir la balance égale entre l’hérésie protestante et le schisme gréco-slave, et sans doute avaient-ils à se féliciter d’un plus grand nombre de conversions individuelles du côté de celle-là que de celui-ci. Le Pontificat actuel, autant qu’on en peut juger par son attitude extérieure et générale, marque décidément des sentiments plus empressés, plus paternels, plus confiants surtout, à ces fils d’Orient qui viennent pour la plupart d’essuyer tant d’épreuves et auxquels il ne manque que la componction pour ressembler un peu à l’Enfant prodigue. Aussi bien faut-il convenir que le protestantisme anglo-saxon a déployé, depuis la guerre, un effort de prosélytisme dont il était bien impossible qu’on ne fût pas ému à Rome. L’Interchurch World Movement, qui vise à une sorte de fédération des Eglises protestantes, et l’activité de la propagande méthodiste, avec concours de boy scouts, jusqu’en Italie, avaient déjà de quoi donner de l’inquiétude ou de l’importunité au Vatican. Mais nous verrons tout à l’heure que, de surcroit, l’anglicanisme accentue ses avances à la chrétienté orientale, et vise, à son tour, « à réaliser l’unité chrétienne par l’Orient. » Ceci est un acte direct de rivalité qui porte sur le terrain même où le Saint-Siège se place, et où nous nous efforçons de le suivre au cours de cette étude.


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Tel est l’état d’une grande question religieuse dont l’intérêt traditionnel semble dès à présent dépassé par l’intérêt qu’elle est appelée à prendre. Jadis, quand l’idée de chrétienté était assez vivante pour que rien d’important ne pût se produire dans l’ordre international sans qu’il en fût tenu compte, le fait que le Saint-Siège mit les ressources de sa politique propre au service de la réconciliation des deux Rites eût exercé sur la politique générale une influence constante. Aujourd’hui que le mot de chrétienté n’offre plus guère qu’un sens historique, il manque peut-être à cette question un aspect central. En revanche, elle abonde en aspects particuliers, variables avec les intérêts d’État à travers lesquels elle s’insinue.

Son domaine géographique, tout d’abord, s’étend à l’ensemble de l’Orient européen et méditerranéen, c’est-à-dire à une zone peuplée de quelque trois cents millions d’âmes, et dont l’état politique, considéré en général, s’est caractérisé jusqu’ici par une influence sensible de l’état religieux sur les classifications ethniques, les mœurs, le droit public, le fondement et l’exercice même du principe d’autorité. Comparés à l’Occident, ce sont peut-être des pays, — nous parlons toujours en général, — où la religion exhale une moindre spiritualité. Mais ce sont en revanche, et jusqu’à nouvel ordre, des pays de moindre laïcisation.

A partir du siècle dernier, ce proche Orient européen ou asiatique a été considéré comme ouvert aux compétitions internationales, commerciales et financières. Et l’indice le plus manifeste de la place que les religions y tiennent, c’est que la politique dite « d’influence, » avant-coureuse ou régulatrice de la politique de conquête, s’est ingéniée à s’assurer des concours religieux et a même pris un peu l’habitude d’en faire le pivot de ses intrigues. C’était déjà vrai de l’Asie-Mineure, du Levant et de la péninsule balkanique, au temps où la Russie impériale faisait exception, barricadée qu’elle était derrière une religion officielle contre laquelle elle n’eût pas toléré la moindre entreprise. C’est vrai aujourd’hui, ou plutôt ce le sera demain, de la Russie elle-même, puisque la brèche ouverte par la Révolution laissera passer désormais les propagandes de l’Occident, qui d’ailleurs, sous ce rapport, et depuis le bolchévisme, a bien une revanche à prendre.

On n’est vraiment embarrassé que du choix pour établir par des exemples concrets, à quel point la question des rapports entre les deux Rites s’enchevêtre dans l’économie des affaires proprement politiques, qui pullulent au lendemain de la guerre. Jamais, par exemple, la propagande confessionnelle n’a pris de formes plus variées et plus pénétrantes dans la partie asiatique de l’ancien Empire ottoman. Le contre-coup de la chute du césaro-papisme russe s’est fait sentir, comme de juste, sur les communautés slavo-orthodoxes d’Arménie, de Syrie, de Palestine, dont la plupart ne devaient leur prospérité qu’à l’appui diplomatique et financier du régime impérial. Il semblait donc que le catholicisme dût profiter tout le premier de ce désarroi, et Rome en a certainement conçu l’espoir. Mais voici que se lèvent, animés d’une ardeur inattendue, de nouveaux compétiteurs. Passons sur le sionisme, auquel la sympathie du gouvernement de Londres peut bien assurer un foyer territorial, sans toutefois augmenter le moins du monde, bien au contraire, la puissance d’attraction de la religion judaïque. Le protestantisme anglo-saxon, en revanche, recherche activement des conversions, ou, si l’on préfère, une clientèle. Américaine, sa propagande participe sans doute de la vague de prosélytisme qui nous est venue des États-Unis depuis 1917, sans exclure quelque arrière-pensée de pénétration plus utilitaire. Anglicane, elle s’inspire de l’un et l’autre mobile, très probablement aussi d’un troisième, celui-là politique, puisque nous savons que l’Église officielle d’Angleterre, depuis fort longtemps, cherche à entrer en rapports confessionnels avec les Églises grecques ou slaves, pour le plus grand profit de l’influence britannique.

Dans les Balkans, à la rivalité classique entre le protectorat catholique de l’Autriche et l’influence protectrice de la Russie sur les Églises autocéphales, succède un ordre de choses qui entrait depuis longtemps dans les vues de la Cour romaine. L’ère est ouverte des rapports diplomatiques directs et des Concordats avec les États nouveaux. Comme s’il avait le sentiment d’une entaille dans la tradition confessionnelle, et d’une entaille qui peut s’élargir, le haut clergé orthodoxe considère ce changement d’un regard qui n’a rien d’approbateur. Les évêques roumains ont même manifesté assez haut leur mécontentement, et se son* hâtés de convier leurs collègues de la Transylvanie annexée à former corps avec eux pour la défense de l’Église nationale commune. Nous aurons déjà un critérium de l’état politique intérieur, quand nous saurons jusqu’à quel point les pouvoirs publics et l’opinion laissent le catholicisme prendre du champ, et donner libre jeu à ses différents organes, parmi lesquels n’oublions pas de compter les Congrégations. Il se pourrait que l’indifférence religieuse, qui est le fait de beaucoup de ministres, députés et membres des classes moyennes balkaniques, — soit dit sans les désobliger, — laissât au Vatican les coudées assez franches.

C’est une autre question, celle-là d’importance extérieure, de savoir quel sera l’esprit de la politique catholique, une fois à l’aise dans les Balkans. Elle n’a plus à tenir compte des combinaisons autrichiennes : le Saint-Siège lui peut donner des inflexions indépendantes. Qui sait quels intérêts locaux, nationaux, généraux peut-être, lui feront des avances ? Et qui sait à qui elle jugera opportun d’en faire à son tour ? On ne peut s’empêcher de penser, par exemple, à la versatilité de Ferdinand de Cobourg, qui, pour des raisons assurément politiques, fait abjurer le catholicisme à son fils Boris, est excommunié, puis se réconcilie avec l’Église romaine, obtient du vicaire apostolique de Sofia, Mgr Menini, la bénédiction nuptiale pour son second mariage avec la princesse de Reuss, enfin, pendant la guerre, s’abouche à Vienne avec le nonce Scapinelli pour préparer, a-t-on dit alors, les voies à un Concordat. Du reste, même l’Eglise bulgare, vers 1860, au plus fort de ses démêlés avec le Patriarchat de Constantinople, ne marqua-t-elle pas des velléités de s’unir à Rome ? L’intrigue a pris souvent le masque catholique, — comme d’ailleurs, et bien entendu, le masque gréco-russe, — dans la péninsule des Balkans. Quand elle a réussi à mettre la force de son côté, et, par exemple, au moment de la signature du traité de Bucarest, certaines annexes stipulaient, au profit des Missions allemandes ou austro-hongroises en Roumanie, le droit à une sorte de personnalité civile, qui emportait celui de se constituer en associations légales et d’ouvrir des maisons d’enseignement. L’équilibre des influences a certainement changé d’aspect dans cette partie de l’Europe ; mais les influences y sont-elles beaucoup plus désintéressées et ne disposent-elles pas toujours des mêmes moyens ?

La résurrection de la Pologne a certainement répondu au vœu de la Papauté, sinon même à un espoir qu’elle fut presque seule à entretenir pendant la seconde moitié du XIXe siècle, et qui perce sous les protestations arrachées à Pie IX par la persécution russe. Traditionnelle ou actuelle, la Pologne mérite au mieux, en effet, d’être qualifiée Puissance catholique, si tant est que, dans la langue, politique, ce terme offre un sens défini. En tout cas, c’est la nation, parmi les Slaves, dont le clergé se tient le plus naturellement soumis à la discipline romaine. Elle s’enorgueillit de la pureté de son catholicisme. Elle a tenu haut le drapeau de sa religion contre l’Islam et contre le schisme russe. Mais tout cela, précisément, ne semble guère la disposer à collaborer à une politique qui tend à la réconciliation des deux Rites, ni peut-être même à en juger la portée avec sang-froid. Ajoutez que la nouvelle République hérite un peu de l’antipathie des Polonais de Galicie contre les Ruthènes de la même province, antipathie de race, entretenue par une différence rituelle, puisque ces Ruthènes, en très grande majorité, sont Uniates.

Autour de cette question uniate gravite un des plus délicats problèmes qu’ait à se poser la Cour de Rome, même si elle en pouvait laisser de côté les aspects proprement religieux et disciplinaires. Pour gagner les Orientaux, cherchera-t-elle à propager le Rite uni, qui laisse à ces derniers l’extérieur d’un Culte national ? Pour ménager les Polonais, fera-t-elle plutôt fond sur la propagande catholique latine, dont ces derniers, au surplus, s’offriraient volontiers à être les zélateurs ? Les Polonais sentent très bien le danger, à leur point de vue, des affinités uniates entre la Galicie orientale et l’Ukraine, comme d’ailleurs l’Autriche les avait senties en confiant à Mgr Szepticky, toujours vivant, et sans doute agissant, la mission que nous avons rappelée. Les Uniates étaient encore nombreux en Ukraine à la fin du XVIIIe siècle ; on en comptait près de trois cent mille dans le seul diocèse de Chelm, le dernier qui fut supprimé par le Gouvernement russe en 1875, et celui-là même qui forme l’objet d’un « contesté » célèbre entre l’Ukraine et la Pologne. S’il est exact qu’une Eglise ukrainienne autonome tende à se constituer et que certains de ses dignitaires, comme Mgr Alexis, évêque de Cherson, marquent des dispositions à l’union avec Rome, la question religieuse et la question politique, au point de vue polonais, sont en train de chevaucher de plus en plus l’une sur l’autre. Il se pourrait donc qu’avant longtemps le nonce à Varsovie eût sur les bras quelque affaire qui lui rappelât les émotions de la période critique en. Haute-Silésie.

Tout semble concourir, au contraire, à faire de la Jugoslavie actuelle un magnifique champ d’expérience de la politique qui vise à réconcilier les deux Rites. Le nouvel État englobe à peu près six millions de Serbes orthodoxes et un chiffre sensiblement égal de Croato-Slovènes catholiques. L’Occident et l’Orient confessionnels s’y touchent sans se combattre, — en dépit des informations tendancieuses auxquelles certains organes catholiques français ont le plus grand tort de faire écho, — ou plutôt, les mœurs et les événements historiques les ont déjà rapprochés. Au rebours de ce qui se passe d’ordinaire, le nationalisme a été là un agent de tolérance religieuse. En 1848, le Croate Jellacitch se fit consacrer Ban par le patriarche serbe-orthodoxe de Karlovtsi. L’illustre Strossmayer était aussi populaire à Belgrade qu’à Zagreb. Pendant les trente dernières années du régime des Habsbourg, toute la partie éclairée des Croates et des Dalmates, clergé catholique compris, se rendaient compte que la clef de l’émancipation nationale consistait en une ferme cohésion avec la Serbie. Le scandaleux procès d’Agram de 1909, au cours duquel le gouvernement impérial et royal s’arma de faux témoignages contre le patriotisme des inculpés, n’a pas eu d’autre cause. De 1914 à 1918, la persécution politique, en Transleithanie, a confondu les prêtres des deux religions. Pendant la Conférence de la paix, Mgr Caritch, évêque catholique, et Mgr Bulitch, conservateur des trésors archéologiques de Spalato, vinrent à Paris prendre contact avec la Délégation de leur pays, porteurs de desiderata signés collectivement par un certain nombre de leurs collègues et de prêtres des deux Rites.

Sous Léon XIII fut conclu le Concordat avec le Monténégro (1886) ; sous Pie X le Concordat avec la Serbie (1914). Aujourd’hui que la Papauté est entrée dans une période d’épanouissement de ses contacts diplomatiques, il n’est que juste de rappeler que deux gouvernements jugo-slaves, parmi les Puissances « orthodoxes, » ont été les premiers à donner l’exemple de la courtoisie et de la confiance à son endroit, à une époque où, en prenant cette attitude, ils étaient sûrs de déplaire tout en même temps à l’Autriche et à la Russie.

Toutefois, un concours de circonstances et de conditions intérieures si favorables, en Jugoslavie, à la maturité d’un rapprochement spirituel entre l’Eglise catholique et l’Eglise gréco-slave, trouve sa contre-partie dans les exigences de tiers intérêts, dont la politique prend nettement à revers les intentions que le Saint-Siège dirige vers ce but. Déjà, pendant la guerre, la Cour de Vienne s’était efforcée d’obtenir du Vatican qu’il désavouât l’attitude patriotique, et, — les événements l’ont prouvé, — clairvoyante, du clergé slovène, croate et dalmate. On attendit, à Rome, jusqu’à la décision du conflit, pour reconnaître officiellement le délégué du Gouvernement de Belgrade, autrement dit d’un pays qui, pour traverser à ce moment les pires épreuves, n’en était pas moins concordataire. M. Gavrilovitch fut traité avec égards, et certes sa distinction le méritait bien, mais enfin jamais son nom n’a figuré dans l’Annuario pontificio, à côté de ceux de diplomates russes qui pourtant, à la même époque, ne représentaient plus personne. — Plus tard, l’annexion à l’Italie de l’Istrie, du Gorizien et d’une partie de la Carniole a donné lieu, dans le personnel ecclésiastique de ces provinces, à des mutations qui étaient sans doute naturelles, mais dont quelques-unes auraient peut-être gagné à ne pas devancer la signature du traité de Saint-Germain. Enfin M. Gabriele d’Annunzio fait son apparition sur les premiers plans de la scène contemporaine et trouve moyen de procurer l’insertion d’une page de politique religieuse dans l’histoire de la Régence du Quarnero.

De temps immémorial, la ville de Fiume relève de la juridiction de l’évêque de Senj (Croatie maritime). Sa cathédrale est tout justement une de celles où le paléo-slave fait office de langue liturgique. Sous les pontificats précédents, l’Ambassade d’Autriche-Hongrie auprès du Saint-Siège s’était efforcée sans succès d’obtenir que Fiume et son territoire fussent érigés en diocèse autonome. L’intérêt politique que les Magyars trouvaient à cette disjonction se heurtait à la résistance des Croates, en faveur de laquelle Mgr Ratchki et son ami le comte Constantin Vojnovitch usèrent efficacement du crédit dont ils disposaient à Rome. On ne demandera donc pas pourquoi la Croatie, ou plutôt la Jugoslavie tout entière apprirent avec quelque émotion, en 1920, que Dom Celso Costantini, ancien aumônier militaire et ami personnel du Dictateur, était désigné comme administrateur apostolique de Fiume, satisfaction dont jadis Sa Majesté l’Empereur d’Autriche et Roi de Hongrie se fut certainement contentée.

M. d’Aununzio répondit à tant d’aménité par un trait de poésie : car c’est tout ce qu’on peut dire de moins sévère pour la Constitution qu’il imagina de donner au nouvel État, et dans laquelle une certaine religion « éthique » prenait la place de la catholique. Seulement, de la Save à l’Adriatique, le choc en retour fut plus sérieux. Il en eût moins fallu pour fournir au sentiment « vieil orthodoxe » un prétexte à retourner à ses préventions contre le Vatican. La propagande anglicane qui commence à s’exercer en Serbie, avec un demi-succès, au profit de l’idée d’« inter-communion » avec l’Eglise gréco-slave, ne pouvait manquer de s’inspirer de cet épisode. Un peu plus tard, un évêque serbe, Mgr Dositek, allait tendre bruyamment la main, en Tchéco-Slovaquie, à la portion du clergé qui vient de se détacher de la communion romaine. A Zagreb, on fut plutôt contristé, du moins dans les milieux catholiques, où la fidélité dogmatique s’accompagnait jusqu’à présent d’une simplicité filiale à correspondre en tout aux intentions du Saint-Siège, un peu à la façon des Français formés, sous Pie IX, à l’école de Louis Veuillot. C’est dans cette ville qu’eut lieu, en 1900, un célèbre Congrès eucharistique qui se termina, comme beaucoup d’autres, par une motion ardente en faveur du Pouvoir temporel : telles étaient les mœurs du temps.

Strossmayer, qui mit une part de son génie, et certainement tout son cœur, à populariser l’idée de la réconciliation des Eglises, et qui la rendit accessible même à certaines sphères russes de son époque, avait l’intuition des difficultés qu’éprouverait la Cour de Rome à défendre les intérêts d’une cause si noble contre certaines influences latines, sinon même italiennes. Lui surtout, l’éminent théologien, ne comptait pas beaucoup sur la vertu persuasive de la dogmatique : il était convaincu qu’à la base de toute politique de rapprochement se plaçait la compréhension de l’âme slave, en tout ce que le mysticisme de cette âme emprunte au sentiment national, et en tout ce que ce sentiment national recèle de juvéniles susceptibilités. Il partait même de là pour entrevoir que l’Eglise universelle, si jamais l’Orient rentrait dans son sein, devrait associer à son propre gouvernement une représentation plus large, et surtout plus effective, des diverses nations dont l’ensemble constitue la catholicité. Ces tendances, dont il ne faisait pas mystère à ses amis et à ses hôtes, car il était un éblouissant causeur, expliquent peut-être qu’il soit mort respecté, mais tenu à distance tant par la Cour de Rome que par celle d’Autriche. En revanche, sa mémoire n’est étrangère ni méconnue dans aucun pays slave : le fait est qu’elle continue à planer sur le grand problème religieux qu’il avait étudié mieux que personne et dont l’étendue se révélera peut-être avec la régénération de la Russie.


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La perspective qu’une question religieuse d’une telle envergure puisse être incorporée à l’ensemble du problème russe ne saurait manquer d’ouvrir un champ étendu aux conceptions, aux expériences, aux intrigues aussi de la politique. Elle nous met tout d’abord en présence de conjectures. En quel état « l’âme religieuse » de la Russie sortira-t-elle d’une crise qui date de la période constitutionnelle, et jusqu’à quel point ses besoins de croyance et de culte auront-ils défié les résultats de révolutions successives ? Le dernier essai législatif digne de ce nom qui ait été fait pour doter la Russie d’un statut religieux moderne remonte au temps de Kerensky, — car la proclamation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le 10 juin 1918, par le Gouvernement des Soviets, ne fut en réalité qu’un épisode de la persécution bolchéviste. Certes, lorsque, l’année, précédente, le Gouvernement provisoire se déclara prêt à mettre en vigueur un régime d’égalité et de la liberté des Cultes, le Vatican, excédé des procédés du Tsarisme, trouva ces velléités rassurantes et se hâta même d’en prendre acte. Mais qu’en penseront les Russes demain ? Elles s’inspiraient, en somme, d’un occidentalisme assez banal. Question, par conséquent, dont l’intérêt n’est pas uniquement rétrospectif, de savoir si elles traduisaient exactement des dispositions devenus familières à la Russie nouvelle, ou si elles n’en donnaient qu’une interprétation tamisée par des cerveaux de « libéraux » et de « Cadets. »

Autre question : la liberté et l’égalité des Cultes supposées admises en Droit public, dans quelle mesure le catholicisme sera-t-il à même d’en profiter ? Est-ce que l’autocratie, lorsqu’elle l’identifiait avec le « polonisme, » c’est-à-dire avec l’ennemi national, se bornait à entretenir une confusion volontaire et artificielle justifiée seulement par la raison d’Etat ; ou s’inspirait-elle, dans une certaine mesure, d’un sentiment populaire, enraciné, et tout à fait capable de survivre à la Révolution ? Le sujet offre d’autant plus d’importance qu’on ne compte guère que par unités les prêtres catholiques de nationalité proprement russe. Ceux dont le gouvernement impérial tolérait la présence étaient presque tous Polonais ou Lithuaniens. Par conséquent, si le Saint-Siège se trouve avoir à ménager en. Russie des susceptibilités nationales renaissantes, il y devra ranimer le culte catholique avec le concours de sujets étrangers pour la plupart, c’est-à-dire, pratiquement, faire appel à la bonne volonté de Congrégations religieuses. — Et voilà, certes, l’intérêt politique mis en éveil.

Mais le point décisif est encore de savoir si la Russie se reconstituera une ou diverse, et l’inconnue, ici, engage un intérêt religieux et un intérêt politique étroitement entrelacés, puisque, si l’ancien Empire des Tsars est appelé au même sort que la Monarchie de Habsbourg, vraisemblablement chaque État cherchera dans quelque ritualisme national un symbole de différenciation d’avec ses voisins et une sorte de clôture morale contre leurs ingérences. Le processus de l’influence de la religion sur l’Etat suivrait dès lors la courbe inverse de celle que nous avons constatée à travers la péninsule balkanique et ramènerait la Russie démembrée à une formule beaucoup plus éloignée de la laïcité constitutionnelle que du type d’église nationale traditionnel dans la Russie unitaire. On nous dit déjà qu’en Ukraine les tendances séparatistes s’appuient sur un mouvement religieux favorable à la reconstitution de l’Eglise uniate, et par conséquent à un retour à la communion avec le Saint-Siège. Des observateurs dignes de foi assurent qu’au sein des Républiques transcaucasiennes de Tartarie, Géorgie et Arménie, — où d’ailleurs on doit compter beaucoup de musulmans et de sectes orthodoxes dissidentes, — une partie de l’opinion confond dans la même rancune l’absolutisme et le Saint-Synode de l’ancien régime, au point de sentir un intérêt politique à se dissocier de l’orthodoxie russe, même rendue à l’indépendance.

Bien entendu, la fermentation à laquelle donnera lieu cette réintégration politico-religieuse, quelque forme qu’elle prenne, sera suivie de près par des tiers qui ne voudront pas être seulement des témoins. Aujourd’hui, gouvernements, financiers, commerçants, constructeurs de chemins de fer, philanthropes même peut-être, sont aux aguets devant les événements de Russie, ou leurs prodromes. Pourquoi pas aussi le prosélytisme religieux ? Il est dans son droit et peut-être parfaitement à sa place. Seulement, ne nous faisons pas l’illusion qu’il pénètre en Russie, du moins la plupart du temps, avec la tranquille et inviolable majesté d’une force morale. Alternativement, il passera à travers les chemins que la politique aura frayés, ou se chargera d’en faire d’autres, à travers lesquels la politique passera. A elle seule, cette loi d’expérience pourrait suffire à nous rendre attentifs, si nous n’avions déjà quelques raisons plus précises de regarder les choses de près.

En Allemagne, où l’on a tant de moyens de connaître les affaires de Russie, et tant de motifs d’y prendre intérêt, certains groupements catholiques, — de ceux qui ne manquent jamais de faire passer beaucoup de zèle national sous le manteau de leur dévouement aux intentions du Saint-Siège, — offrent déjà leur collaboration à la politique des deux Rites. Tel est le cas, notamment, de la Ligue catholique de Munich, dont l’un des membres les plus agissants, le docteur Fœrber, confiait l’année dernière ses idées sur ce sujet au Prizyf, journal russe qui s’édite à Berlin. Au début de cette année, un périodique qui paraît dans la même capitale, Das innere Leben, nous a donné l’historique de colloques entre des Russes émigrés et des personnalités catholiques allemandes, en la présence de Mgr Ropp, colloques destinés à préparer les voies au rapprochement des Eglises. Mgr Ropp est cet archevêque de Mohilew qui, emprisonné par le gouvernement des Soviets, obtint sa libération par l’intermédiaire du Saint-Siège. En instance pour rentrer à Moscou, il a donc été le sujet et le bénéficiaire d’une négociation avec les bolchévistes, circonstance qui peut l’avoir préparé à devenir négociateur à son tour.

L’Osservatore romano du 7 février dernier, sous le titre Per l’unione dei Russi alla Chiesa cattolica, rapporte, d’après l’organe berlinois, que Mgr Ropp prit une part active à ces colloques, et qu’il assura être à même, par ses relations internationales, de provoquer une Union d’Associations catholiques en faveur de ce dessein. Nous ignorons jusqu’à quel point il lui a été possible de tenir parole, mais il nous semble qu’un des membres de ces réunions, — toujours d’après la même source, — a émis une proposition au moins aussi efficace, en opinant qu’il convenait de confier la propagande pour l’union des Eglises à des Congrégations religieuses opportunément choisies. Depuis la mise en vigueur du Traité de Versailles, les Congrégations où l’élément allemand prédomine, — et par exemple les Pères du Verbe divin de Steyl, — ont assez de sujets disponibles pour répondre à cet appel.

L’Angleterre catholique ne semble pas avoir marqué jusqu’ici beaucoup de sollicitude au rapprochement avec les Églises orientales. C’est bien plutôt l’Eglise anglicane qui prend cette politique à son compte, et qui entre, sur ce terrain, en rivalité directe avec le Saint-Siège. Au cours d’une remarquable monographie qui a paru en 1920 dans les Études, le P. Michel d’Herbigny a rappelé les étapes de cette tentative prolongée d’ « inter-communion, » dont on aurait tort de croire que la diplomatie anglaise se désintéresse, et pour cause. En tout cas, les voyages en Russie de William Palmer, de 1840 à 1851, et les relations que le célèbre journaliste W.-J. Birbeck avait eu l’habileté de nouer avec de hauts dignitaires de l’Eglise russe, mieux encore avec M. Pobjedonotzew en personne, ont abouti plus tard à des résultats officiels, auxquels sans doute l’Ambassade britannique à Saint-Pétersbourg n’a pas manqué de tenir la main. L’Eglise d’Angleterre était représentée par le Bishop Creigton au couronnement du tsar Nicolas II, l’Eglise russe par Mgr Antoine, archevêque de Finlande et de Viborg, au jubilé de la reine Victoria. De nos jours, d’assez fréquentes informations sur l’état des affaires russes nous parviennent par l’organe de The Anglican and Eastern Association, à laquelle s’étaient inscrites, avant la crise bolchéviste, un grand nombre de notabilités ecclésiastiques tant anglaises que russes, et qui a pour président Mgr Tykon, élu en 1917 patriarche de Moscou.

La chute du régime impérial ne mit pas fin, loin de là, aux avances de l’Eglise anglicane. Un mois après l’abdication du Tsar, le 15 avril 1911, anniversaire de la Pâque orthodoxe, son Primat envoyait, par télégramme, « un salut pascal au Saint-Synode. » Il renouvela ses démarches, très clairement destinées à provoquer une conversation théologique, auprès du Concile panrusse qui élut Mgr Tykon, et il reçut de lui, le 14 décembre 1917, une réponse encourageante, qui amorçait « des relations plus étroites avec les Églises épiscopaliennes d’Angleterre et d’Amérique. » De tels précédents autorisent à envisager, pour le moment où la Russie entrera dans une période d’accalmie, une reprise de cet échange de bons procédés.

Entre temps, le Phanar se faisait représenter officiellement à la Conférence de Lambeth, organisée par le Primat de Cantorbéry, et ce sont les Grecs de Constantinople et du Levant qui paraissent suivre avec le plus d’intérêt ces tentatives d’inter-communion. Ce que nous savons de la politique orientale de l’Angleterre donne à penser que le Foreign Office est loin de les trouver dépourvues d’opportunité.


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On peut se demander jusqu’à quel point les vues de la Papauté sur l’Orient séparé convergent vers les mêmes buts que l’intérêt de la France.

Gardons-nous, tout d’abord, des généralisations. Il en est une, familière aux esprits enclins à confondre l’apologétique avec la politique, qui consiste à entrevoir pour notre pays, dès lors qu’il a repris officiellement contact avec le Vatican, une sorte de disposition permanente à se solidariser avec les intérêts catholiques, conformément, a-t-on soin d’ajouter, — ce qui est d’ailleurs sujet à caution, — à sa tradition nationale. Encore qu’on ne pense ici, je suppose, qu’aux intérêts extérieurs, ce critérium nous conduirait déjà à fausser la balance de nos rapports avec les nations étrangères, en attribuant plus de poids qu’il ne convient à une donnée confessionnelle, ou en préjugeant, des catholiques d’autres pays, plus d’entr’aide qu’ils ne sont en situation ou en disposition de nous en offrir. Il nous aliénerait, en revanche, des sympathies utiles. Il nous exposerait à nous mêler d’affaires qui ne nous concernent point : j’ai peine à croire, par exemple, que nous ayons le moindre intérêt à suivre, autrement qu’en spectateurs, les conflits entre catholiques slovaques et socialistes tchèques, entre « Populaires » italiens et partis constitutionnels. Il nous ferait un peu plus victimes du mirage de la dissociation du Reich allemand, par la vertu centrifuge, ou censée telle, du catholicisme bavarois. Il pourrait même aboutir à nous faire prendre le change sur le degré de sérieux, ou même sur le degré d’innocuité, que présentent politiquement les Internationales catholiques écloses en si grand nombre depuis deux ans, pour la jeunesse, l’âge mûr, les œuvres sociales, la réconciliation des peuples, et sait-on quoi encore ? Il finirait par nous ramener tôt ou tard, par choc en retour, à la tragique antithèse entre la France de la Révolution et l’autre. Bref, on a peine à imaginer une conception à la fois plus bornée et plus funeste, j’entends funeste même et surtout aux intérêts de la « reprise » avec le Vatican.

Même en la matière circonscrite qui forme le sujet de cette étude, généraliser serait téméraire. Sans doute, en Asie-Mineure et dans le Levant, certains liens très anciens entre le catholicisme et la politique française ont conservé toute leur force : et là donc nous pouvons trouver de l’avantage à ce que les Eglises orientales entrent en communion avec le Siège romain. Ailleurs, et par exemple en Jugoslavie, la paix religieuse importe particulièrement à l’homogénéité et à la santé morale de l’Etat : si l’influence du Saint-Siège s’emploie à rendre les rapports entre les deux Rites de plus en plus fraternels, et surtout à déjouer les intrigues contraires, elle s’exercera dans un sens conforme à la fois à ses intérêts et aux nôtres.

En revanche, sur les confins occidentaux de l’ancienne Russie, pour apprécier si nous trouverons notre compte aux progrès de la réconciliation des deux Eglises, il faudrait savoir au préalable comment nous mettrons d’accord notre politique polonaise avec notre politique russe, et ce que sera cette dernière. Du temps des Tsars et de l’Alliance, nos rapports confessionnels avec les Russes étaient d’une extrême simplicité : ils ne s’occupaient pas plus de notre religion que nous de la leur. On a vu par ce qui précède que cette formule est peut-être aujourd’hui trop rudimentaire, et qu’en tout cas, certaines initiatives d’autrui nous donnent sujet de réfléchir à la façon de la rendre plus affinée.

Affaire de tact, questions d’heure et d’espèce. Perspectives, assurément, de nombreux et utiles échanges de vues avec, le Vatican, de rencontres occasionnelles d’intérêt, et par conséquent de collaboration, à la fois assez circonscrite et assez loyale pour qu’une partie ne se laisse pas entraîner par l’autre au-delà de ce que le bien de sa propre politique exige. Le point est de ne pas prendre à la lettre les prémisses posées dans certains articles ou interviews de la presse quotidienne et d’après lesquelles nous pourrions nous attendre à une coopération de principe du Saint-Siège pour les affaires d’Europe centrale et d’Orient. La peinture à fresque est d’un bien meilleur effet sur la voûte de la Chapelle Sixtine que sur le plan descriptif des avantages, d’ailleurs certains, que nous avons trouvés à « renouer » avec le Vatican. Caso per caso, voilà la devise. Nous serions surpris qu’elle parût trop modeste à la fine pondération du prélat qui vient de prendre possession de la nonciature de Paris et qui s’est assuré, dans la personne de Mgr Evreimoff, la collaboration d’un connaisseur, par le menu, de ces questions orientales.

La seule chose sûre, c’est que, si la Papauté se trouve jamais dans le cas de mettre l’accent sur sa politique de réconciliation avec l’Orient, sans être ni sollicitée, ni gênée, par des influences extérieures, en une de ces heures de trêve, — après lesquelles tant de Pontifes ont dû soupirer en secret, — où elle peut se donner tout entière à la spiritualité de sa fonction, elle trouvera ses auxiliaires les mieux préparés, les plus désintéressés, parmi les religieux français. On ne sait pas assez que nos compatriotes engagés dans les Ordres sont à la tête de près de la moitié des 180 Vicariats apostoliques disséminés à travers le monde, et qu’ils prennent ainsi part, dans une proportion qui défie toute rivalité, au gouvernement particulier de la Propagande.

Il est aussi de fait que, jusqu’à présent, les Séminaires orientaux voués à la formation de jeunes prêtres pour les Rites unis sont à peu près exclusivement des Œuvres françaises. Tel est le cas du Séminaire de Saint-Louis, à Constantinople, qui appartient aux Capucins, de celui de Kadikeni, fondé par les Assomptionnistes, de la Mission dominicaine de Mossoul, des maisons dirigées par les Jésuites à Beyrouth, par les Pères Blancs d’Afrique à Jérusalem, par les Lazaristes à Salonique, et nous en oublions. Les autres nations n’ont jamais pris qu’une part insignifiante à cet effort continu, grâce auquel s’entretient, avec la vitalité du Rite oriental, le principe même sur lequel le Saint-Siège fonde son espoir d’attirer à lui les Rites séparés. Nos Congrégations missionnaires nationales, de fondation récente, telles que les Assomptionnistes et les Pères Blancs, ou même de plus anciennes, nées en France, et encore dirigées par des supérieurs généraux français, bien qu’aujourd’hui de composition internationale, — Oblats de Marie, Prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin, Maristes et tant d’autres, — offrent des sujets en grand nombre auxquels leurs études, leurs voyages, des goûts acquis ou développés en cours d’apostolat, ont donné pour ainsi dire ce pli auquel on distingue non seulement le connaisseur et le familier, mais presque l’homme épris de l’Orient religieux.

Encore un coup, la politique a des exigences qui ne, permettent pas d’envisager les intérêts extérieurs d’un pays comme le nôtre systématiquement en fonction d’un problème confessionnel, — alors surtout que les étapes qui nous séparent encore de la solution peuvent s’allonger à travers les lustres et même les siècles. Mais elle ne saurait s’en désintéresser non plus. Nous en avons dit les raisons. Et du moins, lorsque diplomates ou hommes d’Etat se seront donné la peine de saisir au passage quelque épisode du processus de la réconciliation des Rites, — à laquelle on nous permettra d’ajouter que nous avons personnellement foi, — ils n’auront pas, comme on dit, perdu leur journée. Ils l’auront vécue, au contraire, en contact avec une grande Idée, devenue d’un attrait plus précis et plus constant, depuis que la guerre a changé l’aspect du monde.


CHARLES LOISEAU.