La Politique de la Prusse et les Polonais/02

La Politique de la Prusse et les Polonais
Revue des Deux Mondes5e période, tome 48 (p. 519-550).
LA POLITIQUE DE LA PRUSSE
ET LES POLONAIS

II[1]
LA LOI D’EXPROPRIATION

L’organisation économique des Polonais avait mis en échec la Commission de colonisation ; elle ne trouvait plus à acheter que des terres allemandes et à des prix qu’elle ne pouvait, ni ne voulait payer. La germanisation par la conquête marchande était donc enrayée, et la « question polonaise » se posait de nouveau devant le pays, plus compliquée et plus passionnante. Elle s’envenime en vieillissant. Quels moyens avait le gouvernement pour tenter une fois encore de la résoudre ? Il y a deux méthodes connues et tour à tour essayées : l’une consiste à traiter les Polonais selon le droit commun à tous les Prussiens, malgré leurs torts réels ou prétendus ; l’autre les tient pour d’irréductibles ennemis et les soumet à des lois d’exception qui compliquent le problème et en retardent la solution dans la mesure où elles sont plus rigoureuses.

La « politique de conciliation » avait de nombreux partisans en Allemagne, au Parlement, dans les universités, dans la presse et dans l’opinion. Il importait d’abord, pensait-on, de faire l’apaisement dans les esprits irrités par vingt ans de guerre économique. Si les Polonais continuaient à rêver de la restauration d’un royaume de Pologne, un traitement nouveau et plus clément les inclinerait chaque jour davantage à remplir de meilleur cœur leurs devoirs de sujets prussiens, et rendrait presque douce l’attente des transformations futures. Il n’est pas bon d’interdire aux hommes opprimés l’espérance qui ne change rien au cours des choses. On en fait des révolutionnaires de geste ou de pensée.

Le gouvernement invoqua le passé pour refuser d’engager l’avenir dans cette voie. Il opta pour la continuation de la politique de combat et décida de sortir de l’impasse au moyen d’une nouvelle loi d’exception qui agirait par ses dispositions propres et par la peur.


I

Le projet de loi d’expropriation jeta toute l’Allemagne dans la perplexité. Cette question polonaise touche maintes fibres du sentiment national : si la confiance dans la force dispense les politiques « réalistes » d’entendre l’opinion du monde, moins bruyante d’ailleurs que le cliquetis des armes, les « idéologues, » les marchands et les financiers craignent de voir s’épandre par delà les frontières certains sentimens préjudiciables au bon renom et aux bonnes affaires et surveillent l’intérêt qu’y porte l’étranger. A l’intérieur, on agite éternellement, au sujet des Polonais, une formule célèbre, « la force prime le droit, » qui jaillit, au temps où se constituait l’unité de la patrie, comme un cri effroyable et maintes fois désavoué, et qui met aux prises deux Allemagnes ayant une formation historique différente. L’une garde la mémoire de traditions intellectuelles et sociales, charmantes et rayonnantes, qu’elle considère comme la plus ancienne et la plus sûre manière d’expansion germanique ; l’autre semble faire tenir tout entière dans le fourreau du sabre d’un soldat heureux sa conception de l’univers. Elles ne sont plus visibles sur la carte physique, depuis qu’une ère de prospérité matérielle a comblé le fossé du Mein. Mais les conflits d’idées les font réapparaître sur la carte morale. L’idée d’expropriation eut ce résultat curieux et rare. Jamais projet de loi ne passionna davantage et ne divisa plus profondément les esprits, du Rhin à la Vistule ; il se rencontra une multitude étonnante de moralistes pour nier que ses dispositions fussent conformes à la justice. Cependant beaucoup ne s’inquiétaient que de savoir si le succès justifierait la mesure et ne le croyaient pas.

Les partisans de l’expropriation répliquèrent par l’argument de « nécessité, » que Renan appelle « la racine de toutes les perturbations dynastiques, » et dont nul homme d’Etat n’a fait autant d’usage que le prince de Bülow. Sur la foi de quelques gazettes, les adversaires se laissaient aller à croire que l’Empereur se désintéressait du projet. Le ministre des Finances vint donner à la Commission de la Chambre des seigneurs l’assurance que Sa Majesté persévérait dans les vues de son gouvernement[2]. L’instinct national dans le désarroi semblait chercher un arbitre : « Qu’aurait fait Bismarck ? » La voix de ce grand mort domine toujours la rumeur de la foule allemande et dirige souvent encore les débats parlementaires. Pour répondre à cette question, on fit l’exégèse des écrits, des paroles, des intentions du chancelier de fer. Le gouvernement invoqua son autorité ; il apporta la preuve à la Commission de la Chambre des seigneurs et à la tribune du Landtag que le prince de Bismarck avait eu, le premier, l’idée d’exproprier les Polonais. Dans la discussion de la loi de colonisation, il avait, le 28 janvier 1886, envisagé cette possibilité en ces termes[3] : « On se demande si la Prusse, dans son intérêt et dans celui de l’Empire allemand, ne sera pas amenée par les circonstances à débourser 100 millions de thalers pour acquérir les biens de la noblesse polonaise, — parlons clair et net, pour exproprier la noblesse. (Oh ! oh !) Cela paraît monstrueux, mais quand nous exproprions pour un chemin de fer, quand nous démolissons les maisons, traversons les cimetières, uniquement pour la commodité d’une compagnie de chemin de fer, quand nous exproprions pour construire un fort, pour percer une rue, quand nous exproprions t(i>ut un quartier dans une ville, comme à Hambourg, pour bâtir un port, nous détruisons des habitations qui existent depuis des siècles : pourquoi dès lors un État ne pourrait-il pas, dans certaines circonstances, garantir sa sécurité dans l’avenir et s’assurer la tranquillité ? La sécurité n’est-elle pas un but supérieur au commerce, n’est-elle pas, pour la communauté, plus importante que la fortification d’une seule place ?... Il n’y a pas d’injustice puisqu’on paie une indemnité, et ces messieurs seraient peut-être très contens d’acheter des terres en Galicie ou de l’autre côté de la frontière russe avec l’argent qu’ils recevraient... Les frais ne sont pas non plus si considérables ; je suis convaincu que le fisc n’y perdrait pas beaucoup, et y perdrait-il 10 pour 100, je crois que Ion pourrait supporter cette perte dans la pensée que nous serions enfin tranquilles sur notre frontière de l’Est et que nous n’aurions plus là des gens qui ne sont Prussiens qu’en attendant une occasion favorable pour prendre congé de nous et faire défection. Mais le gouvernement n’a pas en ce moment l’intention d’aller si loin. Je ne fais mention de cette possibilité qu’afin qu’on y réfléchisse et qu’on s’en souvienne dans le public, et que messieurs les Polonais, qui se trouvent si mal sous le gouvernement prussien, y songent de leur côté, s’ils ne veulent pas un jour venir eux-mêmes nous faire la proposition de nous arranger à l’amiable. » (Hilarité !)

Windthorst lui répondit : « Je lis et j’entends dire qu’il pourrait se faire qu’on expropriât la noblesse polonaise et qu’on la chassât du pays. Alors, c’est la fin de tout et aucune classe de sujets n’est plus en sûreté. Si nous avions un jour un ministère Bebel, que pourrait-on dire contre l’application des principes proclamés aujourd’hui ? Si Schönhausen, Varzin, etc., existent encore, il dira : Voici un bien, une terre qui contrarie mes plans et je veux l’exproprier ; j’autorise le propriétaire à aller vivre à Hambourg, ou ailleurs s’il veut. C’est précisément la même pensée ; et si la noblesse de Westphalie devient gênante, comme cela lui est arrivé, on pourra lui dire à elle aussi : moyennant quelques millions nous allons vous exproprier ; allez en Amérique, en Hollande ou au Cameroun. Je dois dire que je tremble au fond de moi quand j’entends pareille chose. Reste-t-il alors quelque certitude du droit en Allemagne et en pays prussien[4] ? »

Les adversaires du projet se refusaient à croire que Bismarck eût été jusqu’à mettre sa menace à exécution. Un membre de la Commission de la Chambre des seigneurs rapporta ce mot dû lui : « « Qui peut me dédommager avec de l’argent, si le parc de mon enfance est transformé en chemin et le tombeau de mes ancêtres en mare à anguilles ? » On essaya d’affaiblir par des considérations historiques la force probante du passage cité. Le bourgmestre de Breslau rappela qu’il était fonctionnaire dans l’Est en 1886. Ce fut, dit-il, une époque de nervosité ; on voulut avec précipitation opérer un changement subit. La politique de colonisation est bien la politique de Bismarck, mais il l’entreprit lorsqu’il commençait à vieillir, à être aigri, au temps des lois contre les socialistes et autres mesures violentes semblables[5]. Quels résultats ont d’ailleurs donnés les lois de Mai ? Bismarck que l’on invoque conseillerait peut-être de ne pas recommencer les mauvaises expériences qu’il a faites avec les lois d’exception[6]. Le prince de Bülow mettait sa responsabilité sous le couvert des traditions de son illustre prédécesseur, mais on lui répondait que le prince de Bismarck était un assez grand homme pour reconnaître son erreur et découvrir dans les difficultés présentes le prétexte subtil qui mène à Canossa avec tous les honneurs de la guerre.

Il n’y a jamais prescription pour les idées, bonnes ou mauvaises. En 1886, M. de Schorlemer fit remarquer que ce terme d’« expropriation » surprenait très désagréablement tout le monde et qu’il vaudrait mieux qu’il n’eût pas été prononcé. Le mot a fait fortune ; ce n’est point par la faute des adversaires de Bismarck, mais par la volonté de ceux qui, en Allemagne, prétendent incarner l’esprit du prophète.

L’Association des marches de l’Est (Ostmarkenverein) s’est faite l’apôtre de l’idée d’expropriation des Polonais. Fondée en 1894, lors du pèlerinage des Allemands de Posnanie à Varzin, auprès de Bismarck retiré sous sa tente, elle fut parfois, à l’origine, considérée comme une fronde contre le jeune Empereur. On prétendit aussi que cette ligue patriotique masquait des intérêts agrariens. On peut soutenir cependant que l’Ostmarkenverein fut une réponse aux associations polonaises. Trois grands propriétaires allemands de l’Est se mirent à sa tête : MM. de Hansemann, Kennemann et de Tiedemann. Avec les initiales de ces trois noms : H. K. T., les Polonais ont forgé le mot « hakatiste » dont ils se servent pour désigner leurs plus violens ennemis. Cette onomatopée condense toutes les vieilles haines germaniques contre la race slave.

C’est moins par le nombre que par la qualité de ses adhérens que cette association se fait entendre dans les conseils du gouvernement. Elle se recrute surtout parmi les fonctionnaires, dans le monde des universités et dans la petite bourgeoisie. Au 1er juillet 1907, elle comptait 45 500 membres, répartis en 429 groupes locaux ; 131 villes, 108 sociétés diverses, 10 comités de cercle, 1 chambre de commerce s’y sont affiliés[7]. Chaque membre paie une cotisation de 3 marks ; la somme de 4 marks donne droit à l’organe officiel des « hakalistes, » l’Ostmark, revue mensuelle, sur la couverture de laquelle la silhouette de Bismarck domine la ville de Posen.

Le rôle de l’Association des marches de l’Est est considérable : elle a de l’argent et des idées simples. Au 1er décembre 1906, elle possédait un capital de 316 090 marks, provenant de cotisations et de nombreuses fondations. Son activité est double, à la fois théorique et pratique. Elle entreprend des campagnes de conférences. Ses orateurs ambulans (Wanderredner) font connaître et craindre « le danger polonais. » Ils assurent que « l’Allemand des marches de l’Est monte la garde, pour la patrie tout entière, sur la Warthe et la Vistule, et que cette garde est plus importante aujourd’hui que celle du Rhin[8]. »

Elle installe des artisans, place des apprentis, aide des médecins et des avocats à s’établir.

Les délégués des groupes locaux se réunissent tous les ans en assemblée générale. C’est au congrès de Bromberg, tenu en août 1907, que l’Ostmarkenverein demanda au gouvernement de proposer au Landtag, dans sa prochaine session, un projet de loi qui conférât le droit d’expropriation à la Commission de colonisation dans les provinces de Posnanie et de Prusse occidentale, et qui donnât à l’Etat le droit d’opposition à la vente d’une propriété rurale dans ces mêmes provinces, et dans les districts de Francfort-sur-l’Oder, Stettin et Köslin. « La pensée n’est pas nouvelle, » dit l’orateur qui appuya cet ordre du jour ; il la restitua à Bismarck pour lui donner une portée nationale.

M. de Tiedemann dénonça comme traître à la patrie tout Allemand qui vendait sa terre à un Polonais et définit le rôle de l’Ostmarkenverein. Son devoir est d’éclairer l’opinion publique et de proposer des mesures, même si elles devaient le rendre impopulaire, sans se soucier de ce qu’on peut dire par scrupule de conscience. Si la constitution, faite en vue de circonstances différentes, est impuissante à légitimer ses exigences, qu’on la change. La douceur n’est pas de mise en cette affaire, mais seulement la plus rigoureuse sévérité. « Nous ne serons les maîtres que quand nous posséderons le sol[9]. » Les « hakatistes » enregistrèrent le vote de la loi d’expropriation comme une grande victoire[10].

La ligue pangermaniste fît campagne, elle aussi, pour l’expropriation. Le comité de Berlin, se réclamant de ses opinions conservatrices, adressa une pétition au parti conservateur de la Chambre des députés prussiens. Il se montra très sévère pour ces Allemands « sans patrie » et « avides d’argent » qui profitent de la hausse des prix dans l’Est pour livrer leurs terres aux Polonais, et demanda que la loi d’expropriation leur fût appliquée avec la plus grande rigueur. Enfin, sa conception de la politique « réaliste » éclatait dans cette conclusion : le seul moyen de parer au dépècement de la grande propriété allemande est de faire supporter les conséquences de la colonisation à la grande propriété polonaise[11].

Cependant d’autres associations rejetèrent ce moyen de « sauver » la patrie. Le groupe berlinois de la Société allemande de la paix protesta contre une loi qui abaisserait la Prusse aux yeux de l’étranger. Dans la presse, les journaux agrariens ou conservateurs, la Kreuzzeitung notamment, déploraient une si rude atteinte au principe de la propriété. Les grands organes libéraux, la Francfurter Zeitung et le Berliner Tageblatt s’indignaient pour des raisons plus désintéressées. Ils voyaient dans cette politique une violation des principes du droit le plus essentiel, et invitaient ceux qui regardaient encore le respect du droit comme le fondement le plus solide de la vie d’une nation, à combattre à outrance une loi qui tendait à la ruine de la légalité. Ils trouvaient plus odieux encore que le procédé, les efforts faits pour en contester le caractère illégal[12],

Les propriétaires allemands des provinces de l’Est demandèrent au Landtag protection contre cette manière de défendre le germanisme menacé, et exprimèrent la ferme conviction que le projet du gouvernement, s’il était voté, causerait les plus graves préjudices aux Allemands établis dans cette région. Les signataires de cette pétition étaient au nombre de 168 et possédaient environ 100 000 hectares. De leur côté, les commerçans allemands de Posen attestèrent par centaines que les rapports tendus entre Prussiens et Polonais influaient déjà très fâcheusement sur la vie économique de la province, et que les Allemands de l’Est souffriraient considérablement de la loi d’expropriation.

Mais il semblait démontré que la gloire de Bismarck et l’amour-propre de la bureaucratie prussienne étaient intéressés à ce que la Commission de colonisation continuât son œuvre sans relâche. Puisque les Polonais refusaient de sauver la patrie allemande en cédant à l’amiable leurs terres au roi de Prusse, on les leur prendrait au nom de la loi, par force.


Und bist du nicht willig, so brauch’ ich Gewalt.


Il y a tout une philosophie de l’histoire dans ce vers de la ballade du Roi des Aulnes.

Une loi de 1874 règle le droit commun en matière d’expropriation. Le gouvernement n’osa l’appliquer dans un cas où l’on ne pouvait la justifier que par des motifs « politiques » ou « nationaux. » Il demanda 400 millions de marks et le droit d’expropriation au Landtag. C’est là qu’il faut aller entendre partisans et adversaires.


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Pour entraîner l’opinion, le chancelier de l’Empire développa des raisons « nationales. » Pour justifier l’urgence de son activité, la Commission de colonisation fournit des raisons « techniques. » La question fut réduite à ce dilemme : sans expropriation, plus de colonisation ; sans colonisation, plus de Marches de l’Est.

Les partisans de la loi argumentèrent ainsi : l’organisation polonaise embrasse toutes les classes, tous les partis, toutes les opinions ; elle a une vie propre qui se manifeste par le boycottage des Allemands, la grève scolaire, les associations et un formidable travail préparatoire de restauration du royaume de Pologne. La Haute-Silésie ne s’est-elle pas déclarée polonaise ? Au cours du siècle dernier, cent mille Allemands catholiques ne sont-ils pas passés dans le camp polonais ? Au congrès de Lemberg, en 1896, ne prit-on pas la résolution suivante : Tout individu de souche étrangère qui tire son pain du sol qui fut autrefois polonais, doit devenir polonais[13] ? « Notre marche de l’Est doit-elle être allemande ou polonaise, dit le prince de Bülow, le 30 janvier 1908[14], à la Chambre des seigneurs ? Nous ne pouvons plus nous faire illusion ; l’agitation polonaise s’efforce, consciente de son but, de former un État dans un État. Je ne veux pas vous dépeindre encore une fois la scission toujours plus nette, toujours plus âpre des Polonais d’avec les Allemands. Je demande seulement : Pouvons-nous nous passer de deux provinces dont l’une commence à dix-huit lieues de Berlin ? » On croit toujours qu’il s’agit là de différends, de querelles, d’antagonismes attisés par la maladresse et qu’un gouvernement intelligent et sage pourrait apaiser. Il se heurte à l’instinct vivace de tout un peuple qui veut maintenir son indépendance ; le sentiment national des Polonais est digne d’estime, mais il est en contradiction avec le sentiment national allemand[15]. On ne se propose pas d’exterminer les Polonais, — pour les déraciner complètement, il faudrait deux milliards et demi[16], — on veut seulement les contraindre à demander la paix : dans tout leur passé, ils ont plié devant une volonté ferme et décidée.

Ce n’est pas à la légère que le gouvernement s’est résigne à les exproprier ; cette mesure pénible n’a été prise qu’après que tous les autres moyens examinés ont été reconnus inefficaces[17]. Nous sommes dans un cas de légitime défense ; par conséquent, la mesure proposée n’est pas contraire à la Constitution. D’après l’article 4, tous les citoyens prussiens sont égaux devant les lois ; mais les Polonais sont rebelles aux lois. Par l’article 9, l’Etat doit protection à la propriété ; mais comment protégera-t-il la propriété s’il ne peut se protéger lui-même ? D’ailleurs, la propriété de la province ne doit pas être traitée selon le droit général de l’Allemagne. C’est une province frontière menacée ; elle doit être soumise à des lois d’exception qui relèvent de la politique extérieure. Cette question n’est pas du domaine du droit ; elle est du domaine de l’économie politique[18]. On crie au socialisme d’Etat. Certainement, ce projet de loi porte une grave atteinte à la propriété, mais le bien de l’État est au-dessus de l’intérêt particulier. Il n’entraînera ni une révolution, ni la ruine de tous les principes du droit dans un pays où règne une active mutation de biens. Rodbertus a démontré, en 1869, que, tous les dix ou onze ans, en moyenne, l’ensemble des « Rittergütter » prussiens changeait de mains. Le sol de la Prusse a une superficie de 36 millions d’hectares ; 70 000 hectares expropriés ne font pas 2 hectares par mille. Assurément, s’il ne s’agissait pas d’une grande affaire nationale, toutes les considérations du droit privé seraient justifiées ; mais si le gouvernement et les fonctionnaires de la Commission de colonisation engagent dans cette affaire l’avenir de la patrie, il faut s’en remettre à leur responsabilité et à leur compétence. Dans le monde, aucune grande réforme ne se fait sans que les juristes protestent. Que n’ont pas dit, de 1809 à 1850, les défenseurs féodaux de l’ancien régime, contre la réforme agraire prussienne entreprise par les Stein, les Hardenberg et leurs successeurs[19] ! On disserte sur la notlion de « bien public. » Il est impossible d’expliquer avec des phrases juridiques ce qu’est le bien public. Dans le cas posé, le gouvernement affirme que le bien public exige l’expropriation. On objecte la morale. Elle doit céder devant le bien de l’Etat, qui est, en politique, le vrai point de vue moral[20]. On parle toujours des droits du meunier de Sans-Souci qui furent respectés par un monarque absolu. Le désir d’un seul homme, fût-il roi, ne pouvait faire fléchir la règle du droit ; ici l’intérêt général, supérieur à celui des individus, est en cause[21]. On dit que nous sommes injustes pour les Polonais. Il n’y a pas d’illégalité commise, puisque les deux conditions de l’expropriation légale sont établies : intérêt général, indemnité. Que n’avons-nous pas fait d’ailleurs pour le bien-être matériel des Polonais ? Chacun sait de quelle façon ils témoignent leur reconnaissance à la Prusse. Si l’on repousse aujourd’hui ce petit moyen de l’expropriation, un jour viendra où il faudra commettre des injustices réelles pour sauver la patrie[22].

L’expropriation, disait-on encore, est une arme de défense, et non une arme d’attaque. Elle a pour but de permettre à la Commission d’avoir des terres, de réaliser son plan, qui donnera la prépondérance à l’élément allemand sur l’élément polonais[23]. Malgré les critiques de détail qu’on peut lui adresser, — que lui adressent les gens de l’Est, parce qu’ils voient l’institution fonctionner de trop près, contrairement aux gens de l’Ouest qui admirent de loin les résultats, — elle fait œuvre bonne, nécessaire. Elle installe dans l’Est une population agricole fixe pour faire contrepoids à l’émigration des Allemands vers l’Ouest[24]. On parle toujours de la supériorité des Polonais : sont-ils plus vaillans économiquement ? Non. Leur force vient de ce qu’ils sont plus solidement fixés au sol. La couche profonde des petits propriétaires et des travailleurs agricoles est la source d’augmentation de la population. Voilà le secret de la faiblesse du germanisme. Cet élément social lui manque dans l’Est ; il faut le créer. Les dénombremens de la population démontrent, depuis 1 871, que la proportion des Polonais est tellement supérieure, que l’on pourrait fixer, avec une certitude mathématique, le jour où le dernier Allemand quittera les Marches de l’Est. Si, en 1903, l’augmentation a été en faveur des Allemands, ce résultat est dû à l’activité de la Commission de colonisation[25]. En entourant les petites villes d’une zone de colonies qui font vivre le petit commerçant, l’artisan et l’ouvrier allemands, elle empêche l’exode de la population urbaine qui supporte mal les années maigres. Depuis un demi-siècle, les Juifs, utiles agens de germanisation en Posnanie, ont diminué de moitié[26]. Le rôle de la Commission de colonisation est de conserver ou de faire passer la terre aux mains des Allemands, car les Polonais eux-mêmes reconnaissent que c’est la propriété foncière qui décidera de la question de savoir si les provinces de l’Est seront allemandes ou polonaises. La tâche est difficile. Si la Commission leur a pris de la terre, ils l’ont reconquise d’un autre côté. D’après la statistique des mutations de biens, de 1896 à 1906, en onze ans, 75 437 hectares sont passés des mains allemandes en mains polonaises, dans les deux provinces de Posnanie et de Prusse occidentale. Si l’on compte ce qu’ils ont gagné en Prusse orientale, en Poméranie et en Silésie, il faut estimer à près de 100 000 hectares la superficie perdue par les Allemands. Jadis, les Polonais employèrent les méthodes révolutionnaires pour atteindre leur but ; ils nous font aujourd’hui la guerre économique. Enfin la Commission doit pouvoir subvenir aux demandes des colons qui arrivent dans l’Est ; elle n’a de terres achetées que pour faire face aux besoins de deux ans[27].

Mettre de nouveaux fonds à sa disposition sans lui conférer le droit d’expropriation serait donner une prime à la spéculation[28]. Et si le projet est rejeté ou amendé de manière à le rendre inefficace, l’échec de la colonisation équivaut à la déclaration de banqueroute de l’Etat prussien[29]. Un député conservateur adjura les Polonais en ces termes[30] : « Vous dites que vous voulez la paix et non la guerre. Messieurs, cette guerre avec vous nous est très désagréable, mais qu’entendez-vous par une paix qui ne rallie pas vos pensées à l’Etat prussien ? Vous en êtes les sujets depuis cent trente-six ans, et vous dites toujours :


Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre cœur, vous ne l’aurez jamais !


Si vous ne voulez pas donner votre cœur, messieurs, alors nous devons avoir votre terre. Et, en vérité, nous avons besoin que vous ayez le cœur prussien, car un État comme la Prusse et l’Allemagne, qui a des frontières si menacées, ne peut pas s’exposer à ce que, en cas de changemens politiques en Russie ou en Autriche, une révolte éclate parmi ses sujets polonais, au moment où son épée serait peut-être engagée ailleurs. L’Etat vous demande de reconnaître que la domination de la maison de Hohenzollern et de la Prusse sur les pays polonais annexés est définitive et non provisoire... L’histoire universelle enseigne que le droit du fort, et du plus fort, a créé les États... Derrière vous est anéanti pour toujours le royaume de Pologne ; devant vous est l’Etat prussien qui n’a pas encore accompli sa mission dans le monde. Votre bonheur et votre paix sont avec cet État. »


III

Ecoutons maintenant les adversaires de la loi. Il convient d’entendre, en premier lieu, les Polonais, « les accusés en face du procureur, » selon l’expression du prince de Radziwill. Modérés ou « radicaux » par tempérament autant que par intérêt électoral, ils représentent au Parlement toutes les classes et toutes les organisations sociales. Si la noblesse, la bourgeoisie, le clergé, le paysan, le peuple des artisans et la foule des ouvriers agricoles ont, dans la dispersion de la vie quotidienne, des opinions diverses et des tendances distinctes, aux heures graves de la vie publique, le « Polonisme » se recueille dans une pensée commune. Elle s’exprime ainsi :

On nous reproche de penser au rétablissement du royaume de Pologne. Ne parlons pas de rêves. Il y a en Allemagne des gens qui rêvent tout haut de l’annexion de la Hollande, de la Belgique, des provinces russes de la Baltique, de tous les pays de langue allemande. Ces rêves-là ne sont pas de la politique pratique[31]. Personne d’entre nous ne pense à se séparer de la Prusse. On exprime la crainte que si l’Etat était en danger il ne pourrait pas compter sur les Polonais. Singulière pédagogie de vouloir faire une population fidèle avec des lois d’exception ! On rappelle toujours les agitations de 1848. N’avons-nous pas fait notre devoir en 1866 et en 1870 ? Bismarck nous rendit justice alors[32]. « Avec le brillant courage qui les a toujours caractérisés, a-t-il dit, les Polonais ont fait preuve de dévouement à la patrie prussienne, d’attachement à la couronne de Prusse ; ils ont mêlé leur sang au nôtre... et justement avec leur sang ils ont scellé la conviction qu’ils font partie du peuple prussien. »

On accuse les Polonais de se livrer à une politique d’oppression, d’autant plus redoutable qu’elle est plus silencieuse et méthodique. Comment cela est-il possible, l’Etat prussien disposant d’une armée colossale de soldats et de fonctionnaires ? On leur fait un crime d’avoir acheté cent mille hectares de terre. Ont-ils contraint les Allemands à les leur vendre ? Sans discuter ces chiffres, il faut faire honneur aux Polonais de prospérer malgré les entraves légales et les tracasseries bureaucratiques, par leurs propres forces et à la sueur de leur front. Au lieu de blâmer leur énergie, on devrait l’utiliser au service de l’Allemagne. Dans l’Etat prussien, les Polonais ne peuvent exercer leur activité que dans le domaine agricole et industriel ; ils ne doivent compter que sur leur travail et sur leur intelligence ; ils ne reçoivent ni aide, ni encouragement pour faire face aux besoins de leur vie. Les employés de nationalité polonaise, peu nombreux et n’occupant que des emplois subalternes, sont lésés dans leurs droits ; ils n’ont pas la liberté de vote. Sans doute, on doit regretter que tout rapport ait cessé entre Polonais et Allemands. Il y eut des temps où la population polonaise vivait en paix avec la population allemande. Les familles des deux nationalités se visitaient, des relations amicales s’établissaient. Ce ne sont pas les Polonais qui les ont rompues. Elles cessèrent pendant le Kulturkampf, quand une partie de la population allemande prit parti contre eux et appuya les lois de combat par la parole et par les actes. A qui la faute, si ce n’est au gouvernement prussien, qui, par sa législation, par ses mesures administratives et surtout par la grande maladresse, l’entêtement et l’esprit partial de ses fonctionnaires, a créé un état de choses que tous déplorent et qui rend la vie dans nos foyers triste et amère[33] ?

Les adversaires de l’expropriation dans les deux Chambres, en majorité indifférens ou hostiles aux Polonais, fortifièrent cependant leur plaidoyer avec les raisons suivantes : — Le Polonisme est devenu un danger pour l’Etat prussien, parce que les Polonais font leurs affaires avec une extraordinaire énergie et un patriotisme admirable. Si les Allemands se comportaient de même, point ne serait besoin d’expropriation[34]. La meilleure sécurité, dit expressément le rapporteur de la Commission de la Chambre des seigneurs, serait dans le loyalisme des Allemands qui habitent les provinces de l’Est[35]. Ce sont les mesures vexatoires qui ont fait le bloc polonais. L’école allemande a fait du jeune paysan polonais un concurrent supérieur au jeune paysan allemand, parce qu’il parle deux langues. Il fallait laisser les Polonais parler polonais et leur apprendre à se sentir Allemands ; mais les tracasseries policières sont une mauvaise méthode pédagogique[36]. Que feront les dures lois d’exception ? Elles rendront plus fort, plus violent, plus redoutable le « radicalisme » polonais et n’intimideront que les élémens pacifiques et loyalistes. Elles n’atteindront pas les meneurs, les agitateurs qui sont aujourd’hui dans les villes, journalistes, avocats, etc.[37]. On veut réduire à néant un adversaire politique en ébranlant la base économique sur laquelle il s’appuie, et on lui donne des moyens d’action beaucoup plus redoutables. L’expropriation le rendra plus mobile ; chassé de la campagne, où il est plus ou moins accessible à l’influence bienfaisante des autorités locales, il ira à la ville combattre le commerçant allemand[38]. Au prix actuel des terres, 70 000 hectares expropriés mettront 90 millions dans les poches des Polonais[39]. On ne peut pas expatrier quatre millions d’hommes, et l’on n’a pas d’ailleurs les milliards nécessaires pour résoudre le problème par l’argent. Un représentant de l’Est cherche en vain, depuis trente ans qu’il est dans la vie publique, quel crime ont bien pu commettre les Polonais. Traîtres à la patrie ? Mais quand donc leur a-t-on fait un procès de ce chef ? Il y a pourtant des juges à Leipzig. Pour prouver la puissance de pénétration des Polonais, on cite l’exemple des « Bamberger, » colons qui vinrent de l’Allemagne du Sud au commencement du XVIIIe siècle. S’ils se sont polonisés, la faute en est à l’administration prussienne qui resta longtemps sourde à leur doléances, et au Kulturkampf. C’est faire injure à tous les Allemands de l’Est que de parler sans cesse du danger de la polonisation. Comment quarante millions de Prussiens pourraient-ils craindre quatre millions de Polonais ? Les Polonais font leur métier, gagnent de l’argent tant qu’ils peuvent, et les Allemands en font autant. Ils parlent du temps passé, s’entretiennent entre eux dans leur langue, chantent des lieder polonais, choses inoffensives. On leur reproche souvent des articles de journaux. On ne peut pas rendre chaque Polonais responsable de ce qu’une tête chaude de sa nationalité, en colère et exaspérée, écrit dans les journaux, pas plus qu’on ne rend responsable chaque Allemand des articles de tel ou tel Allemand[40]. Les Polonais sont des citoyens prussiens ; ils ont leurs droits et leurs devoirs, les droits même s’ils ne remplissent pas tous les devoirs, car les uns et les autres ne sont pas assez étroitement corrélatifs pour qu’on puisse dire : Si vous ne remplissez pas vos devoirs, on supprime vos droits[41].

Presque tous les adversaires de l’expropriation s’efforcèrent de démontrer que le projet était contraire à la Constitution. Le comte de Oppersdoff fit un savant discours plein de sens politique et très remarqué[42]. Le gouvernement prussien s’embarrassa d’autant moins des argumens de cet ordre que, dans la circonstance, le parti national libéral lui-même, plus attaché aux bénéfices du pouvoir qu’à ses traditions, souscrivait à l’esprit de la déclaration du roi Frédéric-Guillaume IV au Landtag uni de 1847 : « Je ne permettrai pas qu’un morceau de papier vienne s’interposer entre le Seigneur Dieu d’en haut et moi, et prétende me gouverner par ses paragraphes à l’instar d’une seconde providence. » Dans les pays où le régime constitutionnel ne résulte pas des lois profondes de l’histoire, il est d’usage de ne déplier ce « morceau de papier » que pour couvrir les initiatives malheureuses du souverain, ou l’opposer, comme fin de non recevoir aux exigences des partis populaires qui s’éveillent à la vie politique et revendiquent une participation plus directe au pouvoir. Contre la constitution, le gouvernement invoquait « le bien public, » — qui a toujours servi de prétexte pour renverser les trônes. — « Nous sommes inquiets pour notre monarchie de droit divin, disait le comte Praschma[43], parce que nous voyons que son plus solide fondement est sapé par cette loi. » L’expropriation pour « motifs politiques » préoccupait davantage les esprits et donna lieu à des considérations pessimistes. Celui qui l’a conseillée au gouvernement, disait-on, lui a rendu un mauvais service[44] ; si elle est votée, on y pensera souvent avec douleur[45]. Le ministre des Finances niait l’existence de raisons politiques en les baptisant nationales. Cette distinction casuistique est inacceptable : le concept « politique » contient le national, le social, le confessionnel et beaucoup d’autres. Si on l’applique aujourd’hui pour des raisons « nationales, » qui peut empêcher de le faire demain pour des raisons sociales ou confessionnelles[46], d’exproprier, par exemple, les Juifs qui acquièrent des terres tous les jours en plus grande quantité ?

L’expropriation n’a atteint jusqu’ici que l’objet, la matière, le sol, sans considération du possesseur, qu’il fût grand seigneur ou petit paysan, homme d’Église ou prince de sang royal. Aujourd’hui, on vise le sujet de la propriété, les mains qui la détiennent. L’expropriation est dirigée contre les personnes et non contre les choses[47]. C’est l’entrepreneur, la Commission de colonisation, qui décidera selon son bon plaisir, au nom du « bien public, » formule qu’elle appliquera contre quiconque, Polonais ou Allemand, gênera ses desseins. Or, la Commission de colonisation est une institution politique qui dépendra de plus en plus des partis. Et la majorité parlementaire soumise à la loi du nombre peut changer. En 1886, le député Bebel disait : « Le chancelier croit nous tenir, c’est nous qui le tenons ; » et il ajoutait récemment : « Cette mesure de l’expropriation est absolument conforme à notre programme ; elle est limitée aux provinces de Posnanie et de Prusse occidentale, tandis que nous voulons aller plus loin[48]. »

Le gouvernement déclara à la Chambre des députés que la loi visait surtout les étrangers, propriétaires dans l’Est. Mais, objectait-on, il y a quelque danger à traiter les étrangers autrement que les Allemands, car ceux-ci sont sujets à représailles de la part des pays où ils possèdent des biens[49]. « Quel cri d’indignation ne pousserait-on pas chez nous, si la Russie faisait une loi d’expropriation contre les Allemands des provinces baltiques[50] ! »

En réalité, de quoi s’agit-il ? De sauver la Commission de colonisation. Les journaux qui font campagne pour la continuation de la politique contre les Polonais, assurent que l’expropriation signifie sauvetage de la bureaucratie prussienne d’une défaite morale. Si le gouvernement n’était pas intervenu à temps, tout le monde aurait dit : Ce que la bureaucratie prussienne a fait ou laissé faire par manque d’intelligence ou par faiblesse, dans cette question nationale vitale, démontre clairement que son rôle est fini en Prusse et en Allemagne[51]. Sans doute la Commission de colonisation a fait de grandes choses, mais tout le monde en aurait fait autant, avec les fonds considérables mis à sa disposition, fonds qui proviennent de l’impôt, impôt que les Polonais paient aussi bien que tous les autres sujets prussiens ; ce qui fait naître chez eux des sentimens compréhensibles et les dispose à écouter les agitateurs[52]. En somme, d’après la quantité et la provenance des terres achetées, elle a remplacé des Allemands par des Allemands. Elle continuera. Avec des « raisons techniques, » elle justifiera toujours ses plans, bons ou mauvais, et nous fera tout accepter[53].

Si l’on veut consolider et fortifier le germanisme dans les marches de l’Est, il faut y créer un corps de fonctionnaires exempts de préoccupations bureaucratiques et qui ne considèrent pas leur poste comme un moyen rapide de parvenir[54]. Il vaudrait encore mieux confier cette mission aux corps provinciaux, mettre les fonds à la disposition des communes, des comités de cercle qui sauraient en tirer un meilleur parti qu’une bureaucratie centralisée. Ces forces locales seraient une protection plus efficace pour les Allemands et une digue plus solide contre les Polonais[55].

On démontre, avec des chiffres empruntés aux statistiques de mutations des biens et de dénombrement de la population la nécessité de porter secours au germanisme menacé. En ce qui concerne la mutation des biens, on assure que, en onze ans, de 1896 à 1906, cent mille hectares sont passés des mains allemandes en mains polonaises et le chancelier de l’Empire se demande ce qui serait arrivé sans l’activité de la Commission de colonisation. Soit ; mais d’autres chiffres permettent de mesurer la faute commise par les instigateurs de la politique de colonisation. Le 22 février 1886, lors de la discussion de la loi de colonisation, le ministre de l’Agriculture disait : « Dans les vingt-cinq dernières années, 225 922 hectares sont passés des mains polonaises aux mains allemandes, et 30 358 hectares des mains allemandes aux mains polonaises. Ce qui fait, en vingt-cinq ans, une diminution de 195 537 hectares pour la propriété polonaise. » Il n’y avait donc qu’à « laisser faire » et à « laisser passer, » à surveiller le cours des choses pour en bénéficier, mais on a jeté les millions dans l’Est. C’est l’argent allemand qui a créé la situation actuelle : la puissance économique des Polonais[56]. On fonde de grandes espérances sur le projet de loi pour accroître la population allemande et lui donner la prépondérance sur l’élément polonais : elles seront déçues, car le mal a des racines qui ne sont pas simplement polonaises. Les Allemands de l’Est comparent leur situation avec le traitement de faveur dont les colons sont l’objet. Ces bâtimens, ces églises augmentent les charges de tous, même de ceux qui ne participent pas à la distribution de la manne. Vienne une mauvaise récolte, une année difficile, le mécontentement active l’émigration vers l’Ouest. On estime à plus de 40 000 le nombre de ruraux qui ont émigré de 1900 à 1905. N’y eût-il, sur ce nombre, que la moitié d’Allemands, la colonisation est un travail des Danaïdes[57].

Les dispositions de la loi permettent, aussi bien, d’exproprier un Allemand. Le gouvernement a déclaré à la Commission de la Chambre des seigneurs que l’on voulait atteindre les amis des Polonais. Où est la limite entre amis et ennemis des Polonais ? Cette pénible incertitude s’ajoutera aux autres causes d’émigration[58]. L’argument tiré de la population est assez singulier. Quand les statistiques accusaient une proportion supérieure de Polonais, on disait : Ces gens-là multiplient comme les lapins ; leur fécondité est dangereuse pour la patrie, il faut y porter remède. Mais la statistique de 1905 constate que la multiplication des Allemands l’emporte sur celle des Polonais, et l’on dit : Donc, il nous faut des terres pour les Allemands[59], — pour faire face aux besoins des nouveaux colons qui viennent dans l’Est. Jusqu’à quand ? demande le rapporteur de la Commission de la Chambre des seigneurs. D’une part, émigration de l’Est vers l’Ouest ; d’autre part afflux de colons vers l’Est. Cette loi peut donc être interprétée comme une lettre de congé donnée à l’ensemble des propriétaires de l’Est, lettre sans date et qui sera envoyée tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Les 70 000 hectares répondent aux besoins de deux ans ; avec les terres achetées et encore disponibles, on a quatre ans de tranquillité en perspective. Après, la question se posera de nouveau. Ce motif sur lequel insiste la Commission de colonisation est une menace qui pèsera sur les provinces de l’Est tant qu’il y aura un hectare de terre à « coloniser[60]. »

Le projet ne contient aucune disposition pour fixer au sol les ouvriers agricoles. Ils émigrent sans esprit de retour et sont remplacés par des Polonais. Les agriculteurs allemands et les colons eux-mêmes sont obligés d’avoir recours à la main-d’œuvre polonaise. Pour retenir l’ouvrier, il faut lui faire entrevoir l’ascension sociale et l’y aider. A ce point de vue, on est en pleine contradiction ; on parle toujours de fixation au sol, de Heimstätte et l’on déracine ceux qui sont attachés à une terre dont ils ont hérité[61].

Quant à la hausse du prix des terres, qualifiée d’immorale par le prince de Bülow, un député conservateur, partisan de la loi d’expropriation, trouva qu’elle était normale et l’expliqua par l’accroissement de la population et de la richesse[62].

Enfin, on fit abstraction du point de vue polonais, on s’éleva de l’ordre matériel à l’ordre moral pour juger le projet du point de vue de la justice ; car, si dans la politique extérieure on ne peut pas toujours obéir aux principes des commandemens chrétiens et au sentiment du juste et de l’injuste, dans la politique intérieure, du moins, on doit absolument gouverner selon la justice[63]. A ceux qui demandaient, pour voter la loi, que le gouvernement garantît un succès complet et décisif, on répliqua : Le succès ne doit jamais justifier une mesure. Il vaudrait mieux dire, plus franchement : la force prime le droit. De tels principes mettent au jour le matérialisme politique de l’Allemagne[64].

Un membre de la Commission de la Chambre des seigneurs, après avoir défini le sens social de la propriété, avec une autorité et une science qui dénoncent le cardinal Kopp, développa les considérations suivantes : « Toutes les discussions démontrent d’une façon formelle que le sentiment moral se révolte contre cette mesure. La sourde inquiétude, le cœur navré, les nombreux doutes qui se soulèvent contre le but et le bien fondé de ce projet disent qu’elle est en contradiction avec la conscience morale. Cette contradiction éclate par delà les frontières allemandes. Lu loi sera regardée comme une atteinte à la civilisation et il faut craindre que notre réputation, si menacée et si attaquée, ne coure un nouveau danger. Dans un État voisin en particulier, avec lequel nous sommes étroitement alliés, un vif mécontentement se manifeste qui a pour fondement des raisons morales et qui paraît dangereux pour l’alliance ; il est douteux que le gouvernement soit en mesure de l’apaiser[65]. »

Le baron de Rheinbaben, ministre des Finances, répondit[66] : « Si l’on fait ce qui est nécessaire à notre propre intérêt national, on n’a pas besoin de s’inquiéter de savoir si un soi-disant sentiment moral est invoqué ou non en dehors des frontières allemandes. »


IV

Le gouvernement avait demandé le droit d’expropriation sans conditions. La Chambre des députés le limita à 70 000 hectares et réduisit ou affecta à d’autres usages le crédit demandé, 400 millions, pour ne laissera la disposition de la Commission de colonisation que 125 millions de marks. Pourquoi 70 000 hectares ? Le rapporteur de la Chambre des seigneurs avoue ne pas savoir sur quels calculs repose ce chiffre. Cet amendement considérable à une mesure si redoutée révèle l’hésitation, disons même la répugnance du Landtag à voter une loi dont il redoute les ricochets. La Commission de la Chambre des députés proposa divers moyens pour atténuer ce que le prince de Bülow appelait lui-même « la grande dureté » du projet. Elle voulut d’abord lier les mains de l’Ansiedlungskommission en instituant un Comité de dix membres, dont six seraient pris en dehors d’elle et auraient droit de veto dans chaque cas déterminé d’expropriation ; ou bien encore, l’expropriation devrait être décidée aux deux tiers des voix. A la Chambre des seigneurs, on proposa d’excepter de l’expropriation les terres héritées ou acquises depuis 1886. Ces motions, ainsi que d’autres plus défiantes et plus restrictives encore, furent rejetées par le gouvernement ; il se rallia à la proposition Adickes, qui mettait hors de cause les biens d’Église et des associations religieuses, mais rétablissait le texte voté par la Chambre des députés.

Le rapporteur de celle Chambre recommanda le projet de loi « en toute sûreté de conscience, » à la condition formelle qu’il en serait fait « un usage doux. » Celui de la Chambre des seigneurs exprima le regret ( que le gouvernement eût placé devant un fait accompli la plus haute Assemblée du pays, disposée pourtant à chercher les moyens viables et efficaces de résoudre la question polonaise. Et, effrayé par les cris de triomphe que pousseraient les « radicaux » polonais si le projet était repoussé, il se résigna à conclure à l’acceptation, mélancoliquement. La Commission de colonisation a acheté 323 000 hectares, et le danger subsiste. Est-ce que 70 000 hectares de plus avanceront beaucoup les progrès de la germanisation ? S’il ne fallait que cela pour sauver la patrie, quel grand seigneur ne donnerait pas une partie de ses terres ?

Le 16 janvier, les conservateurs et les nationaux libéraux de la Chambre des députés votèrent la loi par 198 voix contre 119. Le centre et le parti freisinnig formaient la minorité. Les conservateurs errèrent longtemps « à la frontière du droit, » cherchant un compromis qui leur permît de se soumettre aux exigences du gouvernement, sans renier leur passé ni grever d’une hypothèque funeste leurs conceptions sociales qui émanent de la terre, de leurs terres ; elles ne représentent pas seulement une valeur économique, un privilège matériel, mais elles portent une profonde signification morale. Au dehors, ils organisèrent une protestation contre le projet d’expropriation. A l’heure décisive du vote, devant l’urne d’où s’échappe un pouvoir subtil qui transforme si souvent les bonnes intentions en actes subversifs, ils subordonnèrent les principes à la nécessité, « le cœur lourd, la mort dans l’âme[67]. »

Le parti national libéral enveloppa dans un éloge de la Commission de colonisation la raison parlementaire : « Nous espérons, déclara un de ses membres les plus autorisés, que la majorité ne laissera pas le gouvernement en plan dans cette question[68]. » La question de Cabinet était posée, disait-on ; les conservateurs avaient un chancelier agrarien et voulaient le garder ; les nationaux libéraux redoutaient par-dessus tout que le politique qui avait fait « le bloc » ne donnât sa démission.

Tous les efforts des partisans de la loi, toutes les espérances des adversaires se reportèrent sur la Chambre des seigneurs. Elle comprend, parmi ses membres héréditaires, les princes majeurs de la maison royale et 98 chefs de famille de la haute noblesse. Les 220 membres environ nommés à vie par le Roi représentent les municipalités des grandes villes, les universités, les consistoires, les titulaires des quatre grandes charges de cour, les familles comtales, la propriété ancienne et fixée. Cette dernière catégorie seule compte 90 membres. La Chambre des seigneurs, dans l’esprit du roi Frédéric-Guillaume IV qui l’institua, devait marquer la situation privilégiée du grand propriétaire dans un État agraire, et, jusqu’à présent, elle avait exprimé la prépotence terrienne en Prusse. Dans le cas posé, elle devait donc être d’autant plus accessible aux sentimens de justice que la terre était en cause. Si la Chambre des seigneurs vote l’expropriation, disait-on, elle abdique ses traditions, met la cognée à ses propres racines, creuse sa propre tombe.

Devant sa résistance, si solidement étayée, le gouvernement rassembla toutes les raisons de détail en une seule : la raison nationale. Le maréchal comte de Hæseler vint à la tribune donner sa parole brève et cinglante, qu’elle n’était qu’un mauvais prétexte. Chose digne de remarque, ce fut le soldat qui opposa des « raisons de sentiment » à la violence des commis ; le glorieux survivant de l’époque héroïque, ayant pris une part active à la formation de l’unité de la patrie, s’éleva contre une mesure qui la divisait de nouveau et distinguait les Prussiens qui parlent allemand de ceux qui parlent polonais. Il refusa de se battre contre un « adversaire sans armes[69]. » Cependant, le 28 février, la loi fut votée par 143 voix contre 111. Si le prince de Bülow pesa les voix après les avoir comptées, cette opération inusitée dut mitiger sa joie du triomphe. Dans la minorité figuraient, avec les bourgmestres de l’Est et les hommes qui, comme le cardinal Kopp, s’étaient faits les avocats éloquens de la morale, de la justice et du droit, des princes et grands seigneurs qu’il est malaisé de soupçonner de tiédeur patriotique, parmi lesquels le duc Ernest Gunther de Sleswig-Holstein, beau-frère de l’Empereur.

Le vote de la loi d’expropriation comporte quelques courtes réflexions. En premier lieu, le gouvernement prussien peut faire appel au « sentiment national ; » à tout moment et sous n’importe quel prétexte, il sera toujours entendu et suivi par la majorité des représentans du pays, et soutenu par une presse d’un « chauvinisme effroyable[70]. »

En second lieu, il est un épisode important de l’ancienne querelle entre la bureaucratie et la féodalité qui dure depuis l’entreprise de réforme agraire par les Stein et les Hardenberg. Cette fois, la bureaucratie l’a emporté de haute lutte, grâce au concours des professeurs « réalistes, » — auxquels Bismarck ferait amende honorable aujourd’hui pour les propos dédaigneux qu’il tenait sur leur compte, au temps où ils étaient « idéalistes, » — et à celui des bourgmestres de l’Ouest, représentans des villes libérales mais industrielles. La loi de colonisation marque un point de vue nouveau dans la politique économique de la Prusse : faire l’Ouest industriel et l’Est agrarien. Nous avons vu que l’appoint de la main-d’œuvre polonaise, dans le bassin westphalien et dans le pays rhénan, était considérable ; elle fait contrepoids à la hausse des salaires. L’industriel de l’Ouest, affilié d’ordinaire au parti national libéral, ne tient donc pas à ce que l’esprit de retour vers la terre natale persiste chez l’ouvrier polonais. C’est une des raisons accessoires qui le rendent favorable à la continuation de la Polenpolitik. Il y a aussi, dans cette lutte pour le sol, la protestation subconsciente d’une population de mœurs agricoles contre la vague de « civilisation » industrielle venant de l’Ouest. Au Népaul, on explique la défense faite aux Anglais de pénétrer dans ce pays par un aphorisme rempli de la sagesse des Histoires : « Les marchands amènent la Bible ; la Bible amène les baïonnettes. » Les Polonais n’acceptent pas sans résistance le règne des marchands ; le Kampf um den Boden leur a valu des alliés de circonstance. Le morcellement, c’est-à-dire la démocratisation du sol, qu’il s’opère par la force des choses ou par la force des lois, coïncide presque toujours avec la constitution d’une féodalité industrielle et financière dont les revendications s’élèvent contre la prépondérance de la féodalité terrienne. L’une « sert » le Roi, l’autre contrôle son gouvernement avec des habitudes de comptoir. Et, en même temps qu’une classe paysanne conservatrice, se forme une classe ouvrière vivant au jour le jour de son travail quotidien ; le sentiment de l’incertitude du lendemain est à la racine des conceptions politiques et sociales de ce prolétariat qui compte, dans l’Allemagne d’aujourd’hui, 35 millions d’hommes sur 60 millions[71]. En France, ce phénomène économique se développa pendant la première moitié du XIXe siècle et eut pour conséquences l’avènement du peuple au pouvoir par la conquête révolutionnaire du suffrage universel et direct. Il advint, sinon nécessairement du moins historiquement, que ce fut aussi la fin de la monarchie héréditaire.

Au lendemain du vote de la loi d’expropriation, un historien allemand nous disait : Le chancelier de l’Empire a gagné une bataille contre le roi de Prusse.

Le parti conservateur mit une singulière insistance à faire qualifier de loi d’exception Ausnamegesetz, la loi d’expropriation, afin qu’elle ne pût pas être invoquée comme un fâcheux précédent[72]. Par cette clause de prudence, on se proposait d’endiguer la coulée logique des idées qui produisent les grandes érosions sociales, dans un pays où les plus nébuleuses métaphysiques sont pourtant devenues de l’action, au cours du siècle passé. Cave a consequentiariis, disait Leibniz.


V

Pendant la discussion de la loi, une question jaillissait sans cesse des consciences troublées : comment et contre qui sera-t-elle appliquée ? Elle sera appliquée « sans étroitesse de cœur bureaucratique, » répondit le prince de Bülow. Et l’on insinuait officieusement qu’on ne voulait pas en faire usage, du moins de longtemps ; qu’on s’en servirait comme d’une menace pour rendre possibles les ventes à l’amiable. On s’adressera, par exemple, à un homme endetté, — et on lui laissera entendre que son bien cédé sans autre forme de procès vaut plus, exproprié vaut moins. — Sans doute, il y aura des propriétaires qui tomberont dans ce piège, mais ils ne seront pas assez nombreux pour permettre à la Commission de colonisation de réaliser son plan sans violence. Depuis vingt-deux ans, elle a acheté toutes les terres polonaises qui se trouvaient en mains défaillantes et aujourd’hui peu de biens sont dans une situation désespérée. En outre, les sentimens réveillés dans les cœurs par la lutte pour le sol se sont condensés en un dogme moral : tout Polonais qui vend sa terre à un Allemand est un traître déshonoré. Donc, la Commission de colonisation sera réduite à la nécessité d’exproprier. Dans ce cas, nul ne devra marchander, afin qu’elle ne puisse pas dire qu’on a fait avec elle un marché volontaire ; et elle aura intérêt à le soutenir, car chaque expropriation sera une soustraction au chiffre fixé par la loi. Nul ne devra quitter le pays ; le déraciné se replantera dans le voisinage. Cette tactique était prévue, et l’on s’inquiéta beaucoup, au Landtag, de savoir ce que deviendraient les Polonais expropriés. On craignait qu’ils ne se répandissent dans les provinces limitrophes et qu’alors le mal ne gagnât en surface sans diminuer d’intensité. Ces craintes sont exagérées, répondait le gouvernement. D’après les statistiques dressées par la Commission de colonisation, sur 170 Polonais qui lui ont vendu leurs biens, 14 pour 100 ont racheté de la terre en Posnanie et en Prusse occidentale, 0,6 pour 100 dans une province voisine. D’ailleurs, on envisage le « danger » et on y parera, s’il y a lieu, par une loi interdisant le morcellement en Silésie et dans certains cercles de la rive droite de l’Oder où les spéculateurs seraient tentés de profiter de la hausse actuelle des prix pour acheter des terres et procéder à des lotissemens.

S’il faut attendre que la loi d’expropriation mise en vigueur nous ait fourni des chiffres et des faits pour parler de ses résultats économiques et politiques, on peut cependant noter déjà l’impression pénible qu’elle a produite sur l’esprit de la population comprise dans son champ d’action. Nous avons vu que les Allemands de l’Est, propriétaires, commerçans et bourgmestres, étaient hostiles à cette mesure. Les uns craignent une baisse du prix des terres, les autres un assaut plus violent contre le Germanisme dans les villes, où il est représenté par une bourgeoisie adonnée aux affaires. Et ils se demandent avec inquiétude jusques à quand durera ce régime d’exception, car ils ne doutent pas que le gouvernement n’obtienne du Landtag l’autorisation réitérée d’exproprier plusieurs fois 70 000 hectares. L’histoire aux enseignemens de laquelle on s’est si souvent reporté dans ces débats, semble bien en effet condamner les hommes à continuer par la force ce qu’ils ont commencé par la force.

A la vérité, l’expropriation sera plus cruelle pour les sentimens que pour les intérêts des Polonais. L’exproprié sera dédommagé par une Commission nommée à cet usage, et si l’indemnité ne lui paraît pas suffisante, les tribunaux estimeront en toute justice et en dernier ressort la valeur matérielle de la terre. La propriété serait violée, disait un des plus fougueux « hakatistes, » si l’État n’indemnisait pas complètement l’exproprié. Les Polonais savent bien qu’il n’est pas question de les détrousser, mais le malheur est que leur attachement au sol s’exprime par la parole même de Bismarck : « Qui peut me dédommager avec de l’argent si le parc de mon enfance est transformé en chemin et le tombeau de mes ancêtres en mare à anguilles ? » Cette plainte n’est pas moins émouvante sortant du cœur d’un paysan d’Obornick ou de Mogilno que de celui du propriétaire de Varzin et de Schönhausen. On n’expropriera, dit-on, que les grands propriétaires vivant à l’étranger, non point parce qu’ils sont absentéistes ou possesseurs de vastes étendues, mais parce qu’ils sont issus d’une certaine race et se réclament d’une certaine nationalité. C’est contre quoi précisément s’insurgent les Polonais.

Que veulent les Polonais ? Nous n’avons pas à rappeler ici les griefs nombreux que les deux nationalités en présence font valoir l’une contre l’autre, ni à juger des causes d’ordre politique, ou social, qui les ont provoqués et les accumulent. Il suffira de dire, pour le moment, que la population allemande et la population polonaise vivent dans les provinces de l’Est séparées par un fossé marqué sur la carte psychologique par ce trait menu : Une dame polonaise de Posen nous donnait, un jour, comme important le fait d’avoir été assise la veille, à un enterrement, auprès d’un fonctionnaire prussien. Surprise de ne pas nous voir manifester de l’étonnement, elle ajouta simplement, sans joie ni amertume : « Il y a vingt ans que cela ne m’était pas arrivé. » Parmi les Polonais, les uns souffrent de cet état de choses et voudraient le voir cesser. Ce sont les modérés, les conciliateurs qui désirent la paix, à certaines conditions. Les autres, les « radicaux, » ne considèrent pas la guerre comme le plus grand des maux. Intransigeans dans leur manière d’être « polonais, » ils parlent, écrivent, affichent des opinions ou affectent des allures qui exaspèrent une bureaucratie justement fière des services qu’elle a rendus et enlizée, comme toutes les institutions qui ont vieilli sans souffrir contradiction, dans des prétentions à l’infaillibilité. Ils protestent contre la méthode prussienne de germanisation, mais, au fond, ils reconnaissent qu’elle a formé des hommes et trempé le peuple pour résister à cette sorte d’invasion qui engraisse les corps et ruine les âmes. Ils comptent parmi les grands agitateurs polonais Bismarck et ses successeurs. Le « parti de l’intelligence » en appelle à Kant, à Schiller, à Goethe et ne redoute point le joug de la « culture allemande » qui opère par les séductions de l’esprit. Il y a longtemps, nous disait l’un d’entre eux, que les Allemands du Sud nous auraient « assimilés. »

Quelles seraient les concessions que le gouvernement prussien devrait faire aux Polonais pour désarmer les esprits ? Elles ont été exposées récemment dans une brochure[73] qui fit grand bruit, que l’on cita maintes fois au Landtag et que le gouvernement prit la peine de réfuter, sans entendre d’ailleurs les raisons profondes et méditées qui l’avaient inspirée. Les conciliateurs demandent des fonctionnaires sachant le polonais, et la constitution d’une sorte de Conseil consultatif polonais (Beirat) qui collaborerait avec l’administration prussienne et la ferait bénéficier de sa compétence psychologique. Ce sont là des conditions accessoires ou, en tout cas, sujettes à discussion. Ce que les Polonais revendiquent d’une façon absolue, c’est le libre usage de leur langue, et l’on rencontre, en Allemagne, une foule d’esprits très distingués disposés à le leur concéder. Le gouvernement répond que l’État prussien serait sourd à toutes les leçons de l’histoire, s’il prêtait l’oreille à de semblables propositions. Si on accorde aux Polonais l’usage de leur langue, ils demanderont la disparition de l’Ansiedlungscommission, la nomination de fonctionnaires polonais et bientôt l’autonomie comme en Galicie. La question ne peut plus se poser depuis que les paysans et artisans se sont organisés économiquement et que l’influence est passée aux radicaux. — Mais, si la politique de conciliation est devenue impossible aujourd’hui, comme l’affirment le gouvernement et les partisans de l’expropriation, il y a lieu de se demander, sans insister, pourquoi elle prit fin brusquement en 1894. Les raisons connues ne sont peut-être pas les plus probantes, et il faudrait, sans doute, en chercher de plus décisives dans la « petite histoire « qui garde le secret des petites causes produisant les grands effets. Le crédit de la noblesse polonaise à la Cour, par exemple, suscita, dans la noblesse prussienne, des rivalités qui ne furent pas étrangères à la rupture ; elles avaient l’une et l’autre une manière trop différente de servir le souverain.

On fait surtout dépendre la politique polonaise des questions internationales, de la révolution russe, de l’avènement au pouvoir du club polonais de Vienne, du flux et du reflux du mouvement des nationalités, car, dans l’esprit public, la résurrection de la Pologne signifie la ruine de l’Empire allemand. En 1815, lord Castlereagh, rappelant au prince de Hardenberg que les mesures de germanisation mises en œuvre par la Prusse après l’annexion de la Pologne n’avaient pas réussi, l’avertissait des conséquences funestes que pourrait avoir la reprise du même système administratif pour l’équilibre européen, et déclarait nécessaires des institutions libérales qui tiendraient compte de la nationalité polonaise. Les temps sont changés, apparemment, et le prince de Bülow, répondant aux objections tirées du sentiment de l’étranger contre l’expropriation disait, avec juste raison, que chaque peuple est aujourd’hui maître chez lui.

On rencontre des Polonais qui croient au bouleversement de l’Europe et à la restauration du royaume de Pologne. Leurs espérances se nourrissent de convictions mystiques. Les longs désirs et les temps fertiles en événemens soudains et considérables favorisent l’éclosion des prophéties. Plus nombreux encore peut-être sont les Allemands qui agitent ces mêmes pensées. Leurs craintes étayées sur une diplomatie conjecturale, forment une sorte de « catastrophisme » politique, qui fait pendant à ce système en vogue dans l’ordre économique. La question reste de savoir s’il est bon de gouverner les peuples de l’an 2000 avec les terreurs de l’an mil.

On objecte enfin contre la politique de conciliation l’ingratitude des Polonais à l’égard de la Prusse qui, nous l’avons dit, a fait de grands efforts pour enrichir les marches de l’Est. A la vérité, les Polonais reconnaissent qu’ils doivent leur bien-être matériel aux méthodes et à la discipline de leurs maîtres ; mais l’augmentation du nombre des têtes de bétail ne les satisfait pas comme un idéal. Et voici, selon nous, le nœud, le Kernpunkt de la question polonaise. La bureaucratie prussienne n’ayant considéré que l’état de misère auquel « l’anarchie » avait réduit ce peuple, ne s’est inquiétée que de ses besoins accessoires ; elle a pensé qu’en badigeonnant, exhaussant, rebâtissant les masures du temps de l’annexion, elle ferait des habitans de fidèles sujets du roi de Prusse. Par dédain, ou par incapacité, elle n’a pas pénétré jusqu’à l’âme. Et c’est pourquoi « on gouverne à côté. » Ce qui est vraiment en cause, ce ne sont ni des rêves dans l’avenir, ni la jouissance dans le présent, mais bien deux ou trois idées abstraites, précises, irréductibles, qui bravent les lois et narguent la force. Le Kulturkampf fit craindre aux Polonais qu’on n’en voulût à leur religion ; la « guerre scolaire » leur prouva qu’on haïssait en eux ce qu’il y a de plus essentiel et de plus intime, la pensée. Or, il en est des langues comme des religions ; elles ne succombent sous les lois oppressives que lorsqu’elles sont mortes à la racine, qui est dans le cœur des hommes. Un jour, en Silésie, la curiosité nous mena à la messe des Vieux-catholiques. La petite église n’était pleine que de vieillards qui chantaient des cantiques d’une voix pieuse et cassée. Par-dessus cette mélopée expirante nulle voix d’enfant ne criait vers l’avenir. C’est à ce spectacle émouvant qu’aboutissait l’un des projets caressés une heure par le grand Bismarck. Dans les rues des villes et des villages de Posnanie, d’innombrables troupes d’enfans jouent et ne parlent que polonais. Que penser de cette manière de rébellion ? « On nous reproche, disait le prince de Radziwill à la Chambre des seigneurs, de ne nous être pas clairement expliqués sur le fait de notre dépendance vis-à-vis de l’Etat. Ceux qui formulent ce reproche désirent donc qu’une telle déclaration implique la renonciation à notre nationalité. Si je reconnais les soins d’ordre matériel dont nous avons été l’objet, je formule une lourde accusation contre l’administration prussienne qui n’a pas fait ce qui était désirable pour le développement intellectuel des Polonais et leurs besoins nationaux : langue, histoire, littérature, conscience populaire nationale, mais au contraire a employé tous les moyens dont elle dispose pour les entraver... Vous ne pouvez pourtant pas exiger que le Polonais qui veut conserver ses qualités nationales, sa manière propre de sentir intellectuellement et moralement, dépouille sa nationalité comme on quitte son manteau à l’entrée d’un Verein. Ce n’est pas là de l’hostilité contre l’Allemagne, comme on l’affirme toujours faussement... Nous estimons comme tout le monde ce qui, en Allemagne, est estimable... Nous ne spéculons nullement sur les sympathies de l’étranger... En ce qui concerne l’étranger, la considération pour la vie intellectuelle allemande est exaltée à côté de la juste condamnation des mesures politiques du gouvernement prussien. »

Les Polonais veulent, dans l’Etat prussien, rester une nation. Qu’est-ce qu’une nation ? Ce n’est ni une race, mot avec lequel on empoisonne aujourd’hui tous les problèmes politiques[74], ni une langue, puisqu’il y a des nations où l’on parle plusieurs langues, et plusieurs pays où l’on parle une même langue et qui ne forment pas une même nation, ni une association d’intérêts, car une union douanière n’est pas une patrie. Une nation, on la dit, est « un principe spirituel » résultant des longues épreuves de l’histoire, une conscience morale formée par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, un capital social accumulé lentement pendant des siècles. Dénationaliser est une entreprise intellectuelle. L’affinité élective est le facteur essentiel de l’assimilation d’un peuple. Les lois d’exception, ayant un caractère éminemment pédagogique, créent des mœurs rebelles aux fins qu’elles se proposent d’atteindre. On a voulu contraindre ce tronçon de peuple, annexé depuis cent trente-six ans, « à avoir le cœur allemand ; » il bat plus fort sous l’afflux des sentimens polonais.

Un cri singulier et suggestif domine ce conflit d’opinion auquel donna lieu en Allemagne la loi d’expropriation : « Moins de Bismarck et plus de Schiller[75] ! » Cette méthode de germanisation, proposée par un professeur de droit, restitue à la question polonaise son véritable sens ; elle est d’ordre « spirituel » et sa solution ne dépend ni de l’argent ni des armes. On tentera vainement de refouler hors de ce coin de terre des pensées et des sentimens incoercibles. La compression créera le danger. Cette lutte de nationalités entre Prussiens et Polonais ne fut longtemps qu’un point douloureux dans la passivité de l’immense corps slave. Sous le choc d’événemens récens et sous la poussée d’aspirations nouvelles, le sang de la race circule, des bords de la Neva à l’embouchure du Vardar, par-dessus les frontières qui séparent cent millions d’hommes, et cherche son centre de vie. Joseph de Maistre disait : « Si l’on enterrait un désir slave sous une forteresse, il la ferait sauter. »


H. MOYSSET.

  1. Voyez la Revue du 1er novembre.
  2. Chambre des seigneurs, Bericht der IX Kommission über den Entwurf eines Gesetzes über Massnahmen zur Stärkung des Deutschtums in den Provinzen West-preussen und Posen, p. 15.
  3. Bismarcks Reden, t. IX, p. 155.
  4. Cité par le Dr Porsch à la Chambre des députés, Stenographische Berichte, 29 novembre 1907, p. « 2.
  5. Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 41.
  6. Chambre des députés, M. Wolff (freisinnig), Stenog. Berichte, 30 novembre 1907, p. 111.
  7. Jahrbuch des deulschen Ostmarkenvereins, 1908. — Sur les 11 167 affiliés de la province de Posnanie, il y a 4 446 fonctionnaires, 1 053 instituteurs, 219 grands propriétaires, 2 548 petits propriétaires, 2 473 commerçans, 129 médecins et avocats, 299 représentans des autres professions. La proportion des fonctionnaires est de 49 pour 100.
  8. Die Ostmark, septembre 1907.
  9. Die Ostmark, septembre 1907.
  10. Id., mars 1908.
  11. Die Ortsgruppe Berlin des Alldeutschen Verbandes an die Konserv. Pa. des preuss. Abgeordnetenhauses, 13 janvier 1908.
  12. Francfurter Zeitung, 17 janvier 1908.
  13. Chambre des seigneurs, Bericht der IX Kommission, p. 45.
  14. Id., Stenog. Berichte. p. 23.
  15. Id., ibid., p. 33 (ministre de l’Agriculture).
  16. Chambre des députés, Stenog. Ber., 26 nov. 1907, p. 18 (prince de Bülow).
  17. Id., ibid., 16 janvier 1908, p. 648 (prince de Bülow).
  18. Chambre des députés, Stenog. Ber, 30 novembre 1007, p. 154 (ministre de la Justice).
  19. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 27 février 1908, p. 86 (professeur Schmoller).
  20. Bericht der IX Kommission, p. 62.
  21. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier 1908, p. 678 (M. Lusensky, national libéral).
  22. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier 1908, p. 31 (Dr Hamm).
  23. Chambre des députés, Stenog. Ber., 26 novembre 1907 (prince de Bülow).
  24. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier 1908 (Dr Adickes, bourgmestre de Francfort-sur-le-Mein).
  25. Bericht der IX Kom., p, 20 et Chambre des seigneurs, 27 février 1908 (ministre de l’Agriculture).
  26. Bericht der IX Kom., p. 20.
  27. Chambre des députés, 26 nov. 1907 (prince de Bülow).
  28. Bericht der IX Kom., p. 56 (ministre des Finances).
  29. Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 27 Dr Adickes.
  30. Chambre des députés, Stenog. Ber., 20 nov. 1907, p. 102 (M. de Oldenburg.
  31. Reichstag, Stenog. Berichte, 11 novembre 1907 (M. de Chrzanowski)-
  32. Chambre des députés prussiens, Stenog. Ber., 30 nov. 1907 (M. de Dziembowski-Pomian).
  33. Id., ibid., 27 nov. 1907, p. 35-45 (Dr de Iazdzewski).
  34. Bericht der IX Kom., p. 35.
  35. Id., p. 5.
  36. Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 35 (Dr Bender, bourgmestre de Breslau).
  37. Bericht der IX Kom., p. 6.
  38. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier 1908, p. 32 (comte de Tiele-Winckler).
  39. Ber. der IX Kom., p. 6.
  40. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier 1908, p. 649-608 (M. Keruth, freisinnig).
  41. Id., Stenog. Ber., 30 nov. 1907, p. 108 (M. Wolff, freisinnig).
  42. Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte. Nachtrag 27 février 1908.
  43. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier 1908, p. 664.
  44. Chambre des seigneurs, 26 février 1908, p. 504 (comte de Mirbach-Sorquitten).
  45. Id., ibid., 30 janvier, p. 43 (Dr Bender).
  46. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier, p. 32 (comte de Tiele-Winckler).
  47. Chambre des députés, Stenog. Ber., 29 novembre 1907, p. 64 (Dr Porsch, centre).
  48. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier 1908, p. 665 (comte Praschma, centre).
  49. Bericht der IX Kom., p. 40.
  50. Chambre des seigneurs. Stenog. Ber, 26 février 1908, p. 54 (comte de Mirbach-Sorquitten).
  51. Chambre des députés, Stenog. Ber., 29 novembre 1907, p. 61 (Dr Porsch, centre).
  52. Chambre des 8eigneurs, Stenog. Ber., 26 février 1908, p. 53 (comte de Mirbach-Sorquitten).
  53. Bericht der IX Kom., p. 83.
  54. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 30 janvier 1908, p. 32 (comte de Tiele-Winckler).
  55. Bericht der IX Kom., p. 29.
  56. Chambre des députés, Sten. Ber., 29 novembre 1907, p. 59 (Dr Porsch, centre).
  57. Bericht der IX Kom., p. 7.
  58. W., p. 40.
  59. Chambre des députés, Sten. Ber., 30 novembre 1007, p. 129 (M. de Dziembowski-Pomian, polonais).
  60. Ber. der IX Kom., p. 12-13.
  61. Chambre des seigneurs, Sten. Ber., 30 janvier 1908, p. 22 (cardinal Kopp).
  62. Chambre des députés, Sten. Ber., 29 novembre 1907, p. 97 (M. de Oldenburg).
  63. Chambre des seigneurs, Sten. Ber., 26 février, p. 54 (comte de Mirbach-Sorquitten).
  64. Id., ibid., 30 janvier, p. 23 (cardinal Kopp).
  65. Ber. der IX Kom., p. 67.
  66. Bericht der IX Kom., p. 68.
  67. Chambre des députés, Sten. Ber., 29 novembre 1907, p. 51 (baron de Zedlitz).
  68. Id., ibid., 29 novembre 1907, p. 73 (Dr Friedberg).
  69. Chambre des seigneurs, Stenog. Ber., 26 février 1908, p. 64.
  70. Chambre des députés, Stenog. Ber., 16 janvier, p. 664 (comte Praschma).
  71. Prof. W. Sombart : Die deutsche Volkswirtschaft im neunzelinten Jahrhundert, in-8o. Berlin, 1903, p. 331.
  72. M. de Oldenburg, Chambre des députes, Stenog. Berichte, 20 novembre 1907, p. 100 ; Prince de Bülow, Chambre des seigneurs, Stenog. Berichte, 30 janvier 1908, p. 24.
  73. S. de Turno, Zum Enteignungsprojekt, Posen.
  74. Professeur Harnack, Neue Fraie Presse, N° de Noël, 1907.
  75. Dr Walther Schücking : Das Nationaliätenproblem, Dresde, 1908, p. 79.