La Politique canadienne d’émigration française

La Politique canadienne d’émigration française
Revue des Deux Mondes5e période, tome 44 (p. 375-407).
LA POLITIQUE CANADIENNE
D’ÉMIGRATION FRANÇAISE

De tous les problèmes qui se posent en ce moment à la politique canadienne, le plus épineux est celui de l’émigration. Cet immense pays, presque aussi grand que l’Europe et peuplé seulement de cinq millions d’habitans (une Europe où il n’y aurait en tout et pour tout que la population de deux villes de Paris) a fait signe à grands gestes, de tous côtés, à l’Est comme à l’Ouest, aux foules d’émigrans, pour remplir ses solitudes, évidemment appelées à la plus brillante prospérité agricole et industrielle. Les foules accourent de plus en plus denses. Mais les nationaux commencent à résister.

Le 7 septembre dernier, à Vancouver, 600 émeutiers de race blanche ont pillé le quartier chinois et japonais, sur la nouvelle qu’un paquebot chargé d’émigrans nippons venait de partir d’Honolulu pour le Dominion ; et cela un an après la traversée quasi triomphale que l’ambassadeur du Japon, le prince Fushimi, avait faite du Canada, de l’Est à l’Ouest. Les orateurs politiques qui sont venus par la suite à toucher à la question, ont fait frémir cette région d’un profond sentiment de nationalisme canadien. En définitive, sir Wilfrid Laurier, qui cherchait activement à ouvrir à son pays le marché japonais, s’est engagé aussitôt à payer les dommages de l’émeute de Vancouver, et il a dû envoyer, le 24 octobre, à Tokio, l’un de ses collègues les plus actifs du cabinet, M. Rodolphe Lemieux, pour arranger avec la puissante alliée de l’Angleterre la question de l’émigration. Le ministre japonais des Affaires étrangères, le vicomte Hayashi, s’est engagé, par lettre officielle du 23 décembre 1907, à « prendre des moyens efficaces pour restreindre l’émigration au Canada[1]. »

L’Est du pays, le Canada français n’avait pas attendu pour dessiner, plus pacifiquement, un mouvement analogue. Il y a déjà deux ans, du sein même du parti « libéral » qui occupe le pouvoir depuis douze ans, du milieu de la majorité parlementaire, se détacha un député fédéral canadien-français, jeune, de belle mine, travailleur, d’une instruction solide, d’idées très élevées, de parole vibrante, d’un désintéressement au-dessus de tout soupçon : Henri Bourassa. Petit-fils du chef des patriotes de 1837, l’illustre Papineau, il rompit bruyamment avec l’opportunisme de ses amis politiques de la veille, pour se jeter dans une bouillante campagne contre ce qu’il regardait comme les abus de son propre parti.

Commençant, chose curieuse, par la province très anglaise d’Ontario, où il fit applaudir son patriotisme, sa ténacité, sa hardiesse, il parcourut ensuite tout le Bas-Canada, allant de cité en cité et de petite ville en petite ville porter partout la parole nouvelle, qui semble avoir été partout accueillie, sauf à Saint-Roch de Québec, avec une très bienveillante attention[2]. La croisade parut exciter l’enthousiasme, moins encore du peuple proprement dit (si l’on peut commettre cette hérésie de distinguer des classes sociales sur le sol de l’Amérique) que de la bourgeoisie qui réfléchit, surtout dans la jeunesse indépendante, et nous avons assisté, le 25 avril dernier, à une vraie ovation faite à Henri Bourassa par 2 000 jeunes gens de Montréal, dans un milieu universitaire de Canadiens-Français, où il donnait une conférence sur « l’Immigration au Canada. »

Le jeune apôtre politique est soutenu dans sa lutte, pour ne pas dire précédé dans sa marche, par un journaliste de son âge, de son talent et de son désintéressement, mais plus audacieux encore, plus bilieux, et plus mordant, Olivar Asselin. Celui-ci rédige à Montréal, avec quelques amis, une simple feuille hebdomadaire de 4 pages, dont l’apparition fait, chaque semaine, une manière de petit événement. Tous les yeux, chaque dimanche matin, se tournent, avec malice ou inquiétude, vers le numéro du Nationaliste, comme toutes les oreilles se tendirent pendant plusieurs mois vers les conférences quasi quotidiennes que prodiguait le chef éloquent de la nouvelle « ligue nationaliste. »

Une plus grande honnêteté financière et plus de franchise morale dans la politique, une distribution plus rationnelle et plus équitable, par le gouvernement, du domaine national, terres, forêts et mines, le retour progressif à l’État des grandes entreprises privées, comme les chemins de fer, pour mettre fin aux abus des monopoles particuliers, tels sont, en dehors des questions de personnes et des attaques contre les ministres, quelques-uns des principaux points du nouveau programme. Si nous avions à le discuter, encore qu’il soit toujours fort délicat de juger la politique intérieure d’un pays étranger, nous ne manquerions pas de remarquer à quel point ce courant d’étatisme est, à l’heure présente, général surtout le continent américain, qui, durant si longtemps, n’a rien demandé à l’État, sinon de rendre la justice, d’assurer la police (et encore…) et de laisser le citoyen Iran-quille. M. le vicomte d’Avenel en a fait naguère, ici même, une remarquable démonstration pour les États-Unis[3]. Nous nous trouvons plus à l’aise pour aborder le point qui paraît bien être le premier du programme nationaliste : enrayer l’immigration anglaise au profit de l’immigration française. Ce point, touchant à la politique extérieure, nous intéresse directement, et nous donne dès lors voix au chapitre.

Deux coups de théâtre sont venus passionner d’abord, puis clore en apparence cet ardent débat. Le ministre de la province de Québec le plus visé par MM. Asselin et Bourassa, celui de la Colonisation, M. Jean Prévost, a donné subitement, dans les premiers jours d’octobre, sa démission de ministre. — Ensuite, M. Turgeon, le ministre de l’Agriculture de la même province, a donné sa démission de député provincial afin de se faire à nouveau blanchir par ses électeurs. Aussitôt M. Bourassa, résignant lui-même son mandat de député fédéral, courut se présenter crânement dans la circonscription même de M. Turgeon. Il fut battu en novembre, grâce à toutes les forces coalisées du parti libéral, qui poussa des clameurs de triomphe à Ottawa et à Québec, criant, un peu tôt peut-être, à « la mort politique » de M. Bourassa. Il fera sagement de ne point s’endormir : la conscience publique s’est montrée trop vivement émue par le mouvement « nationaliste » pour qu’on puisse douter qu’il ne réponde à quelques-unes de ses plus intimes aspirations.


En somme, la question qui préoccupe si fort aujourd’hui nos cousins d’outre-mer, offre une double face, l’une canadienne et l’autre française. Du point de vue canadien, elle est de première importance : orateurs et écrivains « nationalistes » affirment tous les jours que le Canada, s’il persévère dans les mêmes erremens de colonisation, ne court à rien moins qu’à un « suicide national. » Envisagée de ce côté de l’Atlantique, elle est pour nous, à vrai dire, secondaire, mais d’un intérêt vif encore et plus que jamais éveillé à l’heure présente où, en France, l’on s’occupe si curieusement du Canada, sans d’ailleurs ordinairement le connaître avec précision.

Est-il vrai que le gouvernement actuel du Canada ne favorise point l’immigration française et qu’il pourrait agir autrement ? et, s’il en est ainsi, quelles en sont les raisons ?

Emigrer davantage dans la « Nouvelle-France » est-il bon pour nous ?

Tels sont les deux ordres de questions auxquelles nous allons nous appliquer à répondre le plus impartialement qu’il nous sera possible, en nous appuyant sur les documens officiels d’Ottawa eux-mêmes, éclairés par un récent séjour de deux années au Canada.

L’originalité propre et unique au monde du Canada réside, comme l’on sait, dans la constitution de ce pays par l’accord, sans fusion, de deux des races les plus remarquablement douées, bien que de qualités diverses, la race française et la race anglaise. Sa raison même d’exister est évidemment dans une « entente cordiale, » qui se pratiquait là-bas bien avant qu’elle ne fût décrétée chez nous.

Or, d’après le dernier recensement officiel, celui de 1901, le Dominion comptait 5 371 315 habitans, parmi lesquels 1 649 371 Canadiens-Français, soit le tiers de l’ensemble, exactement 30,7 pour 100. L’élément de race française ne possède donc point la prépondérance, d’autant mieux que les plus gros capitaux sont entre les mains anglaises ; néanmoins, il défend encore vaillamment ses positions, grâce au prestige de son ancienneté d’occupation du sol, grâce à sa possession de la grande entrée européenne du Canada, les bouches maritimes du Saint-Laurent, grâce à ses qualités bien françaises de persévérance au travail, de sociabilité, de vivacité, de gaieté, enfin, il faut rajouter, grâce au charme propre de son homme d’État, sir Wilfrid Laurier, qui, bien que membre de la minorité ethnique, dirige depuis douze ans, avec une si sereine autorité, le gouvernement de ce peuple à deux têtes. Néanmoins, les Canadiens-Français doivent se surveiller de près, s’ils veulent conserver les droits qu’ils ont conquis de haute lutte depuis cent cinquante ans, et dont ils sont très légitimement fiers. L’émigration considérable, qui se fait actuellement au Canada, est-elle de nature à les alarmer ?

Les chiffres vont se charger de nous répondre, car là-bas, — tendance américaine sans doute, — tout se mesure, se jauge, se pèse et se compte. Le gouvernement est prodigue de statistiques en tous genres, que l’on excelle à vulgariser par les moyens les plus ingénieux, tantôt en les reportant sur des cartes île géographie, comme dans le bel Atlas récent de M. James White[4], tantôt en les étalant aux yeux sous forme d’échelles progressives et de ballots multicolores d’épaisseurs proportionnelles aux chiffres.

Les nombres officiels nous apprennent donc que, depuis dix ans, de 1897 à 1906, le Canada a reçu 311 000 Anglais et 280 000 Américains des États-Unis, soit, en chiffres ronds, 600 000 Anglo-Saxons pour… 14 000 émigrans de France et de Belgique. Déjà réduite à 30 p. 100, la minorité « française, » dans cet afflux considérable qui vient ainsi compléter rapidement le Canada, ne se voit plus représenter que par 2 pour 100. On voit que le péril est loin d’être imaginaire.

Il ne serait pas encore bien grave si la population indigène pouvait, par son propre chiffre, résister longtemps à ces arrivages si disproportionnés. Mais la réalité est tout opposée, et, dans très peu d’années, si le mouvement « nationaliste » de l’Est ne reçoit point satisfaction, c’en est fait des Canadiens-Français, qui auront héroïquement lutté pendant un siècle et demi et, groupés autour de leurs prêtres, victorieusement survécu à l’invasion anglaise, à l’oppression anglaise, à l’infiltration anglaise des fonctionnaires et des commerçans, pour disparaître, sans rémission, dans les premières années du XXe siècle, complètement noyés sous cette pacifique inondation anglo-américaine.

On aperçoit déjà au Parlement fédéral les avant-coureurs de la submersion prochaine : à la Chambre des communes, qui seule émane du suffrage populaire, puisque le Sénat est nommé par le gouvernement, les députés « français » ne sont plus que 80 environ sur 214. La constitution politique, c’est-à-dire le British North America Act de 1867, a fixé au chiffre de 65 le nombre des représentans de la province de Québec, la plus française de toutes, et a décidé que ses comtés électoraux, quelles qu’en fussent les variations de population, serviraient de types à ceux des autres provinces. Le comté québecquois, c’est-à-dire le soixante-cinquième de la population totale de la province, est actuellement de 30 000 âmes environ : de 30 000 âmes est donc la circonscription électorale dans tout le Dominion. Il s’ensuit que, à chaque fois que passe vers l’Ouest canadien où on les précipite, un lot de 30 000 émigrans de race anglaise, c’est un député anglais qui s’achemine vers le Parlement d’Ottawa. Il n’est même pas de plus sûr moyen d’annihiler la minorité « française » que d’écarter les immigrans de la province de Québec et de les entraîner vers l’Ouest ; l’on fait ainsi coup double : 1° en ne peuplant point la province de Québec, l’on maintient partout le chiffre de la circonscription électorale au nombre de 30 000 habitans ; 2° l’on prépare directement de nouveaux sièges de députés au Canada anglais de l’Ouest. Or il est entré, en 1906, 156 000 Anglais et Américains pour moins de 3000 émigrans de langue française : en conséquence, cinq nouveaux députés anglais vont bientôt prendre la route d’Ottawa et y augmenter l’écrasante prédominance de la majorité anglaise, sans que rien vienne renforcer la petite phalange des 80 « Français. » On comprend que l’Angleterre ne laissera, pas plus que les nouveaux citoyens eux-mêmes, se perdre les avantages que la Constitution lui confère, et, à l’ouverture solennelle du Parlement canadien, au mois de novembre 1906, nous avons entendu le gouverneur général du Canada, lord Grey, déclarer au Parlement, dans le discours du Trône, à la suite du voyage qu’il venait d’effectuer dans l’Ouest, que ces nouvelles provinces réclamaient une augmentation du nombre de leurs représentans. Il se réjouissait de constater que, parmi les émigrans, une plus forte proportion que jamais était venue des Iles Britanniques. On devine si les nouveaux élus seront Français ou Anglais.

Au-dessus de la question canadienne-française la question simplement canadienne se pose elle-même au sujet de l’émigration. Tous ceux qui ne se laissent pas endormir, dans le Dominion, par le confort matériel et par l’extraordinaire développement économique, se demandent si cet accroissement prodigieux de l’immigration est un réel avantage pour le Canada. Partie du chiffre de 21 000, il y a dix ans, l’émigration, par bonds successifs, en était, en 1900, au nombre de 180 000. 1907 s’est clôturé sur 275 000[5]et, en haut lieu, l’on « espère, » l’année prochaine, importer 500 000 hommes : nous n’oublions pas que les Canadiens indigènes sont en tout 5 millions. D’après les données mêmes du ministère de l’Intérieur, dans cinq ans, pas plus, le Canada comptera 11 millions d’habitans, dont la moitié, S millions 600 000, seront nés en pays étranger. C’est comme si la France, à supposer qu’elle les pût admettre, recevait en un an 2 millions et demi de nouveaux arrivans : voilà l’image de l’émigration canadienne en 1907 ; — comme si elle recevait 4 millions d’étrangers : voilà l’image de l’émigration probable au Canada en 1909.

Et encore, dans la France, ce pays si bien limité et si bien centré par la nature, de nouveaux arrivans seraient vite mis en contact avec tous les grands organes qui composent la vie du pays. Mais avec ses immenses plaines et forêts vierges, larges en tout comme l’Océan Atlantique lui-même, séparées les unes des autres par deux séries d’obstacles naturels, à une extrémité, les Montagnes Rocheuses, et, vers le milieu, le groupe des Grands Lacs, orageuses « mers intérieures qui établissent dans ce continent une solution de continuité[6], » le Canada n’est point un pays proprement dit, c’est plutôt une expression géographique. Je l’ai même entendu appeler en public par un patriote canadien « une absurdité géographique. » Dans un tel pays, une aussi formidable invasion d’émigrans ne pourrait être vraiment profitable à l’unité nationale que si elle avait le temps de s’imprégner du caractère, des habitudes, des traditions de la population indigène : or, cette armée pénètre bien en Canada, pour la majeure partie, par les rives du Saint-Laurent et la province de Québec ; mais elle ne traverse ce vrai cœur historique du Canada qu’à tours rapides de pistons de locomotives ou d’hélices, n’apercevant, à la fin d’un voyage exténuant, par les hublots ou les vitres du wagon de « colonist, » que des villes noires, des campagnes vertes ou uniformément couvertes de neige, qui défilent trop lentement à son gré, — pressée qu’elle est d’aboutir au sol où elle doit planter enfin sa lente, ici ou là, peu lui importe. Pour beaucoup de ces hommes hardis, qui ont renoncé à leur patrie et qui s’imprègnent si vite de l’esprit, non pas canadien, mais américain, la patrie, je le leur ai entendu dire, « c’est uniquement l’endroit où ils gagnent de l’argent. » Si les hommes politiques canadiens pouvaient conserver sur ce chapitre quelques illusions, qu’ils fassent donc causer librement l’un de ces nouveaux habitans du Dominion, de ceux du Far-West, qui, voisins des Etats-Unis, dont ils ne sont séparés que par la frontière toute théorique du 49e parallèle, soul obligés de mettre trois, quatre, cinq, six ou sept jours consécutifs de chemin de fer, avec autant de nuits, pour venir à la capitale commerciale du Canada, Montréal, à sa capitale historique Québec, ou à sa capitale politique Ottawa, et qu’ils les interrogent sur leurs sentimens canadiens. Pour moi, j’entends encore l’un des grands éleveurs du pied des Rocheuses, Français de France par l’origine et par le cœur, me dire au mois d’avril dernier : « Nous vendrons mieux nos produits au marché de Chicago quand nous n’aurons plus de taxes de douanes : aussi nous appelons de tous nos vœux une annexion aux Etats-Unis, et nous pensons tous de même dans la Province. » Que l’on juge du langage des colons anglais ou des colons américains qui n’ont fait, eux, que monter un peu plus au Nord, de la prairie américaine épuisée, dans la jeune prairie canadienne.

Les Etats-Unis semblent bien avoir contribué à entraîner leurs voisins, par une sorte de contagion de vertige, dans le tourbillon de la grande immigration. Mais eux-mêmes, qui furent si largement ouverts aux émigrans, n’accueillirent 300 000 étrangers par an, ce qui est le chiffre actuel de l’immigration canadienne, que le jour où ils furent… 50 millions. L’un des publicistes du « nationalisme » l’a fait très justement ressortir[7]. Comment un peuple dix fois moins nombreux peut-il prétendre assimiler le même chitïre d’étrangers ? Aujourd’hui même, les États ne font entrer que 1 pour 100 d’émigrans par rapport à leur population totale (exactement 1, 35 pour 100) : le Dominion va en faire entrer, chaque année, 10 pour 100 par rapport à la sienne.

Le Canada doit attirer, dit-on, une gigantesque émigration parce qu’il est très grand. — C’est précisément, en raison de sa grandeur et du manque de coordination de ses divers membres qu’il devrait aller beaucoup plus lentement en besogne et se donner plus de soin pour absorber chacun de ses élémens nouveaux. Les nations sont fatalement soumises aux lois de la biologie. Si vigoureux soit-il, un corps n’a jamais pu s’assimiler de gros élémens étrangers, qui finissent toujours par le faire périr. Ce n’est point par une nutrition monstrueuse qu’un organisme se fortifie ni qu’une patrie se fonde.

Si encore cette foule cosmopolite, assurément remarquable par la quantité, l’était de même par la qualité ! Mais ces deux termes, comme l’on sait, marchent rarement d’accord, et 300 000 personnes, ramassées partout où l’on a pu les trouver, n’ont guère de chance de constituer une élite. On s’en aperçoit bien à l’ « inspection médicale, » en même temps inspection morale, que le Canada a dû établir en 1902 et compléter en 1904 dans chacun de ses grands ports d’immigration : elle ne passe pourtant point pour bien sévère. Parmi les émigrans qui se voient interdire l’entrée du Canada en raison de leurs tares physiques ou morales, figurent, pour la dernière année officiellement publiée, 1904-1905, en premier lieu des Juifs, des Russes, des Allemands, des Italiens, des Turcs. Mais il est remarquable que, parmi les émigrans qui, après avoir été une fois admis, durent être renvoyés, les trois quarts soient des Anglais, — comme d’ailleurs l’année précédente, — les uns parce qu’ils sont devenus fous ou diversement malades, d’autres parce qu’ils sont une « charge publique, » d’autres enfin parce que l’on a découvert en eux des criminels. Pour ces derniers, le médecin en chef du service fait l’observation que c’est la première fois qu’on en relève un nombre aussi considérable. Quant à l’ensemble des rapatriés, il explique la très forte proportion des Anglais (75 p. 100, tandis que les émigrans anglais font 50 p. 100 de l’effectif total) en disant que beaucoup d’entre eux ont demandé eux-mêmes à revenir[8]. Il semble donc évident que le recrutement dans les Iles Britanniques est fait trop légèrement pour l’intérêt du Canada.

On s’en serait douté en lisant les rapports de certains agens d’émigration canadienne en Angleterre. Celui de Liverpool se réjouit en 1905 d’avoir pu mettre en route 3 350 émigrans de plus que l’année précédente, et il attribue ce succès au chômage des ouvriers anglais durant le dernier hiver et aussi « à l’aide puissante de l’Armée du Salut[9]. » Voilà qui est pour faire rêver tous ceux qui savent que cette respectable institution protestante travaille surtout, en pays anglais, dans les bas-fonds et les bouges, où elle réussit noblement d’ailleurs à faire pénétrer quelques lueurs d’idéal.

Ces soupçons se trouvent pleinement confirmés par un document arrivé entre les mains de M. Henri Bourassa, qui a dû à sa simple lecture de véritables triomphes oratoires : il justifierait à lui seul toute la campagne nationaliste. C’est un prospectus de Londres, émanant d’une de ces sociétés de philanthropie religieuse analogues à l’Armée du Salut. Ici, c’est la « Church Army » qui fait appel à la générosité du public pour continuer ses envois d’émigrans au Canada : en cette année 1906, elle a « envoyé de la misère du pays à la prospérité du Canada : 3 000 anciens prisonniers, chemineaux, malheureux, vagabonds, ivrognes, apaches (ex-prisoners, loafers, unfortunates, tramps, drunkards, hooligans). On demande chaleureusement des dons en vue de constituer un fonds de 100 000 livres pour l’émigration de 20000 sujets l’an prochain[10]. » On conçoit quel sursaut d’indignation a secoué les Canadiens à la lecture d’un pareil factum leur révélant qui on leur expédie connue frères.

Les journaux anglais du Canada se sont eux-mêmes émus d’un jugement rendu, l’été dernier, dans la Grande-Bretagne. Un journalier était poursuivi pour avoir voulu, avec menaces, extorquer de l’argent à son père. Il avouait et méritait la prison. Le juge : « Voulez-vous aller au Canada ? — Oui, Votre Honneur. » Là-dessus le coupable fut acquitté et relâché[11].

Il a été observé d’ailleurs avec raison que l’âge héroïque de l’émigration européenne, ou plutôt de la bonne émigration européenne est passé, du moins pour le moment, et ce sont les États-Unis qui ont eu l’heureuse chance et l’habileté d’en profiter. Leur pays s’est fait beaucoup avec les Scandinaves, avec les Irlandais, qui sont aujourd’hui si puissans à New-York, avec les Allemands, avec les Italiens du Nord. La situation politique des nations européennes a profondément modifié la qualité de l’émigration : elle en a reporté les foyers, du Nord et du Centre de l’Europe, au Sud et à l’Est. L’Irlande, devenue plus tranquille, a moins émigré, du moins dans ses bons élémens ; le grand mouvement d’agriculture, de commerce et d’industrie, qui s’est manifesté en Allemagne depuis 1880, a retenu sur le sol, avec les efforts du « kaiser, » beaucoup du surplus de la population. Les Italiens émigrent de plus en plus, mais les provinces du Nord et du Centre vont chercher du travail dans les États européens, et ce sont les provinces les plus déshéritées, les plus éprouvées par de récens tremblemens de terre, les Pouilles, la Calabre, Naples, la Sicile, qui se mettent à passer l’Atlantique[12]. Les luttes politiques de la Russie et des Etals des Balkans ont rejeté beaucoup d’hommes de cette région sur l’Amérique, en particulier les Juifs, dont un véritable exode s’est abattu sur le Dominion, au point que les enfans juifs dépasseront bientôt en nombre dans les écoles « séparées » les enfans protestans, et qu’une question « sémitique » se posera un jour ou l’autre dans la grande colonie anglaise. Enfin, la transformation la plus considérable s’est faite dans l’élément britannique où, par suite du machinisme et du paupérisme, ce ne sont plus les gens de la campagne, mais les habitans des villes qui, dans l’énorme proportion de 80 p. 100, se sont mis à passer les mers.

Cette évolution n’a point échappé, dans le monde, aux hommes d’État qui observent. Aussi, instruits par l’expérience, l’Australie et les États-Unis resserrent-ils fortement aujourd’hui les mailles de leur filet national, pour empêcher par tous les moyens l’entrée même sournoise des élémens « non désirables, » selon la commode expression américaine (undesirable). Il suffit d’avoir fait soi-même le voyage de New-York pour savoir quels renseignemens multiples sont demandés à tous les passagers, même à ceux de cabine, par ce pays de la liberté soi-disant illimitée, sur leur origine, leur situation conjugale (Etes-vous bigame ? ), leurs opinions… politiques (Etes-vous anarchiste ? ), le chiffre de leur numéraire et d’où ils le tiennent, etc. Sur les grandes Compagnies transatlantiques, française, allemande ou anglaise, c’est assez, quelque apparence offrit-on d’ailleurs, de se déclarer originaire de l’Italie du Sud, des Balkans ou de l’Asie Mineure pour se voir impitoyablement refuser le débarquement à New-York. Bien qu’une pareille rigueur soit généralement très connue des intéressés, la douane des Etats-Unis trouve encore le moyen d’arrêter plus de 12 000 émigrans par an, 1,13 p. 100 de ceux qui se présentent[13]. Le Canada, pendant la dernière année qui soit complètement publiée (1904-1905), a refusé près de trois fois moins, soit 0,41 pour 100 de ceux qui se présentaient. Il s’effectue donc fatalement en Europe un triage entre les deux destinations de l’Amérique du Nord : la plupart des braves gens qui n’ont rien à cacher se dirigent vers les Etats-Unis, les autres sur le Dominion, et pour peu que les choses marchent de ce train pendant quelques années, le Canada, où va s’amasser l’écume des quais de Londres, de Liverpool, de Naples, deviendra peu à peu la sentine du vieux monde. Il n’est pas permis de bâcler ainsi une patrie.

Un tel mouvement surabondant et indiscret d’immigration, qui parait si contraire aux vrais intérêts du Canada, se produit-il, comme une force fatale, à l’insu du gouvernement fédéral ? ou celui-ci le favorise-t-il, soit en ne l’arrêtant point par des mesures prohibitives, comme le fait son habile voisine, soit même directement, en le désirant, en l’organisant, en le voulant ? Et est-il vrai, comme on le lui reproche, que ce gouvernement d’un pays mixte, français et anglais, favorise nettement l’immigration anglaise au détriment de la française ? ou serait-ce peut-être l’Angleterre qui imposerait le trop-plein de ses nationaux à son immense colonie ?

Un commencement de réponse à ces questions se trouve déjà dans les triomphans communiqués officiels qui sont lancés fréquemment d’Ottawa dans tous les journaux, — tels les bulletins de victoire de la Grande Armée, — portant au monde de glorieux chiffres d’immigrans canadiens avec les augmentations sur l’exercice précédent de ceux de race anglaise.

Quiconque veut approfondir la matière n’a qu’à lire attentivement le dernier rapport en 250 pages, qui ait été publié par le ministère de l’Intérieur sur l’Immigration, celle de juillet 1904 à juin 1905 (dates officielles de l’année politique au Canada). Celui-là sera pleinement édifié : il verra fonctionner les divers rouages d’un service très habilement organisé et convergeant tout entier vers un double but à atteindre : l’Ouest à peupler, les Emigrans de langue anglaise à y attirer, — service presque exclusivement occidental et anglophile. Les deux choses vont d’ailleurs ensemble, car si le gouvernement s’occupait davantage des provinces de l’Est, il serait tout naturellement amené à y attirer des coloris français. Le Canada, en effet, se partage de plus en plus en deux parties par un mouvement en sens inverse qui n’est pas sans inquiéter ses amis, le Canada de l’Ouest ou anglais et le Canada de l’Est ou « français, » la minorité anglaise dans les paroisses « françaises » émigrant spontanément vers l’Ouest, comme la minorité « française » dans les paroisses anglaises tend à revenir à l’Est.

Dans son rapport initial, le sous-ministre de l’Intérieur, M. William Wallace Cory, après avoir déclaré que le principal objet de ce ministère, fondé en 1873, est « la concession des terres vacantes sous son contrôle, » se félicite, sans la moindre réserve, de l’énorme proportion des Anglais parmi les émigrans de 1005 :

«… L’année passée, écrit-il, a été la plus heureuse dans l’histoire du pays en ce qui concerne l’immigration. Le nombre total des arrivées a été de 146 266, le plus grand qui ait été enregistré, et non seulement ces résultats sont satisfaisans au point de vue numérique, mais quand l’on considère que 98 902 de ces immigrant, soit plus des deux tiers des arrivées totales, viennent des Iles Britanniques et des États-Unis, et que nos agens dans l’Ouest sont unanimes à apprécier cette classe de colons qui se sont établis dans le Manitoba et les nouvelles provinces pendant la dernière campagne, je pense que c’est la récompense de tous ceux qui ont contribué à organiser notre politique actuelle d’immigration pour laquelle tous les Canadiens devraient éprouver de la reconnaissance. Dans un pays jeune comme le Canada, avec sa petite population, son territoire étendu et ses ressources naturelles illimitées, il est d’une suprême importance, au point de vue national, que l’assimilation des élémens étrangers qui sont introduits, se développe graduellement, mais, dans les conditions présentes, quand près de cent mille Anglais, parlant la même langue, et ayant les mêmes aspirations que nous-mêmes, sont ajoutés à notre population dans le court espace de douze mois, il n’y a guère lieu de craindre que le caractère national puisse jamais être altéré. Tout danger à cet égard, si jamais il y a eu danger, a maintenant disparu, et il est à espérer que les méthodes suivies dans le passé, sous ce rapport, ne manqueront pas de donner les mêmes résultats bienfaisans dans l’avenir[14]. »

Il n’est pas possible de méconnaître plus… naïvement les droits, « la langue, les aspirations » d’un tiers des citoyens du Canada.

De 1896 à 1902, le chiffre des émigrans était monté normalement et comme naturellement de 21 000 à 67 000. En 1903, il bondit à 128 000, le nombre des arrivées des Etats-Unis et celui des Iles Britanniques ayant doublé. Que s’est-il donc passé ? C’est que l’année précédente, le sous-ministre de l’Intérieur, M. James Allan Smart, a organisé lui-même l’émigration en pays anglais. Tout, en effet, s’organise, même l’émigration. Convaincu qu’il fallait infuser du sang anglais au Canada, M. Smart, à peine débarqué à Liverpool, s’aperçut avec étonnement que, dans leur propagande canadienne, ses agens avaient complètement négligé la population rurale. Aussitôt il monte de toutes pièces un système de conférences sur le Canada, d’articles sérieux bien rédigés (non pas seulement de vulgaires réclames) dans les plus grands journaux ; il offre le voyage d’Angleterre à 55 colons anglais qui ont le mieux réussi dans l’Ouest canadien, et il les fait disséminer habilement dans les campagnes anglaises. Résultat l’année suivante, en 1903 : 41 000 émigrans anglais, au lieu de 19 000 en 1902.

Dès 1899, M. Henri Bourassa avait demandé à la Chambre des communes l’envoi de deux colons belges en Belgique : on n’en tint aucun compte. Les Canadiens-Français devaient s’estimer heureux que, à leurs frais, 55 colons anglais voyageassent en Angleterre.

Homme de vraie intelligence, sans idées politiques totalement fixées et capable, en véritable Anglais, de corriger les siennes par l’observation des faits, M. Smart étudie alors la question de l’immigration française et déclare dans son rapport de 1903 que l’on pourrait recruter des colons français, pourvu que l’on employât les moyens pratiqués depuis un an en Angleterre. Il signale un des obstacles, le manque d’une ligne directe franco-canadienne : à ce souhait répondirent la création et la subvention par le gouvernement fédéral, de la ligne Allan, qui fait un service direct de quinzaine entre Montréal et Le Havre. Il ajoute, que, pour le moment, on aurait plus de facilité en Belgique.

Dans son rapport de l’année suivante (1904) M. Smart revient sur la matière et constate que « les agriculteurs français et belges sont parmi les meilleurs que l’on puisse établir en Canada. » On sent que la question est mûre dans la pensée de cet éminent organisateur. Malheureusement, il quitte le pouvoir en janvier 1905. Personne ne reprend ses vues sur l’émigration française. On se contente de garder avec reconnaissance et de pousser vigoureusement son système d’émigration anglaise et américaine, qui mérite vraiment d’être étudié.

D’abord, dans l’année 1905, le surintendant de l’immigration a fait répandre 3 257 403 brochures et cartes sur le Canada, entre autres certains supplémens spéciaux de journaux américains à 1 million d’exemplaires, des géographies du Canada en anglais à 355 000, etc., etc. Dans cette « littérature, » ne paraissent presque pas de publications en français, sauf une carte de l’Ouest canadien tirée à 200 000.

Ce même haut fonctionnaire a accordé les frais de voyage à 36 délégués qui venaient se rendre compte sur place de la colonisation : 1 Autrichien, 3 Allemands, et 32 des États-Unis[15].

L’organisation anglaise a pour cadres une agence générale à Londres, et 9 succursales installées à Liverpool, Birmingham, York, Glascow, Aberdeen, Belfast, Exeter, Cardiff et Dublin. Des œuvres anglaises établies au Canada s’occupent particulièrement des émigrans de ce pays, par exemple une inspection spéciale des enfans anglais qui émigrent et qui sont confiés dans des maisons sûres à de bons patrons, au besoin à de bonnes patronnes, c’est l’Inspection of British immigrant children and receiving homes[16]. Les jeunes filles isolées qui arrivent à Winnipeg trouvent Mrs Sanford à la tête du précieux « Home de bienvenue de la Jeune Fille » (Girl’s home of Welcome)[17].

L’organisation des Etats-Unis ou de « l’Amérique, » comme on dit au Canada, comprend un état-major de 16 agens nationaux, ayant sous leurs ordres 77 sous-agens commissionnés, et la lecture de leurs rapports annuels laisse prendre une idée de l’infatigable activité déployée par chacun d’eux, énorme correspondance, nombreux entretiens au bureau, visites personnelles dans les fermes, conférences, abondante distribution de brochures, exhibition très efficace des grains et des fruits du Canada, brillante participation aux Expositions « américaines, » voyages effectués par eux-mêmes dans l’Ouest canadien qu’ils ont à faire connaître et à vanter, excursions à prix réduits organisées par eux dans quelque partie de cette région, pour y mener des caravanes de candidats-colons, ou, selon le pittoresque mot composé anglais, de chercheurs-de-homes (home-seekers). L’un des agens, profond psychologue, s’est laissé dire que les femmes avaient la plus forte envie d’entendre parler du nouveau pays : il a suggéré aux fermiers d’emmener avec eux leurs femmes et leurs filles aux réunions, elles sont venues, conclut-il, « et je pense qu’elles apporteront un précieux concours pour promouvoir la cause de l’immigration[18]. »

Les agens canadiens des Etats-Unis s’entendent à observer que la grande œuvre du « Rapatriement « s’annonce comme de plus en plus facile : il s’agit du million de Canadiens-Français de l’Est, qui, séduits par les avantages industriels des Etats-Unis au temps où leur région n’était guère ouverte à la colonisation nouvelle, ont franchi la frontière pour s’établir auprès des grandes usines orientales de la nation voisine. Ils remarquent qu’un certain malaise se manifeste chez ces ouvriers des villes, et qu’ils ont les yeux fixés avec beaucoup d’intérêt sur la nouvelle prospérité de leur ancienne patrie[19]. Mais, hypnotisés par l’Ouest, comme tout le service officiel d’immigration du Canada, les agens songent naturellement à attirer vers l’Ouest ces anciens Canadiens de l’Est, et l’on rencontre, qui le croirait ? sous la plume de l’agent de Montréal, des regrets comme ceux-ci : « Tandis que beaucoup d’entre eux retournent à leurs anciens « homes » de Québec et dans l’Ontario de l’Est, un grand pourcentage dirige à présent leurs pas vers le Nord-Ouest[20]. »

Un des agens officiels d’immigration, le R. Père Vachon, a osé, de son propre chef, parler du Canada dans un voyage privé qu’il fit en France, et il se risque dans son rapport annuel à en rendre compte au surintendant : « Bien que ne voyageant pas au titre officiel, je me suis fait un devoir de visiter plusieurs villages français en Bretagne et d’y donner des conférences sur l’Ouest canadien [toujours ! ], et, si j’en juge par le nombre de lettres reçues de France, j’y ai éveillé un profond intérêt pour notre pays[21]. » La politique canadienne d’immigration est à ce point anglicisée que cette avance ne reçut pas le plus petit encouragement.

Le gouvernement entretient encore dans l’Ouest canadien un grand nombre d’à gens d’émigration. Le rapport annuel de leur commissaire général, résidant à Winnipeg, contient la plus instructive appréciation des diverses nationalités européennes sous le rapport de leur faculté colonisatrice. La part de la France n’est nullement humiliante, et un pareil éloge sous la plume d’un M. Obed Smith, écrivant de Winnipeg, en anglais, au surintendant d’Ottawa, M. W. D. Scott, ne semblera certainement point partial : « Le trait caractéristique du travail de cette année a été l’arrivée d’un grand nombre de gens de France ayant avec eux leur famille, et je suis heureux de rapporter que nous avons pu leur assurer à tous de l’ouvrage avec de bons salaires, et leurs rapports devraient respirer la satisfaction pour les fins d’immigration en Europe. Ces nouveaux arrivages sont un éclatant témoignage en faveur de ceux qui étaient arrivés du même pays l’année précédente. Ils acceptent volontiers le travail qui leur est offert, particulièrement de ceux de leur propre nationalité et ils sont ardens à mettre de côté la monnaie suffisante et à gagner le nécessaire pour s’engager dans des opérations de ferme à leur propre compte. Je suis heureux de rapporter qu’à travers l’Ouest canadien le Français et le Belge réussissent à prospérer d’une façon très satisfaisante. Leurs opérations en agriculture indiquent l’énergie et la capacité qu’ils savent montrer dans leurs ouvrages. »

De pareils satisfecits auraient pu, semble-t-il, éclairer le gouvernement d’Ottawa et le pousser à encourager l’émigration en pays de langue française. Qu’a-t-il fait ? et, en face de ces 20 agences générales si fortement installées en pays anglais, combien en entretient-il en pays de langue française, en France, en Belgique et en Suisse ? Une, celle de Belgique, car nul ne voudra, je pense, faire entrer en ligne de compte l’agence française qui paraît avoir été si longtemps ensevelie dans le plus profond sommeil. Son titulaire déclare, pendant quelques années, dans son Rapport officiel, qu’il n’a rien à signaler, ayant suivi les conseils de très grande prudence qui lui ont été donnés par son ministère. Puis, il estima sans doute qu’il était superflu de prendre la plume pour dire qu’il ne faisait rien, par ordre, et aucun Rapport d’agent français ne figure plus dans le volume annuel consacré par le ministère de l’Intérieur canadien à l’Immigration.

En revanche, le dernier Rapport officiel de l’agent belge est rempli d’intérêt, pour les Canadiens comme pour nous. M. Treau de Cœli, qui a son centre d’opérations à Anvers, constate que la récente augmentation de la propagande en Belgique (grâce sans doute à M. Smart) donne de bons résultats. Dans les écoles publiques, la géographie du Canada commence à être enseignée. On envoie des atlas et des cartes murales aux conférenciers qui veulent faire connaître le pays. La presse publie des descriptions vivantes de la jeune contrée, de ses productions, de son avenir. Depuis quelques années, des familles belges adoptent un mode de colonisation qui, de l’avis unanime des gens compétens au Canada, je m’en suis rendu compte d’autre part, est le meilleur : les fils de cultivateurs partent en avant-garde, étudient le pays, choisissent le lieu, commencent l’installation et appellent ensuite leurs parens, qui ont pris leur temps pour réaliser leur bien du continent. Cette transplantation progressive et rationnelle de familles qui, au lieu de partir précipitamment, prennent le temps de correspondre ensemble et de s’établir à coup sûr, produit, paraît-il, un grand effet sur leurs voisins.

L’auteur du Rapport ajoute qu’il sollicite partout les correspondances des émigrans : « Un certain nombre de ces lettres ont été imprimées dans le dernier hiver en une publication de propagande qui donnait aussi les noms des nombreux Belges établis au Manitoba et dans le Nord-Ouest, dont on pouvait obtenir des renseignemens. Cette petite brochure fut très demandée comme établissant des faits qui pouvaient facilement être vérifiés. » On n’a certes pas fait tout ce qui était possible afin d’encourager l’émigration belge, qui est en si bonne marche. Nul ne peut pourtant reprocher au ministère de la province de Québec d’être demeure indifférent à la Belgique ; malheureusement, de regrettables incidens politiques, qui sont venus jusqu’à la Cour d’assises, ont jeté une teinte fâcheuse sur la colonisation belge, du moins sur celle qui est organisée par syndicats financiers. Mais la portée de ces événemens s’atténuera de jour en jour en ce qui regarde la Belgique, car le courant d’émigration belge est souverainement désirable pour les deux pays, heureuse exosmose entre cette petite contrée obligée de nourrir 226 habitans par kilomètre carré (plus de trois fois la densité de la France) et le Canada qui ne compte même pas un habitant dans le même espace.


L’étude des documens officiels nous convainc donc que la politique canadienne d’immigration est, consciemment ou non, franchement et presque sans réserve, intensive, anglophile et, ce qui en est la fatale conséquence, occidentale. L’inquiétude des Canadiens-Français, du moins de tous ceux qui n’ont point de liens gouvernementaux, semble en conséquence parfaitement justifiée, et, sur ce point, le mouvement « nationaliste, » s’il n’est point encore très carrément populaire en ce pays de tradition, qui évolue lentement, — répond plus ou moins sourdement au secret instinct de la majorité des Canadiens-Français indépendans : plus ou moins confusément ils sentent que leur argent (et ils savent bien qu’ils sont pour un tiers dans le budget de l’Etat) est mal employé dans ce grand et capital service de l’Immigration, qu’il est employé en dehors d’eux, c’est-à-dire directement contre eux, contre leur langue, leur foi, leurs traditions. Ils se doutent même, non sans quelque raison, qu’il est employé contre le Canada.

Si telle est en réalité la politique canadienne, et nous croyons sincèrement n’avoir rien chargé, quelles en peuvent être les causes ? et comment se fait-il que, avec l’approbation, mais sans la moindre pression de l’Angleterre, une pareille politique émane, pour une bonne part, de ces ministres canadiens, qui savent se dire au Canada si Canadiens-Français, si Français en France ? Comment ont-ils pu monter cette grande machine d’immigration si excessive et si contraire aux intérêts « français ? » Il faut sans doute en demander les motifs aux conditions générales dans lesquelles ils évoluent, conditions à la fois politiques et économiques.

Tout d’abord, il faut tenir compte de l’opportunisme à orientation anglaise, auquel ont été ou se sont crus condamnés par les circonstances les hommes politiques « français » qui, à Ottawa, parvenaient au pouvoir. L’un des plus considérables m’avouait : « A peine sommes-nous entrés dans la politique, qu’il nous faut danser sur la corde raide. » Arrivant au sommet par leur intelligence, par le vrai libéralisme politique, joint sans doute à l’intérêt, de la majorité anglaise, dont l’idéal n’est point, comme ailleurs, de brimer la minorité, — ils ont devant l’ensemble du pays, à se faire, pour ainsi dire, « pardonner leur origine, » et il est certains abandons qu’ils croient devoir consentir, en faisant observer à leurs coreligionnaires que, s’ils n’étaient pas au pouvoir, les droits de leur race seraient beaucoup plus souvent méconnus.

… A cela les intransigeans répliquent que, si les Canadiens-Français avaient affaire à un ministère uniquement anglais, ils seraient peut-être plus libres et effectivement plus forts pour revendiquer et faire respecter leurs droits, sans que leurs efforts fussent perpétuellement chloroformés par de bonnes paroles et des faveurs matérielles, et que, en définitive, servir ainsi sa race en la desservant aussi fréquemment, est bien près de la trahir.

Entre ces deux conceptions opposées de la politique canadienne, qui s’appuient chacune sur des argumens sérieux, nous n’avons point à décider : c’est l’éternelle lutte qui s’observe en tous pays et qui divise les tenans de la même cause, partagés entre l’intransigeance et la conciliation. Mais, dans le domaine des faits, nous pouvons constater que le gouvernement de sir Wilfrid Laurier, en dépit de toutes ses ressources d’habileté, n’a pas cru pouvoir soutenir ses coreligionnaires dans les deux graves conflits des Ecoles du Manitoba et des Ecoles du Nord-Ouest, dont le souvenir douloureux n’est point encore effacé de la pensée des Canadiens-Français de toute province.

Aux faits de cet ordre doivent sans doute, en dépit des apparences, s’en rattacher deux autres, qui longtemps ont moins frappé le public parce qu’il ne s’agissait pas ici d’une crise aiguë comme dans les deux précédens, mais d’une progressive infiltration. Il a fallu M. Henri Dourassa et ses amis pour sonner bruyamment la cloche d’alarme au sujet de ces deux points : l’abandon successif de la langue française comme langue officielle, — et l’orientation tout anglaise de la politique d’immigration.

Tous les voyageurs français l’ont remarqué, ce n’est pas une petite ni agréable surprise pour nous que de trouver la langue anglaise installée partout, pour ainsi dire, au Canada, dans les grands magasins de Montréal, dans les plus grands hôtels de Québec, voire dans un grand nombre de familles « françaises, » qui, peu à peu, entraînées par leurs relations avec la société anglaise, finissent dans l’usage à donner la préférence à l’idiome britannique. Cela, nous l’entendons bien, c’est affaire de défaillance dans les mœurs des particuliers, et Mgr Bruchesi, l’archevêque de Montréal, a beaucoup fait pour ses compatriotes de langue française en interdisant hardiment, au mois de novembre dernier, les mariages « mixtes » entre catholiques et protestans.

Si l’on se reporte à l’article 63 de la Constitution qui reconnaît les deux langues comme également officielles, on est plus surpris encore de constater quelle est, dans les documens officiels, la prédominance de l’anglais. Il faut voir quelle difficulté l’on a à se faire entendre en français dans les bureaux de poste ou de téléphone de Montréal, et les Compagnies de chemin de fer violent, la plupart du temps, le règlement qui les oblige à annoncer dans les deux langues les heures d’arrivée et de départ des trains, sous peine d’une amende de 25 francs par infraction : négligence évidente du gouvernement sur ce point. Mais il y a mieux. Au mois d’avril dernier, le ministère fédéral de l’Intérieur a édité un magnifique atlas du Canada, accompagné de très nombreux diagrammes de statistiques, où ne se lit pas un mot de français[22]. A la même époque, le ministre fédéral de la Justice a même publié un Code refondu des lois canadiennes, et il a osé le faire uniquement en anglais ; si bien que les juges « français » de Québec et de Montréal rendent à présent la justice à leurs compatriotes de langue française sur un texte anglais. Il n’a pas fallu moins qu’une interpellation de M. Henri Bourassa et de son ami M. Armand Lavergne à la Chambre des communes pour arracher au gouvernement la promesse d’une version française, qui est en chantier et qu’au bout de onze mois, l’on en est encore à attendre. Infatigable pour notre langue, M. Armand Lavergne vient de déposer en février, au Parlement fédéral, un projet de loi qui obligerait positivement les Compagnies de chemins de fer, de télégraphe et de téléphone à employer le français comme l’anglais dans leurs rapports avec le public[23].

Quant à la politique d’immigration, pour y expliquer le laisser aller gouvernemental vers l’Angleterre, il faut encore invoquer avec assurance la force des intérêts financiers. Ils sont mêles en tous pays aux idées politiques, mais nulle part autant que dans toute l’Amérique du Nord, ils n’exercent de pression sur elles[24]. L’influence « américaine, » l’une des trois influences qui se disputent le Canada, a largement envahi sa politique, qui, dans un très grand nombre de branches, est avant tout une politique d’affaires, entre autres dans le grand service d’immigration. Affaires, par la prime de 10 à 25 francs touchée par les agens extérieurs sur chaque tête d’émigrant, si bien qu’ils n’ont qu’à s’occuper de la quantité, sans souci de la qualité, et que leur intérêt les pousse à ramasser dans n’importe quel ruisseau de grande ville des hommes bons à être jetés dans les entreponts « le steamers. Cette prime individuelle, le programme « nationaliste » en réclame l’absolue suppression[25]. Affaires encore et affaires tout américaines, par cette savante organisation de la réclame pour le Canada et du chauffage ingénieux des imaginations, — montée un peu comme la merveilleuse publicité jadis déployée en Europe pour le « Grand cirque Itanium et Bayley. » Affaires surtout par l’influence prépondérante des grandes Compagnies de chemins de fer et de paquebots dans les opérations de l’immigration. Les 50 000 colons d’Angleterre, qui passent maintenant chaque année l’Atlantique, sont sans doute en partie recrutés par les neuf agences officielles en Angleterre, mais aussi, pour une bonne part, par les colossales Compagnies qui traversent d’un bord à l’autre les 5 000 kilomètres du Canada, ayant, de place en place, fondé, à coups de millions, des hôtels au bord de leurs interminables rubans d’acier et entretenant même une ou plusieurs flottes sur chacun des Océans : telle la compagnie du Pacifique Canadien, qui dispose, à elle seule, de six agences installées dans la Grande-Bretagne.

Les Compagnies maritimes, après s’être déchargées dans le vieux monde des nombreux produits d’exportation du Canada (bois, pulpe, produits alimentaires), ont besoin de se lester au retour, et elles ne trouvent rien de plus avantageux, au dire des compétens, que ce fret humain, qui paie et qu’elles nourrissent au plus juste, de sorte que, malgré des prix très bas, elles réalisent encore sur lui de beaux bénéfices, d’autant plus qu’elles jouissent, en outre, du privilège de primes officielles[26].

De leur côté, les Compagnies de chemins de fer ont tout avantage à embaucher des émigrans ; nous dirons plus, c’est une question pour elles presque de vie ou de mort. Non seulement elles arrivent à toucher, d’une façon ou de l’autre, tout ou partie de la prime individuelle attachée aux émigrans, mais elles sont vraiment au Canada à la tête de la colonisation. En fait, elles en détiennent le monopole, et la chose a été reconnue en plein Parlement fédéral lors de la dernière discussion de chemins de fer en 1900. La colonisation ne peut guère se faire dans ces immensités perdues qu’autour de leurs stations. Les colons ont besoin d’elles et elles ont encore plus besoin des colons : aussi transporte-t-on le plus de foules possible et le plus loin possible, le plus à l’Ouest qu’il se peut. Tous ces émigrans d’aujourd’hui sont les voyageurs de demain, et, ce qui n’est pas moins précieux, les pourvoyeurs de marchandises, de blé, de lait, de pommes, de bestiaux, pour tous les convois qu’il faudra acheminer sur les marchés de Winnipeg, de Chicago ou de Montréal.

Il y a plus encore, et pour les véritables intérêts du Canada un danger plus grave.

Lorsqu’une de ces puissantes Compagnies a obtenu du gouvernement canadien, qui entend faire prospérer son pays, l’autorisation de construire une ligne, — surtout si c’est un de ces transcontinentaux qui vont d’un océan à l’autre, — elle a besoin de milliers d’hommes, défricheurs, terrassiers, manœuvres, qu’elle ne pourra jamais trouver sur le sol canadien encore si peu peuplé, d’autant que l’on construit vite sur le continent américain. Alors c’est pour elle un nouveau et énorme stimulant : elle embauche, elle embauche des hommes, qui n’auront pas l’intention de faire œuvre de colons et de planter un jour leur « home » au Dominion, mais à qui elle assure du travail pendant un an ou deux, et, augmentant ainsi le chiffre, non la qualité des émigrans, elle déverse sur le Canada une masse d’ouvriers, sans travail en Europe, et qui, une fois le nouveau chantier canadien fermé, se répandront de toutes parts et finiront par refluer sur les villes du Dominion. En l’année 1907, la compagnie du « Grand Tronc » avait besoin pour son Transcontinental nouveau de 60 000 hommes à ses gages, qu’elle a dû recruter surtout en Angleterre et aux États-Unis.

Pour les Compagnies qui cumulent les transports sur terre et sur mer, si l’on additionne les puissans intérêts qu’elles ont de part et d’autre à l’émigration intensive, on mesurera la formidable et presque irrésistible influence dont elles disposent : on devinera qu’elles se sentent d’aventure plus fortes qu’un ministère, même fédéral, et, au demeurant, les véritables maîtresses du Canada. Nous en avons surpris nous-même une petite preuve curieuse. Les hommes politiques le plus haut placés du Canada demandèrent un jour, pour un de leurs amis, une légère faveur de passage à l’une de ces Compagnies. Mais elle boudait à ce moment-là le gouvernement : elle refusa. Nous ne voyons pas bien en France une Compagnie de chemin de fer, même en dehors de la menace du rachat, refuser un billet de chemin de fer à M. Fallières ou à M. Clemenceau…

Comprend-on à présent comment la sereine vieillesse d’un grand homme d’État a pu, non pas monter, mais laisser monter à côté de soi une formidable machine, actionnée par des myriades de chevaux-vapeur produits, selon les mœurs d’affaires américaines, par les capitaux unis de l’État et des grandes Compagnies, et fabriquant de l’immigration à haute dose, même parfois en sens inverse de quelques-unes de ses secrètes aspirations ? La machine marche, elle ronfle, elle est mise à une pression de plus en plus élevée, elle produit un rendement chaque année plus considérable avec une progression mathématique, tout comme les usines de pâtes alimentaires à présent actionnées par une portion de la cataracte du Niagara. Tout va bien, all right ! comme dit, toutes les deux phrases, chacun des habitans de l’Amérique du Nord. All right ! si ce n’est qu’au pied de cet effroyable engin, qui brise tout à son approche, s’est présenté un homme, bientôt quelques hommes, sans capitaux, qui, au nom de leur race, minorité qui va être écrasée, au nom de leur patrie, qui elle-même peut être détruite bientôt par la grande machine des capitaux, se sont juré, ne craignant rien et n’espérant rien de ses maîtres, de l’arrêter ou du moins de la maîtriser. Spectacle émouvant pour un Français, parce que c’est la lutte poignante, terriblement inégale en apparence, de l’idée pure contre la force, du vieil idéalisme français, avec son coin éternel de chimère, contre le réalisme du machinisme à la yankee. Rien en ce moment n’est aussi français là-bas que cette croisade désintéressée, chevaleresque, téméraire, ardente, logique à l’emporte-pièce. Aussi le mouvement « nationaliste » canadien, quoique l’on puisse discuter froidement tel ou tel article de son programme, nous a paru unanimement sympathique aux Français de France qui habitent le Canada : nous nous étonnerions s’il n’inspirait pas les mêmes sentimens à tous nos compatriotes de la vieille patrie.

Au mois de décembre dernier, le ministre fédéral de l’Intérieur a fait adresser une circulaire à ses agences ‘européennes pour restreindre un peu l’émigration pendant l’hiver 1907-1908 : tout émigrant, au débarqué, devra (contrairement aux émigrans des États-Unis) faire la preuve d’un engagement de travail immédiat ou produire une somme de 125 à 250 francs en monnaie canadienne[27].

M. Bourassa doit-il assez se consoler d’être « mort, » en apercevant un commencement d’application de sa politique naître de son tombeau !


A l’opinion publique, qui se mettait, poussée par « les nationalistes, » à leur demander compte de leur incurie à l’égard de l’émigration française, les ministres fédéraux ont commencé par répondre : 1° que de la France on n’émigrait pas ; 2°que les lois françaises étaient au plus haut point restrictives de l’émigration. De là l’extrême prudence recommandée à l’agent français et d’ailleurs, nous l’avons vu, par lui si scrupuleusement observée.

Sur le premier point, le groupe nationaliste répliqua très justement que sans doute la France, à cause de sa richesse et de son charme infini, en raison aussi malheureusement de sa faible natalité, n’était point un pays de grande émigration, et qu’il n’était point question d’en soutirer chaque année 50 000 hommes, comme on faisait de l’Angleterre. Nulles prétentions n’allaient jusque-là. Mais enfin, en 1906, 7 000 Français ont émigré aux Etats-Unis[28] ; en 1885, le port du Havre a embarqué plus de 50 000 émigrans français pour l’Amérique du Sud, et le port de Marseille plus de 28 000 pour la même destination. Les « nationalistes » malheureusement ne paraissent pas avoir eu connaissance d’une révélation essentielle ; apportée en août 1907, par M, René Gonnard, professeur d’économie politique à l’Université de Lyon et qui a étonné plus d’une personne même en notre pays : dans le manque de statistiques officielles (la France ne tenant pas de comptes exacts pour le départ de ses enfans), cet éminent spécialiste a évalué à un minimum de 15 000 le nombre annuel des Français qui émigrent[29]. De là aux I 500 à 2 000 Français, qui arrivent, bon an mal an, sur le sol du Canada, il y a une marge considérable, qu’il s’agit, par des moyens efficaces, de tendre à diminuer.

La presse ministérielle du Canada s’est hâtée de faire argument de la malheureuse tentative des habitans de l’île Saint-Pierre de Terre-Neuve, qui, découragés de la disette du poisson dans leurs parages, se sentant plus loin de la métropole à la suite de l’accord franco-anglais de 1904 qui diminuait nos droits sur cette côte, se sont, au nombre de 3 000 (conseillés on ne sait par qui), abattus soudainement sur le Canada et entassés dans la ville de Montréal. Ce fut un coup de tête, et non une émigration, comme elle doit se faire aujourd’hui, selon les rationnelles et sûres méthodes modernes. Ces pauvres gens étaient venus tellement vite qu’ils n’apprirent que de la bouche de notre dévoué consul général au Canada, M. A Kleczckowski, qu’ils s’exposaient gravement à perdre leur pension de retraite française provenant de l’« inscription maritime » à laquelle ils appartenaient pour la plupart. Et il fallut plusieurs mois d’efforts zélés à notre nouveau consul général, M. Henri Dallemagne et à ses collaborateurs pour trouver des places à quelques-uns des Saint-Pierrais au Canada, et pour en rapatrier le plus grand nombre.

La question de la législation française en fait d’émigration a donné lieu également à une discussion fort suggestive, et les précisions apportées sur ce point par la presse « nationaliste, » qui en est d’ailleurs coutumière, a remis les choses au point. Elle a publié le texte de la fameuse loi, dont le parti au pouvoir faisait sans cesse un épouvantail, en parlant toujours sans la montrer jamais. Datée du 18 juillet 1860, la loi porte tout d’abord que « nul ne peut entreprendre les opérations d’engagement ou de transport des émigrans sans l’autorisation du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, » et les dix autres articles énumèrent un certain nombre de justes garanties en faveur des émigrans, telles que leur droit à être « transportés directement, à moins de stipulations contraires, » sage mesure édictée par d’autres pays tels que la Hollande et la Belgique.

Et c’est tout, ou plutôt il y a encore un article du Code pénal français, qui a été également brandi pour faire peur aux moineaux de la majorité et leur faire craindre une complication diplomatique entre l’Angleterre et la France : c’est l’article 405, qui punit « l’emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses entreprises,… ou pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès… »

Sous le coup de ces textes tombent manifestement les officines clandestines ou menteuses d’émigration, comme celle qui a été surprise, l’été dernier, à Tourcoing et Roubaix. On pense si les premières dépêchés elles-mêmes, qui relataient ce fait, ont été exploitées par le parti au pouvoir.

Mais les réclamations du nouveau parti canadien-français n’ont rien à voir avec de pareilles industries et rien à craindre de notre législation. Elles portent sur l’établissement, au grand soleil de France, d’un certain nombre d’agens officiels du Canada, accrédités auprès de notre gouvernement et qui, sans exercer aucune pression déloyale, mais par des conférences, des conversations des correspondances, des articles de journaux, des expositions de produits, des publications de correspondances, et des voyages en France de colons français, feront connaître le Canada tel qu’il est, avec ses avantages, son étendue, sa liberté, son climat froid mais sain, ses richesses, qui ne se ramassent pas rien qu’à se baisser, qui s’achètent au contraire par un travail acharné comme en France, mais qui rémunèrent mieux leur homme et lui assurent une belle aisance terrienne au bout de quelques années.

Il ne s’agit nullement de dépeupler et de vider notre beau pays, mais de canaliser dans la direction du Saint-Laurent les minces courans d’émigration qui s’en échappent par différentes ouvertures pour se disséminer et se perdre de côtés différons. A tous ceux qui se sentent, pour un motif ou pour un autre, trop à l’étroit sur notre sol et qui ne veulent point tenter l’exode dans nos propres colonies, — où ne les poussent d’ailleurs, la plupart du temps, ni la salubrité du climat, ni les sociétés de colonisation persuadées qu’elle doit se faire surtout par l’indigène[30], — à tous ceux-là il faut montrer et remontrer le Canada, le pays le plus français qui soit au monde en dehors de la France. Ne sont-ce pas les descendans de nos propres aïeux, qui nous y accueilleront, qui nous entoureront, professant notre langue, notre foi, notre affabilité, notre gaieté, nos chansons, nos traditions, nos mœurs, et nous donnant un peu l’illusion que nous retrouvons dans une vie nouvelle un coin de la vieille et chère France ?

Qui sait même si une pareille vulgarisation ne parviendrait pas à diminuer peu à peu l’égoïsme général qui restreint de plus en plus la natalité française ? si, chaque famille sachant avec certitude qu’au bout d’une ligne de paquebots se trouvent du travail assuré et de la terre à posséder pour quiconque veut seulement la cultiver, les parens ne seraient pas moins inquiets à la perspective de promouvoir de nouvelles existences ? Chaque famille nombreuse compterait un ou deux « Canadiens » désignés à l’avance. Puis la mode s’y mettrait, le courant s’établirait, l’on se grouperait au Canada par pays, et l’on se ferait signe de loin les uns aux autres. En dix à douze jours on se reverrait. N’oublions pas que ce sont les fils de nos paysans de la Normandie, de la Bretagne, du Poitou, de toute la France qui ont fait le Canada, alors que l’on mettait deux à trois mois pour s’y rendre. Voilà ce que les « nationalistes » se disent, non pas peut-être avec ce détail, mais voilà ce que leur campagne suggère. Ils parlent, eux, au nom des intérêts du Canada ; nous parlons, nous, au nom de ceux de la France : les uns et les autres se confondent.

A entendre certains des ministres et de leurs porte-paroles, les réclamations de ces hommes sont chimériques et vaines : ils ne sont eux-mêmes que « des brandons de discorde » ou bien « des taureaux qui se précipitent dans des magasins de faïence[31]. » Avec sa noble élévation de pensée, sir Wilfrid Laurier est plus équitable envers ses mordans critiques : il leur a conféré le baptême comme grand parti reconnu. Recevant, le 15 octobre dernier, à Ottawa, les étudians en droit de l’Université Laval de Montréal, il leur a dit : « Soyez du parti libéral, du parti conservateur, ou du parti nationaliste, peu importe, mais soyez d’un parti. » Il a fait mieux ; il a prouvé par l’exemple à quel point une opposition intelligente peut être utile à un gouvernement qui a lui-même l’intelligence d’en profiter. Pour donner satisfaction à l’opinion publique, il a fait annoncer, au mois de septembre, par un de ses collègues du ministère que les agences françaises d’émigration seraient portées au nombre de trente-trois[32]. Au mois d’octobre, un jeune avocat montréalais, M. Arthur Geoffrion, a été nommé agent officiel d’immigration à Paris, et on laisse entendre que le gouvernement canadien se propose d’entreprendre dans les pays de langue française une sérieuse campagne de propagande. Il nommerait bientôt dans chaque comté de la province de Québec, comme il l’a déjà fait pour l’Ontario, un agent chargé de répondre aux demandes de main-d’œuvre agricole avec le concours des agences de France[33]. Il se pourrait donc faire que le grand parti « libéral » affaiblît le jeune parti « nationaliste » par le même procédé habile dont il a usé déjà envers le parti « conservateur, » c’est-à-dire en s’appropriant une portion de son programme.

Cette nouvelle propagande française se fera sans doute encore pour une part en faveur de l’Ouest canadien, que le gouvernement d’Ottawa a toujours en vue, avec ses 500 millions d’hectares de prairie à pourvoir, qui produisent en moyenne 19 hectolitres de blé, chacun[34]. Mais précisément parce qu’elle est française, elle fera fatalement une large part au peuplement du Canada français, c’est-à-dire de celui de l’Est, et notamment de la province de Québec. Et l’orientation particulière de cette colonisation sera heureuse pour le Canada, nous avons expliqué pourquoi ; nous ajoutons, en finissant, qu’elle le sera aussi pour les Français et pour la France.

Parmi les nombreux colons français que nous avons vus au Canada, nous en avons rencontré sans doute qui étaient satisfaits dans la grande prairie de l’Ouest, où ils ont réussi à se grouper dans les petits centres français disséminés parmi la grande masse anglo-américaine. Mais nos voyages d’études nous ont convaincu que le mieux pour les Français est de demeurer dans l’Est, une fois plus près de la France, dans cette unique région toute française, qui s’appelle modestement la province de Québec, État aussi grand que la France et l’Allemagne réunies et qui contient trois belles régions de colonisation en plein essor, c’est-à-dire pour les nommer de l’Ouest à l’Est, le Temiscamingue, le Nominingue, le Lac Saint-Jean.

Il est malheureusement telle des agences officielles de cette contrée, je l’ai constaté, qui médit des colons français ; c’est, hélas ! ou c’était… la note officielle venant d’Ottawa. Mais, après avoir été pendant plusieurs jours, de paroisse en paroisse, voir toutes les autorités locales, je les ai trouvées unanimes à se féliciter au contraire sincèrement de nos compatriotes, et à en désirer d’autres. Je suis allé frapper à chaque cabane, chez les Français du bord de la forêt vierge, je n’ai surpris que des gens heureux de leur sort, ne regrettant rien, contens de leur milieu et de leur tâche rude et laborieuse, mais en somme rémunératrice.

Il est de mode parmi les partisans de la Prairie de décrier la Forêt, avec sa lutte si lassante contre les souches séculaires. Mais la forêt, ce sont aussi tous les matériaux de construction, c’est le bois de chauffage dont on ne manquera jamais par les rudes hivers, c’est le commerce du bois en gros et la moderne industrie de la pulpe, qui font monter incessamment la valeur du lot du colon et peuvent lui fournir un supplément de travail dans sa morte-saison.

Si, outre la vente du blé et de l’avoine, l’on ajoute l’industrie laitière qui est remarquablement développée dans cette province, et la récolte du sucre d’érable ou celle des baies de myrtil qui, en quinze jours, chaque année, double presque le budget du colon, on s’assure que le cultivateur français ne peut trouver nulle part ailleurs de meilleur emploi à son initiative et à sa persévérance ; que l’on songe qu’une seule de ces trois régions, la plus rapprochée de la France, celle du lac Saint-Jean, compte plus de 8 millions d’hectares ouverts à la colonisation, et seulement 70 000 âmes.

Vraiment gâtée par la nature, la province de Québec, avec ses innombrables chutes et rapides, offre une quantité de pouvoirs hydrauliques, pour ainsi dire, illimités : l’on a évalué ceux de la seule région du lac Saint-Jean au chiffre de 650 000 chevaux-vapeur. En dehors même des entreprises que nous avons plus haut mentionnées brièvement, l’on peut donc juger, dans ce pays que l’on appelle déjà « le grenier de la province, » quel est l’avenir des capitaux qui seront intelligemment dirigés dans l’agriculture ou l’industrie. Et nous comptons pour rien ce qui compte cependant beaucoup pour nos compatriotes (nous nous en sommes bien aperçus par les emplacemens choisis par eux), l’admirable pittoresque de tout ce Nord de la province de Québec, les facilités abondantes de la pêche et de la chasse, qui en font le paradis d’été de tant d’Américains, la faculté, inconnue dans l’Ouest, de conserver légalement sa nationalité française. N’est-ce point là un précieux ensemble d’avantages, que nous ne faisons que résumer et qui serait de nature à tenter bien des Français, s’ils en étaient instruits ? et le moment n’est-il pas bon pour seconder dans notre pays cet effort d’émigration française que semble vouloir tenter à présent le gouvernement canadien sous la poussée « nationaliste ? » C’est affaire aux publicistes à exposer clairement, exactement et sans rien outrer, ce qu’ils connaissent par des renseignemens certains. C’est affaire à notre gouvernement, qui vient de signer un avantageux traité de commerce franco-canadien[35]et qui favorise de tout son effort, depuis quelques années, les rapprochemens avec les deux grands pays de l’Amérique du Nord. Il s’est aperçu, par malheur un peu tard, que le reploiement sur nous-mêmes, qui a suivi 1870, nous a privés, au profit de nos rivaux d’Europe, d’une grande part dans la formation des Etats-Unis, qui prenaient à ce moment leur plus grand essor. Ne recommençons point avec le Canada : nous serions là deux fois impardonnables, et, si l’on veut des vues très précises, il paraît bien évident que la plus sûre manière de favoriser les communications avec le Dominion serait d’aider la Compagnie transatlantique française, qui promène si fièrement notre pavillon sur l’Océan, dans les efforts qu’elle a déjà tentés par deux fois pour établir une ligne directe française du Havre à Montréal. La seule ligne qui unisse directement les deux pays est, comme on sait, une ligne anglaise assez peu confortable, ce qui fait que les Canadiens, qui viennent si souvent en Europe, désirant prendre la Compagnie transatlantique française, s’assujettissent presque tous au passage par New-York et aux ennuis scandaleux de la douane des Etats-Unis. Une ligne directe entre la Seine et le Saint-Laurent serait donc assurée de nombreux passagers de cabine, elle drainerait en même temps toutes les marchandises françaises qui, chose étonnante, vont s’embarquer aujourd’hui à Liverpool et sont cataloguées dans les statistiques comme exportations anglaises au Canada, y compris les caisses de livres, dont notre ministère de l’Instruction publique a la générosité de doter les diverses bibliothèques canadiennes. Enfin, étant donné que les Compagnies maritimes ont avantage, nous l’avons vu, à mettre une couche d’émigrans entre les caisses de la cale et les cabines, la Transatlantique française, devenue notre collaboratrice au Canada, chercherait instinctivement à aider au recrutement des émigrans français. Ils apprécieraient eux-mêmes grandement (j’en appelle à tous ceux qui ont voyagé) de se sentir dix jours de plus sur un plancher français, et quand ils reviendraient au pays, de se savoir déjà en France dès le quai de Montréal ou de Québec. Et que dire de l’influence française toute pacifique, qui se produirait d’elle-même par ces vaisseaux français de huitaine ou de quinzaine mouillant dans les eaux canadiennes, qui en voient aujourd’hui si rarement ?

Que dire aussi de l’action française qui se créerait naturellement avec nos colons devenus plus nombreux dans les provinces canadiennes-françaises ? Au lieu de s’aller disperser à travers le monde, leur vive personnalité française s’amalgamant à celle des Canadiens-Français augmentera ce groupe, qui pensera de même, qui verra de même, à la manière française, c’est-à-dire, au fond, « latine, » — qui aidera à rétablir l’équilibre en faveur des droits et des intérêts français au Canada, du maintien de la langue française, de l’accès des produits et des idées saines de la France. En somme, les bonnes volontés combinées des deux rives de l’Atlantique peuvent aisément mettre en route, chaque année, 10 000 émigrans de langue française, énergiques et honnêtes, de France, de Suisse et de Belgique, pour la province de Québec.

Ainsi, par une harmonie providentielle, la France et le Canada, la mère et la fille, se feront réciproquement du bien encore une fois, l’une maintenant son originalité grâce au renfort apporté à l’un de ses deux élémens qui menaçait d’être étouffé, — l’autre envoyant ses rares fils qui consentent à la quitter, dans le seul pays du monde où ils se puissent unir aux indigènes, pour fortifier son influence générale. Et la grande puissance, dont le drapeau flotte à présent sur la haute citadelle de Québec, n’aura point à s’inquiéter ; elle pourra même y trouver son compte dans l’avenir. Alors, le drapeau tricolore, suivant la vieille coutume canadienne, flottera sur des maisons plus nombreuses du Bas-Canada, demeuré sous la domination anglaise, mais bien redevenu, une seconde fois, par la langue, les mœurs, l’influence et les idées, une Nouvelle-France.


LOUIS ARNOULD.

  1. La Vérité, de Québec, 25 janvier 1908.
  2. A Québec, M. Bourassa et ses amis ont été assaillis par des injures et des cailloux, attentat qui fut, le lendemain, réprouvé par tous les partis.
  3. 1er octobre 1907. — Sir Wilfrid est personnellement hostile à la nationalisation des services d’entreprises privées (voyez les Débats du 6 janvier 1908).
  4. Atlas of Canada, 1906.
  5. Déclaration de M. Frank Oliver, ministre de l’immigration (Vérité, du 28 décembre 1907).
  6. Mot d’un Anglais très attaché au Canada, dans une conférence de Montréal en 1906.
  7. M. Pierre Beaudry (Nationaliste du 1er septembre 1907 et passim).
  8. Annual Report of the Department of the Interior for the year 1904-1905. . — Part II. Immigration, p. 131 et 132.
  9. Ibid., p. 57.
  10. Annonce parue dans le Church Army Record, de Londres et reproduite en fac-similé dans le Nationaliste, de Montréal, le 28 avril 1907, p. 1. La « qualité » des émigrans s’étale en vedette sur le texte original pour mieux montrer le service rendu à la société anglaise.
  11. Le Toronto Star reproduisant le Kent Messenger (Vérité, de Québec, 4 janvier 1908).
  12. Rapport du Commissariat de l’Émigration, distribué à la Chambre italienne en 1907 (Journal des Débats du 30 juillet 1907).
  13. Exactement 12 432 pendant l’année 1905-1906 (Annual report of the commissioner general of Immigration).
  14. Annual Report of the Department of the Interior for the year 1904-1905 ; p. XXVIII.
  15. Report of the Department of the Interior, Immigration, p. 4.
  16. Voir le Rapport de l’Inspecteur dans le Compte rendu sur l’Immigration, p. 135-139.
  17. Immigration, p. 113.
  18. Immigration, p. 83.
  19. Ces Franco-Américains des États-Unis sont très attachans à suivre dans la manière dont ils se tiennent entre eux ; ils viennent de célébrer une grande victoire, ayant obtenu leur premier évoque canadien-français.
  20. Immigration, p. 140.
  21. Ibid., p. 86.
  22. Atlas of Canada, by James White, déjà cité.
  23. Il faut reconnaître que M. H. Lemieux, au fort de la campagne « nationaliste, » pendant l’automne dernier, avait fait mettre des inscriptions françaises sur les bureaux de poste de la province de Québec.
  24. Cf. l’article Politique et Finance, dans la Vérité du 4 janvier 1908.
  25. M. Bourassa voudrait même qu’il y eût dans tous les grands ports européens d’embarquement d’émigrans des agens très sévères pour retenir tous les élémens « non désirables. »
  26. Réponse de M. Oliver à M. Armand Lavergne (Vérité, 25 janvier 1908).
  27. Voir le Journal des Débats du 6 janvier 1908.
  28. Très exactement 6 957.
  29. Revue des Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1907 (p. 145-154). — Le statisticien italien Bodio était arrivé, pour 1905, au chiffre de 14 000 émigrans français.
  30. Conclusion d’une récente discussion du comité Dupleix.
  31. Ce mot malheureux d’un organe « libéral » a été relevé, comme on pense, par le Nationaliste. « C’est vrai, a-t-il dit, et il y a bien des cruches et des pots de vin brisés. » Tel était le ton de la polémique.
  32. Discours de M. R. Lemieux, ministre des Postes, à Nicolet. Il dit que l’on allait porter le nombre des agences de 3 à 33 : nous n’avons pas pu savoir quelles étaient ces trois anciennes, nous n’en connaissons qu’une.
  33. Le Nationaliste du 9 février 1908.
  34. Récolte de 1905 : 19 hectolitres et demi (chiffres donnés par le ministère de l’Agriculture et de l’Immigration du Manitoba).
  35. Nous avons assisté à la préparation de ce traité, due en grande partie au vice-président de la Chambre de Commerce française de Montréal.