La Poésie et les poètes dans l’Amérique espagnole depuis l’indépendance
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Y a-t-il donc vraiment des poètes dignes de ce nom, et non pas seulement quelques rimeurs, quelques joueurs de guitare, dans l’Amérique espagnole ? Ces républiques à peine formées, et que nous croyons déjà vieillies, peuvent-elles produire d’autres hommes que des partisans, des chefs de bandes et des généraux galonnés qui paraissent un moment sur la scène pour fusiller leurs adversaires et pour être fusillés à leur tour ? Au milieu de ce tumulte incessant de révolutions qui nous semblent monotones et sans portée, des luttes sanglantes ou ridicules, des proclamations qui se croisent, des cris de guerre qui se répondent, des armes qui s’entre-choquent, l’amour des beaux vers et des grandes pensées noblement dites peut-il se développer dans les esprits et produire une littérature sérieuse ? Depuis longtemps déjà[1], on a répondu dans la Revue à quelques-unes de ces questions. Cependant on les reproduit encore trop souvent : lorsqu’on traite avec dédain les peuples eux-mêmes, ainsi qu’on est porté à le faire en Europe à l’égard des HispanoAméricains, il n’est guère à espérer qu’on sera plus juste envers leurs poètes. Grâce aux Essais biographiques et de critique littéraire dont M. Tórres Caicedo a publié récemment les deux premiers volumes consacrés aux écrivains de l’Amérique du Sud, le doute n’est plus permis aujourd’hui. Dans cette œuvre considérable, qui doit lui attirer la reconnaissance de tous les lecteurs éclairés, l’auteur, poète lui-même, s’est donné pour mission de mettre en lumière les travaux de ses frères, les poètes du Nouveau-Monde, il venge sa patrie des reproches de stérilité d’esprit qu’on a si souvent lancés contre elle ; il prouve que, depuis la conquête de leur indépendance nationale, les citoyens de la Colombie[2] peuvent comparer sans honte leurs travaux à ceux des autres peuples dans l’immense domaine des lettres.
Il est certain que, sous l’ancien régime colonial des vice-royautés d’Amérique, toute poésie était flétrie d’avance, étouffée dans son germe. Des confins de l’Araucanie à l’extrémité septentrionale de la Nouvelle-Espagne, la vie de la société tout entière était si bien réglée par l’autorité, que rien de nouveau ne pouvait y trouver place. Absolus dans l’administration de leurs immenses provinces, les vice-rois et les capitaines-généraux du Nouveau-Monde tenaient les populations sous un joug de fer. À côté d’eux trônaient les inquisiteurs, non moins redoutables que ceux de Séville et de Tolède, et cependant moins couverts de sang, parce qu’ils ne trouvaient aucune résistance, et que la frayeur avait courbé toutes les volontés devant eux.
Des soldats ou des banquiers qui demandaient à être payés de leurs services, des favoris dont les rois d’Espagne voulaient faire la fortune, des seigneurs avides qu’il fallait gorger d’or à tout prix, de jeunes étourdis qu’on devait éloigner pour cause de scandale, recevaient à titre de fief des commanderies grandes comme des royaumes, et peuplées de milliers ou même de millions d’Indiens : c’est ainsi qu’un bourgeois d’Augsbourg, Welser, eut à lui seul, en garantie de quelques dettes de Charles-Quint, l’immense territoire qui est devenu de nos jours la république de Venezuela. Diverses lois prohibaient l’esclavage des indigènes, mais d’autres l’autorisaient, et celles-là seules furent exécutées. Maîtres souverains, les commandeurs pouvaient à leur gré devenir les bourreaux des populations qui leur étaient données ; ceux-là mêmes qui se croyaient débonnaires n’en condamnaient pas moins des troupeaux d’hommes à s’épuiser dans leurs mines ou dans leurs plantations, et les maintenaient dans cet abrutissement qui accompagne toujours la servitude. Les commissaires chargés spécialement de la protection des natifs n’étaient le plus souvent que les humbles intendans des commandeurs, et leur mission consistait seulement à lever un impôt sur le travail des indigènes. Au-dessous des grands propriétaires féodaux s’échelonnaient des spéculateurs rapaces, vivant tous des labeurs de l’Indien.
Sous ce régime atroce, les naturels asservis périssaient par milliers, et des contrées jadis populeuses se changeaient en déserts. Les Caraïbes disparurent des Antilles ; les huit cents peuplades[3] des bords de l’Amazone et de ses affluens se fondirent peu à peu ; . la grande nation des Muyscas fut réduite à une simple tribu. Cinquante ans après la conquête de l’empire des Incas, plus de deux millions d’hommes avaient déjà péri, ainsi que le prouva le recensement opéré en 1580 par ordre de Philippe II. La dépopulation continua pendant les deux siècles qui suivirent : lorsque le Pérou eut enfin reconquis son indépendance, il avait perdu les neuf dixièmes de ses habitans ; la vallée de Santa, qui s’ouvre dans l’épaisseur des Andes, au sud de Trujillo, n’avait plus, d’après M. Bollaert[4], qu’une population de 1,200 âmes, misérables descendans des 700,000 Indiens qu’elle renfermait à l’époque de la conquête. Cependant cette mort lente de toute une race d’hommes s’accomplissait en silence, les tribus s’éteignaient les unes après les autres sans troubler l’ordre général. Les prêtres maintenaient la paix dans l’immense tourbe des esclaves incessamment décimés, et jetaient quelques gouttes d’eau bénite sur ces populations, qui, à peine mortes, étaient aussitôt ensevelies dans l’oubli. Chaque ville, chaque bourgade indienne était gouvernée soit par un curé, soit par des jésuites ou par des moines de l’ordre de Saint-François. Toute désobéissance était punie par une double peine civile et religieuse ; tout rebelle était un hérétique, passible à la fois de la mort et de l’excommunication. Ce n’est point parmi ces indigènes tremblans, auxquels le chant de leurs hymnes nationaux était interdit comme un crime et dont on avait systématiquement détruit toute l’ancienne littérature, qu’il fallait s’attendre à voir naître des poètes[5] ; ce n’est pas davantage parmi ces nègres, que, « par compassion pour les peaux-rouges, » on allait voler ou acheter sur les côtes d’Afrique. Si les noirs supportaient le travail forcé et les mauvais traitemens mieux que les Indiens, c’était pour tomber dans un avilissement peut-être encore plus profond que celui de leurs compagnons de servitude.
Les créoles eux-mêmes, fils des conquérans espagnols, étaient asservis par la pensée, et seulement un petit nombre d’entre eux osaient courir les risques sérieux que toute instruction élémentaire pouvait amener avec elle. Les ouvrages de politique, de philosophie, d’histoire, de haute littérature, « les romans traitant de matières profanes et fabuleuses, ainsi que les histoires feintes, » étaient sévèrement proscrits, et personne ne pouvait se les procurer en cachette ou les introduire dans le pays sans s’exposer au jugement de l’inquisition comme fauteur d’hérésie. Du reste, le gouvernement espagnol avait pris des mesures efficaces pour arrêter toutes les idées de l’ancien monde à leur entrée dans le nouveau : il avait concédé, d’abord à une seule maison de Séville, puis à quelques autres sociétés de capitalistes, le privilège exclusif du commerce avec les diverses contrées de l’Amérique. Ces compagnies, surveillées avec un soin jaloux, avaient chacune son domaine commercial parfaitement inviolable : l’une avait le monopole des denrées du Mexique et de l’Amérique centrale ; une autre avait pour sa part la Nouvelle-Grenade et le Venezuela ; une troisième compagnie desservait les régions de La Plata ; une autre encore s’était fait concéder tout le commerce du Pérou. Bien plus, pour assurer ses immenses possessions d’outre-mer contre le trafic interlope et toute infraction au monopole, le gouvernement espagnol n’avait ouvert au commerce des compagnies qu’un très petit nombre de ports, situés à plusieurs centaines de lieues les uns des autres. Ainsi l’Amérique était comme murée pour le reste du monde ; elle appartenait à quelques spéculateurs de Bilbao, de Séville et de Cadix. Pareille servitude commerciale n’était pas faite pour aider à la libération de la pensée.
La privation de toutes les libertés devait avoir pour conséquence nécessaire d’arrêter l’essor intellectuel des peuples dans les colonies espagnoles de l’Amérique ; mais la grande cause qui empêchait l’éclosion de toute poésie, c’est que les blancs créoles n’étaient pas chez eux dans le vrai sens du mot ; le continent colombien n’était pas encore leur véritable patrie. Méprisés eux-mêmes par les grands seigneurs de la métropole, que l’espoir de s’enrichir en quelques années avait amenés dans le pays, ils méprisaient aussi et ne pouvaient se défendre de haïr la foule des indigènes et des esclaves de toute couleur qui s’agitaient au-dessous d’eux. Faute d’avoir su adopter, les mœurs appropriées au nouveau continent qu’ils habitaient, les créoles étaient pour ainsi dire suspendus entre deux sociétés, celle des maîtres arrogans et celle que formait l’abjecte cohue des asservis. Comment donc auraient-ils pu chanter cette terre sur laquelle ils étaient simplement campés entre des populations vaincues et une administration tyrannique ? Se sentant à la fois criminels envers les uns, opprimés par les autres, ils se taisaient. Un lourd silence planait sur cette admirable partie du monde que Colomb avait fait surgir comme une planète arrachée à l’espace. Et pourtant tout était nouveau, tout était prodigieux dans cet immense territoire dont l’humanité venait de s’enrichir. Les hommes, les animaux, les végétaux, différaient de ceux de l’ancien monde ; les forêts vierges se révélaient dans leur redoutable majesté ; les Andes, qui étaient alors les plus hautes montagnes connues, offraient sur un même versant tous les climats terrestres, indiqués au regard par des guirlandes de verdures diverses ; les colons apprenaient à connaître les éruptions de cendre et de boue, les tremblemens de terre, les ouragans, les divers météores de la nature tropicale, et cependant aucun poète ne se levait pour célébrer toutes ces merveilles. Ercilla, le chantre de l’Araucanie, était un des conquérans espagnols ; il n’appartenait pas à cette triste société américaine sur laquelle le fisc et l’inquisition pesèrent pendant trois siècles.
Ce grand silence des colonies, à une époque où l’Espagne de son côté faisait à peine entendre sa voix, est une chose frappante. Après cette gigantesque épopée de la conquête, après les exploits et les crimes des Cortez, des Pizarre et de tant d’autres fameux chefs de bandes, les possessions espagnoles de l’Amérique n’ont plus d’histoire ; les auteurs ne savent plus qu’en dire et résument en quelques pages les événemens de près de trois cents années. Pendant cette longue période, les indigènes disparurent par tribus et par nations entières ; mais leur plainte n’était pas même entendue. Les nègres importés d’Afrique périssaient aussi ; personne néanmoins ne prenait garde à ces abatis d’esclaves, car les vides des plantations étaient sans cesse comblés, grâce à la traite d’Afrique, commerce régulier que l’apôtre Bartolomé de Las Casas, aveuglé par sa tendresse pour les Indiens, ne craignit pas un jour d’encourager. Sans l’or du Pérou, l’argent de la Nouvelle-Espagne et les quelques denrées que le monopole laissait parvenir en Europe, l’Amérique colombienne serait devenue un mythe ; elle aurait été de nouveau engloutie comme une autre Atlantide.
Dans l’histoire des colonies espagnoles, on n’a pas en général suffisamment relevé un fait qui prouve d’une façon victorieuse combien la civilisation relative apportée par les conquérans allait en s’affaiblissant par degrés pendant les trois siècles du régime colonial. En imposant la servitude aux indigènes, les Espagnols n’avaient pas réussi à leur imposer partout leur langage : bien au contraire, c’étaient les idiomes indiens qui gagnaient incessamment, et l’usage du noble castillan se perdait peu à peu. Dans leurs célèbres réductions du Paraguay, les jésuites, désireux de maintenir toutes les barrières qui existaient entre l’Amérique et le monde européen, s’étaient bien gardés d’enseigner l’espagnol aux tribus indigènes ; leur langue officielle était le guarani, idiome harmonieux, mais incomplet, qui est encore aujourd’hui d’un usage universel parmi les créoles du Brésil oriental, du Paraguay et de la province de Corrientes. Sur les plateaux du Pérou et de Quito, la langue des Incas évinçait aussi graduellement celle des vainqueurs, les dénominations imposées jadis par les Espagnols tombaient en désuétude pour laisser reparaître les anciens noms quichuas, et dans plusieurs grandes villes de l’Equateur, nombre d’habitans d’origine européenne ne comprenaient plus la langue de leurs pères. Enfin, sur les côtes mêmes de la mer des Antilles, là où les communications entre les créoles et les navigateurs d’Espagne étaient fréquentes, on ne parlait plus en divers endroits qu’un ignoble patois ou papamiento mêle de mots espagnols, caraïbes et goajires. La société, devenue barbare, se faisait une langue à son image.
Ce n’est pas qu’en fouillant avec soin les archives du passé on ne puisse découvrir dans cet âge stérile quelques noms de poètes américains. Parmi ces hommes, il en est dont les œuvres, brûlées par ordre des vice-rois ou des archevêques, sont presque introuvables aujourd’hui. Telles sont par exemple les satires de l’Espagnol Simon Ayanque. Des œuvres littéraires qui nous ont été conservées, les plus connues sont celles du moine Manuel de Navarrete. Celui-là était un poète, et quelques-uns de ses chants sont remarquables par la noblesse de l’exposition, la force et la beauté des images ; mais Navarrete vivait à une époque où le souffle de la révolution passait déjà sur l’Amérique, et d’ailleurs la plupart de ses poésies ne sont autre chose que des sermons en rimes approuvés par l’inquisition ou des amplifications mythologiques sur Pomone, Flore et Ganymède. Aucun de ses vers ne rappelle qu’ils ont été écrits dans le Nouveau-Monde plutôt que dans la vieille Europe. Navarrete s’efforce d’être à la fois convenable et médiocre ; vrai poète, il cherche à n’être qu’un érudit, comme s’il avait eu pour but de déguiser son âme. L’érudition et les sciences spéciales, surveillées d’ailleurs avec un soin jaloux, telles sont en effet les seules ressources laissées aux créoles distingués qui peuvent s’arracher à l’ignorance générale et marquer leur trace dans l’histoire intellectuelle de l’Amérique sans quitter leur patrie, comme le fit le grand dramaturge Alarcon. Pendant la fin du siècle dernier et au commencement du nôtre, les deux auteurs les plus remarquables de la Nouvelle-Grenade, cette contrée pourtant si féconde en hommes d’imagination, étaient les botanistes Mutis et Câldas. Encore ce dernier fut-il fusillé, et ses livres, ses manuscrits, ses herbiers, furent-ils brûlés par la main du bourreau. Tristes peuples qui n’avaient pas de jeunesse ! Dans l’histoire des nations aussi bien que dans celle de chaque homme, la divination poétique précède la connaissance ; mais en Colombie c’est le contraire : les savans commencent leurs recherches sans avoir encore entendu le chant des poètes. Comme sur les plantes tourmentées dont les premières fleurs avortent, il se développait en Amérique une seconde floraison, malsaine et sans beauté.
Avant que la guerre séparât violemment les colonies espagnoles de la mère-patrie, les divers groupes de créoles épars sur le pourtour du continent colombien ne formaient donc qu’une nation de muets. La liberté du langage était laissée seulement à ceux que protégeait l’espace, aux llaneros, qui parcouraient à cheval les vastes solitudes, aux bogas ou bateliers qui voguaient de crique en crique ou ramaient sur les grands fleuves sans avoir d’autre patrie que leur barque. Ceux-là, nés voyageurs et libres, étaient poètes à leur manière : ils chantaient pour s’égayer dans la plaine déserte ou pour, accompagner le bruit cadencé de leurs rames. M. Samper dit merveilles des galerones que composent les pâtres dans les savanes néo-grenadines de San-Martin et de Casanare ; mais il ne cite point ces chansons, qui se perdent sans écho. On ne connaît qu’un petit nombre de yaravis péruviens, gracieuses poésies d’amour, qui brillent à la fois par la finesse et par la naïveté, et qui ressemblent à celles de tous les peuples enfans, surtout aux ritornelli des Toscans, tant il est vrai que les mêmes sentimens se manifestent partout de la même manière. Nous citerons en espagnol deux yaravis, afin de ne pas leur enlever la délicatesse et la grâce qui les distinguent :
- Pajarito verde,
- Peche Colorado,
- Eso te sucedo
- Por (ser) enamorado[6]
- Aun entre las flores
- Se suele observar
- Tributar fragrancia
- À quien sabe amar.[7]
Enfin l’oppression des créoles eut un terme. Les cortès espagnoles consentirent à recevoir dans leur sein un petit nombre de députés colombiens ; puis l’invasion de la péninsule ibérique par les armées françaises suspendit les relations entre les colonies et la métropole ; les diverses provinces de l’Amérique méridionale profitèrent de ce moment de répit pour apprendre à se gouverner elles-mêmes, et bientôt la révolution éclatait à quelques années d’intervalle à Buenos-Ayres, à Quito, dans la Nouvelle-Grenade, au Mexique, au Pérou : de tous les côtés jaillissait l’incendie couvant dans le sol. La guerre dura de longues années ; mais les Colombiens la soutinrent avec un courage héroïque, une inflexible persévérance qui ont couvert de gloire ce premier âge de leur vie indépendante. La libération des peuples de tout un continent par des hommes tels que Bolivar, Santander, Sucre, Morales, O’Higgins, est une épopée bien autrement grande que ne l’avait été l’asservissement de l’Amérique par les conquérans espagnols ; mais elle n’a pas encore été racontée par un écrivain digne de la comprendre. Ceux qui voudront aborder cette grande œuvre historique auront à lutter contre des difficultés particulières à cause de l’immensité du théâtre et du petit nombre des acteurs ; sans perdre de vue les personnages du drame, ils auront à parcourir la vaste scène, deux fois plus grande que l’Europe, qui s’étend des mers glacées du cap Horn aux arides déserts de la Sonora et du Nouveau-Mexique ; il leur faudra passer incessamment d’un point à un autre et signaler d’innombrables faits de détail, tout en sachant maintenir l’harmonie de l’ensemble. C’est là une œuvre qui, dans son genre, ne demande pas moins de génie que n’en a demandé la délivrance même du pays. Peut-être un des héros de la grande guerre de l’indépendance eût-il pu la raconter lui-même ; mais à cette époque on agissait, on n’écrivait pas.
Par la conquête de leur indépendance, les Hispano-Américains supprimaient les barrières qui les avaient empêchés jusque-là d’entrer dans le concert des nations civilisées. Les restrictions commerciales qui avaient fait de tout le continent sud-américain la propriété de deux ou trois maisons de commerce étaient à jamais supprimées ; une douane orthodoxe ne veillait plus aux frontières pour arrêter les livres de philosophie, de science ou de simple éducation ; les voyageurs, libres désormais de parcourir le pays dans tous les sens, étaient invités à en faire leur nouvelle patrie ; grâce aux échanges, le niveau des idées tendait à s’établir entre les sociétés d’Europe et d’Amérique. Et non-seulement les blancs créoles avaient pu se convaincre par leur longue lutte et par leur victoire définitive qu’eux aussi étaient dignes de la liberté comme les Européens : toutes les castes inférieures, maintenues jusqu’alors dans une servitude sans espoir, voyaient en même temps un rayon de lumière éclairer leur avenir. Les hommes de races mêlées, qui pour la plupart s’étaient jetés passionnément dans l’arène et n’avaient cessé de combattre avec une intrépidité au moins égale à celle des blancs, étaient par cela même devenus citoyens ; l’esclavage des noirs était mitigé, puis aboli successivement par les diverses républiques ; les Indiens civilisés ou simplement « apprivoisés » (mansos) étaient régis par la même constitution et jouissaient des mêmes droits que les descendans non mélangés des anciens conquérans espagnols. C’est ainsi qu’en se réveillant la société américaine évoquait de ses bas-fonds et accueillait au nombre des citoyens des millions de travailleurs qui jusqu’alors avaient été considérés comme des êtres intermédiaires entre l’homme et la brute. Pour la première fois l’on voyait trois races, aussi différentes que le sont les blancs caucasiens, les noirs d’Afrique et les peaux-rouges, se reconnaître comme égales et se fondre en nations appartenant par leur origine aux trois souches distinctes. En se présentant au monde, les nouvelles républiques affirmaient solennellement l’unité de destinée pour tous les membres de la famille humaine ; elles inauguraient leur carrière par la réalisation de l’un des faits les plus considérables de l’histoire.
Lorsque les états colombiens sortirent victorieux de leur lutte contre l’Espagne, on pouvait espérer de voir surgir bientôt des poètes, des orateurs, des artistes, du milieu de ces peuples qui avaient déjà produit tant de remarquables hommes de guerre, et qui offraient les aptitudes et les qualités propres à diverses races. Doués pour la plupart d’une intelligence vive et d’une âme prompte à l’émotion, les Hispano-Américains ont de plus le précieux avantage de parler cette belle langue espagnole, à la fois si noble et si douce, cette langue souple dans laquelle les pensées les plus énergiques et les aperçus les plus délicats peuvent s’exprimer également sans le moindre effort. En outre l’admirable beauté du continent sud-américain, le plus simple et le plus harmonique dans ses formes, doit nécessairement aider l’homme qui l’habite à comprendre les grandes choses. Malheureusement les déplorables traditions que l’Espagne léguait à ses vainqueurs ne pouvaient que retarder les progrès des nouvelles républiques. Trois siècles d’oppression laissaient dans la masse du peuple l’ignorance, le fanatisme et la dégradation morale, tandis que l’orgueil, la prodigalité fastueuse et la paresse des anciens maîtres espagnols étaient encore imités par les créoles élégans. La grande évolution du mélange des races et l’émancipation graduelle des esclaves africains maintenaient la société dans un état de fermentation constante ; les mœurs étaient devenues féroces à la suite des vingt années de lutte pendant lesquelles des hommes du même sang et de la même contrée s’étaient si souvent armés les uns contre les autres ; les vertus guerrières, trop développées, ne trouvaient pas encore un équilibre suffisant dans les intérêts de la paix ; enfin les habitans étaient trop clairsemés et l’espace trop grand pour que les populations pussent se grouper solidement dans aucune des républiques et former de véritables individualités nationales. Telles sont les circonstances diverses dont il faut tenir compte pour apprécier avec une entière équité la littérature hispano-américaine.
Pendant le cours du XVIIIe siècle, les versificateurs du Mexique et du Pérou, élevés par les jésuites ou les franciscains, avaient imité les rares ouvrages classiques non prohibés. Après la guerre de l’indépendance, que pouvaient faire les écrivains de l’Amérique méridionale, sinon imiter encore ? L’Europe, qui leur avait été si longtemps cachée, leur apparaissait maintenant dans toute sa splendeur : c’était comme une immense lumière rayonnant par-dessus l’Atlantique. La joie qu’éprouvèrent nos érudits de la renaissance en étudiant les auteurs grecs et latins qu’ils croyaient perdus peut à peine se comparer au ravissement des Colombiens avides de savoir qui se trouvèrent soudain en libre possession des œuvres produites par la civilisation moderne. Tout les éblouit : idées, inventions, théories diverses, tout jusqu’à nos vices et à cette fausse gloire militaire qui nous avait tant coûté. Ils accueillirent comme parfait tout ce qui leur venait d’Europe, livres et systèmes, voyageurs et marchandises ; ils se firent les échos de toutes les voix qui retentissaient dans l’ancien monde, enveloppèrent d’une même admiration, et presque au hasard, tous les hommes qui s’étaient fait un nom dans la littérature contemporaine. Ils oublièrent leur propre histoire pour n’étudier que celle de l’Europe occidentale : contemplant à peine leur continent si beau, leur nature admirable, ils cherchèrent à se figurer les campagnes gracieuses, le relief modéré, la végétation contenue de nos pays de brumes et de froidure.
C’est à la France surtout que revint l’honneur d’initier les peuples colombiens dans ce monde sans bornes des arts et des sciences, naguère encore presque fermé pour eux. Ils parlaient, il est vrai, la même langue que les Espagnols, mais ils gardaient rancune à la mère-patrie à cause des trois siècles d’oppression et des vingt années de guerre qu’elle leur avait fait subir ; d’ailleurs les relations avec la péninsule ibérique étaient devenues très rares, et des années entières se passaient avant qu’un seul navire espagnol se présentât dans les grands ports de l’Amérique, dont les négocians de Séville et de Cadix avaient eu jadis le monopole. La littérature castillane avait aussi le double désavantage d’être moins riche et plus connue que celle du reste de l’Europe : elle n’avait pas l’attrait mystérieux de tout ce qui est nouveau. L’Angleterre se présentait avec le prestige que lui donnaient les œuvres de ses poètes, les recherches de ses savans, et surtout l’appui efficace fourni par ses capitaux et son commerce aux républiques colombiennes ; mais durant les premières années qui suivirent l’indépendance des colonies la langue anglaise n’était comprise que d’un petit nombre de créoles, et ceux-là mêmes n’étaient pas complètement libres des préjugés ridicules et barbares qui rendaient la masse de la population américaine hostile aux hérétiques. C’est vers la France que regardaient tous les peuples affranchis, depuis le Mexique jusqu’à la Plata ; c’est à ses principes, vaguement compris, qu’ils se sentaient redevables de leur émancipation, c’est à ses idées qu’ils demandaient le maintien de leurs libertés, c’est dans les ouvrages de ses grands hommes qu’ils cherchaient la civilisation moderne tout entière. La plupart des livres importés d’Europe étaient des livres français, et maintenant encore ce sont les œuvres de nos grands écrivains qui forment la partie la plus considérable et la plus appréciée de toute bibliothèque colombienne. Je n’ai pas besoin de dire quelle émotion joyeuse éprouve le voyageur français lorsque dans quelque maisonnette d’un village éloigné de tout chemin il retrouve des ouvrages aimés, que des Indiens à demi sauvages ont dû porter, tome après tome, à travers les torrens et les forêts vierges.
Dans les premières années d’enivrement et même jusqu’à une époque assez rapprochée de nous, nombre de poètes colombiens semblaient n’avoir d’autre ambition que de se faire les échos des poètes français. Simples rimeurs et vrais artistes imitaient à l’envi dans la mesure de leurs forces. De leur continent lointain, ils prenaient avidement part aux émotions et aux engouemens littéraires du public parisien ; volontaires ignorés de leurs chefs, mais assez enthousiastes pour se passer d’encouragement, ils se conformaient avec joie à tous les mots d’ordre qui étaient donnés en Europe, applaudissaient tous les écrivains, adoptaient et copiaient tous les genres ; malheureusement la lenteur des communications à travers l’Atlantique les exposait fréquemment à qualifier de chefs-d’œuvre incomparables ce dont Paris était déjà fatigué à juste titre. Avant que l’effervescence littéraire des romantiques eût gagné la Colombie, Madrid, un des fondateurs de l’indépendance grenadine, traduisait les Trois Règnes de la Nature, par l’abbé Delille ; mais bientôt après les classiques du Nouveau-Monde furent mis en déroute par les « poètes du désespoir. » Ce fut un concert de pleurs et de sanglots d’un bout du continent à l’autre bout. Des centaines et des milliers de Colombiens chantèrent les « soupirs de l’âme » et les « larmes du cœur. » Récemment encore le gracieux et touchant Lozano, véritable poète, qu’on peut ranger parmi les écrivains les plus remarquables de l’Amérique, publiait ses Heures de martyre, suivies de Nouvelles Heures de martyre.
Certes on ne saurait faire un reproche à la littérature hispano-américaine d’avoir ainsi débuté par des traductions et des imitations souvent dépourvues de critique. Ayant à peine un commencement d’histoire, maîtres de leur sol natal depuis quelques années seulement, et d’ailleurs environnés de tous côtés par le désert ou par des tribus encore sauvages, les Colombiens affranchis ne pouvaient naître à la civilisation et aux arts qu’en prenant exemple sur les peuples étrangers. C’est le génie français qui les a séduits, c’est par lui qu’ils se sont laissé entraîner à l’aveugle, copiant avec un égal enthousiasme le charmant et le grotesque, les erreurs et la vérité. Nous aurions mauvaise grâce à les blâmer d’avoir si complètement subi notre influence, et d’ailleurs le blâme retomberait en entier sur nous, qui les avons souvent mal guidés : notre seul sentiment à l’égard de ces peuples jeunes, qui se sont faits avec joie nos disciples, ne doit être que celui de la sympathie. Cependant, lorsqu’on lit les œuvres des poètes américains, il est impossible de ne pas sourire de l’étrangeté de certaines imitations, qui n’ont aucun sens dans le Nouveau-Monde à cause de la différence des milieux politiques et sociaux. Ainsi, sur cette terre à peine échappée à un régime qui était la continuation de celui du moyen âge, nombre de jeunes gens célébraient innocemment le bon vieux temps où les peuples d’Europe avaient été si misérables, où la pensée s’était si péniblement débattue. De même ces républicains, qui venaient d’expulser leurs maîtres espagnols et ne voulaient vivre que pour la liberté, adoraient à l’envi l’exilé de Sainte-Hélène et maudissaient la traîtresse Albion. Pour donner une idée du lyrisme auquel s’élevèrent les poètes sud-américains et de la forme qu’avait prise en Colombie la légende napoléonienne, il suffira de citer les trois premières strophes d’une ode de Lozano :
« Aigle du désert, dont le nid fut la tempête orageuse, comète enflammée suspendue au ciel sans fin des âges, toi qui, dans le lac immense de l’oubli, as lancé tes royales clartés, dieu tombé du trône des dieux, qui donc reçut tes dernières paroles ?
« Ce ne sont point les pyramides, qui avaient entendu le bruit de tes pas et s’étaient inclinées, ni les eaux du Nil, qui t’avaient vu et qui murmuraient ton nom, ni les cités qui avaient allumé leurs tours pour t’éclairer pendant la nuit… Qui donc ? Silence ! ma langue hésite, elle parle en tremblant de la mer, elle nomme un rocher !
« La terre, la mer, les cieux étaient un orbe étroit pour ton pied de géant ; de ton palais impérial le toit splendide était le firmament sans bornes ; les soleils étaient ton diadème, et ta couche le pôle antarctique de diamant. ton cercueil, puis-je le croire ? titan de la Seine, ce fut Sainte-Hélène, le rocher fatal ! »
Victor Hugo est le poète français dont les œuvres ont exercé la plus grande et la plus durable influence sur la littérature hispano-américaine, et parmi ses poésies, les plus admirées furent sans contredit les Orientales ; on peut qualifier d’innombrables les traductions et les imitations auxquelles les plus belles pages de ce volume donnèrent lieu, de la part de tous ceux qui savaient chanter ou seulement rimer dans les républiques colombiennes. C’est que les Orientales étaient pour les Américains eux-mêmes comme une révélation de l’Amérique : ces poèmes ont presque tous une allure héroïque et martiale faite pour plaire à un peuple jeune et batailleur ; ils peignent une nature un peu fantastique et idéale qui est aussi bien celle du Nouveau-Monde que celle de l’Égypte et de la Turquie ; ils mettent en scène des Arabes nomades auxquels ressemblent comme des frères les cavaliers à demi sauvages des pampas de Buenos-Ayres. Lorsque les poètes colombiens manifestaient une prédilection si marquée pour Victor Hugo, c’était donc par un sentiment intime du génie propre de leur race. Il est même telle de leurs œuvres où l’imitation et la nature sont tellement confondues qu’il est impossible de faire la part de l’une et de l’autre. Comme exemple de ce mélange intime, on peut citer les poésies composées par un homme qui, après avoir vécu de la vie des nomades de la Plata, soit comme soldat, soit comme exilé, a fini par devenir président de la fédération argentine, don Bartolomé Mitre. Nous traduisons ici quelques vers de son Chant du Gaucho, dont il est malheureusement presque impossible de rendre en français l’animation guerrière.
« Mon cheval est plus léger que la flèche ou le pampero[8]… Au milieu du combat, il frappe la terre, il bondit. Il se lance comme un tourbillon au plus épais du carnage, à la vue de la pique sanglante.
« Et quand j’étends mon bras, quand je vais prendre le lazo, ses yeux dardent la lumière… Ses yeux sont deux étoiles, ses sabots sont quatre étincelles ; il est fidèle comme mon couteau et beau comme la nuit sereine. Ah ! j’aime mon gris-pommelé autant que j’aime ma brunette. »
« Ainsi chantait un gaucho en sellant son cheval. Il entend sonner le clairon, bondit, et d’un saut léger s’élance dans le désert. »
Encore de nos jours il est certain que plusieurs poètes colombiens d’un grand mérite se laissent entraîner par leur extrême facilité d’assimilation à se faire les simples échos des sentimens et des pensées qu’on leur envoie de l’ancien monde ; mais, prise dans son ensemble, la littérature des républiques espagnoles n’en existe pas moins depuis quelques années comme littérature distincte remplissant un rôle spécial dans l’histoire de l’humanité et ne pouvant être remplacée par aucune autre. Un des poètes et des critiques les mieux connus de Buenos-Ayres, Juan Guttiérez, l’affirme avec un certain emportement. « Il en est, s’écrie-t-il, qui nient encore l’existence d’une poésie particulière à l’Amérique. À la fin il faudra bien pourtant reconnaître notre indépendance en littérature, comme on l’a reconnue en politique ; l’une et l’autre ne sont pas en question, ce sont des faits… Nos poètes sentent l’histoire de la patrie et la nature américaine avec des cœurs passionnés américainement. » En effet, si toute poésie vraiment originale doit avoir pour résultat d’évoquer les hommes et les choses dans un monde idéal sans perdre de vue la réalité, si elle doit à la fois peindre avec exactitude et transfigurer par le sentiment du beau les événemens de l’histoire, la société environnante et la nature elle-même, il est incontestable que les écrivains de l’Amérique espagnole ont déjà commencé leur œuvre. Dût la Colombie disparaître soudain, elle ne périrait pas tout entière, on la retrouverait en partie dans les chants de ses poètes.
Et non-seulement il existe une littérature hispano-américaine, on peut même dire que chacune des républiques a sa littérature nationale. Lorsque le régime colonial existait encore, l’uniformité la plus monotone régnait sur toutes les provinces en dépit de la diversité des pays et des races indiennes qui les habitaient. Partout la société était divisée en castes ennemies, partout les fils des conquérans avaient à subir la même oppression politique, partout ils avaient les mêmes préjugés, les mêmes habitudes à l’égard des aborigènes : on eût dit qu’un niveau avait passé sur tous les esprits, tant les colons du Mexique ressemblaient à ceux de Buenos-Ayres et du Chili ; mais depuis la guerre de l’indépendance et le fractionnement de l’Amérique espagnole en nombreuses républiques, les divergences qui tendaient à se produire se sont graduellement accusées. Les populations, qui vivaient autrefois d’une vie machinale, se sont développées avec plus ou moins de liberté dans le sens que leur indiquaient la nature et l’histoire. Chaque nation a suivi sa carrière, chacune s’est distinguée par des institutions et des industries spéciales, chacune a produit sa littérature propre. Il est vrai que, par un contraste naturel, tous les peuples hispano-américains, aujourd’hui plus distincts les uns des autres que ne l’étaient sous l’ancien régime les sociétés éparses des créoles, ont aussi des intérêts de plus en plus solidaires, et reconnaissent chaque année davantage l’impérieuse nécessité de mettre un terme à leurs discordes, de se grouper et de s’unir d’une manière plus intime. On peut même dire que les diverses communautés de l’Amérique méridionale éprouvent d’autant plus le besoin de se rapprocher qu’elles se développent plus énergiquement dans leur voie particulière et tendent à se constituer en véritables nations. Le désir qu’elles ont de s’associer augmente en proportion de leur force. Déjà ce rapprochement des républiques colombiennes, que tous les patriotes, et Bolivar le premier, ont donné pour but principal à leurs travaux, est beaucoup plus avancé qu’on ne serait tenté de le croire au spectacle des guerres civiles qui désolent encore une grande partie du continent. L’union est consommée, sinon dans les faits, du moins dans les œuvres des écrivains, ces hommes qui ont pour mission de précéder les peuples et de leur frayer la voie. Les Hispano-Américains du nord et du sud se glorifient d’être les fils du même sol ; ils réclament comme une propriété commune les noms les plus illustres de leur histoire ; enfin ils savent tous ou pressentent du moins que leurs petites patries ne formeront un jour qu’une seule et grande république.
Tant qu’il n’existera pas pour la littérature de l’Amérique espagnole une encyclopédie complète, semblable à celle que M. Tórres Caicedo vient d’ébaucher dans ses Ensayos biograficos, il sera difficile de fixer avec une équité parfaite la part qui revient à chacune des républiques dans l’œuvre générale. Néanmoins il suffit d’avoir étudié rapidement l’histoire littéraire de ces diverses contrées pour comprendre quels sont les traits distinctifs de leur génie particulier, et quelle est sur ce génie l’influence de toutes les circonstances extérieures qu’on appelle le milieu. C’est là ce que nous allons tâcher d’indiquer brièvement.
Chaque pays veut avoir son « Athènes. » L’Amérique anglo-saxonne montre la sienne en Boston ; le continent colombien se vante d’en avoir plusieurs, parmi lesquelles deux principales, l’une au midi, l’autre au nord, Buenos-Ayres et Bogota. Le contraste est grand entre ces deux métropoles littéraires, qui furent aussi avec Caracas les foyers de la liberté colombienne pendant la guerre de l’indépendance. La capitale de la république argentine est une cité considérable renfermant des milliers d’Européens et maintenant d’incessantes relations avec l’ancien monde par ses paquebots et ses navires. Située sur la rive d’un fleuve qui recevrait ailleurs le nom de mer, elle garde l’entrée de la pampa sans bornes à travers laquelle bondissent les chevaux sauvages. À Buenos-Ayres viennent se rencontrer les marins de tous les pays, les gauchos nomades et toujours en selle. Là aussi retentissaient naguère les bruits d’une terrible guerre civile qui pendant de bien longues années ensanglanta les rues et les campagnes. Toutes ces choses, la nature physique du pays, l’origine de la population, l’état général de la société, ont exercé une influence décisive sur la riche littérature des Argentins. Tout ce qui chez eux n’est pas imitation de travaux étrangers, mais œuvre sincèrement originale, se distingue par la libre allure et l’animation du style, par la franchise de la pensée. Leur poésie lyrique semble tirer ses principales inspirations de l’ardeur guerrière et de la passion du mouvement, elle est comme avide de lutte et d’espace ; mais souvent aussi elle est pleine de tristesse, car ce fut principalement sur les hommes qui se permettaient de penser et d’écrire que pesa la tyrannie de Rósas. Les Mitre, les Echeverría, les Ascasubi, les Mármol chantent les longs voyages sur la mer ou dans la plaine, les courses effrénées du gaucho ; mais ils racontent aussi la douloureuse histoire des partis, les horreurs de la prison et les drames sanglans du champ de bataille. Dans la Bande orientale ou république de l’Uruguay, les poésies de Gómez, de Figueroa, de Hidalgo, de Magariño Cervantes, offrent les mêmes caractères d’audace aventureuse et de tristes retours. C’est que Montevideo ressemble à sa rivale Buenos-Ayres, qu’elle regarde à travers l’immense estuaire de la Plata. Comme cette ville, elle touche à de vastes plaines que parcourent librement les troupeaux ; comme Buenos-Ayres, elle est le rendez-vous des gauchos, des Basques émigrés et des commerçans venus de tous les pays ; enfin elle aussi a dû subir la tyrannie militaire et tous les malheurs des sièges et des révolutions.
À Bogota, « l’Athènes néo-grenadine, » la nature extérieure offre un contraste absolu avec celle de Buenos-Ayres ; les conditions sociales sont aussi complètement différentes, et la littérature de cette partie de la Colombie se distingue en conséquence par des caractères nettement tranchés. La ville de Bogota, reléguée à une grande distance de la mer et parfois séparée entièrement du monde civilisé par des bandes ennemies, est plus réduite à ses propres ressources que ne l’est peut-être aucune autre capitale. Les émigrans d’Europe ne viennent pas grossir le chiffre de sa population, elle importe seulement une petite quantité de marchandises, et ce n’est guère que par l’échange des idées qu’elle peut maintenir ses rapports avec l’ancien monde. Heureusement la nature environnante offre comme un résumé de la terre entière dans son ensemble d’une incomparable harmonie. La ville occupe une position des plus belles sur une terrasse aussi élevée que le sont les cimes de nos Alpes. Des hauteurs on peut embrasser d’un regard les volcans neigeux et fumans, les chaînes de montagnes aux zones de végétation superposées, les grandes forêts vierges et les longues traînées de nuages qui s’étendent sur les plaines. Un reflet de cette nature grandiose se trouve certainement dans les productions des auteurs néo-grenadins, Arboleda, Caro, Madiedo, Vargas Tejada. Philosophes et poètes, ils font planer leur pensée au-dessus des continuelles discordes qui agitent leur patrie ; leur parole est forte et contenue, et dans leurs chants passe un souffle épique.
De même que Buenos-Ayres, les grandes villes du Chili sont en continuelles relations de commerce avec l’ancien monde et l’Amérique du Nord. Le peuple chilien est, de tous ceux de la Colombie, celui qui ressemble le plus aux peuples européens. La race des blancs d’origine espagnole y est à peine mélangée de sang indien et africain ; les mœurs, les institutions, encore assez aristocratiques, offrent une certaine analogie avec celles de l’Angleterre ; enfin la nation s’est lancée avec ardeur dans la voie des améliorations matérielles. Le climat et les produits agricoles du Chili ressemblent aussi à ceux de l’Europe tempérée. Il ne faut donc pas s’étonner de voir la littérature chilienne se modeler facilement, sans efforts d’imitation, sur les littératures de l’Espagne, de la France, de l’Angleterre. Du reste, le Chili, qui compte parmi ses poètes des hommes éminens, tels que Matta, Blest Ganá, Lillo, Sanfuentes, brille surtout par ses savans, ses économistes, ses financiers. Parmi les républiques de l’Amérique espagnole, il a son contraste le plus frappant dans le Venezuela, ce pays si remarquable par sa pléiade de poètes lyriques. Ce contraste s’explique facilement. Moins commerçante que le Chili et malheureusement beaucoup plus agitée par les révolutions, la république vénézuélienne a l’avantage que lui donnent son beau climat tropical, ses côtes baignées par la mer des Antilles, ses admirables vallées, ses hauts plateaux et la poétique immensité de ses llanos. En outre sa population se compose en très grande partie d’hommes de couleur ; c’est peut-être à cette race, si ardente en toutes choses, si facile à émouvoir et à passionner, que le Venezuela doit ses meilleurs poètes. Parmi ses écrivains d’origine espagnole, deux ont contribué pour une forte part à la gloire littéraire de la mère-patrie : ce sont Baralt et Firmin Toro.
Le Mexique et le Pérou, ces deux états qu’on ne peut s’empêcher d’associer à cause du développement parallèle de leur ancienne histoire et de la commune destinée que leur fit la conquête, présentent aussi de grandes analogies dans leur littérature. De tout temps la société y fut plus mêlée que dans les autres parties de l’Amérique par suite de l’attraction qu’exerçaient les mines et du caractère aléatoire qu’elles imprimaient au commerce. Les brusques reviremens de fortune s’y opèrent plus fréquemment qu’ailleurs ; les types y sont plus nombreux ; les tribus indiennes, arrivées à divers degrés de développement, n’ont cessé de s’y trouver depuis trois siècles en contact immédiat avec les blancs du pays. En outre Lima et Mexico, qui étaient autrefois les principaux centres de la puissance coloniale de l’Espagne dans le Nouveau-Monde, ont conservé jusqu’à présent quelque chose de l’esprit léger et satirique des cours. La moralité y est probablement moindre que dans le reste de la Colombie, mais l’esprit d’observation y est peut-être plus aiguisé. Les auteurs péruviens et mexicains savent écrire des pièces légères ; ils racontent agréablement les scènes de mœurs et manient le ridicule avec talent. Dans un ordre plus élevé, plusieurs d’entre eux se sont essayés à la comédie et au drame.
Les autres républiques colombiennes, le Guatemala, l’Equateur, la Bolivie, le Paraguay, ont aussi leur littérature propre ; mais soit à cause de leur isolement relatif, soit à cause de l’ignorance, dans laquelle leurs-populations sont maintenues par des prêtres intolérans, ces diverses contrées ne brillent pas du même éclat littéraire que leurs sœurs du Nouveau-Monde. Leurs écrivains sont aussi moins connus que les poètes de l’île de Cuba. Bien que cette « perle des Antilles » appartienne encore à l’Espagne, et que par ses institutions, et surtout par le maintien de l’esclavage des noirs, elle diffère complètement des républiques hispano-américaines, cependant sa littérature se rattache bien plus à celle du Nouveau-Monde qu’à celle de la mère-patrie. En-effet, les poètes cubanais ne peuvent chanter ni l’histoire passée de leur pays, ni la triste société de maîtres et d’esclaves qui les entouré. Il faut qu’ils échappent à ce milieu fatal pour chercher leur inspiration dans le sentiment de la liberté et dans l’espoir de leur indépendance future, ou bien, si la poésie révolutionnaire les effraie, il ne leur reste qu’à célébrer cette admirable nature des Antilles à la fois si molle dans sa paix et si fougueuse dans ses tempêtes. Heredia, le fils le plus glorieux de la colonie espagnole, représente dans ses œuvres ce double caractère de la poésie cubanaise. Condamné au bannissement pour avoir trop aimé la liberté, il ne cessa jusqu’à sa mort prématurée de travailler à l’affranchissement de sa patrie et d’en peindre la beauté grandiose en vers d’une force rarement égalée. L’âme d’Heredia était d’une trempe héroïque, et il ne faut point attribuer à une vaine jactance de poète les paroles qu’il adressait au Niagara : « Laisse-moi te regarder, je suis digne de te voir ! »
Pour donner une idée de la manière d’Heredia, nous traduisons ici quelques vers de son Ode à l’Ouragan, que tous les Américains savent par cœur :
« Ouragan ! ouragan ! je te sens venir, et dans ton souffle brûlant je respire enivré l’haleine du maître des airs. Vois-le, suspendu aux ailes du vent, rouler à travers l’espace immense, silencieux encore, mais effrayant, irrésistible dans sa course. La terre, qu’opprime un calme sinistre et mystérieux, contemple avec stupeur le terrible météore… Le soleil hésitant voile sous de tristes vapeurs sa face glorieuse, et son disque obscurci répand une lueur funèbre qui n’est pas la nuit et qui n’est plus le jour. Lueur affreuse, voile de mort ! les oiseaux tremblent et se cachent à l’approche de l’ouragan qui hurle ; sur les montagnes lointaines, les forêts l’entendent et lui répondent.
« Le voilà ! Il étend sur la nature son manteau d’épouvante. Géant des airs, je te salue !… Le vent secoue et fait tournoyer, les franges mêlées de son vêtement sombre. Ses bras grandissans se rejoignent au-dessus de l’horizon ; ils s’abaissent et recouvrent l’espace d’une montagne à l’autre.
« Ténèbres partout ! Le souffle de l’orage soulève en tourbillons la poussière des campagnes. Dans les nues, le maître du tonnerre fait rouler son char grondant ; des roues jaillit le rapide éclair, qui vient frapper la terre et de ses reflets livides inonde le ciel… La pluie tombe à torrens. Tout est confusion, horreur profonde. Cieux, nuées, collines, forêt chérie, je vous cherche en vain ; vous avez disparu. La noire tempête fait tournoyer dans les airs un océan sous lequel tout s’engloutit. Enfin, monde fatal, nous nous séparons ! L’ouragan et moi, nous restons seuls… »
Le sentiment qui a le plus contribué à donner une véritable originalité à la littérature colombienne, c’est l’ardeur patriotique. Dans les sociétés qui se développent régulièrement, les poètes et les artistes peuvent se vouer avec recueillement au seul culte du beau ; mais dans ces jeunes républiques hispano-américaines, qui n’ont pas encore assuré leur liberté d’une manière définitive, tous les hommes remarquables par l’intelligence se mêlent forcément à la lutte des partis : ils sont entraînés dans l’action lors même qu’ils ne s’y jettent pas de plein gré. Les uns exercent les fonctions de juges, de sénateurs, de représentans aux assemblées ; les autres, appelés sur les champs de bataille, deviennent généraux, si la victoire leur est propice, ou chefs de bandes, s’ils sont vaincus ; d’autres encore sont nommés diplomates, ambassadeurs, présidens de quelque république. Un plus grand nombre, écrasés par le char de la fortune, finissent leurs jours misérablement ; mais, quelle que soit leur destinée, ils sont tous citoyens avant d’être poètes. Leurs œuvres, dans lesquelles se reflète nécessairement leur vie, sont toutes plus ou moins animées par l’amour du sol natal, l’enthousiasme guerrier, l’enivrement de la liberté. Lozano interrompt ses élégies mélancoliques pour écrire ses beaux Chants de la Patrie, et Mármol, le doux poète de la famille et des amours, lance ces terribles imprécations à Rósas, le gaucho sanguinaire qui opprima si longtemps la société argentine :
« Quel est le démon voilé qui t’accompagne, afin que je le suive, armé d’un poignard ? Quelle est celle des étoiles qui t’éclaire, afin que je fasse descendre sur elle la malédiction divine ? A quelle heure se glisse la frayeur dans ta poitrine de fer, afin que j’évoque les visions qui t’épouvantent ? A quelle heure t’endors-tu tranquillement sur ta couche, afin que j’appelle les morts pour te secouer le crâne ? Prêtez-moi, tempêtes, votre affreux rugissement, alors que le tonnerre éclate et que brame l’aquilon. Cataractes et torrens, prêtez-moi votre voix, afin que je l’écrase par une terrible, une éternelle malédiction ! »
Mêlés comme ils le sont à ces luttes ardentes de la Colombie qui depuis cinquante années ont déjà dévoré tant d’hommes de cœur, les poètes, loin d’avoir été plus ménagés que les autres combattans, ont eu au contraire plus à souffrir, parce que leur intelligence elle-même les rendait plus redoutables aux tyrans militaires, et que leur talent les signalait à la vengeance de l’ennemi. On peut dire sans aucune exagération que l’histoire des luttes civiles dans l’Amérique méridionale est en même temps le martyrologe des écrivains. Un instant l’Europe littéraire s’est émue de la mort de Plácido, mulâtre cubanais fusillé en 1844. Par commisération pour le sort de cette victime des préjugés de caste, on admira ses vers outre mesure, on classa le poète parmi les plus grands hommes du Nouveau-Monde ; mais combien d’hommes supérieurs à Plácido par le talent et par le caractère ont péri d’une mort violente sans que la renommée ait daigné s’occuper d’eux ! Combien d’autres ont vécu de longues années dans les prisons ou sur la terre d’exil sans que la gloire de leurs travaux se soit répandue hors du continent natal ! Combien se sont écriés, comme Florencio Balcarce :
« O patrie ! si je ne puis rien pour ta gloire, c’est que l’homme n’est pas maître de son destin. J’ai été une goutte d’eau tombant dans la nuit et bue par la poussière.
« Amis, si le malheur vous amène aussi sur le sol étranger où je vais mourir, je vous en conjure, ne marchez pas sur mes os ! Que mon nom, mon pauvre nom, ne soit pas oublié de tous !
« Adieu, ombre douce du toit paternel ! Adieu, compagnons de mon enfance heureuse ! Mes chers amis, mon adieu est éternel ! Adieu, Buenos-Ayres, mille et mille fois ! »
Par l’ordre de Rósas, Mármol est jeté dans un cachot à l’âgé de vingt ans ; Echeverría est exilé de la république argentine et meurt en pays étranger ; Varela, poignardé, expire sur le seuil de sa maison ; Ascasubi échappe à la mort par un oubli du bourreau, et ne réussit à sauver sa vie qu’en escaladant les murailles de son cachot ; Eusebio Lillo doit s’exiler lui-même du Chili pour éviter d’être fusillé ; Blest Ganá est condamné à mort, et l’on hésite à commuer sa peine en dix ans de bannissement ; Corpancho, renvoyé du Mexique, est brûlé avec le vapeur qui l’emporte. Certes il serait étonnant que la littérature sud-américaine n’offrît aucune véritable originalité, lorsqu’on voit les poètes eux-mêmes se lancer si ardemment dans la mêlée de la vie et se mesurer sans crainte avec la destinée. Leurs vers ont tous été ennoblis par le contact d’un sol libre, comme le furent ceux de Placido. Eh donnant ses poésies à un Colombien qui se rendait de Cuba dans l’une des républiques du continent, il lui adressa ces paroles :
« Ami, quand tu débarqueras sur la plage écumeuse de ce pays, agenouille-toi, prends mes vers, et fais-leur toucher trois fois la terre de liberté. Je t’en prie, fais-leur toucher ce sol ! Puisque le malheur et l’étendue des mers ne me permettent pas de baiser cette rive adorée, que mes chants au moins puissent le faire à ma place ! »
Julio Arboleda, l’un des hommes les plus illustres et peut-être le plus remarquable poète de la Colombie, offre dans sa carrière un exemple saisissant des vicissitudes auxquelles doit s’attendre un poète de combat dans une société aussi agitée que l’est encore celle de la Nouvelle-Grenade. Pendant la guerre de l’indépendance, tous ses parens sans exception avaient pris part à la lutte contre la domination espagnole, et le plus grand nombre d’entre eux y avaient trouvé la mort. Son père, voulant, en dépit de la fièvre, remplir une mission que lui avait confiée Bolivar, s’était empoisonné en arrêtant les accès de son mal par l’arsenic. Ses deux oncles, le savant Cáldas et Miguel de Pombo, avaient été passés par les armes sur la place publique de Bogota ; son cousin Ulloa avait subi le même sort ; d’autres parens étaient tombés sur les champs de bataille ; une de ses tantes, plutôt que de se rendre aux Espagnols, s’était laissée mourir de faim. Tous ces faits, racontés par une mère héroïque, développèrent dans le cœur du jeune Arboleda cet ardent amour de la liberté qui fut le mobile de toutes ses actions. Devenu homme et chef de parti, Arboleda se trompa souvent, il vacilla parfois dans ses opinions et ne sut pas toujours rendre justice à celles des autres ; mais sa passion du bien et sa grandeur d’âme ne se démentirent jamais.
Ce fut une étrange vie que la sienne. Tout jeune encore, il entre dans la carrière politique, et remplit auprès des gouvernemens étrangers des missions du succès desquelles dépend la paix ou la guerre ; puis, après de nombreux voyages, retiré dans son domaine, il s’adonne à l’agriculture et à l’exploitation de ses forêts de cinchonas, Arraché à la paix des campagnes, il est nommé représentant, et charme les Bogotains par son éloquence. Une révolution éclate, il est jeté en prison. À peine délivré, il est assiégé dans sa propre demeure. Il s’enfuit, revient à la tête d’une armée, mais pour être vaincu et condamné à mort. Un revirement de fortune le ramène en triomphateur dans sa patrie, qu’il avait quittée en misérable fugitif ; puis un coup d’état militaire disperse le congrès, et Arboleda se trouve à la tête d’une armée, tantôt pour lutter en plein jour sur les champs de bataille, tantôt pour se glisser la nuit à travers les bois et surprendre ses ennemis. Il remporte la victoire, et ses concitoyens le nomment président du sénat. Aussi, lorsque son ami Mallarino, qui, lui aussi, avait connu les mauvais jours de l’exil, vint, en sa qualité de vice-président de la république, jurer fidélité à la constitution entre les mains d’Arboleda, personne mieux que ce dernier ne pouvait prononcer les paroles suivantes : « Singulières sont les vicissitudes du sort ! Il y a peu de jours, nous étions bannis et affligés ; nous nous tenions par la main, et tous les deux, étendus sur les sables brûlans et stériles d’un pays étranger, nous rêvions aux verdoyantes plages de la Nouvelle-Grenade. À présent il m’incombe de présider la première et la plus respectable corporation de ma patrie et de vous inviter à vous asseoir sur le fauteuil de la première magistrature ; mais ne vous étonnez point de cet éclair de bonheur, — si nos fonctions peuvent être appelées un bonheur, — car chez cette nation vaillante et orgueilleuse il est aussi facile de passer de l’exil au pouvoir que du pouvoir à la barre du sénat. » Ainsi qu’Arboleda le prévoyait, il ne jouit pas longtemps des honneurs, et dut se replonger dans la guerre civile, ayant pour adversaire principal un de ses parens, Joaquin Mosquera. Après une succession de triomphes et de revers, il fut assassiné le 12 novembre 1862 dans les défilés de Berruecos, non loin de l’endroit où Sucre, le vainqueur d’Ayacucho, avait été mis à mort, trahi, comme Arboleda, par ses compagnons d’armes.
Pendant les intervalles de repos que lui avaient laissés les affaires de l’état, les voyages, les révolutions, les guerres civiles, tous les hasards d’une vie d’aventures, Arboleda avait su trouver le temps nécessaire pour rédiger de longs mémoires et même écrire de nombreuses poésies. La plupart de ces œuvres seront probablement oubliées avec les passions qui les ont fait naître ; mais il en est qui resteront. Parmi les fragmens destinés à vivre, il faut placer en tête les chants inachevés de Gonzalo de Oyon, monument que l’illustre Colombien voulait élever à la triple gloire de Popayan, sa ville natale, de la république néo-grenadine et du continent américain tout entier. Plusieurs parties de cette œuvre considérable furent confisquées et déchirées, pendant l’exil d’Arboleda, par l’ordre d’un de ses adversaires politiques. M. Tórres Caicedo raconte à ce sujet une anecdote touchante. On demandait un jour au banni combien il avait d’enfans : « J’en ai eu huit, répondit Arboleda. Le gouverneur de Cáuca a tué le premier ; l’exil a tué l’avant-dernier ; j’espère que ma vie errante ne me privera pas des autres. » Puis il se détourna pour verser des larmes. L’aîné des enfans qu’il pleurait ainsi, c’était son poème Gonzalo de Oyon. Des vingt-deux chants, il n’en existe plus que onze, et deux seulement sont imprimés.
L’œuvre d’Arboleda, modestement intitulée légende, est une véritable épopée par le sujet qu’elle embrasse et par la manière dont l’auteur l’a traitée. À l’époque où le récit commence, l’Amérique du Sud est déjà découverte en son entier ; Almagro, Valdivia, Benalcazar, ont déjà fait leur œuvre de conquête ; Cabral a pris possession de la côte du Brésil ; Orellana a suivi dans toute sa longueur le fleuve des Amazones, grande artère centrale du continent ; Magellan vient de doubler la pointe méridionale de la Patagonie et d’unir par la quille de son navire les eaux de l’Atlantique à celles de la Mer du Sud. Déjà les Espagnols peuvent se rendre compte des énormes dimensions du Nouveau-Monde, ils connaissent les peuples qui l’habitent et commencent à profiter de ses inépuisables richesses ; en outre, remplis d’une foi qui peut nous sembler étonnante, mais que justifiait l’éblouissante découverte due au génie de Colomb, ils ne doutent pas que bientôt ils auront conquis le mystérieux Eldorado et seront devenus immortels en se baignant dans les eaux de la fontaine de Jouvence. Cet immense empire, ce paradis terrestre, devait-il continuer d’appartenir au roi d’Espagne, pauvre prince solitaire perdu au-delà des mers dans une petite péninsule de l’Europe ? Déjà Gonzalo Pizarro avait songé à se rendre indépendant ; mais, l’audace que demandait une pareille entreprise lui ayant fait défaut, il avait subi la peine réservée aux traîtres. Un de ses complices, Alvaro de Oyon, réfugié à Popayan, sur un plateau des Andes grenadines, prépare une nouvelle insurrection. Il noue des relations secrètes avec tous les Espagnols que la gloire et la fortune n’ont pas servis à souhait ; il se ligue avec les Indiens sauvages des montagnes et s’associe au pirate anglais Walter. À ce dernier il promet l’empire de l’océan, mais il se réserve la terre ; il posera sur son front la couronne des Incas, en ajoutant à leur royaume toutes les contrées soumises par les armes de l’Espagne. Tels sont les vastes projets de l’ami des Pizarre, et peut-être réussiraient-ils, si le propre frère d’Alvaro, Gonzalo de Oyon, n’intervenait comme le défenseur de l’ordre et du souverain légitime.
Arboleda, chef du parti conservateur de la Nouvelle-Grenade, était certainement dans son rôle lorsqu’il choisissait cet épisode de l’histoire coloniale pour sujet de sa légende. Descendant des premiers colons établis dans la contrée, il pouvait sans doute considérer comme bonne la cause de ces vainqueurs espagnols qui ravageaient la terre des Indiens pour la conquérir ; il pouvait adresser les premiers vers de son poème à la muse de la foi et lui consacrer tout un chant dans lequel il se livre à des amplifications théologiques ; mais, quand on évoque le souvenir des crimes effroyables que les interprètes de cette même foi commettaient dans le Nouveau-Monde, on hésite à suivre l’auteur et à partager ses sympathies. Quel intérêt peut-on éprouver pour cet empire espagnol dont la seule légitimité était fondée sur l’égorgement ou l’asservissement des Indiens, et qui n’avait d’autre garantie de durée que la continuation d’une implacable tyrannie ? L’esprit se demande avec une certaine anxiété quel est le véritable héros, du sombre Alvaro, qui cherche à soulever les Indiens vaincus, ou du gracieux Gonzalo, qui se fait le champion des vainqueurs espagnols ? Tel est le grave défaut du poème. Heureusement une troisième personne ramène sur elle-même l’intérêt qui aurait pu se diviser entre les frères ennemis. Cette personne n’est autre que l’Amérique ; c’est elle dont la pensée anime Arboleda lorsqu’il décrit les paysages des Andes, les peuplades indiennes, la société naissante des créoles ; c’est à elle qu’il adresse ses paroles les plus émues, c’est pour elle qu’il imagine les scènes les plus grandioses. Aucune exagération ne dépare cette œuvre profondément sentie ; le vers est harmonieux et pur, l’image est simple, l’émotion est vibrante et contenue, la phrase est aussi noble et ferme que la pensée. Quelques strophes du poème d’Arboleda méritent d’être citées comme le remarquable exemple d’une description unissant le charme de la poésie à la vérité de la science.
« Il est une heureuse vallée, ses terres ondulent en longues et molles collines que la brise caresse en passant. Dans cette vallée, l’eau se précipite en ondes cristallines et serpente sous les fleurs de pourpre. À l’extrémité de cet Éden verdoyant, l’illustre Popayan lève son front…
« Et plus loin, comme un géant immortel, se dresse le Puracé sublime. Parfois, blanc de neige, étincelant de lumière, il repose en silence sur ses larges flancs ; parfois aussi, environné de nuées, il gronde en fureur et lance le feu qui mugit en ses cavernes ; dans ses efforts, il fait trembler le sol ou bien incendie de ses flammes toute l’étendue du ciel…
« Au sud, le terrain se hérisse en montagnes. Entre les rochers se balancent au vent les cannes sauvages, et la chaleur fait naître des plantes funestes qui distillent le poison comme la vipère ; le torrent mugit au fond de l’étroite gorge qu’il s’est taillée lui-même pendant le cours des siècles.
« Dans les forêts amoureuses qui descendent jusqu’au bord de l’eau caressante ou qui tapissent les pentes escarpées des rochers pittoresques, les arbres de chaque zone entrelacent leur branchage. Ils croissent ensemble, ensemble ils produisent leurs fleurs et mûrissent leurs fruits.
« Telle est la terre. Parfois le ciel perd son azur et se couvre de nuages. Alors, grosse d’éclairs, la foudre grondante parcourt l’horizon. Bouleversé par les décharges électriques, l’air fait jaillir des ouragans de son sein, la pluie tombe, les forêts craquent, le soleil s’éclipse, et les champs sont inondés.
« La noire tourmente obscurcit l’espace, elle assourdit le monde par son fracas, et la voûte du ciel tremble sous les éclairs qui traversent sa courbe immense ; mais bientôt le soleil reparaît, la foule confuse des nuées s’enfuit en toute hâte, sous la lumière pacifique et tranquille aucune fleur ne s’agite, aucun souffle d’air ne respire… »
L’amour que ressent Arboleda pour la grande patrie américaine, l’ardente foi qui l’anime, se retrouvent dans les œuvres de tous les écrivains de la Colombie, économistes, dramaturges, poètes. Loin de s’abandonner au découragement ou au désespoir à la vue des maux qui affligent les diverses républiques du Nouveau-Monde, ils s’élèvent résolument au-dessus des tristes réalités du présent pour rêver un glorieux avenir, et ce sont peut-être ceux qui souffrent le plus qui sont aussi le plus remplis d’espérance. Les prisonniers, les bannis, les condamnés à mort, ne cessent de chanter la grandeur de leur patrie. Mármol, exilé, fuyant sur un navire qui va s’égarer dans les glaces du pôle austral, célèbre ainsi dans ses beaux Cantos del Peregrino la gloire à venir des républiques colombiennes :
« L’Amérique est la vierge qui chante sur le monde, annonçant aux peuples leur future liberté ; sur son jeune front commence à briller l’étoile qui demain nous éblouira de sa radieuse lumière. L’Europe déchue n’a plus à compter sur les siècles futurs ;… elle a vidé la coupe de ses destinées et s’est affaissée dans l’ivresse de sa gloire et de sa puissance.
« Les trônes sont chancelans et le sceptre échappe aux mains des rois ; les peuples demandent des ailes, mais on leur cloue les pieds ; les penseurs cherchent des yeux l’oriflamme de l’avenir et ne trouvent plus que les haillons de leurs anciens drapeaux. Les nations meurent comme les hommes !…
« Repose-toi en répétant tes légendes et tes belles traditions, Espagne qui dormais avec un monde à tes pieds. Repose-toi comme un guerrier qui, tombant de vieillesse, compte encore ses blasons et ses honorables cicatrices. Repose-toi, France hautaine. La lumière de la pensée jaillit de ton front en brillantes étincelles ; demain le temps en épuisera la source, et c’est dans le monde nouveau que la flamme éclatera. Repose-toi, vieille Angleterre. Depuis longtemps, tes léopards hérissent leur crinière, mais ils ne lèvent plus leur tête.
« Repose-toi, monde d’Europe ; père noble des siècles qui vont s’évanouir, repose-toi, pendant que la main de l’Amérique, ma mère, recueille tes fils et leur offre le pain de l’hospitalité… S’ils n’arrivent pas en ennemis, nous leur donnerons des champs à moissonner ; chez nous, l’espace est assez grand pour que des peuples y naissent… L’Amérique, qui s’appuie sur des colonnes d’or, l’Amérique est le joyau de l’univers.
« Oui, c’est à toi, reine du monde, qu’appartient l’avenir, un avenir immense comme tes montagnes et tes mers, lumineux comme ton ciel et tes astres éclatans. Redresse-toi, couronnée de gloire, regarde par-dessus les vagues de l’Océan, et tu verras que le monde des rois peut tenir tout entier dans le creux de ta main…
« Ah ! qui me donnera de renaître à la vie dans ces jours de mes rêves dorés ? Qui me donnera d’écouter d’une âme attendrie l’admirable concert de tes poètes, futurs ? Mais quoi ! mon cœur les entend déjà ! Moi, pauvre exilé, qui mendie aujourd’hui une patrie et la liberté, je vois déjà ta gloire dans l’avenir, ô ma mère !… »
Certes, le poète de la Plata nous permettra de ne pas accueillir toutes ses prédictions et de ne pas croire à la déchéance de la vieille Europe. Les peuples qui depuis tant de siècles sont les champions de l’humanité, eux qui, par les efforts de leurs hommes de cœur et de leurs savans, ont si péniblement fait germer la civilisation dans l’universelle barbarie, ne sont point encore arrêtés dans leurs progrès ; si jamais ils se reposent, ce sera, nous l’espérons, non dans le silence, de l’esclavage et de l’épuisement, mais dans la plénitude de leurs forces, dans la jouissance des libertés qu’ils auront conquises pour eux-mêmes et pour le genre humain. Toutefois, si Mármol a tort de condamner ainsi les nations civilisées de l’ancien monde à une prochaine décadence, les Européens de leur côté n’ont pas le droit de désespérer des peuples colombiens, pleins d’espoir en eux-mêmes. Fières de leurs progrès, de leur science, de leur industrie et de leur équilibre continental si souvent menacé, les sociétés d’Europe auraient mauvaise grâce à croire les populations de la Colombie vouées à une éternelle et stérile agitation alors que celles-ci pressentent un avenir de force et de prospérité. Désormais les peuples sont solidaires, aussi bien que les continens ; les pensées, comme les molécules d’air, sont portées de monde en monde dans un éternel circuit. Rien de grand ne s’accomplit sur un point de la planète sans que tous les hommes en profitent aussitôt.
Déjà, nous l’avons vu, on ne peut sans injustice accuser les républiques colombiennes d’être inutiles à l’œuvre civilisatrice, car elles ne cessent de produire des hommes de talent qui s’occupent sans relâche d’accroître la somme des connaissances humaines. Les esprits travaillent beaucoup dans les sociétés espagnoles de l’Amérique du Sud. Doués d’une vive intelligence, grâce au croisement des races et à l’influence du climat, les Colombiens s’instruisent avec une surprenante rapidité. À l’étude de leur histoire et de leur littérature ils ajoutent celle de l’histoire et des littératures étrangères. Parmi eux, tout homme qui s’élève au-dessus du niveau commun par son instruction est tenu de connaître les principales langues de l’Europe. Les problèmes politiques ou sociaux qui s’agitent dans l’ancien monde sont aussitôt le sujet de discussions ardentes en Amérique ; chaque idée qui s’énonce en-deçà de l’Atlantique est immédiatement accueillie au-delà. Le grand danger des Hispano-Américains, c’est précisément d’avoir une si remarquable promptitude d’intelligence. Comprenant trop vite, effleurant les sujets sans se donner la peine de les approfondir, un grand nombre d’entre eux restent superficiels en dépit de leur talent, ils gaspillent leur force dans une multitude de travaux d’un jour au lieu de les concentrer dans une œuvre durable ; mais ceux qui, à l’exemple de Bolivar, deviennent les hommes d’une idée, et dirigent obstinément leurs efforts vers un même but peuvent accomplir de grandes choses. En tout cas, ils doivent éviter avec soin toute vaine imitation ; puisque les peuples d’Europe leur semblent vieillis, qu’ils cherchent en eux-mêmes la jeunesse et la force.
Pour juger équitablement les peuples de l’Amérique méridionale, il faut avant tout faire remonter à qui de droit la responsabilité de l’état social dans lequel ils se trouvent. Ce n’est point en peu d’années que des masses confuses se transforment en nations respectables. Lorsque l’oppression a cessé en apparence, elle se continue et se renouvelle sous mille formes à l’aide de la lâcheté, de l’envie et de toutes les passions basses qu’elle avait développées ; les âmes sont encore esclaves quand les corps sont depuis longtemps dégagés de l’étreinte. On peut le dire, le régime colonial n’est pas entièrement détruit ; il se perpétue en certains endroits par l’intolérance religieuse, ailleurs par la dictature politique, ailleurs encore par le servage des peones, par la dîme ou le monopole des denrées ; il se perpétue surtout par les superstitions et l’ignorance : de là ces crises continuelles, ces révolutions et contre-révolutions, qui ont pour triste résultat d’habituer le peuple à la vue du sang. L’Espagne elle-même, après avoir été débarrassée, au commencement du siècle, de l’horrible cauchemar qui l’écrasait depuis Philippe II, n’a-t-elle pas dû se débattre pendant plus de trente années avant de pouvoir entrer définitivement dans le concert des sociétés modernes ? Et cependant elle n’avait point souffert autant que ses colonies ; elle n’avait pas été presque entièrement dépeuplée, et, chose plus importante encore, elle avait vu se dérouler sous ses yeux le grand drame de la révolution française.
Plusieurs anciennes colonies de l’Espagne, devenues aujourd’hui des républiques prospères, paraissent avoir enfin dépassé, comme la mère-patrie, cette douloureuse période de transition qui sépare l’ancien régime du nouveau. Les autres contrées de l’Amérique du Sud se pacifieront aussi à mesure que l’instruction se répandra et que les intérêts croissans du commerce et de l’industrie réagiront contre l’influence des chefs de bandes. Le manque d’habitans est le grand obstacle au progrès ; mais le pays se peuple d’année en année. Le vide se comble peu à peu par l’accroissement naturel de la population, tandis que de nouvelles routes s’ouvrent dans les solitudes pour abréger les distances et mettre en communication des peuples qui s’ignoraient. Les pampas, jadis désertes, se remplissent ; des cités surgissent aux bords des fleuves, que sillonnent aujourd’hui des bateaux à vapeur ; des émigrans européens affluent par milliers, apportant leur intelligence et leurs capitaux ; enfin le nombre des naissances excède celui des morts d’au moins deux cent mille par année. La population totale de l’Amérique espagnole, non compris celle des Antilles, dépasse vingt-cinq millions d’âmes. Certes c’est encore bien peu pour un territoire vingt-deux fois plus étendu que la France et capable de nourrir facilement deux milliards d’hommes ; mais c’est par la force d’impulsion qui les anime, et non par le chiffre brut de leurs habitans, que les peuples conquièrent une noble place dans l’histoire. D’ailleurs, pour comprendre la mission qu’auront à remplir les républiques espagnoles, il suffit de regarder le continent qu’elles partagent avec le Brésil, et dans lequel se trouve la plus belle moitié de leur domaine. Tout y présente le caractère d’une merveilleuse unité, et cette chaîne des Andes qui se développe avec une régularité si parfaite du cap Horn à l’isthme de Panama, et cette grande plaine qui descend de la base des montagnes vers l’Atlantique, et ces fleuves qui entrelacent leurs sources, et ces rivages maritimes aux courbes gracieuses, qui forment l’immense triangle de l’Amérique du Sud correspondant à celui de l’Amérique du Nord. Sur cette terre de Colombie, si vaste et pourtant si simple dans son architecture, est écrite d’avance l’histoire d’un grand peuple de frères.
ELISEE RECLUS.
- ↑ Voyez notamment l’étude sur l’Américanisme de M. Charles de Mazade dans la Revue du 15 novembre 1846.
- ↑ Ainsi que M. Samper, auteur d’un livre excellent sur l’état moral et l’avenir des peuples hispano-américains, nous appliquons, dans cette étude, le nom de Colombie, non pas aux trois républiques de la Nouvelle-Grenade, du Venezuela et de l’Equateur, mais à l’ensemble du continent sud-américain, et par extension à toutes les républiques espagnoles. Tel est du reste le sens que donnent à ce nom les hommes politiques qui travaillent à l’union future des anciennes colonies de l’Espagne en Amérique.
- ↑ Sept cent quatre-vingt-quinze d’après les recherches de M. Cléments Markham.
- ↑ Antiquarian, ethnological and other Researches in New-Granada, Ecuador, Peru and Chile, by William Bollaert, London 1860.
- ↑ En 1780, lors de la grande insurrection des Indiens commandas par Tupac-Amarù, le descendant des anciens maîtres du pays, les Espagnols anéantirent tout ce qui restait des drames, des poésies et des chants composés avant la conquête. Il n’en existe plus aujourd’hui que des fragmens peu considérables, reproduits en entier par M. Cléments Markham dans son ouvrage intitulé Contributions towards a grammar and dictionary of Quichua.
- ↑ « Petit oiseau vert, ta poitrine est rouge : c’est parce que tu es amoureux. »
- ↑ « Même parmi les fleurs, le parfum est à celle qui sait aimer. »
Ces yaravis ont été rapportés du Pérou par un voyageur français, M. Berthon. - ↑ Le vent des pampas.>