La Poésie et les Poètes en Italie - Les Formistes, les Coloristes, l'Ecole nouvelle

LA POÉSIE
ET
LES POETES EN ITALIE

LES FORMISTES. — LES COLORISTES. — L’ÉCOLE NOUVELLE.



C’est une opinion générale que l’heure de la décadence littéraire a sonné pour l’Italie. Il ne semble pas qu’après le prodigieux éclat du siècle de Dante et la renaissance non moins merveilleuse du siècle de l’Arioste, cette ingénieuse nation puisse être appelée une troisième fois à servir de modèle au monde. Cependant, si l’on remarque qu’il est dans ces destinées d’avancer par bonds impétueux et par vives saillies, et qu’après être tombée si bas au XVIIe siècle, sa littérature s’est relevée d’une manière aussi sensible qu’imprévue, il faudra bien reconnaître que tout impose une grande réserve à qui entreprend de déterminer l’état présent de la poésie italienne. Ajoutons qu’en cette matière le goût français est jusqu’à un certain point suspect de prévention. Enfans, comme les Italiens, de la race latine, semblables à eux par tant de côtés, toutes nos affinités poétiques nous entraînent vers le Nord. Goethe, Byron, Schiller, voilà les objets de notre enthousiasme poétique durant la première moitié de ce siècle. Quant à Leopardi, le plus grand poète qu’ait eu l’Italie depuis Dante, il n’est guère connu que de quelques esprits délicats qui lui ont rendu justice dans cette Revue[1], et Manzoni doit la meilleure part de sa renommée à son roman des Fiancés. Si la paresse entre pour beaucoup dans notre indifférence à l’endroit de la poésie italienne, on en peut trouver aussi l’excuse dans l’adoption au-delà des Alpes d’une langue particulière pour les poètes, langue qui use des inversions avec une liberté inouïe, et qui, avec une hardiesse non moins surprenante, coupe les mots, les abrège au moyen d’incessantes syncopes, ou les allonge par des syllabes parasites qui les rendent méconnaissables. La lecture des poètes italiens exige, même de ceux qui connaissent le mieux les prosateurs, une étude spéciale soit du sens, soit du rhythme. Il est encore nécessaire d’entendre souvent débiter des vers italiens par une bouche italienne avec cette singulière harmonie dont nos voisins ont seuls le secret. On a dit que les vers français, une fois la mesure rompue, faisaient d’excellente prose : en Italie, on retrouverait toujours les membres épars du poète. Chez nous, la poésie n’est qu’une langue, la plus belle de toutes à coup sûr, et, si l’on veut, celle des dieux; mais enfin elle est toujours un instrument propre à l’expression de la pensée. Pour écrire en vers, même sans en exclure la fantaisie, nous ne nous croyons pas dispensés d’être clairs et intelligibles, ni de donner à nos conceptions ce degré de précision qu’elles doivent avoir, lorsqu’elles cessent d’être exclusivement personnelles, pour entrer, en se produisant au dehors, dans le domaine public. Les Italiens au contraire n’écrivent en vers que pour satisfaire un impérieux besoin de leur nature; ils ne chantent que pour s’écouter eux-mêmes et s’enivrer d’harmonie. La poésie n’est pas à leurs yeux un moyen d’expansion et de communication avec leurs semblables, c’est une nouvelle manière de se replier en soi sans nul souci des autres. S’ils y voient une langue, ce n’est qu’une langue vague, indéterminée comme la musique, à laquelle on ne peut demander, sans lui faire violence, l’expression précise de la pensée, et qui ne rend avec bonheur que les sensations.

Sans doute cette façon de comprendre la poésie n’est pas commune à tous les Italiens. Les vrais poètes savent contenir dans de justes limites le goût des vives images, des mots sonores, des cadences harmonieuses qui est au fond de toute âme méridionale. L’effort qu’ils font pour donner à la pensée la place qu’on ne saurait impunément lui refuser constitue même la meilleure part, et la plus méritoire, de leur talent. Il y a au-delà des Alpes deux écoles poétiques : l’une s’attache à trouver de grandes pensées et à les revêtir des formes les plus pures; elle n’a pas d’expression plus élevée que l’immortel Leopardi. L’autre relègue la pensée au second plan pour mettre au premier le sentiment, la couleur et l’image : Manzoni est le modèle qu’elle propose, non sans un juste orgueil, aux imitateurs. Malheureusement on n’imite du génie que ce qu’il a de moins élevé. Les pensées sublimes de Leopardi étaient trop personnelles pour qu’il laissât après lui son secret; ceux qui ont prétendu marcher sur ses traces se sont donc attachés à imiter son admirable langue, ou plutôt à en demander comme lui les élémens aux premiers écrivains des grands siècles de la littérature italienne. Tous leurs efforts se sont concentrés sur un travail de patiente mosaïque où les archaïsmes les plus puérils jouent un grand rôle. Aussi qu’est-il arrivé? Les Italiens ont compris ce qu’il y aurait d’inexact à proclamer disciples de Leopardi des poètes qui lui ressemblent si peu; ils leur ont fait l’épigrammatique honneur de les rassembler en une école sous le nom de formistes. Quant à ceux qui prennent Manzoni pour modèle, ils ne se sont guère montrés plus fidèles à sa manière. Ils racontent en vers comme ils auraient raconté en prose; toute la différence est dans le rhythme. Tantôt ils s’affranchissent de la rime, tantôt de la division en octaves. On comprend qu’en se faisant des conditions si douces, il soit plus facile d’écrire en vers qu’en prose. En réalité, les prétendus disciples de Manzoni sont encore des formistes, car s’ils se montrent peu curieux de la pureté, ils le sont infiniment de la couleur, cette autre face de la forme.

Au fond de ces subdivisions d’école, on a pu déjà reconnaître la vieille querelle des classiques et des romantiques. Comme chez nous, cette querelle date en Italie du temps de la restauration. La réaction qui portait alors les esprits vers les splendeurs jusque-là méconnues du moyen âge, et qui ramenait la couleur dans le style comme dans la peinture, se manifesta pour la première fois dans les œuvres de Manzoni, mais sans scandale et sans excès, grâce au bon sens et au goût exquis de cet habile écrivain. Si Manzoni, chef des romantiques, jouit en Europe d’une renommée sans rivale, Leopardi, chef des classiques, mérite de la partager avec lui, et il est vengé par ses concitoyens de notre injuste indifférence à son égard. On sait quelle base puissante donnait à la poésie ce savant et profond penseur, qui avait puisé la science à toutes les sources, et dont telle ode écrite en grec put passer un moment, aux yeux des plus érudits, pour une œuvre d’Anacréon. Le caractère, l’originalité de son génie, c’est l’alliance si rare de connaissances vastes et positives avec cette admirable fleur d’inspiration qu’il portait en lui. Maladif, affligé d’une difformité physique, ne s’étant séparé, comme notre Jouffroy, qu’avec un effort pénible de la religion catholique, qu’il avait défendue dans l’un de ses premiers écrits, obligé de dévorer le chagrin d’une rupture avec son père, qui ne put jamais lui pardonner l’abandon de sa foi, et de braver les malveillantes moqueries des petites gens de Recanati, il est le philosophe et le poète de la douleur. Il n’y a chez lui aucune affectation de désespoir. Pour se persuader qu’il raconte ses propres pensées et ses véritables tourmens, il suffit de lire avec attention quelques-uns de ses vers, ou cette prétendue biographie de Philippe Ottonieri, dans laquelle il se peint lui-même, comme Machiavel avait écrit sa propre histoire sous prétexte de raconter celle de Castruccio Castracani. Leopardi doute sincèrement de tout. Pour lui, comme pour Brutus, la vertu est un nom, la vie éternelle un rêve, le progrès de l’humanité une utopie, la société une ligue des fripons contre les honnêtes gens. C’est l’excès des souffrances physiques et morales, quoiqu’il s’en défende, qui borne ainsi l’horizon de ce grand homme, de même que ses profondes études sur l’antiquité lui en ont inspiré l’amour au point de ne pas lui laisser voir par où la société grecque est inférieure à la nôtre. Toutefois, quand on aura fait ses réserves sur le scepticisme navrant qui se trahit dans ses plus hautes pensées, pourra-t-on moins admirer ces vers éloquens et poétiques, où la force, l’exactitude et la profondeur du sens le disputent à la pureté rare, à la nerveuse élégance, à l’énergique concision du style?

Depuis la mort de Leopardi, la prépondérance est revenue à l’école dont Manzoni est le chef. Cette prépondérance lui restera-t-elle? Les divisions mêmes d’écoles ne tendent-elles point à s’effacer? Ne peut-on entrevoir en ce moment, sous une apparente décadence, les indices d’une de ces transformations où s’est tant de fois retrempée la poésie italienne? C’est ce qu’il faut examiner en appréciant les écoles poétiques de la péninsule dans leurs représentans les plus autorisés et dans leurs tentatives les plus récentes. Commençons par les disciples de Leopardi.


I.

Chose singulière, l’école qui prétend se rallier au grand penseur Leopardi attache, on l’a vu, un prix excessif à la forme et se fait facilement illusion sur l’insuffisance du fond. Le principal point de sa doctrine consiste dans la fidélité la plus absolue aux principes littéraires des grands siècles; mais elle a cru trop souvent remplir sa tâche en se contentant d’imiter servilement la forme. C’est à Bologne que s’est cantonnée la petite église du formisme, dont le chef est M. Marchetti, ami d’enfance du pape Pie IX et son ministre des affaires étrangères aux jours du danger. Nous avons de M. Marchetti un poème de médiocre étendue intitulé Chant (Cantica) sur Dante, des canzone, des odes, des sonnets. Le Chant sur Dante a valu à l’auteur des éloges excessifs de la part des personnes qui vivaient dans son intimité ou que leur patriotisme municipal portait à exalter tout ce qui prend naissance à Bologne; mais on ne saurait assigner à ce poème une place bien élevée. Malgré les mérites du style, le sujet manque souverainement d’unité. Dante figure en qualité de comparse dans l’aventure imaginée par le poète, et il n’y joue qu’un rôle insignifiant. Le Chant sur Dante montre l’impuissance de M. Marchetti à composer une œuvre de quelque étendue; aussi doit-on surtout le juger sur ses canzone, ses odes et ses sonnets.

On sait que, malgré l’analogie du nom, la canzona n’a rien de commun avec la chanson; il faut renoncer à traduire ce mot, tant l’idée qu’il éveille est exclusivement italienne. Inventée, dit-on, en Provence par Giraud de Borneil, le père putatif des troubadours, la canzona ou canzone n’eut pas de peine à se naturaliser sur cette belle terre d’Italie, dont la Provence n’était en quelque sorte que l’extrême province. Oubliée par les héritiers des troubadours à l’époque où, devenus Français, ils firent un pas vers le génie de leur nouvelle patrie, elle devint en peu de temps, aux mains des poètes italiens, le plus noble des petits poèmes. Depuis Dante et Pétrarque jusqu’à nos jours, elle a également tenté toutes les imaginations fortes ou gracieuses, à la réserve peut-être de quelques écrivains du XVIIIe siècle, auxquels les allures philosophiques de l’épître plaisaient davantage. Or personne, à notre époque, n’a plus contribué que M. Marchetti à remettre la canzona en honneur. L’école moderne y peut regretter l’absence de ces fortes couleurs dont parfois elle abuse; mais grâce à la simplicité touchante de la pensée, à la sobriété et à la pureté du style, le poète de Bologne a produit dans ce modeste genre des morceaux achevés. Il sait traiter les sujets les plus douloureux avec une dignité triste et émouvante. Tantôt il célèbre quelques morts illustres, le sculpteur Visconti, le poète Perticari, Pétrarque ou le Tasse; tantôt il s’inspire d’idées générales, la piété, l’espérance, la reconnaissance, dont le développement, quelquefois commun, revêt souvent des formes splendides ou énergiques. Avec leur exagération habituelle, les Italiens de l’école formiste ont dit de la canzona composée à l’occasion de la mort de Mme Sauli, de Forli, qu’elle était le plus exquis poème lyrique qui ait paru depuis Pétrarque. C’est pousser un peu loin l’éloge pour une pièce où l’imitation du XIVe siècle touche presque au pastiche; mais il faut reconnaître que le sentiment en est délicat. Celle qu’inspire à l’auteur le tombeau de Pétrarque se recommande par une pensée juste. M. Marchetti accuse l’amant de Laure d’être la cause involontaire et innocente de ce goût pour la poésie exclusivement amoureuse et efféminée qui a valu à l’Italie tant d’accusations et qui n’a pas médiocrement contribué à l’amollir. La faute en est à ces imitateurs sans force et sans génie qui ont dédaigné les œuvres latines où le poète a enfermé tant de viriles pensées. Ne voulant connaître de ses écrits que les chants d’amour, ils ont rivalisé entre eux d’enfantillages, et ce sera donner leur mesure que de signaler un ouvrage d’un certain Louis Gandini, publié en 1580, sur l’importante question de savoir pourquoi Pétrarque avait gardé le silence sur le nez de Laure. Quoique M. Marchetti n’ait pas assez insisté sur le tort des imitateurs, il fait d’excellentes réflexions. Si j’essaie de traduire, ce ne sera pas sans protester à l’avance contre tout jugement hostile à un poète remarquable surtout par ces charmes du style qui ne sauraient complètement passer dans une autre langue. Il faut se souvenir en outre qu’une pensée unique suffit à un poème de si peu d’étendue; la développer en vers harmonieux, c’est la poétique du genre.


« Verte et solitaire colline, délices du poète toscan, dont il fit choix pour l’éternel repos de sa dépouille mortelle, dis, au nom du bonheur que tu as eu de le voir traîner sa vieillesse à pas graves et lents parmi ces ombres suaves, alors que son visage couvert encore de la douceur qu’y répandit l’amour trahissait le sérieux et amer regret de la valeur italienne disparue, dis quelle partie de ce cloître ombragé couvre ce qui reste de notre gloire!

« Le voici, je le reconnais! Humble et respectueux, je me prosterne, ô précieux, illustre et saint tombeau, vers lequel dévotement s’achemine toute âme bien née qui aime à se prosterner et à rêver pensive, toute âme aimante qui n’espère pas trouver ici-bas de plus suaves soupirs. Je vois l’Amour affligé, je le vois qui regarde et montre ce marbre. Près de lui, la Poésie, la vraie, la chaste, l’immortelle fille du ciel, de sa main voile ses yeux en pleurs.

« Et l’Amour lui dit : C’est à moi vraiment, c’est à moi qu’il appartient de revenir ici dans le deuil et les larmes. Vois à quoi m’ont réduit les tristes esprits auxquels la foule applaudit! Lubricité, tel est aujourd’hui le sens de mon nom. Le monde sait pourtant comme celui-ci (Pétrarque) me fit gracieux entre toutes choses et me présenta plein de pudeur aux jeunes âmes en ton aimable compagnie. Dans un si noble cœur, l’amour n’eut que d’honnêtes désirs et de hautes pensées.

« Hélas! répond la Poésie, ce n’est pas sans motifs que je viens soupirer sur ces nobles cendres. Tu sais, Amour, à quel point les âmes les plus dédaigneuses et les plus sauvages se sont éprises de moi, lorsqu’il me revêtit avec tant de grâce d’une douceur céleste que les siècles ont admirée. Maintenant une femme vile, prenant mon nom, entraîne les jeunes esprits par l’attrait de ses flatteuses vanités. Ma belle école est déserte. Dans ma retraite je suis seule et ignorée.

« O cendre sacrée, dis-je à mon tour avec la ferveur d’une âme émue, à antique demeure d’une haute vertu, avec quelle profonde reconnaissance tout Italien ne devrait-il pas s’incliner devant cette urne qui contient tes restes ! Un ardent et magnanime amour pour notre pays fut l’unique guide de ce divin esprit, qui, avec ses propres lumières et les saints débris de l’immense et lumineuse antiquité, à travers les ombres de la barbarie dissipée, inaugura le jour d’une nouvelle civilisation.

« Il ne t’appartient pas, humble canzona, de donner des louanges à un si grand esprit, la gloire et l’honneur de l’Italie. Je baise le sol et me prosterne devant sa tombe. »


Les odes de M. Marchetti sont, comme ses canzone, d’une remarquable sobriété de couleurs. A l’imitation des anciens, ce poète n’emploie que les expressions les plus simples pour rendre sa pensée. Des mérites analogues assurèrent le succès de sonnets qui ne sont peut-être pas sans défauts, mais qu’on préfère en Italie à de longs poèmes. S’il parait puéril en France, n’en déplaise à Boileau, de condamner la pensée à s’enfermer en ces limites rigoureuses de quatorze vers, de tels jeux d’esprit plaisent dans un pays où la flexibilité de la langue et la disposition évidente des lecteurs à se montrer plus exigeans pour la forme que pour le fond donnent au poète des facilités exceptionnelles. Tout était pour M. Marchetti matière à sonnet : une procession, le retour de la Belle Poule ramenant les restes de Napoléon, un prédicateur, une noce, un professeur de médecine, une cantatrice, les principaux événemens de la vie de Pie IX. Parmi les poètes de notre temps, il en est peu qui se soient retournés sur ce lit de Procuste avec plus d’aisance que M. Marchetti. Le poète bolonais excelle dans ce genre de petits poèmes qui exigent la perfection de la forme sans réclamer de grands efforts d’imagination.

Mieux doué peut-être à cet égard et pourtant moins célèbre fut l’infortuné Alexandre Poerio, le frère de ce Charles Poerio aux destinées de qui l’Europe entière s’est intéressée. Ils appartenaient tous les deux à cette noble famille que des souffrances sans fin endurées pour l’amour de l’Italie ont rendue si populaire dans le royaume des Deux-Siciles. En 1815, Alexandre Poerio, âgé de treize ans, partait déjà pour l’exil, d’où il ne revint, avec son père et tous les siens, que pour un instant, en 1820, à l’époque de la révolution napolitaine. La proscription du moins ne lui fut pas inutile : il parcourut l’Europe et acquit ainsi ce merveilleux don des langues que personne, pas même le cardinal Mezzofanti, ne posséda à un plus haut degré. Les plus illustres amitiés ne lui manquèrent pas; à Weimar, il connut Goethe, avec qui il resta depuis en correspondance; à Florence, où les exilés trouvaient asile, il faisait partie de cette réunion célèbre de poètes et de savans où venaient assidûment Giordani, Leopardi, Niccolini, Tommaseo, et de temps à autre M. de Lamartine et Manzoni. Rendu enfin à sa patrie par les révolutions de 1848, il en partit bientôt avec le général Pepe pour courir à la défense de Venise. Il fut du petit nombre de ceux qui suivirent leur vénérable chef dans les murs de la ville assiégée, au lieu d’obéir aux ordres de la réaction triomphante qui les rappelait à Naples. Blessé à l’attaque de Mestre le 23 octobre 1848, il succomba à Venise le 3 novembre suivant. Savaient-ils, ceux qui pleuraient le patriote, qu’ils perdaient en même temps un poète? Venu après Berchet, après Giusti, après M. Rossetti, pour chanter les malheurs de l’Italie et l’appeler aux armes, privé par l’exil de ces admirateurs naturels que tout poète à son aurore trouve dans sa famille, dans ses amis, dans ses voisins, condamné à une publicité très restreinte par la prohibition rigoureuse dont ses vers furent l’objet dans toute l’étendue de la péninsule, le modeste Poerio ne put conquérir la renommée. Si l’on ajoute que le recueil de ses œuvres poétiques, publié pour la première fois en 1843, ne se compose que d’environ quarante petites pièces, on comprendra qu’à moins d’y voir autant de chefs-d’œuvre, l’Italie ne pouvait assigner à l’auteur une place très élevée parmi les poètes contemporains. Or Poerio se borne quelquefois à versifier l’histoire, comme dans son ode intitulée il Ferruccio, où il entreprend bien inutilement de refaire le récit de l’historien Varchi sur cette agonie épique de la liberté toscane; trop familier avec la littérature allemande, il devient obscur toutes les fois qu’il s’embarque dans les questions d’esthétique et de psychologie, dont ses compatriotes goûtent médiocrement les abstractions. S’il se distingue, c’est par cette qualité rare que les Italiens nomment affetto et dont le mot sentiment n’est qu’une traduction bien incomplète; il ne manque quelquefois ni de vigueur, ni même de grâce, comme l’attestent ses odes à Michel-Ange, à Canova, à Dante, à Henri Dandolo, et surtout son petit poème intitulé il Risorgimento, dont un de ses compatriotes disait avec quelque exagération qu’il n’est rien sorti de plus viril d’une plume italienne depuis Alfieri et Foscolo.

M. Térence Mamiani est peut-être redevable au rôle qu’il a joué dans les affaires de son pays d’une partie de sa renommée littéraire. Né dans les états du pape, il a de bonne heure consacré sa vie au culte des institutions libérales, et lorsqu’en 1848 elles obtinrent à Rome un triomphe momentané, il fut appelé l’un des premiers à les appliquer en qualité de ministre des affaires étrangères. Rentré dans la vie privée le jour où le pape, en se retirant à Gaëte, laissait le champ libre à la démocratie, il a retrouvé plus tard l’emploi de son dévouement sur cette généreuse terre du Piémont qui lui ouvrait les portes de son parlement. C’est dans les loisirs de l’exil, à la suite de l’insurrection de 1831, qu’il publia les poésies et les traités philosophiques qui lui ont fait un nom dans les lettres italiennes. Comme philosophe, si M. Mamiani n’est pas un novateur, quoiqu’il en ait les prétentions, il a su du moins revêtir sa pensée et celle des maîtres d’un langage heureusement poétique. Dans ses vers en revanche, la crainte de passer pour un de ceux qui alignent des mots sonores et vides de sens l’a conduit à faire un emploi peut-être trop fréquent des formules philosophiques. Ses hymnes, où il raconte en vers la vie de plusieurs saints, ressemblent quelque peu à des exercices de rhétorique. On se demande avec étonnement pourquoi M. Mamiani a cru devoir célébrer les louanges de sainte Gertrude, de l’ange Raphaël, qui rendit la vue au vieux Tobie avec du fiel de poisson, ou de sainte Sophie martyre, à propos d’un mariage et en guise d’épithalame. Les idylles laissent au lecteur une impression plus favorable, soit parce que les sujets en conviennent mieux à l’esprit moderne, soit parce qu’ils sont traités avec plus de grâce et de naturel. Cependant il faut encore faire quelques réserves, par exemple sur cette épigraphe ambitieuse :

…… Vestigia græca
Ausus deserere,


bientôt démentie par l’auteur lui-même, qui avoue, malgré ses prétentions novatrices, avoir imité les anciens, ensuite sur cette défiance persistante à l’égard des étrangers : « Ils ne me comprendront pas, dit M. Mamiani, car je ne parle ni de bûchers, ni de poison, ni de poignards, ni de sorcières, » comme si tout cet appareil était quelque part le matériel obligé de l’idylle. M. Mamiani a prétendu la rajeunir en peignant les mœurs modernes, et respecter la forme en changeant le fond. Ainsi André Chénier

Sur des pensers nouveaux faisait des vers antiques.


Il y a des genres littéraires qui sont en si parfaite harmonie avec le génie d’une époque, que le plus sûr moyen d’y réussir, si l’on veut absolument les remettre en honneur, c’est d’imiter sans fausse honte les maîtres qui en sont les plus parfaits modèles.

S’il est permis de regretter que la lyre de M. Mamiani n’ait guère qu’une seule corde, on ne pourra du moins refuser au poète le rare mérite de la langue la plus belle et la plus pure, de la plus heureuse expression poétique, relevée dans les idylles par une invention suffisante et souvent très gracieuse. Une des plus agréables de ces idylles est intitulée la Villetta. Un sylphe prenait ses ébats dans la campagne. Il aperçoit l’ange Ituriel, s’empresse de le rejoindre, et l’invite à se reposer auprès de lui. Les deux esprits, qui représentent la religion du passé et celle du présent, entrent en conversation amicale.


« Le SYLPHE. — Veux-tu, mon seigneur, prendre quelque repos sous ces ombrages ? Assieds-toi sur cette tendre mousse que je viens d’arracher brin par brin et de mêler à la molle verbasque. Assieds-toi, mon seigneur, assieds-toi, et laisse-moi voler ici près aux endroits où, riante et modeste, la douce népenthe ouvre dans l’herbe ses belles fleurs. Dans la fraîche rosée, je reviendrai laver tes pieds sacrés.

« L’ANGE. — Je ne demande pas de toi, aimable Oriel, de telles preuves d’amour. Si tu m’aimes du fond de ton cœur, ce que j’y lis confusément, si tu désires répondre à mes plus intimes sentimens et jouir de l’harmonie qui unit les âmes, abandonne, Oriel, les erreurs de l’enfance, oublie les vains plaisirs, et, guidé par mon regard, efforce-toi de revenir à Dieu.

« LE SYLPHE. — mon céleste ami, si mon âme se plaît ici-bas, si je voltige, si je folâtre, ce n’est pas sans d’honnêtes motifs. Tandis qu’à l’aventure j’erre sous ces ombrages, et que je cherche l’aimable repos dans cette maison, là-bas, y entrant tantôt enveloppé d’un beau rayon de lune, tantôt sous les ailes d’un timide papillon, au milieu des violettes cueillies, ou d’autre manière encore, je contemple les suaves aspects de la vertu, les chastes plaisirs des âmes innocentes, l’ardeur vive et pudique d’un amour bien placé, car ce spectacle est, je pense, digne du ciel, et j’y trouve de nobles enseignemens. De ce seuil, ô seigneur, n’approche point un infortuné, qu’il ne s’en retourne à moitié consolé. Là se trouvent une mère chargée d’ans et son fils, homme de bien ; au milieu d’eux, l’épouse aimée, tenant un enfant sur son sein, surveillant l’autre au berceau et reportant sur tous ceux qui l’entourent ses soins vigilans. Elle donne largement au pauvre, à celui-là surtout qui par pudeur ne demande pas. De sa main prévoyante, elle entretient au foyer chéri l’ordre, la propreté, l’abondance, et vers le mari qu’elle aime elle se tourne gracieuse, comme la rose vierge vers le soleil levant. »


L’ange sourit et cherche de l’œil la maison indiquée. Presque aussitôt il en voit sortir une pauvre fille, qui était venue mendier pour sa vieille mère malade. Elle a reçu quelque monnaie, discrètement enveloppée. Une fois hors de vue, elle déplie, elle regarde: c’est de l’or, de l’or en abondance. Elle s’agenouille et se répand en pieuses bénédictions. L’ange bénit ces honnêtes gens dans son cœur, leur souhaite les prospérités terrestres jusqu’à la troisième, jusqu’à la quatrième génération, et, renonçant à ses velléités de conversion, il s’enfuit aux cieux. Les détails sont charmans, et cette protestation en faveur de la dignité humaine contre l’excès de détachement prêché par le christianisme mérite qu’on y applaudisse.

L’idylle intitulée Rispetti (chanson d’amour) di un Trasteverino appartient au genre populaire et se fait remarquer en même temps par un tour original et un rhythme harmonieux. M. Mamiani y reproduit avec une vérité qui n’exclut pas la poésie l’une de ces romances que le paysan romain chante sous la fenêtre de sa maîtresse, et où les fleurs jouent un si grand rôle. Le lecteur jugera peut-être qu’il y en a trop, mais il ne doit pas oublier que dans les chants appelés à Rome stornelli (diminutif de ritournelle) la place même que doivent occuper ces répétitions singulières est fixée par la poétique du genre.


« À tes vitres se présente la lune, ô Crezia, pour admirer ton beau visage. Ah ! si j’avais le bonheur d’être un de ses rayons, c’est dans cette chambre que je découvrirais le paradis. Puissé-je me changer en l’un de ces petits plants de narcisse que tu tiens sur ta fenêtre, et que tu caresses de ce doux sourire (risolino) qui les parfume !

« Fleur de laitue, tu es si belle que tout l’or du monde ne te paierait pas. Je le dis, je le jure, fleur de pimprenelle, tu ressembles à une madone de San-Luca. À la surlana (danse populaire), tu bondis si légère, qu’on dirait d’un chevreau, fleur de roquette ! Je le dis, je le jure, fleur d’aubergine, tu es le soleil de la montagne.

« Fleur de froment, le jour que, du mont Testaccio, je te vis, ô ma belle, descendre à pas lents, et de ta main gauche élever le tambour de basque, les tresses pleines de grosses épingles d’argent, soudain, devenu froid comme glace et te regardant avec stupeur : Non, me suis-je écrié, non, dans Saint-Pierre je n’ai vu sculpté ni peint si beau visage.

« Fleur de jachère, mille muguets t’entourent et guettent leur proie ; le rocher n’a pas tant de jeunes merles, ni la villa Borghèse tant de citronniers. Mais ce qui me fait dormir mal la nuit, c’est une certaine tige qui court les églises. Fleur de foirole et fleur de ciste, je la ferai sauter en bas du Ponte Sisto.

« Mais, Crezia, je suis pour toi le chien qui aboie, car, cruelle, tu ne m’écoutes pas, tu fais la sourde oreille. Déjà je suis plus enroué qu’un geai ; déjà une corde est cassée à ma mandoline. Fleur de ceci et fleur de cela, je te nomme par centaines toutes les herbes que je me souviens d’avoir vues fleurir dans les prés ; mais tu n’entends pas ou ne veux pas entendre.

« Tu me fais grand tort, douce petite bouche, de mépriser mon amour, parce que je n’ai pas toujours un sequin à dépenser, parce mon métier est d’être rôtisseur. Tu ne remarques pas assez qu’un comte palatin, un milord anglais, un monsignore ne peuvent prendre avec moi le haut du pavé ; car mon sang, per Dio, est sang romain.

« Il est vrai, je suis rôtisseur à Sauf Andréa, mais je n’ai de compte ouvert chez personne ; si je suis pauvre, je suis honnête, et sais, quand il le faut, rester à jeun. Je n’ai point sur le dos les galons de la livrée ; je vis de mes sueurs, et je ne sers personne. Je ne suis ni palefrenier, ni maquignon, ni porte-queue, ni garde-portes.

« Ce n’est pas pour dire, mais les jours de fête, quand j’ai ma jaquette de velours, mon réseau garni de plumes, mes boucles d’argent et mes souliers pointus, Crezia, ce n’est pas pour dire, mais ainsi ajusté je ne crains pas d’être comparé à tous ces galantins. Et quand je passe : C’est lui, disent les filles, c’est lui qui est le coq.

« Trouve-moi quelqu’un qui vaille mieux que moi pour arrêter à la tête les chevaux barbes sur le Corso, pour renvoyer le ballon d’une main aussi sûre, pour faire rouler l’ours à terre quand il s’avance dressé sur ses pattes de derrière, et cela d’un seul coup, sans le secours de personne! As-tu jamais vu pied si agile pour danser toute la nuit le saltarello?

« En force et en courage, à nul chrétien je ne le cède ; malheur à qui me touche! Ils en savent quelque chose, messieurs les habits (païni) ! Mieux eût valu pour eux ne pas ouvrir la bouche. Le mont Testaccio le sait aussi, que j’ai du cœur! Et j’en donnai une fameuse preuve le jour que je tins tête à sept gendarmes et que j’en jetai quatre entre la porte et le mur.

« Je ne suis pas l’exemple de ces damoiseaux qui passent tout leur temps à se faire beaux; mais, dis-moi, Crezia, et ne va pas mentir pour redoubler contre mon cœur tes coups d’épingle et de marteau, dis-moi, bouche d’amour, où entends-tu mieux chanter les stornelli, faire plus longs les trilles, et plus sonores, quand tu m’inspires, ô doux trésor !

« Tu ne sais donc pas qu’à l’auberge du Pélican j’ai lutté d’improvisation avec Beppo! Les vers pleuvaient à la file; on aurait dit que je lisais dans un livre imprimé. J’ai chanté Scévola qui brûle sa main au feu, la belle Virginie, Lucrèce et sa grande douleur, et jusqu’aux oies du Capitole.

« Mais de ta fierté déraisonnable chaque jour me fait mieux voir la raison. Si je te parais affreux et haïssable, si je suis pour toi le plus laid museau du quartier, c’est que tu aimes le maussade Renzo. Renzo te plaît, ce grand vilain hypocrite qui dans les sacristies traîne ses sandales, sonne les cloches et vole les bouts de cierge.

« Oui, éternellement il tord le cou; on dirait, à le voir, un figuier par la pluie courbé ; il regarde en dessous, à droite et à gauche, et ne fait rien qu’en catimini. Dans les yeux, il a un faux reflet, comme le chrysocale ; en toute chose, il ressemble à un chat. Néanmoins tu lui lisses le poil et le caresses, tandis que tu me fuis et me méprises.

« Oh! cette mouche, je veux la chasser de mon nez, dût-il m’en arriver malheur; car, je le sens, le verre est plein jusqu’au bord. Que le diable se réjouisse si je me damne! Après tout, haies, fossés, précipices viendront en aide au pauvre bandit. Mais toi, Crezia, hélas! tu seras cause que ma tête sera mise à prix.

« Que sentira ton cœur, Crezia cruelle, quand tu verras les sbires suivre ma trace, ton fidèle revenir captif et enchaîné, le visage en sang; quand tu entendras le peuple furieux et plein de fiel crier après moi, comme au taureau blessé à la chasse : qu’il meure! qu’il meure! quand tu me verras enfin sous la main du bourreau ! »


M. Mamiani et le Trastevérin se soutiennent ici l’un l’autre. Pour trouver la véritable poésie, il faut descendre aujourd’hui dans ces classes populaires où les impressions ont encore toute leur force, toute leur fraîcheur. Malheureusement l’auteur des Rispetti revient bientôt à la poésie personnelle ou narrative. Je signalerai dans ce dernier genre une courte nouvelle indûment rangée parmi les idylles. Dans ce charmant poème intitulé una Madre et embelli, pour nos oreilles du moins, par la rime, que M. Mamiani délaisse d’ordinaire, mais sans laquelle un Français saisit avec peine l’harmonie du vers italien, une jeune fille trompée et devenue mère se trouve réduite à la plus extrême indigence. Pour éviter à son enfant les souffrances de la misère, elle le confie à l’hospice, bien résolue à le reprendre plus tard, si la fortune, ou du moins ce que, dans sa modeste ambition, elle appelle la fortune, vient à lui sourire; mais ses efforts sont vains : elle perd l’enfant de vue, et, privée même du pauvre bonheur de savoir ce qu’il est devenu, elle poursuit dans les larmes et le désespoir sa vie de misère. De bonne heure épuisée, elle sent la mort venir et appelle un prêtre; elle lui fait l’humble confession de ses fautes. Celui qui l’écoute n’est autre que ce fils, cause de tant de chagrins; elle le voit, l’embrasse et meurt en paix. Avec cette donnée si simple, M. Mamiani a composé une charmante nouvelle qui ne se distingue pas moins par l’élégance et la correction de la forme que par l’intérêt du récit et la sobriété de la conception. C’est par de telles productions que l’auteur de la Villetta mérite une place distinguée dans l’école classique contemporaine, et qu’il se distingue des purs formistes, si nombreux dans l’école de Foscolo et de Leopardi.

Nous devons aussi dire un mot d’une femme qui honore l’Italie par son caractère et par son talent. Depuis bien des années, Mme Ferrucci a consacré ses loisirs à la défense de toutes les nobles causes. Mère aussi dévouée que malheureuse, elle a fait beaucoup pour la grande et sainte entreprise de l’éducation des filles, plus négligée encore en Italie que partout ailleurs. Poète, elle s’attache à reproduire la forme pure et précise des maîtres dont elle s’est nourrie, sans renoncer à l’originalité de ses inspirations personnelles. Prend-elle la plume, c’est pour pleurer sur la défaite héroïque et sur l’exil des Polonais. D’autres fois elle célèbre, dans un Hymne au Soleil, les splendeurs et les bienfaits de ce rayon du paradis, comme elle l’appelle, qui porte à Dieu toutes les âmes, excepté celles des maudits, ou la mort elle-même, la mort, terreur des humains, mais véritable source de vie, et qu’elle compare, non sans justesse, aux entrailles putréfiées du taureau d’où s’échappent les abeilles. Mme Ferrucci se distingue par le sujet de ses chants et la vigueur de sa pensée non moins que par l’élégance et la pureté de ses vers. Muse élevée autant qu’honnête et consciencieuse, elle s’enferme, avec la modestie qui sied à la femme, à l’ombre du foyer domestique, et l’éloignement où elle se tient des coteries littéraires l’empêche seul d’avoir auprès de ses concitoyens une renommée plus retentissante.

Là ne s’arrêterait pas la liste des poètes ou plutôt des versificateurs italiens qui se rattachent à l’école classique. Toutefois, s’il fallait en juger par le nombre, les disciples de Leopardi ne sauraient lutter avec avantage contre leurs rivaux. On ne s’attache pas, en poésie, à suivre scrupuleusement la trace des plus parfaits modèles et à parler leur incomparable langue sans s’y être préparé par de fortes études dont peu de personnes ont le courage. Tous les esprits au contraire qui sentent en eux les bouillonnemens de l’imagination vont grossir la phalange, nécessairement plus nombreuse, de ceux qui demandent la renommée à leurs facultés naturelles plutôt qu’aux qualités acquises. On ne devra donc s’étonner ni de la place relativement considérable qu’occupent dans ce tableau les disciples de Manzoni, ni des réserves quelquefois sévères que nous devrons faire sur la portée de leur talent.


II.

L’un des premiers, dans l’ordre des temps, sinon par le génie, c’est le poète national Berchet. Célèbre dès l’apparition de ses premiers chants patriotiques, Berchet a survécu à sa gloire. En 1853, lorsqu’il a cessé de vivre, on s’est récrié, on le croyait mort depuis longtemps. Il y a toujours dans ces retours de l’opinion une part de justice : c’est à la critique de dire ce qu’ils ont de légitime et d’exagéré. A sa naissance, Berchet n’avait reçu de la nature que cette somme de poésie qu’elle ne refuse à personne en Italie; c’est la générosité de son cœur, c’est le sentiment des maux de sa patrie, c’est la haine de l’étranger qui l’inspira. S’il n’écrivait qu’en vue d’un succès immédiat, il ne pouvait prendre une voie plus directe pour l’atteindre. En applaudissant à ses vers patriotiques, on remarquait à peine ou du moins on n’osait dire tout haut que la forme en était prosaïque, négligée, incorrecte, et que la pensée manquait d’élévation. La poésie, quand elle se fait acte, échappe, dans une certaine mesure et pour un temps, à la juridiction du goût. Berchet cependant n’est point indigne d’une sérieuse attention. Prosaïque et incorrect, il ne manque, à ses heures, ni de couleur ni d’énergie; sa simplicité est de bon goût, ses sentimens, quelquefois mélancoliques, sont toujours naturels et généreux. On est ému en le lisant; on aime à sentir et à penser comme lui. L’un de ses meilleurs et de ses plus considérables poèmes est le chant de Parga (I Profughi di Parga). Le succès en fut assez grand à son apparition pour tenter plus d’un traducteur français. Aujourd’hui notre sensibilité, blasée par des catastrophes plus lamentables, s’éveillerait à peine au récit des malheurs obscurs d’une bourgade de Thessalie livrée aux Turcs en 1819 par les Anglais, dont elle avait imploré le secours. La mode était alors à la Grèce. Soumis comme les Grecs au joug étranger, les Italiens s’associèrent sans peine à la douleur des Parguinotes : de là l’émotion dont la trilogie de Berchet est empreinte et l’enthousiasme vraiment national qui l’accueillit.

Malgré l’importance du chant de Parga dans l’œuvre de Berchet, ses romances ont peut-être contribué davantage à populariser son nom, parce qu’il y défend directement, et non plus par allusions, la cause nationale. On ne saurait lui reprocher la forme légère dont il a fait choix pour exprimer sa pensée, car il a certainement donné ses titres de noblesse à la romance. Il excelle, c’est Là son originalité, à peindre les misères politiques de la vie italienne. Dans la romance intitulée Giulia, il décrit la douleur d’une mère qui voit l’un de ses fils obligé de servir sous les drapeaux autrichiens, tandis que l’autre, exilé, mais ramené plus tard dans les plaines lombardes par une nouvelle lutte, sera réduit à combattre un frère qui pense comme lui. Le Remords et Mathilde nous rappellent un fait douloureux, bien connu de tous ceux qui ont été introduits dans la société italienne, et qui caractérise, mieux que ne le feraient de longs discours, la situation exceptionnelle de ce malheureux pays. Une femme belle et jeune, assise dans un salon, voit le vide se faire autour d’elle. Son fils, gracieux enfant, est à ses côtés : la gentillesse de son âge ne conjure pas l’espèce de proscription dont sa mère et lui semblent frappés. Est-ce donc une femme perdue? Non, c’est l’épouse d’un officier autrichien, a Au théâtre, dit le poète, dans les rues et jusque sous les voûtes de l’église, un peuple qu’on emprisonne et qu’on torture laisse échapper cette parole : — Maudite soit celle qui a enivré l’Allemand de ses caresses! Qu’elle paie cher, l’imprudente! l’oubli fatal où, à l’heure du mariage, elle a laissé les maux de l’Italie! Son fils aura-t-il une patrie, et elle-même, si ses compatriotes secouent le joug, ne sera-t-elle pas condamnée à partir pour l’exil? » La romance de Mathilde nous présente la face opposée du même sujet. Ici c’est la jeune fille qui est patriote : elle remarque tout, elle n’oublie rien, et conjure son père de ne pas la fiancer au fils de l’étranger.


« Le front enflammé, les yeux hagards, les joues couvertes d’une anxieuse pâleur,

« Épouvantée par des songes mensongers, Mathilde se lève, s’interroge, se reprend à la vie, et conjure les fantômes qui l’étreignent encore.

« Cessez ces chants, ne l’appelez pas mon fiancé. — Mon père, ne me donne pas à l’étranger !

«Sur le visage de cet être odieux, dans son rude langage, vois son empressement honteux à la servitude, la lâcheté enfin et la vanité folle du guerrier autrichien.

« Rappelle-toi qui il est, rappelle-toi l’Italie et nos douleurs! Ne mêle pas le sang de l’opprimé avec celui de l’oppresseur!

« Entre esclaves et tyrans, point d’autre pacte que la colère ! Ces perfides ont forcé à se nourrir de haine jusqu’à l’âme des vierges, créée pour l’amour !

« Et, les cheveux épars, étendue sur son lit, elle fond en larmes, comme ayant perdu toute espérance.

« Serrant sur sa poitrine ses bras tremblans, elle gémit sur un hymen dont personne ne la menace, elle s’effraie de colères que Dieu ne lui envoie pas.

« Infortunée ! L’autel, l’anneau ont disparu, mais elle a toujours devant les yeux ce vilain museau.

« Il est vêtu de blanc, il a le myrte au cimier ; sur les côtés se déroulent le jaune et le noir, couleurs exécrables pour un cœur italien. »


On voit qu’en fait de patriotisme les femmes, chez Berchet, ne le cèdent point aux hommes. L’excès du malheur national ne permet pas en Italie, même au sexe faible, cette sorte d’indifférence dédaigneuse dont chez nous il se pare comme d’une vertu. Berchet comprenait en effet que, la femme étant chargée d’élever l’homme, si elle le nourrissait dès son enfance dans les sentimens du plus pur patriotisme, l’Italie ne resterait pas longtemps esclave. Il soutenait cette noble cause avec une ferveur de conviction qui est la véritable source de son éloquence, et faisait remplir aux femmes ou plutôt à la femme, — car il n’y en a qu’une, toujours la même, dans ses poésies, — un personnage qu’elles n’ont pas accoutumé de jouer. Sans exagérer l’importance de ces poésies fugitives, on peut en aimer la facilité négligée, et croire que les sentimens généreux qui y éclatent à chaque vers ont produit sur les compatriotes de l’auteur le même effet que la goutte d’eau sur le rocher qu’elle creuse à la longue. Berchet est le Béranger de l’Italie, comme Goldoni en est le Molière[2]. Il a eu, comme le poète français, son heure ; il a su conquérir sa place dans la littérature de son. temps. Si la postérité oublie ses vers, son nom du moins ne périra pas, tant qu’il y aura des Italiens jaloux de leur indépendance et de leur liberté.

Thomas Grossi, le disciple bien-aimé de Manzoni, ne peut au contraire que gagner à l’apaisement des luttes politiques. Elevé par son oncle, modeste curé de village en Lombardie, exclu des carrières, civiles en. punition d’une satire dont nous reparlerons, Grossi n’oublia jamais ni les leçons de son enfance ni celles que lui donnait le gouvernement autrichien. Il se tint à l’écart, et s’il fit des vers désormais inoffensifs, ce ne fut que pour occuper ses loisirs forcés et obéir aux fantaisies de son imagination. À la mort de l’empereur François, il acheta une charge de notaire, se maria, et dit adieu pour toujours à la poésie. Les espérances éphémères de 1848 ne le tirèrent même pas de sa léthargie; il ne prit de part aux événemens que pour rédiger, parce qu’il en était requis, l’acte d’union de la Lombardie et du Piémont. Ame faible et incapable de lutter contre le pouvoir et contre la critique, Grossi était pourtant né poète. Si sa pensée manque d’énergie, elle est pleine de grâce, de naturel, de sentiment, et son style atteint à une rare perfection. Peu connu et mal apprécié en France, parce que la traduction est impuissante à reproduire ses plus brillantes qualités, Grossi passe avec raison dans la péninsule pour un maître en l’art d’écrire. Il a d’ailleurs un titre qui suffit à sa gloire, l’introduction en Italie de la nouvelle en vers, ce raccourci d’épopée, tout ce qu’il est possible d’en conserver aujourd’hui.

Le véritable chef-d’œuvre de Grossi, la Prinéide, n’appartient qu’à moitié à la littérature italienne, car cette admirable satire est écrite dans le dialecte milanais. Stendhal ne craint pas de la déclarer supérieure à toutes celles que les littératures européennes ont produites depuis un siècle. Voici à quelle occasion Grossi composa ce remarquable poème. Napoléon venait de succomber à Waterloo; les libéraux lombards, oublieux des bienfaits de l’administration française, se tournaient vers la maison d’Autriche, dans le fol espoir d’en obtenir plus de libertés, et lui demandaient un archiduc pour remplacer le prince Eugène. Dans le feu de cette réaction, l’infortuné Prina, ministre des finances du royaume de la Haute-Italie, servit de victime expiatoire. Prina, le plus habile des administrateurs italiens, n’avait d’autre titre à l’impopularité que d’avoir su remplir les caisses du trésor. Il fut impitoyablement massacré par ceux qui auraient dû le défendre, et tel fut le gage donné à l’empereur François. C’est au moment où les folles illusions des patriotes commençaient à se dissiper que Grossi, qui peut-être ne les avait jamais partagées, prit la plume avec un courage dont il n’a donné que cet exemple en sa vie. Il suppose qu’une ombre apparaît en songe à l’un de ces Milanais de la classe inférieure dont on a fait un type populaire de superstition puérile, de naïve malice, de spirituelle lâcheté, la personnification ou plutôt la caricature du caractère lombard, quelque chose comme John Bull en Angleterre ou Jacques Bonhomme en France. Sur Rocch (M. Roch), c’est ainsi que le poète l’appelle, raconte lui-même une vision qui lui est apparue. Il décrit avec une vérité effrayante l’ombre de Prina qui s’est offerte à ses yeux :


« Mon doux Seigneur! comme on l’avait. accommodé! Une pierre même en aurait eu compassion. Sa bouche était sans dents, ensanglantée, les lèvres arrachées et pendantes, les narines déchirées, les yeux hors de la tête, le visage écrasé, le col à moitié détaché, les bras cassés, la poitrine couverte de contusions.

« On voyait les cheveux pêle-mêle descendre souillés le long de la figure, couverts de sang, de fange et de crachats; ils s’embarrassaient dans la bouche et s’enroulaient autour de quelque dent décharnée qui y restait.

« J’étais hors de moi, au point que je ne savais pas si je dormais ou si j’étais éveillé; je demeurais là, et j’avais peine à respirer. L’ombre s’essayait à lever les bras, mais sans pouvoir y réussir,

« Car, chaque fois qu’elle voulait les soulever, comme ils étaient cassés tous les deux, lorsqu’elle essayait de les étendre, au beau milieu de l’opération ces bras perdaient l’équilibre, et tandis qu’une partie demeurait raidie, tout le reste retombait.

« Après avoir recommencé plusieurs fois, l’ombre vit qu’elle ne pouvait réussir, et, de fureur secouant la tête, elle rejeta ses cheveux en arrière. Alors, son visage se rassérénant un peu, elle m’adressa la parole en ces termes :

« Qu’est-il advenu des Milanais depuis le 20 avril 1814 jusqu’à ce jour? — À ces mots, un éclair de lumière me traverse l’esprit. Ne serait-ce pas?... Je fixe mes yeux sur ce visage... Jour de Dieu! c’est bien vraiment l’ombre du ministre Prina!

« Ah! excellence, vous pouvez m’en croire... Moi, voyez-vous, je n’y fus pour rien;... même je pris la fuite... — Lui alors : Ce n’est pas cela, dit-il, que je t’ai demandé. Je demande ce qu’a gagné Milan à me tuer comme on ferait un chien.

« — Illustrissime, lui répondis-je, puisse ce mauvais quart d’heure dont vous parlez vous avoir valu le paradis! Quant à nous, nous n’y avons gagné que de donner de l’air à Saint-Fidèle[3]. — Comment! dit-il, et l’indépendance donc? — Et moi : Chut! on vous mettrait en prison, excellence! »


Après le drame horrible, la satire amère. Nous sommes maintenant dans le ton du morceau. Sur Rocch expose alors naïvement à Prina l’état fâcheux où se trouve Milan; il lui apprend que « ces Patatoucch, — c’est le nom qu’on donne vulgairement aux Autrichiens en Lombardie, — ne pouvant se faire entendre avec leurs zurück, se sont mis à parler avec le bâton. Cette langue-là, ils la savent de pratique et sans avoir besoin de grammaire. On meurt de faim à Milan. Cependant le conseil aulique délibère à Vienne pour savoir s’il sera permis de manger; mais comme il n’agit qu’avec flegme et réflexion, il nous met, en attendant, un os à la bouche, pour nous faire prendre patience; il nous prêche la religion, fort bonne chose, en vérité, quand on a le ventre plein. Le mérite roturier, on le dédaigne; pour avoir de la valeur, ce n’est pas du talent qu’il faut, mais d’imbéciles aïeux.» Prina écoutait, et « de contentement se fondait en jus de réglisse. » Sur Rocch continue : « Ces pilules, dit-il, nous les avalons pour l’amour de notre petit François[4], car il est Italien. Sa femme elle-même n’est-elle pas née à l’ombre du Dôme? Nous sommes bons pour lui, et il est bon pour nous; nous sommes incapables de lui faire du mal, et il est incapable de nous faire du bien. Enfin il est si bon que la vérité a failli parvenir jusqu’à lui. — Tous ces bavardages, interrompt Prina, n’aboutissent à rien. Enfin qu’a-t-il fait? — Jusqu’à présent, répond sur Rocch,... vraiment... oui,... jusqu’à présent il n’a pas encore commencé; mais on dit... A la fin des fins, notre petit François est le roi des honnêtes gens. — Le roi des honnêtes gens! réplique aussitôt Prina. Et moi alors, que signifie l’état où je suis? » — Ici de singulières excuses de sur Rocch pour ses compatriotes. Le tout se termine par une injure intraduisible que Prina adresse à l’empereur. Sur Rocch, effrayé, ne lui laisse pas achever le mot compromettant; « mais, ajoute-t-il avec sa naïveté malicieuse, l’écho s’était chargé de faire entendre la syllabe qui manquait. »

Stendhal avait peut-être raison de dire qu’il n’y a rien dans Crabbe ni dans Byron d’aussi énergique que la Vision de Prina; il a tort seulement de croire que Grossi était redevable à Dante de ce chef-d’œuvre populaire. Si Grossi avait lu Dante comme tout le monde, il ne s’était pas formé à si forte école. Il puisa cette verve incisive, cette vigueur accidentelle dans le souvenir de faits propres à frapper vivement l’imagination, et dont le temps n’avait pas encore amoindri l’horreur; l’originalité, la puissance de l’expression, vinrent de ce que les mœurs et la langue du Milanais lui permettaient d’employer le mot propre et d’éviter la débilitante périphrase. Malheureusement cette inspiration fut unique en sa vie. L’âme de Grossi n’était pas de celles dont la persécution augmente l’énergie. Héritière de l’épopée, la nouvelle en vers, qu’il aborda dès ce moment, n’en peut observer les grandes divisions et les règles traditionnelles : un court récit ne se prête pas à tant de mise en scène. Il ne reste que le tour poétique, si difficile à trouver en parlant de petites choses. Voilà donc le double écueil : ou l’emploi inopportun des machines épiques dans un sujet modeste, ou les allures prosaïques du roman dans un cadre poétique.

Le poème de la Fugitive servit à Grossi de transition : c’est une nouvelle écrite dans le dialecte milanais. Grossi possède admirablement cet idiome; il ne connaît à cet égard d’autre rival que le célèbre Porta. Plus tard il donna une version italienne de son romanesque récit : cette version servit à le propager dans toute la péninsule, elle ne fit pas oublier le texte original. Ildegonde, qui suivit de près, mit le sceau à la réputation de l’auteur : il abandonnait enfin le dialecte milanais, et pouvait déjà passer pour un maître : il y avait longtemps qu’on n’écrivait plus en vers dans un style si simple, si facile, si harmonieux. C’est en effet par l’expression toujours juste et sobre, élégante et vraie, qu’Ildegonde commande surtout l’attention. Les Lombards à la première croisade obtinrent moins de succès. Ce poème, trop vanté à l’avance, — Manzoni lui-même lui avait accordé une mention dans les Fiancés, — fut jugé, à son apparition, fort inférieur à ce qu’on attendait. Trompés par le titre et l’étendue de l’ouvrage, les Italiens y voulurent voir un poème épique, et convaincus qu’après le Tasse l’épopée de la première croisade n’était plus à refaire, ils l’accueillirent avec une sévérité excessive. Grossi n’avait voulu écrire qu’un roman historique en vers, ou plus simplement un épisode. Lombard, il voulait faire la part de ses compatriotes dans la première croisade. Son erreur fut de croire que leur rôle, un peu effacé dans ce grand drame, se prêtait à une heureuse alliance de la poésie sans merveilleux et de l’histoire sans altération grave, et qu’on pouvait suivre la même route que le Tasse sans encourir le reproche de plagiat, ou du moins sans provoquer de dangereuses comparaisons. Avec plus d’impartialité, les Italiens lui auraient su gré de ses progrès évidens dans l’art du style; ils auraient tenu compte des descriptions si pittoresques et si variées, des analyses de sentiment si fines et si délicates, du pathétique enfin de certaines situations.

Découragé par les rigueurs de la critique, Grossi s’enferma dans un silence absolu, résigné de très bonne foi à ne plus se croire poète. Si, huit ans plus tard (1834), il donna signe de vie, ce fut par un roman en prose, Marco Visconti, dont il a été question ici même, à propos des romanciers italiens[5]. Le succès de ce récit lui rendit le courage : en 1837, il revenait aux vers, sa langue favorite, et publiait une dernière nouvelle, Ulrico e Lida. Ce poème, le meilleur qui soit sorti de sa plume après la Prinéide, passa presque inaperçu. On le regarda comme inférieur à Ildegonde et à la Fugitive. Nous ne pouvons vraiment partager sur ce point l’opinion du public italien. Il faut écarter tout d’abord la Fugitive, qui appartient à la littérature provinciale et au dialecte du Milanais. Reste donc Ildegonde, où les incidens sont à la fois moins nombreux, moins variés, moins imprévus, moins attachans. A des aventures, de couvent, à des traîtres de mélodrame, à de vulgaires enlèvemens, comment ne pas préférer de vraies et naturelles passions; que produit dans Ulrico e Lida, par la seule force des choses, une guerre presque civile entre des voisins et pour ainsi dire entre des frères? Mieux, inventée, la fable est aussi mieux conduite, les proportions y sont mieux: gardées, et les personnages, sinon tracés d’un crayon vigoureux, du moins dessinés avec plus de finesse et d’originalité. Ce qui explique l’accueil fait à cette touchante nouvelle, c’est l’époque même où elle paraissait. Alors déjà commençait pour l’Italie cette agitation politique qui l’absorbait tout entière, et dont elle ne voulait pas être distraite. Or, si le sujet d’Ulrico e Lida est emprunté à l’histoire nationale, le poète n’y cherchait aucune leçon patriotique, et si, à son insu, il en ressortait une, c’était l’horreur des discordes, des féroces tueries, de la tyrannie insupportable des communes italiennes au moyen âge. Pouvaient-ils. applaudir à cet affreux tableau des républiques, ceux qui souffraient de la monarchie, ou qui du moins lui imputaient tous leurs maux?

Si Grossi a le sentiment de la réalité pour une époque, pour un ensemble de faits, il ne sait pas voir les petits détails dont se composent les grandes choses. Il fait voyager ses personnages sans raison ou plutôt contre la raison, il reproduit à plusieurs reprises dans le même ouvrage les mêmes incidens. Son style dans Ulrico e Lida a plus de couleur, de variété et de mouvement que dans ses autres, poèmes, mais il manque encore d’élévation. Grossi reste attaché à la terre, où pourtant il se trouve mal à l’aise. On ne saurait dire quelle moralité ressort de ses écrits. Ce n’est pas le triomphe de la vertu : il nous la montre malheureuse, persécutée, succombant à la fin. Ce n’est pas le triomphe du crime : il démasque et punit les criminels. Ce n’est pas l’enseignement religieux : croyant, mais apathique, il laisse la foi faire son chemin d’elle-même. Ce n’est pas enfin l’enseignement politique : la vie de Grossi découragerait à cet égard les plus bienveillantes hypothèses. De là un ensemble d’œuvres où l’unité manque, où n’apparaît aucune intention sérieuse, mais dont quelques-unes vivront par le charme de la forme, et qui indiquent une âme sensible, une délicate nature d’artiste, à défaut d’un esprit vraiment élevé.

Depuis la mort de Grossi, M. Tommaseo et M. Prati soutiennent presque seuls parmi les vivans l’honneur de l’école. Romancier, publiciste, philologue, poète, M. Tommaseo a également réussi dans tous les genres, quoiqu’il n’ait peut-être pris la première place dans aucun, faute de s’y être entièrement consacré. Il a fait des vers parce qu’en Italie tout le monde en fait, et il les a faits beaux, parce qu’il était trop bien doué pour transporter la prose dans sa poésie, quand il mettait tant de poésie dans sa prose. S’il est dépourvu de vigueur, il possède au suprême degré la souplesse, la grâce, le sentiment, la passion et, pour nous en tenir à des mérites où la langue est plus intéressée, la correction et la pureté. M. Tommaseo est incontestablement le meilleur écrivain qu’ait produit l’école de Manzoni, et il est redevable de cette supériorité à de consciencieuses études. En 1832, il s’était retiré sur la montagne de Pistoia, en Toscane, pour n’avoir plus commerce pendant un temps qu’avec ces admirables paysans qui parlent encore au XIXe siècle la langue du XVe celle de l’Arioste et du Tasse, de Machiavel et de Davanzati. Là il recueillit de la bouche de ces hommes primitifs les chants populaires qu’ils se transmettaient de père en fils. Sans parler de l’intérêt qui s’attache à la publication dont ces chants furent plus tard l’objet, on comprend tout ce que M. Tommaseo dut gagner personnellement à un pareil labeur. Sa prose et ses vers fussent-ils, par rapport à la pensée, destinés à vieillir, ils resteraient vraisemblablement comme des modèles de l’art d’écrire à notre époque. Qu’importe donc au fond le plus ou moins de valeur de quelques pièces fugitives? Elles ne sont en quelque sorte qu’un délassement pour l’esprit cultivé de l’auteur. Citons, entre autres morceaux d’un rare mérite, quelques strophes de l’ode sur l’Univers, empreintes du sentiment le plus vif de la majesté du monde, où rien ne périt, où la vie naît de la mort :


« De quelle planète, de quelle source secrète, par combien de détours jaillit, bondit et se brise le rayon qui, sous une paupière humaine, sourit ou pleure?

« Et la chaleur qui émane de deux âmes unies dans un douloureux et pieux embrassement, combien de fois ne s’est-elle pas répandue dans les airs! En combien d’existences elle a paru et s’est évanouie!

« Une même matière diversement façonnée vous a produits, zéphyrs, et vous aussi, ruisseaux! D’un même amour naît votre vie, fleurs et oiseaux!

« Tout est vivant. Ce qui semble mort au monde n’est qu’une erreur de nos débiles yeux. Un esprit serein, profond, immuable, répand ses germes

« Dans l’orbite des sphères ardentes; il les jette dans la paix des tombes obscures. Rien n’est vil, tout est puissant, tout est pur.

« L’onde jaunâtre de l’étang devient un blanc manteau de neige; le fumier immonde, une gracieuse fleur. C’est la poussière, ô femme, qui fait de tes joues le beau printemps.

« Peut-être ce souffle qui caresse doucement les feuilles flétries et passe sur moi a-t-il ravi quelques-uns des germes qui ont été la dépouille mortelle de mon père.

« La brise de nuit porte à l’exilé qui mendie les soupirs que sa sainte mère, sa maîtresse ou son fidèle ami lui envoient. « Dans l’air se confondent, comme en un immense concert, les chants de ceux qui espèrent et les lamentations des affligés.

« Le souffle de ceux qui haïssent ou qui aiment, les cris des esclaves et des tyrans, qui s’élèvent emportés ensemble sur les retentissantes ailes des vents.

« Répandront une harmonie de pleurs et de mystère dans les âges lointains, et feront sortir l’amour de la haine, la vérité de Terreur.

« Les deux essences se pénètrent; plus elles se mêlent, plus elles se renouvellent, comme le cygne, qui, lorsqu’il plonge, reparaît plus blanc que l’eau.

« Dans la vie de mon fragile corps se cachent les existences par centaines, et pour d’autres esprits peut-être ma dépouille mortelle servira d’enveloppe et d’organes.

« Tout instant contient un nombre infini d’années, tout espace est l’univers entier. L’obscurité est lumière, et l’humilité hauteur; tout est mystère. »


Les ouvrages de M. Prati ont été ici même l’objet d’une judicieuse appréciation[6]. Quoiqu’il relève de Manzoni, M. Prati est au premier rang des formistes, en ce sens qu’il s’enivre uniquement de mots et de sons. Toutefois, si j’affirme qu’il ne prend pas la peine de penser, je ne veux pas dire que ses prétentions soient modestes, et que M. Prati ne croie pas être un profond penseur. L’encens que toute une jeunesse enthousiaste lui a prodigué a fini par lui troubler le cerveau. Il s’est cru le premier poète de son temps et appelé aux plus hautes destinées. « Byron, Goethe, Chateaubriand, dit-il dans la préface de Rodolfo, m’ont précédé dans le soin de revêtir de couleurs ce sujet, qui renferme une des plus hautes réalités de la vie humaine; mais leur système philosophique est différent du mien, ainsi que leur tut, leurs moyens et la forme qu’ils donnent à l’art. Inutile de parler du génie, parce que sur ce point je ne dois avancer aucun mot ni modeste, ni audacieux : chacun a le sien. »

Ainsi, nous voilà bien avertis, M. Prati a un système philosophique : ce système, on l’a déjà indiqué, c’est la lutte que se livrent dans le cœur et l’intelligence de l’homme le génie du bien et le génie du mal. Dieu et le diable, la grâce et la fatalité. Ce que nous faisons de bien, c’est Dieu qui le fait en nous; ce que nous faisons de mal, c’est Satan qui en est responsable. Les jeunes filles ne peuvent se défendre des tentations du mauvais esprit que grâce au latin de quelque moine (al latino d’un zoccolante), et l’unique, l’éternel spectacle qui nous est offert, c’est Satan au pied fourchu se jetant sur sa proie, que lui dispute un moine, un ange ou Dieu lui-même. Le poète n’a pas songé à se demander si la liberté humaine ne payait pas les frais de ce système. M. Prati ne comprend pas mieux la société que l’homme. Il n’y voit pendant la jeunesse qu’une course effrénée vers l’amour, expiée pendant la vieillesse par la pénitence et la dévotion. Ce qui est plus grave, c’est qu’il n’a que de fausses notions sur le beau et sur l’idéal. « Le beau, dit-il, c’est ce qui plaît au plus grand nombre d’hommes pendant la plus longue durée possible. » Un critique italien a fait spirituellement remarquer qu’à ce compte la tour de la Chine est plus belle que le Panthéon, et que pour savoir définitivement ce qui est beau, il nous faudrait attendre le jour de la réunion suprême dans la vallée de Josaphat.

M. Prati rêve, dit-on, de faire l’épopée de Dieu et de l’humanité. Ce sera chose facile, si, comme il semble le croire, l’histoire de tous les hommes est identique. Il n’a jamais vu sur la terre, il n’a jamais su imaginer que les aventures banales d’une femme coupable qui se retire dans un couvent ou meurt de désespoir, d’un séducteur qui continue de courir le monde, triomphant et honoré, d’un mari honnête et délaissé qui ne trouve dans son malheur aucune consolation. Le Comte Riga, dernier né de M. Prati, c’est le sujet retourné de Rodolfo, l’un de ses précédens poèmes, et le sujet de Rodolfo se trouve déjà ébauché dans l’une de ses Promenades solitaires. Ici ce sont deux sœurs qui aiment le même homme, là deux frères qui aiment la même femme, et cette similitude se retrouve jusque dans les moindres incidens. Pour le poète, la femme est invariablement faible et aimante, l’homme pervers et séducteur, partagé entre la satiété, le désir et le remords. Il n’y a dans le monde que des René et des Werther. On est effrayé de voir avec quelle aisance M. Prati se meut dans le faux. Pour atteindre à la magnificence de l’expression, il ne sait que l’exagérer et multiplier les images, presque toutes empruntées à l’ordre matériel. Il n’a pas le sentiment de la vraie grandeur, qu’il croit incompatible avec le naturel et le simple. C’est pourquoi il est éternellement question dans ses vers des horreurs et des mystères de la nature. Alors même que tout paraît calme dans l’atmosphère où vivent ses personnages, il ne parle que de tempêtes, de tonnerre, d’éclairs ou d’abîmes. Les femmes sont des formes surprenantes et inconnues de chérubins; leurs craintes sont étranges et obscures, leurs palpitations atroces et leurs fascinations secrètes, sans compter que leur cœur n’est qu’ombre et mystère. Les hommes sortent de l’enfer, ils cherchent des cavernes inconnues, de sauvages horizons. Monotone et outré dans le choix de ses procédés, M. Prati est-il plus heureux dans la forme? Il accouple sans doute les mots avec assez d’habileté pour qu’ils flattent l’oreille, mais il sacrifie tout pour atteindre ce but. Voici des vers qu’il adresse à un petit nuage :


«Entouré d’une bande noire ou couleur de rose, tantôt content de toi-même et tantôt affligé, mais par bonheur pour toi toujours dans un voile de silence et seul, tu parcours ton vieux ciel, blanc petit nuage!

« Et si jamais ici-bas les pleurs ou les rires te suivent, tu n’en sais rien, tu passes, sans changer de visage, sinon quand les rayons de Phébus t’envahissent et te parent de bandes d’or, ou quand tu t’évapores en perles de rosée, errant petit nuage !

« Et personne par toi ne peut se dire misérable ni heureux, errante petite vierge d’un monde fantastique ; sinon peut-être que quelques-uns pleurent et se désolent, à qui il est cruel de ne pouvoir mourir comme tu meurs, charmant petit nuage!

« Dans les sphères voûtées, tu meurs, comme tu es né, sans être aperçu. Ainsi puissé-je, moi aussi, goûter comme toi, vivant, l’obscurité, et mort, l’oubli, heureux petit nuage! »


Le lecteur se fera-t-il une idée nette de la pensée du poète? Ce qui s’y révèle le plus clairement, c’est que M. Prati en est encore en 1857 aux désespoirs byroniens, aux aspirations sans motifs vers la mort des génies incompris. Voici encore quelques vers dont le tour est peut-être plus heureux, quoique la pensée n’en soit pas moins obscure. Le titre dévoile bien le goût particulier à M. Prati : le Petit Oiseau mystérieux et le Poète.


« Petit oiseau, si tu veux me fuir et quitter ta cage peinte, petit oiseau, tu dois me dire quel présent tu emportes au loin.

« — Sur la terre désolée, j’emporte avec moi la fleur d’amour.

« — Petit oiseau, c’est un triste présent que tu emportes parmi les vivans! Ne me refuse pas ton pardon, si je ne puis t’ouvrir la cage !

« Cette belle fleur a empoisonné trop de sang innocent!

« Petit oiseau, si tu veux me fuir et chanter ta victoire, petit oiseau, tu dois me dire le présent qu’avec toi tu veux emporter.

« — Jardinier, c’est la fleur de gloire que je veux porter aux Alpes et à la mer!

« — Petit oiseau, c’est un présent superbe que tu ferais à ce beau pays; mais toujours le terrain fut peu favorable, tant à la fleur qu’au jardinier.

« Ne te plains pas de mon impolitesse, si je te retiens prisonnier;

« Petit oiseau, si tu veux me fuir et t’arracher au lâche repos, petit oiseau, tu dois me dire quel présent avec toi sortira.

« — Sur la terre des esclaves, je porte la fleur de liberté!

« — Petit oiseau, c’est un gracieux présent que tu veux offrir à l’homme; mais c’est l’antique usage de l’homme d’immoler qui lui apporte un présent.

« Donateur qui ne comprends rien, mieux vaut pour toi ma prison.

« Petit oiseau, si tu veux me fuir, si tu es résolu à changer de sort, petit oiseau, tu dois me dire si tu gardes une plus belle fleur.

« — Je garde avec moi la fleur de mort, qu’on appelle fleur du ciel.

« — Voici tes liens brisés, quitte tes barreaux et prends ton vol; porte, porte où il te plaît, petit oiseau, tes désirs. « La fleur de mort est le plus beau présent qu’à l’homme tu puisses offrir. »


Il est clair que M. Prati souhaite la mort, au moins par figure de rhétorique. A quoi bon ce scepticisme et ce dégoût des grandes choses? De tels sentimens sont-ils sincères ou de convention? Je ne crois pas volontiers au désespoir pratique de l’homme, mais j’imagine que le poète, quoiqu’il ne veuille avouer ni Goethe ni Chateaubriand pour maîtres, ne voit rien au monde de plus poétique que les malédictions et les anathèmes, comme si la poésie primitive n’avait pas été avant tout une œuvre de foi. Dieu veuille que M. Prati comprenne ces critiques, car il doit nous être permis en somme de ne pas désespérer de l’avenir d’un poète jeune encore, et dont les débuts, appréciés ici même avec une légitime sympathie, ont porté si haut le nom.


III.

En même temps qu’elle assiste au déclin des anciennes écoles, l’Italie du nord voit heureusement se former de nouveaux poètes et commencer une période de transition qui compte déjà des représentans distingués. Le premier poète militant dont s’honore aujourd’hui l’Italie, celui dont le talent et les tendances semblent le mieux caractériser la nouvelle phase où elle est entrée, est encore un Lombard de Vérone, M. Aleardo Aleardi. Poète à l’âme tendre et mélancolique, M. Aleardi puise néanmoins son inspiration dans des sujets nationaux, condition nécessaire pour obtenir quelque succès chez nos voisins. En 1849, quoique bien jeune encore, — il avait, je crois, vingt-trois ans, — il fut jeté en prison, et sa sœur, avec une prudence toute féminine, brûla ses papiers, c’est-à-dire ses poésies inédites. Faute d’avoir trouvé trois lignes de son écriture, la police le rendit à la liberté et à ses travaux, sans que ces persécutions aient pu aigrir sa muse et lui dicter de haineux accens. M. Aleardi se rapproche de MM. Marchetti et Mamiani, quoiqu’il soit plus nourri et plus vigoureux que le premier, et infiniment moins porté que le second aux spéculations métaphysiques. Il serait souverainement injuste de le confondre avec les vulgaires versificateurs qui l’entourent. Les Italiens accordent à M. Aleardi, avec un peu de complaisance peut-être, la grandeur de la pensée, la majesté du vers, l’harmonie du style, la grâce du langage. Ils lui reconnaissent encore un autre mérite que nous pouvons difficilement apprécier : c’est que, bien qu’il écrive en vers sciotti ou non rimes, c’est-à-dire dans le rhythme propre à l’épître et à la dissertation poétique, ses chants ont tout le charme des vers rimés. Or il est reconnu que les vers sciotti deviennent assez rarement populaires. Sismondi y voyait une des causes du peu de succès qu’obtint l’Italia liberata de Trissin. C’est en effet un obstacle de plus à vaincre, et il n’est pas médiocrement honorable pour M. Aleardi d’être rangé, avec Annibal Caro et Monti, dans le petit nombre de ceux qui en ont triomphé. Ce qui lui assure un rang élevé dans l’école contemporaine, c’est que la pensée n’est point absente de ses vers, défaut commun aux amoureux de la forme, et qu’il est doué d’une sensibilité vraie. Quelques vers tirés d’une pièce intitulée un’ Ora della mia Giorinezza (une Heure de ma Jeunesse) feront connaître l’homme en même temps que l’écrivain :


« Rends-moi, rends-moi, Seigneur, un seul jour de ma jeunesse ! Oh ! que je revoie pleins de vie les parens que j’aimais, et que me cache maintenant l’herbe haute du cimetière! Que dans mon cœur ému de respect j’entende encore la mélodie de la voix paternelle et ses conseils magnanimes! Que je contemple l’œil si grand, si noir, si chaste et si triste de ma mère!...

« O ma mère, c’est aux tendres fibres de ta mamelle que j’ai sucé ce flot de poésie qui me domine; s’il advient qu’aux cheveux de ton fils cette Italie qu’il adore accorde une seule feuille de laurier, je la déposerai sur ta tombe, car elle t’appartient. »


Un peu plus loin, le fils pieux et attendri devient un citoyen dont le cœur s’ouvre aux plus généreuses espérances :


« Sur ma tombe oubliée piétinera le sabot victorieux des coursiers de l’Italie. Fantôme enivré d’amour, je briserai la pierre, et j’adresserai un chant de triomphe aux braves que j’attends en cette vie et que sous la terre j’attendrai. »

Si M. Aleardi ne laisse pas plus souvent échapper le cri de ses espérances, c’est qu’il écrit à Vérone, sous les yeux et les canons de l’Autriche. Il faut le louer, dans les tristes conditions où s’écoule sa vie, de s’être montré fidèle à cette loi actuelle de la poésie italienne qui fait qu’à propos de toute chose les poètes gravitent invinciblement vers la pensée nationale. Quand M. Aleardi chante les villes commerçantes et maritimes de l’Italie, peut-il parler de Venise, de Gênes ou de Pise sans exalter son âme aux glorieux souvenirs du passé?


«Et toi, dit-il, tu accourais aussi, amazone de l’Arno, belle et terrible Pise! tu volais aux luttes maritimes, t’élançant sur les proues écumeuses comme on saute en selle sur les chevaux sauvages. Inutile fut la valeur du Sarrasin. Tu embrasais à Palerme ses demeures embaumées. L’or et les marchandises des lointains rivages s’entassèrent dans tes magasins. Semblables à des nymphes de l’Océan, les îles tyrrhéniennes t’adoraient comme une divinité. Avec toi fendait les ondes fraternelles Gênes, l’irritable chasseresse des mers. Reine maritime, elle abandonna l’amphithéâtre de ses collines, ses blanches terrasses, ses jardins suspendus, et sur une forêt de plus flottans elle s’élança rugissante avec la rage inhumaine du lucre rapide; elle devint la sultane du sultan byzantin[7]. Quand elle eut rassasié ses enfans d’or et de richesses, elle donna aux peuples le monde américain. Hélas! descendans criminels de Caïn, vous qui vous êtes enivrés du sang de vos frères, du fond de l’abîme où vous avez plongé l’Italie, le poète vous maudit. O’ Meloria, Meloria[8] ! lorsque pour la première fois j’aperçus ton cimetière d’Atrides, sur le navire qui m’emportait, je versai des larmes amères. C’était la nuit : les ténèbres enveloppaient l’îlot funèbre de leur voile énervant, quand il me sembla voir sur la mer sombre flotter des cercueils, puis en sortir des ombres implacables au combat. La plage était couverte de cadavres, et au lieu d’étincelles phosphorescentes, je voyais des yeux dont le regard brillait sur les flots. Mais, ô Pise! vinrent les jours d’expiation, et maintenant les chèvres broutent l’herbe sur ta place magnifique, et même quand tu te pares de lumières pour une fête charmante[9], tu ressembles encore à une ville en deuil. »


Chez M. Aleardi comme chez les autres poètes italiens de notre temps, c’est la note grave et triste qui domine : ils retrouveront peut-être un jour la gaieté, qui aujourd’hui convient peu à leur condition. Et ce ne sont pas seulement les souvenirs des discordes fratricides de l’Italie qui inspirent de mélancoliques réflexions, c’est parfois le déplorable état que présente le sol lui-même. Il y a sur ce sujet une page remarquable dans l’un des meilleurs poèmes de M. Aleardi. Le poète entreprend de chanter le Monte-Circello, ce. promontoire situé à l’extrémité des Marais-Pontins, où l’on trouve les restes d’un temple du Soleil, la grotte de Circé et toutes ces plantes dont parlent, à tant de siècles de distance, Ovide et Bernardin de Saint-Pierre, lieu également favorable aux études de l’antiquaire, aux recherches du minéralogiste et du botaniste, aux inspirations du poète. Or voici comment M. Aleardi parle des Marais-Pontins, cette désolation et je dirais presque cette honte de l’Italie moderne :


« Voyez là-bas cette vallée sans fin qui s’étend sur les bords de la mer de Toscane! Comme un tapis enrichi d’émeraudes, elle semble attendre les pas des molles divinités marines. C’est le cimetière de vingt cités oubliées, c’est le marais qui tire son nom de la mer. Si paisible elle se déroule, et si animée le ses familles nombreuses de plantes vivaces, qu’on dirait une vallée de Terapé où ne manquent que d’heureux habitans. Et pourtant dans les sillons malfaisans de la terre de Saturne croît éternellement cette puissance funeste qu’on appelle la mort. Aux heures d’été, que le soleil attriste de son implacable lumière, alors qu’avec une régularité sinistre il descend sur les campagnes, les conseils de la faim cruelle y attirent par milliers des moissonneurs. On dirait des hommes qui partent pour l’exil, la mort dans l’âme. Et déjà l’air empoisonné assombrit leur, brune prunelle. Ici, le chant de l’amoureux oiseau ne console pas ces pauvres âmes; la chanson des Abruzzes, leur pays natal, ne réjouit point ces bandes souffreteuses. Silencieux, ils fauchent les moissons de maîtres inconnus, et quand leur œuvre de sueur est accomplie, ils s’en retournent silencieux….. Hélas! ils ne reviennent pas tous : il en est qui s’assoient sur le sillon pour y mourir. Le dernier regard du malheureux cherche un parent fidèle qui porte à sa vieille et tremblante mère le prix de sa vie et l’adieu d’un fils qui ne reviendra point. Et tandis qu’il meurt ainsi, seul, abandonné, il entend au loin les voyageurs dont le son connu de la cornemuse règle les pas. Et lorsque plus tard descend à son tour un orphelin pour faucher les moissons, lorsqu’il sent trembler sa faux sous la gerbe, il pleure, et pense que ces épis peut-être ont grandi sur les os non ensevelis de son père! »


Je ne crois pas que depuis Ugo Foscolo et Leopardi la muse italienne ait souvent trouvé d’aussi nobles, d’aussi pathétiques accens. Le dernier trait surtout est admirable : il rappelle Virgile, si l’on veut; mais quelle différence entre ces Romains émus à la vue des os de leurs ancêtres inconnus, et ce fils qui vient travailler, souffrir, mourir peut-être, aux mêmes lieux où est mort son père, et qui, à chaque caillou qu’il heurte, tressaille et croit en outrager les os!

M. Aleardi est sincèrement ému, on n’en saurait douter, et voilà pourquoi il nous touche si vivement. Le poème du Monte-Circello est un recueil et comme un musée de souvenirs. Il y en a même de géologiques, sur la valeur desquels je ne m’arrêterai pas; mais je traduirai encore quelques vers de cette pièce sur le sujet favori de l’ancienne gloire de l’Italie.


« Partout où tu portes ton regard sur cette terre latine épuisée par sa gloire et ses malheurs, sur cette terre que jadis le tribun frappait du pied pour en faire sortir des soldats, se dresse un souvenir, car pour nous l’histoire est une science de tristesse et d’orgueil. Sur ces marais livides où maintenant le buffle paresseux s’embourbe et regarde à l’aventure, volèrent un jour des ouragans de cavaliers sur des chevaux qui ne connurent jamais le hennissement de la fuite, qui ne savaient respirer que la poussière du triomphe. Malheureusement tous ces forts sont descendus dans la tombe que la terre a recouverte de ses roseaux; les glaives semés dans les sillons n’ont point germé ni produit des épées. Je vois les chênes étendre encore leurs rameaux, mais non plus la main qui les arrachait pour en faire des lances. Sur la voie qui parcourait cent milles entre des monumens (voie Appienne), s’élève une croix sombre dont les tristes bras demandent des prières au passant pour quelque victime. La croix du martyre a remplacé ici l’aigle des bourreaux. Après une longue suite de siècles naquit de cette race héroïque une race virile de pasteurs. Et qui peut dire que des pasteurs ne renaîtront pas des héros ? Ainsi vont les choses ici-bas. La terre tourne autour du soleil, et, Janus infatigable, elle a deux visages, l’un de ténèbres, l’autre de lumières. Ainsi chaque peuple fait sa révolution autour du soleil de la gloire, et quand il a accompli son éclatante journée, il décline vers le soir. C’est sur d’autres rivages aujourd’hui que brille le soleil de midi. Oh ! qu’ils sachent être magnanimes et ne point se souiller d’orgueilleuses lâchetés ! Qu’ils sachent jouir de leur ère fugitive ! Eh bien ! terre adorée, tu es plus chère encore à mon cœur dans l’obscurité de la nuit. Dans ton ciel sombre je vois les lueurs tremblantes de quelque aurore boréale, je vois resplendir les flambeaux des Ourses, les astres du Chariot et les Hyades pluvieuses : faible, il est vrai, bien faible lumière ; mais l’heure féconde viendra où Dieu dira au poète: « Gravis cette montagne et crie : Lève-toi, étoile du soir ! »


L’étoile du soir, il ne faut pas l’oublier, si elle se montre au coucher du soleil, paraît encore le lendemain, sous le nom de Lucifer, à l’heure de son lever ; c’est ce qu’indique discrètement M. Aleardi. Les chants de l’espérance n’étant point de son sujet, il s’arrête brusquement : pour les retrouver, il faut suivre le poète dans ses Prime Storie (premières histoires), où l’on trouve, comme dans ses autres ouvrages, de grandes beautés.


« Il y a sur la terre un spectacle qui marque plus que tout autre la vengeance de Dieu : c’est un peuple vaniteux de faibles vieillards qui, depuis trois cents ans, repose dans d’éternelles rêveries, qui, enveloppé dans les lambeaux de la pourpre de ses aïeux, se réchauffe les membres au généreux soleil de sa patrie, et qui respire, oublieux, les parfums amollissans de l’automne sur les champs où ses pères ont combattu en lions… Du sang de la Gorgone naquit Pégase, le cheval ailé, qui, en frappant du pied la montagne, en fit jaillir l’Hippocrène. Du sang que répandirent les Italiens dans leurs fureurs fraternelles bien d’autres coursiers sont sortis, qui ont ouvert de leur sabot le sein de l’Ausonie, d’où jaillirent des sources de forte et triste poésie. Notre Hippocrène à nous, douloureuse, mais splendide et sainte, c’est la patrie.

« Muse d’un peuple vieilli, sur le soir d’une civilisation expirante, je naquis d’une race qui a beaucoup expié et pleuré. Heureuses mes sœurs, qui ont chanté à l’aube héroïque d’une nation ! Elles ont eu en partage la virginité de l’enthousiasme et la chaste naïveté de la langue maternelle. À moi les espérances troublées et les frémissemens séniles ; à moi les imaginations fardées d’un art caduc, à moi l’acre désir, non de bercer un lâche sommeil, mais de combattre, moi aussi, mes batailles, avec l’épée du chant ! Mais j’entends un Dieu qui me le dit, mon Ausonie bien-aimée, tu renaîtras à une noble et forte vie. Et toi, ô mon poète, prépare le plus beau de tes hymnes ailés. Que l’espérance, la charité, la foi, muses puissantes, descendues du magnanime Golgotha, t’apportent leurs inspirations! Aux premiers accens du divin concert, sous les ormes de l’Adige maternel, tressailleront les os sacrés de nos pères. »

Voilà bien le poète national, avec son pieux respect pour le passé, avec sa sainte et patriotique préoccupation de l’avenir! Par la noblesse incontestable de ses sentimens, M. Aleardi ressemble au reste de ses compatriotes plutôt qu’il ne s’en distingue; mais le don qu’il possède, et qui manque à la plupart des écrivains actuels, c’est la simplicité et la distinction. M. Aleardi semble avoir une prédilection marquée pour un genre qui a inspiré dans notre siècle les plus grandes âmes et les plus grands poètes de l’Italie, je veux dire l’épître en vers sciotti ou non rimes, forme qui se prête au cri de la douleur, aux élans de l’espérance, aux traits de la satire, et qu’ont illustrée, pour ne parler que des plus célèbres, Parini, Monti, Foscolo, Leopardi. Si M. Aleardi fait quelques excursions dans le domaine classique de la canzone, son inspiration est, pour la force de la pensée et la valeur du fond, infiniment supérieure à celle de l’élégant Marchetti. Que M. Aleardi continue d’écrire avec la sobriété éloquente dont il donne le rare et bel exemple, que ses vers généreux puissent librement circuler, et il deviendra peut-être pour l’Italie ce poète national qu’aurait pu être M. Prati.

Les autres poètes dont on a plus particulièrement lu et loué les vers durant ces dernières années ne me paraissent point appelés à d’aussi hautes destinées. L’un des plus distingués est sans contredit M. Jules Carcano, l’aimable auteur d’Angiola-Maria et d’autres gracieux récits; mais il manque d’élan, de nouveauté, de profondeur. Il n’aime point les hardies recherches et se contente d’une atmosphère tempérée où se déploient toutes les délicatesses du cœur. Romantique plutôt que classique, si l’on peut encore aujourd’hui faire usage de ces mots surannés, coloriste plutôt qu’écrivain pur et châtié, il fait de visibles efforts pour acquérir ce qui lui manque, et, marchant en sens contraire de M. Aleardi, il tend à se rencontrer avec lui dans cette désirable fusion dont il a été question plus haut.

Au-delà du Tessin, cette frontière factice imposée par les traités, il faut bien reconnaître que le Piémont, qui est presque le seul pays de l’Italie où la pensée ait une réelle activité, semble peu favorable à la poésie. Ni M. Scolari, ni M. Bellini ne me paraissent pouvoir lutter avec avantage contre le caractère positif et pratique des Piémontais. M. Bellini, dans une œuvre intitulée le Parlement, a essayé de célébrer en vers le statut piémontais, les deux chambres et les lois constitutionnelles. Rien ne semble moins poétique que ces modernes réalités; mais quand on songe qu’en poésie la difficulté vaincue est d’un prix extrême, on comprend qu’il ne faut pas condamner M. Bellini sans l’entendre. M. Bellini avait à chanter l’égalité des hommes devant Dieu, la liberté, la raison, qui modère les passions humaines, les richesses de la nature, la fin de l’humanité, la domination de l’homme sur toutes les choses créées, l’association, le droit, le devoir, etc. Qui ne comprend qu’un grand poète peut trouver dans un pareil sujet d’abondantes sources de poésie? Toute la question est de savoir comment M. Bellini a surmonté les difficultés qu’il rencontrait.

M. Bellini est un homme instruit, nourri des lettres grecques et latines, et très capable de bien écrire en italien. Sa langue est généralement bonne, ainsi que son style, et l’imagination ne lui fait pas défaut. Elle l’emporte même souvent dans des comparaisons qui sont devenues tout à fait étrangères à la poésie moderne. Il y a, par exemple, au troisième livre de ce poème, une vision des plus curieuses. L’auteur, transporté dans les régions lumineuses, aperçoit une divinité au corps immense, un pied posé sur les Alpes rhétiques et l’autre sur l’Etna. D’une main le dieu tient un volume sur lequel sont écrits en caractères de feu ces mots : Statut et liberté. L’autre maintient une épée flamboyante, et menace quiconque oserait toucher au livre sacré. Une tempête éclate, l’épée la dissipe. Alors un immense cantique s’élève, que chantent tous les peuples rachetés. Le poète se réveille et s’écrie :


« Qui me ramène à la nature mortelle? Déjà j’entends que dans les cercles des Turinois court un cri de joie précurseur des rayons de l’aurore. J’entends autour de moi l’air joyeux retentir du fracas du bronze creux et les gaies clameurs qui chantent les ineffables trésors du statut. A ouvrir le glorieux parlement s’apprête Victor, le brave, le généreux. Les citoyens en armes font la haie autour de lui, les guerriers l’applaudissent et de leur cœur enivré crient vivat ! Et moi aussi je lui donne un vivat! et plein d’ardeur, à travers les flots du peuple en fête, je m’élance, je le vois auguste et majestueux, en tout semblable à l’image du dieu qui m’était apparu dans ma vision. »


Je passe naturellement la constitution de la chambre des députés, la vérification des pouvoirs, le règlement des deux chambres, les projets de loi, les sténographes, la liberté de la presse, etc. Ceci prouve d’abord que les Italiens ont une fâcheuse tendance à croire que tout peut et même doit se dire en vers, à confondre la philosophie et l’histoire avec la poésie. Ils font de l’histoire rimée ou des descriptions techniques que les inventions les plus risquées et les plus prodigieux efforts d’imagination ne parviennent pas à sauver. En outre, le succès qu’une critique complaisante a fait à M. Bellini me paraît dangereux pour la poésie italienne. La critique au-delà des Alpes se montre justement sévère pour les auteurs dramatiques : je ne lui demande que de reporter sur les poètes, ces enfans gâtés du beau pays ove’ l si suona, un peu de cette sévérité, et de ne pas oublier surtout que les sentimens plus ou moins civiques d’un écrivain ne doivent pas influer sur l’opinion qu’on se fait du mérite de ses vers.

Nous avons vu les deux écoles poétiques de l’Italie marcher parallèlement pendant de longues années sans même faire effort pour se rencontrer et s’unir. Le résultat de ce divorce a été un affaiblissement auquel il importerait de mettre un terme par une fusion, ou, comme on dit dans la langue parlementaire au midi des Alpes, par un comnubio entre les deux tendances poétiques. L’Italie a besoin de voir se former une école unique où ceux qui possèdent la correction feront des efforts vers la couleur, où ceux dont l’imagination est vive tendront à la régularité et à la pureté. Il y a quelque chose de pis que les querelles, c’est l’indifférence à l’égard des principes contraires à ceux qu’on professe soi-même : il ne s’agit plus d’engager ou de continuer le combat, mais de reconnaître courageusement les qualités qu’on a besoin d’acquérir. Est-ce à dire qu’une telle alliance rendra immédiatement son ancien lustre à la poésie italienne? Il serait téméraire de l’affirmer, surtout à une époque où, sans parler d’autres préoccupations, les entreprises industrielles et commerciales éveillent en Italie une sollicitude croissante. Ce ne sont pas, malgré tout, les poètes qui manquent à l’Italie : on n’en voit même que trop de ceux qui, désespérant d’atteindre la poésie sur les hauteurs où les grands esprits l’avaient portée, l’ont fait descendre pour la transformer en une sorte de séduction permanente et vulgaire. Le malheur a voulu qu’au lieu de ne prêter attention qu’aux hommes rares et exceptionnels, ce peuple, si prompt à l’enthousiasme, ait jugé la poésie par la multitude de versificateurs qui l’ont faite à leur image, et qui ont compromis ainsi tout ensemble l’art et le goût. Ce malheur n’est cependant pas irréparable. Puisque les plus graves préoccupations politiques, industrielles et commerciales n’ont pu détourner entièrement les Italiens de la poésie, il est permis d’espérer que cette glorieuse nation ne verra pas se tarir dans son sein l’une des sources les plus pures et les plus abondantes des grandes pensées et des nobles sentimens. Il lui est peut-être réservé de donner l’exemple si désirable d’une alliance sincère et intime entre les deux tendances auxquelles obéit l’humanité, tour à tour entraînée vers le réel et vers l’idéal.


P. BRISSET.

  1. Voyez la livraison du 15 septembre 1844.
  2. Ajoutons cependant que Giusti peut aussi être compara à Béranger, et qu’il est infiniment supérieur à Berchet. — Voyez sur Giuseppe Giusti l’étude de Gustave Planche dans la Revue du 15 décembre 1850.
  3. Grâce à la démolition du palais de Prina, qui était situé auprès de l’église de Saint-Fidèle.
  4. Au commencement de son règne, le petit François (François II comme empereur d’Allemagne, François Ier comme empereur d’Autriche) passait pour un homme simple et bon que M. de Metternich menait par le bout du nez. La caricature de ce prince couvrait alors les murs de Milan. On le représentait orné d’un long nez. Le ministre tenait ce nez dans sa main et conduisait ainsi son maître derrière lui.
  5. Voyez la Revue du 15 novembre 1854.
  6. Voyez la Revue du 15 mars 1856.
  7. Gênes fut, on le sait, maîtresse de Péra.
  8. Petite île près de Livourne, où s’accomplit l’un des plus grands désastres des guerres fraternelles d’Italie. Pise y périt ; elle l’avait mérité, ayant eu tous les torts de la provocation.
  9. La fête dite la Luminara.