Librairie des Bibliophiles (p. 13-20).

LE COQ

C’était bien le vrai coq gaulois,
À l’œil rouge, à la crête altière,
Avec des ergots de trois doigts,
Dont il labourait la poussière.
Et les chairs aussi quelquefois.
 
Il avait une voix sonore
Aussi puissante qu’un clairon,
Qui remplissait, avant l’aurore,
La ferme, où tout dormait encore,
Depuis le chien jusqu’au patron.


Alors il se levait, superbe,
Lustrait son panache vermeil,
Son cou doré comme une gerbe,
Puis menait ses poules dans l’herbe
Avant le lever du soleil.

Et comme il faisait sentinelle,
Dressé sur ses ergots de fer !
Jamais, quand il battait de l’aile,
Il n’aurait fermé sa prunelle,
Ce descendant de Chanteclair !

Il déjouait toutes les ruses
De maître Renard l’aigrefin,
Et quelquefois, surpris soudain,
Il se battait contre les buses,
Et restait maître du terrain.


Et quels airs de tranche-montagne !
Quels Te Deum à son retour !
Jamais, en revenant d’Espagne,
Les paladins de Charlemagne
N’ont autant corné sur l’Adour.

Aussi, pour payer sa victoire,
Si la fermière à pleine main
Versait le mil en sa mangeoire,
Il trouvait le prix dérisoire,
Et n’en daignait toucher un grain.

Regardant picorer ses femmes,
Il se tenait droit sur le seuil,
Des feux éclataient dans son œil,
Et sur son cou, comme des lames,
Ses plumes se dressaient d’orgueil.


Il déroulait un monologue
Émaillé de plus d’un juron,
Et se récriait, d’un ton rogue,
Si le chat noir ou le gros dogue
Trop près de lui tournaient en rond,

Ж

Au-demeurant, tendre et fidèle,
— Malgré ses airs de capitan, —
Autant que peut l’être un sultan ;
Aimant ses femmes pêle-mêle,
Surtout jamais ne les battant.

Quand il flairait quelque pillage,
Cambré comme un tambour-major,
Il les menait par le village,
Et, pour se faire ouvrir passage,
De temps en temps sonnait du cor,


Et n’eût-il fait de la poussière
Jaillir qu’un grain de chènevis,
Il rappelait la troupe entière,
Et la poule noire était fière
D’avoir su couver un tel fils !

Ж

Mais il avait le défaut grave
De ne pas souffrir de rivaux ;
Il s’en allait par les hameaux,
À la fin d’y trouver un brave
À qui l’on pût dire deux mots.

Et, comme à chaque Capitole
S’ouvre un gouffre de Tarpéia,
Notre coq si fort batailla,
Il montra tant de valeur folle,
Que de sa vie il le paya.


Surpris enfin, au fond d’un bouge,
À rosser le coq d’un fermier,
Il laissa sous un froid acier
Ses ergots et sa crête rouge,
Ses éperons et son cimier.

Il revint de cette aventure
Noir de boue et de sang vermeil ;
Il se cacha loin du soleil,
Refusa toute nourriture,
Et ne chanta plus le réveil.

J’entendis Achille, en sa tente,
Qui pleurait d’avoir trop vécu,
Et, pour hâter sa mort trop lente,
Je pressai sur lui la détente
Et foudroyai ce roi vaincu.


Le plomb fit jaillir sa cervelle,
Un cri mourut dans son gosier,
Et je crus voir que sa prunelle,
En se fermant comme son aile,
Clignait pour me remercier.

Toute la ferme fut en fête :
Ce cadavre fut trouvé bon.
Moi, je versai, baissant la tête,
Deux pleurs sur ce coq assez bête
Pour vouloir mourir en Caton !

Ж

« Vous n’avez pas l’âme chrétienne :
« Vaincu, pourquoi vouloir mourir ?
« L’existence vaut qu’on y tienne,
« Dit-on ; et, quand elle est ancienne,
« La honte ne fait plus souffrir !… »


Soit, j’y consens ! baisons la chaîne,
Subissons la rougeur au front,
Vivons, frères, malgré l’affront !…
La lutte est loin d’être prochaine,
Et nos ergots repousseront !

En attendant, toi, je t’honore,
Ô coq, emblème des aïeux !
Toi qui, comme un clairon sonore,
À la terre annonçais l’aurore,
Ainsi que l’alouette aux cieux.

C’est comme toi que nos ancêtres,
Par le sort trahis autrefois,
Plutôt que de subir des maîtres,
Sous l’ombrage profond des hêtres,
S’en allaient mourir dans les bois.