La Poésie des bêtes/16
LA BALLADE DES GRILLONS
n hiver, dans un coin de l’âtre
Que la flamme au reflet bleuâtre
N’atteint pas de ses tourbillons,
— Loin des landes et des prairies, —
Pour nous conter leurs rêveries,
Accourent les petits grillons.
Ils nous disent : « La plaine est blanche,
Le givre étincelle à la branche,
Le hibou gémit dans les bois,
Et le cavalier sent en croupe
— Ainsi qu’un cauchemar — la troupe
Des loups aux sinistres abois.
Sur les flancs des gorges étroites,
— Hérissés, les oreilles droites, —
Ils vont, faméliques, fiévreux ;
Et si l’un d’eux, soudain s’affaisse,
La bande en hurlant le dépèce,
Car les loups se mangent entre eux !
Tandis que, là-bas, dans les fermes,
— Protégés de portails bien fermes
Et de chiens hérissés de clous, —
Les moutons saintement stupides
Font des rêves chauds et limpides,
Et se gaussent des pauvres loups !
Pleins de ruses et de mystères,
Les renards, autres prolétaires
Que la misère a faits fripons,
— Maigres, à travers les broussailles, —
Chassent des souvenirs de cailles
Et des fantômes de chapons ;
Tandis qu’enfermés dans leurs cages,
— Bien chauds, bien repus et bien sages, —
Les descendants de Chanteclair,
Près des Pintes et des Copées[1],
Raillent les dures équipées
De Renard qui couche au bel air.
Le piéton qu’éblouit la neige,
Sous le lourd sommeil qui l’assiège,
Se sent par l’angoisse envahir,
Et dans le chemin solitaire,
Il plante son bâton en terre
Pour s’empêcher de défaillir ;
Tandis que quelque otieux moine,
— Aussi tenté que saint Antoine,
Et plus prompt à capituler, —
Caresse, au lieu de bréviaire,
Le menton de sa chambrière,
Et se damne avant de ronfler… »
En hiver, dans un coin de l’âtre,
Que la flamme au reflet bleuâtre
N’atteint pas de ses tourbillons,
— Loin des landes et des prairies, —
Pour nous conter leurs rêveries,
Accourent les petits grillons.
- ↑ Noms de poules dans le Roman de Renart.