Au delàFischbacher éd. (p. 206-208).

LA PLUME.


dernière poésie d’alice de chambrier


 
J’ai vu dans la fange jaunâtre,
Au bord du trottoir ruisselant,
Une plume au reflet d’albâtre
Qu’avait perdue un pigeon blanc.

L’oiseau, dans un essor rapide,
Avait passé devant mes yeux,
Laissant après lui dans le vide
Cette plume au reflet soyeux.


Pendant une courte minute,
Dans l’air elle avait palpité,
Puis avait commencé sa chute
Vers la boue et l’humidité.

Dans sa marche incertaine et lente,
Elle semblait encor chercher
Une protection absente,
Un point auquel se raccrocher…

Mais en vain !… Sur l’ornière impure,
Dans un vague frémissement,
Intacte encore et sans souillure,
Elle se posa tristement…

Le cœur s’attendrit et s’épanche
Souvent sans qu’on sache pourquoi :
L’aspect de cette plume blanche
Me mit dans l’être un vague émoi ;

Elle me fit penser aux âmes
Qu’un sort triste et mystérieux
Abandonne aux chemins infâmes
Où rampe le vice odieux.


Qui pourrait calculer leur nombre ?
Jusqu’ici, nul ne l’a tenté…
Et l’on s’étonne si dans l’ombre
On voit sombrer leur pureté !

C’est comme un ange aux grandes ailes
Qui les laisserait en passant
Tomber, hélas ! blanches et frêles,
Sur notre sol noir et glissant ;

Pour les sauver il n’est personne,
Nul ne les tire du bourbier ;
La nuit partout les environne
Et l’orgueil les foule du pied !


Sans date.