La Plante/Partie I, chapitre XVI

Charles Delagrave (p. 148-165).
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Partie I.
XVI. — Les Feuilles

XVI
Les Feuilles.

Limbe. — Nervures et nervations. — Feuilles entières. — Dents, lobes, partitions. — Feuilles laciniées. — Feuilles composées, pennées, palmées. — Feuilles séminales. — Bractées. — Feuilles aquatiques. — Feuilles sessiles, embrassantes. — Chute des feuilles. — Coussinet. — Couche séparatrice. — Feuilles persistantes. — Gaîne. — Stipules. — Coordination des feuilles pour gêner le moins possible l’accès de la lumière. — Arrangement des feuilles du poirier. — Quinconce. — Feuilles alternes de l’orme. — Feuilles tristiques du souchet. — Feuilles verticillées. — Alternance des verticilles.

La plante puise à la fois sa nourriture dans l’atmosphère et dans le sol. Pour se mettre en rapport avec le sol, elle a les racines ; pour se mettre en rapport avec l’atmosphère, elle a les feuilles. En son plus haut degré de complication, une feuille comprend trois parties : le limbe, le pétiole et les stipules. Le pétiole est ce qu’on nomme vulgairement la queue de la feuille ; le limbe est la lame verte qui le termine ; les stipules sont des expansions foliacées situées à la base du pétiole.

Le limbe d’une feuille a deux faces : la face supérieure, plus lisse, plus verte, tournée vers le ciel, et la face inférieure, plus pâle, plus rugueuse, tournée vers la terre. Il est parcouru dans son épaisseur par des lignes proéminentes, qui forment la charpente de la feuille et prennent le nom de nervures. Des fibres, des trachées et des vaisseaux assemblés en fines cordelettes les composent presque en entier. Les intervalles vides de cette charpente sont remplis par des cellules vertes. Dans une feuille qui pourrit à terre, la partie cellulaire se détruit aisément, tandis que les nervures, plus résistantes, persistent et forment alors une élégante dentelle. Nous avons déjà reconnu deux arrangements principaux dans cette charpente foliaire. Tantôt les nervures sont assemblées parallèlement l’une à l’autre dans toute la longueur de la feuille ; tantôt elles se ramifient, se rejoignent par leurs subdivisions et forment de la sorte un réseau à mailles irrégulières. Quelques exceptions écartées, les feuilles à nervures parallèles appartiennent aux monocotylédonées, et les feuilles à nervures en réseau aux dicotylédonées.

La disposition des nervures ou nervation se présente sous trois aspects principaux dans les feuilles des végétaux dicotylédonés. Premièrement, la nervure la plus importante, ou nervure primaire, continue le pétiole suivant la ligne médiane de la feuille et se subdivise à droite et à gauche en nervures secondaires, distribuées des deux côtés de la première comme le sont les barbes d’une plume par rapport à l’axe de celle-ci. La nervation est dite alors pennée. Exemple, la feuille du chêne (fig. 73).

Fig. 73. Feuille de Chêne. Fig. 74. Feuille d’Érable. Fig. 75. Feuille de Capucine.

En second lieu, dès l’entrée du pétiole dans le limbe, plusieurs nervures se forment à peu près d’égale grosseur et rayonnent autour de leur point commun de naissance, à peu près comme les doigts rayonnent autour de la paume de la main. Ce cas se présente dans les feuilles de l’érable. La nervation est dite alors palmée (fig. 74).

En troisième lieu, le pétiole aboutit, non plus au bord du limbe, mais en un point plus ou moins central, d’où les principales nervures rayonnent dans tous les sens et rappellent l’irradiation des ornements d’un bouclier. La nervation est dite alors peltée. La feuille de la capucine nous en donne un exemple (fig. 75).


Fig. 76. Ciguë.
Si le bord du limbe est continu, sans dents, sans échancrures, comme dans le buis, l’olivier, le lilas, le laurier, la feuille est qualifiée d’entière. Mais en général, le bord du limbe est plus ou moins profondément découpé. Les découpures les moins profondes engendrent les dents, les crénelures. Les incisions qui pénètrent jusqu’à la moitié du limbe environ produisent des lobes ; celles qui plongent jusqu’à la nervure occupant le milieu de la feuille produisent des partitions. Enfin les divisions et subdivisions du limbe peuvent devenir très-nombreuses, si bien que parfois la feuille est à peu près réduite aux seules nervures, accompagnées d’une étroite bordure de tissu cellulaire. On nomme laciniées toutes ces feuilles dont les subdivisions se répètent indéfiniment. La carotte, le fenouil, la ciguë, nous en fournissent des exemples (fig. 76).

Lorsque le limbe est unique, comme dans le poirier, la vigne, le lilas, la feuille est dite simple. Mais fréquemment la même feuille comprend plusieurs limbes distincts. Considérons, par exemple, le rosier. Nous voyons, dans une seule feuille, de trois à sept limbes reliés à un pétiole commun, qui représente la nervure médiane des feuilles ordinaires. Chacune de ces subdivisions de la feuille totale, subdivisions que l’on serait tenté de prendre au
Fig. 77. Rosier.
premier abord pour autant de feuilles distinctes, se nomme foliole, et la feuille en son entier prend la qualification de composée. La feuille du rosier est donc une feuille composée, comprenant d’une à trois paires de folioles, et en outre une foliole terminale. Nous retrouvons la même structure, avec un plus grand nombre de folioles, dans la feuille composée du robinier, vulgairement acacia. Sur le pétiole commun, souvent aussi nommé rachis, sont insérés des pétioles secondaires ou pétiolules, et chacun de ceux-ci se continue par la nervure médiane de la foliole correspondante (fig. 78).


Fig. 78. Feuille de Robinier vulgairement Acacia.
La disposition symétrique des folioles, à droite et à gauche du pétiole commun, rappelle encore ici l’arrangement des barbes sur les deux côtés d’une plume ; pour ce motif, on dit que le rosier et le robinier ont des feuilles composées pennées. D’autres fois, les folioles rayonnent à l’extrémité du pétiole commun et prennent la disposition palmée. La feuille est dite alors composée palmée. Exemples, le marronnier d’Inde, la vigne vierge (fig. 79).

Sur un même végétal, l’immense majorité des feuilles possède une configuration constante ; cependant la fixité des formes n’est pas absolue. Aux principales étapes de sa vie, la plante modifie plus ou moins son feuillage ; les feuilles qui naissent tout à la base de la tige diffèrent souvent de forme de celles qui se montrent plus haut, et celles-ci diffèrent des feuilles avoisinant les fleurs.


Fig. 79. Feuille de Vigne vierge.
Les deux premières feuilles qu’émet la jeune pousse, les feuilles formées par les cotylédons, ou, comme On dit, les feuilles séminales, rarement ont la forme des suivantes. Elles sont presque toujours entières, à quelque degré de division qu’arrivent les autres. Voyez à ce sujet les feuilles séminales en forme de cœur du radis, les feuilles séminales en forme de languette de la carotte et du persil.
Fig. 80. Cardamine des prés.
En outre, à la base de la tige, les feuilles ont fréquemment une configuration à part, qui dérive de la forme générale par des modifications graduelles, ou même n’a pas de transition. Ainsi une gracieuse plante des prairies, la cardamine, a ses feuilles inférieures composées de larges folioles dentelées, tandis que les feuilles supérieures n’ont que des folioles en étroites languettes (fig. 80).

D’autres fois, sur les divers rameaux, à toutes les hauteurs, les feuilles modifient plus ou moins leur forme. Ainsi le mûrier à papier (fig. 81) porte à côté l’une de l’autre des feuilles entières et des feuilles à deux ou trois lobes. Le mûrier à papier est un arbre originaire du Japon. Il vient très-bien dans nos climats et n’est pas rare sur nos promenades publiques. Les Chinois utilisent les fibres de son liber pour fabriquer du papier, et les Polynésiens pour obtenir l’étoffe ordinaire de leurs vêtements.

Enfin, au voisinage des fleurs, les feuilles se rapetissent, se simplifient en se subdivisant moins, et perdent quelquefois leur coloration verte pour prendre une nuance semblable à celle des fleurs. Elles diffèrent tellement alors des feuilles ordinaires, qu’on n’a pas hésité à leur donner un nom spécial, celui de bractées.

Lorsque la plante est aquatique, ses feuilles aériennes diffèrent fréquemment de ses feuilles submergées. Nous en avons un remarquable exemple dans certaines renoncules à petites fleurs blanches qui peuplent les mares au premier printemps. Leurs feuilles supérieures, surnageant au-dessus de l’eau, sont simplement lobées ; leurs feuilles inférieures, totalement immergées, sont divisées en délicates houppes. Les feuilles, nous le verrons plus tard, sont les organes respiratoires
Fig. 81. Mûrier à papier.
de la plante. Dans l’eau, où les principes gazeux qu’elle doit respirer sont plus rares qu’à l’air libre, la feuille est déchiquetée en fines lanières pour avoir une plus grande surface d’absorption. Pareillement, les branchies, ou l’appareil respiratoire des poissons, sont composées de nombreuses petites lamelles qui s’étalent dans la cavité des ouïes au contact vivifiant de l’eau aérée. La sagittaire fréquente le voisinage des eaux, parfois elle est même immergée. Lorsqu’elles se développent dans l’air, ses feuilles ont la forme d’un fer de flêche porté sur um long pétiole, ce qui a valu son nom à la plante (sagitta, flêche) ; lorsqu’elles sont plongées dans le courant, elles prennent la forme d’étroits rubans d’un mètre de longueur et plus.

La queue de la feuille prend le nom de pétiole. C’est un étroit faisceau de vaisseaux et de fibres, qui s’épanouit dans le limbe et se ramifie en produisant les nervures. Sa forme est généralement cylindrique, avec une fine gouttière à sa face supérieure. Il est quelquefois aplati dans le sens horizontal, quelquefois encore dans le sens vertical. Dans ce dernier cas, le poids du limbe est équilibré d’une façon instable par le pétiole donnant appui sur sa tranche, et la feuille, au moindre vent, est dans une agitation continuelle. C’est ce que l’on observe dans nos peupliers à qui l’on donne le nom de trembles à cause de l’habituel tremblotement de leur feuillage.

Fig. 82. Renoncule aquatique.

f, feuilles aériennes ; cf, feuilles submergées.

Fig. 83. Sagittaire.

Il y a des feuilles dont le pétiole mesure plusieurs fois la longueur du limbe ; il y en a d’autres où il est très-raccourci ; d’autres enfin où il est complétement nul. La feuille sans pétiole est dite sessile. Le plus souvent, une feuille sessile se rattache à son support par toute sa base ; elle cerne ainsi le rameau dans une portion plus ou moins étendue de la circonférence, en d’autres termes, elle l’embrasse.
Fig. 84. Laiteron des champs.
Dans ces conditions, elle est qualifiée d’embrassante (fig. 84).

Lorsqu’elles sont disposées sur les tiges deux par deux, en face l’une de l’autre, les feuilles embrassantes fréquemment se soudent par leur base et forment un tout qui semble une feuille unique, à deux moitiés symétriques, et traversée en son milieu par le rameau. Certains chèvrefeuilles présentent cette curieuse disposition, prononcée surtout au voisinage des fleurs. À la maturité, les baies rougeâtres de ces arbrisseaux, groupées dans le creux des deux feuilles conjointes, ont l’apparence d’un amas de fruits artificiellement dressé sur une
Fig. 85. Point d’attache d’une feuille avec son rameau.
s, s, couche séparatrice.
soucoupe de verdure.

À son point d’attache avec le rameau, le pétiole habituellement se renfle un peu et s’élargit pour donner à la feuille un appui plus solide ; il est en outre fixé sur une légère excroissance latérale du rameau, sur une espèce de petite console, que nous avons déjà nommée coussinet. La manière dont la feuille est reliée à son support n’est pas toutefois une simple juxtaposition ; il y a continuité entre le pétiole et le rameau ; les fibres, les trachées, les vaisseaux du premier se prolongent sans interruption dans le second. En automne, quand elle a fini son temps, la feuille mourante se détache néanmoins avec netteté du rameau, sans efforts, sans déchirures, en laissant une cicatrice régulière où se voient, au milieu du tissu cellulaire formant l’enveloppe externe, un certain nombre de marques qui sont les faisceaux fibro-vasculaires rompus.

Le mécanisme de cette chute est frappant d’élégante simplicité. Lorsque la feuille commence à perdre sa coloration normale, le vert, et prend une teinte jaune ou rougeâtre, signe de caducité, les restes d’une vitalité languissante sont employés à tout disposer pour une facile séparation. Dans le coussinet, une couche transversale de cellules se forme, toutes petites, transparentes et pleines de fécule, qui manque partout ailleurs dans la feuille. On lui donne le nom de couche séparatrice. Ces cellules farineuses, sans consistance, sans adhésion entre elles, cèdent aux tiraillements de la feuille que le moindre souffle agite, se disjoignent et donnent lieu à une étroite fissure qui cerne tout le coussinet. Seuls les faisceaux de fibres et de vaisseaux ne sont pas atteints par cette dissociation ; mais trop faibles pour supporter longtemps le poids du limbe, ils se rompent à leur tour et la feuille se détache. Cette séparation sans violence s’observe dans la plupart de nos arbres, dans le noyer, le peuplier, l’orme, le tilleul, le lilas, le poirier, par exemple.

Plus rarement, la couche de petites cellules à grains d’amidon, la couche séparatrice en un mot, ne se forme pas dans l’épaisseur du coussinet. La feuille morte persiste alors sur l’arbre une grande partie de l’hiver et ne se détache qu’arrachée par les coups de vents. C’est ce que nous montre le chêne, dont le feuillage mort et d’un roux brun se maintient longtemps en place et ne cède que peu à peu aux violences de la mauvaise saison. Il peut se faire même que les feuilles sèches persistent plusieurs années sur l’arbre et ne disparaissent que détruites par les intempéries. Ainsi le dattier déploie tout au sommet de son stipe l’élégant faisceau de ses énormes feuilles vertes. En dehors se montrent des feuilles sèches mais plus ou moins entières ; plus bas sont des feuilles réduites, par l’action prolongée de l’atmosphère, à des tronçons de pétiole ; plus bas enfin ces restes disparaissent consumés par les ans, et le tronc ne présente plus que de vagues cicatrices de ses anciennes feuilles.

Dans beaucoup de plantes, immédiatement au-dessus de son point d’attache, le pétiole s’élargit et se courbe en une ample rigole, qui enveloppe, engaîne la tige comme dans un fourreau ; aussi donne-t-on le nom de gaîne à cette partie de la feuille. Par de là, le pétiole reprend sa forme habituelle. La gaîne est surtout remarquable dans diverses plantes de la famille des ombellifères, notamment dans l’angélique. Elle forme un long et solide étui, qui donne plus de résistance à la tige, elle-même creusée d’un large canal. Les tiges creuses des graminées, les chaumes, ont de même des feuilles longuement engaînantes. Dans l’angélique et beaucoup d’autres ombellifères, le limbe va diminuant de la base au sommet de la tige, tandis que la gaîne grandit, si bien que les feuilles supérieures ne sont plus que d’amples membranes enveloppant les jeunes rameaux et les groupes de fleurs non encore épanouies.

Si l’expansion qui produit la gaîne, au lieu d’adhérer au pétiole dans toute sa longueur, se détache de droite et de gauche et s’isole partiellement ou en entier, le résultat est ce qu’on nomme stipules. Les stipules sont donc des expansions foliacées accompagnant la base du pétiole. Elles se trouvent dans un grand nombre de plantes, mais non dans toutes, car leur rôle est fort secondaire ainsi que celui du pétiole. La partie vraiment importante, vraiment active, de la feuille, c’est le limbe, qui existe presque toujours, et quand il manque est remplacé dans ses fonctions par d’autres organes prenant alors sa structure. Portez votre attention sur la feuille composée
Fig. 86. Rameau de Pois.
La feuille porte à sa base d’amples stipules, et a ses folioles supérieures transformées en vrilles.
pennée du rosier (fig. 77). Tout à la base du pétiole commun, vous verrez, de droite et de gauche, un rebord membraneux, vert, qui supérieurement se termine en oreillette libre. Ce sont là les stipules. Mais la forme et l’ampleur de ces organes varient singulièrement d’une espèce végétale à l’autre. Tantôt les stipules sont libres et prennent un grand développement, qui pourrait les faire confondre avec les feuilles ; c’est ainsi que les feuilles pennées du pois (fig. 86) sont douées de deux énormes stipules bien plus grandes que les folioles ; on les distingue de celles-ci en remarquant qu’elles sont situées à la base même du pétiole et non échelonnées sur sa longueur. Tantôt elles sont soudées, soit au pétiole, comme dans le rosier, soit entre elles comme dans les astragales ; tantôt enfin elles entourent la tige et lui forment un étui que termine parfois une élégante collerette.

Dans bien des plantes, l’aubépine, le poirier, l’abricotier, les stipules n’ont qu’une durée très-éphémère ; elles tombent quand s’est épanouie la feuille qu’elles accompagnent. Leur principale utilité est de servir d’enveloppe protectrice aux feuilles encore fort jeunes. Examinez la sommité d’une tige de géranium. Vous verrez la feuille naissante abritée, de droite et de gauche, par de larges stipules, véritables courtines de son berceau. Lorsque la feuille est étalée, vigoureuse, à l’abri du péril, les stipules se dessèchent et se détachent.

Quelques figuiers, en particulier celui qui fournit la gomme élastique, sont plus remarquables encore sous ce rapport. Leurs jeunes feuilles sont roulées en cornet l’une dans l’autre, et chacune d’elles est revêtue d’un long capuchon formé par les stipules. Quand le moment opportun est venu, le capuchon stipulaire tombe, et la feuille qu’il abritait se déploie.

Votre attention ne s’est jamais probablement arrêtée sur la disposition que les feuilles affectent en se succédant de la base au sommet du rameau ; vous n’avez accordé à leur arrangement sur la tige que ce coup d’œil vague, irréfléchi, que l’on donne aux choses en soi indifférentes ; et si l’on vous demandait comment les feuilles s’échelonnent sur l’axe qui les porte, vous répondriez : Il en vient un peu partout, au hasard. — Eh bien ! non, les feuilles ne sont pas disposées au hasard. Toute chose, en ce monde, obéit aux lois harmoniques du nombre, du poids, de l’ordre ; tout se pèse, tout se mesure, tout se dénombre. Le moindre brin d’herbe dispose ses feuilles d’après une délicate géométrie dont je vais vous expliquer les éléments.

Le premier besoin des feuilles est de s’étaler à l’air libre et de voir le jour ; vous en saurez bientôt les motifs. Si elles se superposaient trop directement, les feuilles se nuiraient donc entre elles, en se faisant mutuellement ombre et se masquant le soleil, dont les rayons sont d’une absolue nécessité pour leur travail. Pour éviter, ou plutôt pour retarder autant que possible cette nuisible superposition, la plante échelonne ses feuilles sur une ligne spirale qui monte avec une géométrique régularité ; c’est, si vous le voulez, l’escalier à vis d’une haute tour. À la base de cet escalier, elle établit la première feuille ; en un point plus élevé, mais qui ne correspond pas au précédent, elle met la seconde ; plus haut encore, et toujours de côté, elle fixe la troisième ; et ainsi de suite, si bien que les points d’attache des diverses feuilles tournent, s’élevant toujours, sans se superposer. Tôt ou tard, c’est inévitable, quand toutes les places sont prises, une feuille pourtant finit par se trouver juste au dessus d’une autre ; la spirale, en tournant, superpose deux points d’attache, mais c’est à une telle distance, que l’accès du soleil sur la feuille d’en bas est à peine entravé par la feuille d’en haut. À partir du point superposé, l’ordre primitif recommence et fait par conséquent correspondre une à une les nouvelles feuilles aux feuilles inférieures.

Le dessin est ici nécessaire. La figure 87 représente un rameau de poirier. Partons d’une feuille, la première venue et que nous numéroterons 1. Pour aller de cette feuille à la suivante, pour monter en quelque sorte d’un étage, suivons la spirale idéale que nous pouvons imaginer s’enroulant autour du rameau et passant par toutes les feuilles dans leur ordre successif. Nous arrivons d’abord à la feuille 2. Vous voyez que pour ne pas gêner la première de son ombre,
Fig. 88. Arrangement des feuilles du Poirier.
elle a pris place de côté. Poursuivons. Nous rencontrons la feuille 3, qui n’est superposée ni à la première, ni à la seconde. Vient après la feuille 4, ne correspondant à aucune de celles qui précèdent. Un étage de plus nous conduit à la feuille 5, toujours disposée de façon à ne pas recouvrir celles d’en bas.
Fig. 87. Disposition des feuilles sur un rameau de Poirier.
Enfin la feuille 6 est juste placée au dessus de la feuille 1, et lui forme, pour ainsi dire, plafond à la hauteur de cinq étages.

Au dessus de la feuille 6, la spirale monte toujours avec la même distribution des feuilles. La feuille 6, superposée à 1, est suivie de la feuille 7, superposée à 2 ; puis de la feuille 8, superposée à 3 ; des feuilles 9, 10, 11, etc., superposées aux feuilles 4, 5, 6, etc. Avec la feuille 11, on se retrouve sur l’alignement qui passe déjà par 1 et par 6 ; on s’y retrouverait encore avec les feuilles 16, 21, 26, etc., c’est-à-dire toutes les fois qu’on aurait monté de cinq feuilles. Ainsi, de cinq en cinq, les feuilles du poirier reprennent la même disposition, Dans une série de cinq feuilles consécutives, aucune ne sert de plafond aux précédentes ; mais d’une série à l’autre, la superposition a lieu, et l’ensemble des feuilles est aligné sur cinq rangées rectilignes qui vont d’un bout à l’autre du rameau. Une rangée comprend les feuilles 1, 6, 11, etc. ; une autre, les feuilles 2, 7, 12, etc. ; une troisième, les feuilles 3, 8, 13, etc. ; une quatrième, les feuilles 4, 9, 14, etc. ; une cinquième enfin, les feuilles 5, 10, 15, etc.

Fig. 89. Disposition des feuilles sur un rameau d’Orme. Fig. 90. Arrangement
des feuilles de l’Orme.
Fig. 91. Souchet. Fig. 92. Arrangement
des feuilles du Souchet.

Remarquez que chacune de ces séries est composée d’une suite de nombres qui vont en augmentant de 5 de l’un à l’autre ; remarquez aussi sur la figure 88 que pour aller de la feuille 1 à sa correspondante 6, ou d’une manière générale pour aller d’une feuille quelconque à celle qui lui est immédiatement superposée, la spirale idéale qui passe par toutes les feuilles fait deux fois le tour du rameau. Cet arrangement des feuilles se superposant de cinq en cinq, et dont chaque série de cinq fait deux tours de spire, s’appelle quinconce et se montre très-fréquemment dans les végétaux dicotylédonés.

On connaît d’autres arrangements plus compliqués, par exemple celui où les feuilles se superposant de 8 en 8 en faisant trois tours de spire ; celui où elles se superposent de 13 en 13 en faisant cinq tours ; et d’autres encore. Mais ces arrangements sont de plus en plus rares à mesure que leur complication s’accroît, et nous ne nous y arrêterons pas davantage. Revenons à des cas plus simples. — Dans l’orme (fig. 89) les feuilles sont alignées sur deux rangées dont l’une comprend les numéros impairs 1, 3, 5, 7, etc., et l’autre les numéros pairs 2, 4, 6, 8, etc. La superposition se fait ainsi de deux feuilles en deux feuilles. Avec cet arrangement, les feuilles sont dites alternes, parce qu’elles sont alternativement disposées à droite et à gauche du rameau sur deux rangées rectilignes.

Dans le souchet (fig. 91) la feuille 4 se superpose à 1, la feuille 5 à 2, la feuille 6 à 3, etc. La superposition se fait donc de 3 en 3 feuilles, et chaque groupe de 3 embrasse un tour de spire. Cet arrangement est qualifié de tristique, parce que les feuilles sont disposées sur trois rangées rectilignes le long du rameau. On l’observe dans beaucoup de végétaux monocotylédonés.

Les feuilles disposées une par une le long d’une spirale, suivant l’une quelconque des lois dont je viens de vous donner une idée, se nomment feuilles éparses, ou mieux feuillés spiralées. Leur point de naissance sur le rameau s’appelle nœud, et la distance entre deux nœuds consécutifs s’appelle entre-nœud.

D’autres fois, les feuilles sont groupées deux par deux, trois par trois, quatre par quatre ou davantage, autour d’un même nœud. Chacun de ces groupes s’appelle verticille, et les feuilles sont qualifiées de verticillées. Lorsque le verticille est de deux, les feuilles plus fréquemment sont dites opposées (fig. 93). Il est à remarquer que, dans ces associations deux par deux, chaque groupe se met en croix avec le groupe inférieur, toujours dans le but évident de gêner le moins possible l’accès de la lumière. Du reste la loi est générale, et, quel que soit leur nombre, les feuilles d’un verticille ne se placent pas au dessus de celles du verticille inférieur, mais bien en face des intervalles qui les séparent.

Fig. 93. Feuilles opposées. Fig. 94. Feuilles de Laurier-rose
verticillées par trois.

On désigne cette disposition en disant que deux verticilles consécutifs alternent leurs feuilles. Nous en avons un bel exemple dans le laurier-rose, dont les feuilles sont verticillées par trois (fig. 94).