Œuvres de Saint-Amant/La Plainte de Tirsis

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LA PLAINTE DE TIRSIS.


Dans l’horreur d’un bois solitaire,
Où malgré l’œil du jour règne en tout temps la nuit
Tirsis, loing du monde qu’il fuit,
Ne pouvant plus se taire,
Chantoit en pleurs le doux et triste sort
Qui le livre à la mort.

C’est donc une chose arrestée,
Disoit ce pauvre amant plein d’ardeur et de foy,
Que je souffre à jamais pour toy,
Cruelle Pasithée !
Et que ton cœur, au lieu d’en soupirer,
Feigne de l’ignorer !

Tes beaux yeux, les rois de mon ame.
Après m’avoir soumis à leur divin pouvoir,
Feront semblant de ne point voir
Ma vive et pure flame,
Et ton oreille entendra sans pitié
Gemir mon amitié.

Ha ! rigueur trop longue et trop dure !
C’en est fait, je me rends à ta fiere mercy.
En vain ces houlx flattent icy
Mes maux de leur verdure,
Il faut perir : Amour ne m’offre en eux
Qu’un espoir espineux.

Comme il achevoit cette plainte,
Un long cry de hybou, douloureux et tremblant,
D’un mortel effroy l’accablant,
Le fit paslir de crainte ;
Et maint aspic, siflant autour de luy.
Redoubla son ennuy.

Un ruisseau plein d’inquietude,
Murmurant sur le dos d’un aspre et vieux rocher
Du mal qu’il avoit à marcher
En un chemin si rude,
Representoit le lamentable cours
De ses penibles jours.

Le tronc noir et sec d’un erable,
Par le courroux du ciel foudroyé depuis peu

Ne luy presageoit en son feu
Qu’une fin miserable ;
Tous les objets y sembloient conspirer,
Et luy la desirer.