La Petite-Poste dévalisée/Lettre 40

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 180-182).


Un Philosophe à son ami.


Notre Rhéteur Athénien paroît insensible à tous les coups que nous lui avons portés. Ô mon ami ! son silence farouche m’épouvante : il consomme apparemment cette cruelle vengeance qu’il a trop annoncée. Il va donc, du fond de sa retraite, s’élancer sur nous, & nous déchirer à belles dents. La chaleur dévorante de son style âcre me calcine d’avance ; & je voudrois n’en avoir jamais été connu : pourquoi me l’avez-vous amené ? Pourquoi avons-nous servi ce desir immodéré qu’il avoit pour la réputation ? Insensés que nous étions ! nous avons élevé cette colline qui se penche sur nous. Mais, encore un coup, comment se fait-il qu’il soit assez maître de son extrême sensibilité, pour ne pas se livrer aux petites attaques que nous lui avons habilement présentées ? Il se couvroit de ridicules, s’il fût descendu sur l’arêne avec nous ; au-lieu que, retranché derrière un ouvrage considérable dont nous serons les principaux objets, il rira paisiblement des avantages que ses dernières inconséquences nous donnoient sur lui.

Je suis sûr que déja la Presse gémit quelque part sous le poids de sa satire. Une satire ! Ô mon cher !… quel triomphe pour tous nos ennemis ! Ils sont trop acharnés à nous perdre, pour distinguer la vérité de l’imposture : l’injustice & la haine n’attendent pour triompher que le cri de la calomnie.

Adieu, mon cher camarade : il n’y a point de Philosophie qui tienne : je suis foible comme un enfant sur la peur qui m’a dicté cette lettre. Rassurez-moi, si vous l’osez vous-même.