La Petite-Poste dévalisée/Lettre 07

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 24-27).


À M. le Baron de ***.


À la manière dont vous me saluates hier aux Tuileries, mon cher monsieur, je crus m’appercevoir que vous n’êtiez point fâché de vous offrir à ma vue avec les gens qui vous entouroient. Vous vous croyiez sûrement en bonne compagnie. Oui, monsieur, les noms sont imposans ; mais les mœurs ? les principes, où les trouverez-vous plus mauvais ? N’est-il pas vrai que tout le temps que vous avez passé avec ces messieurs, il n’a été question que de filles, de jeu, de petits soupers, de maquignons & de salles d’armes ? S’est-il dit une seule chose honnête ou sensée ? Et vous, monsieur, qui débutez dans le monde avec un caractère estimable, vous allez donc le sacrifier à la vanité de voir des gens un peu au-dessus de vous par des titres dont ils sont si peu dignes ? Car vous les imiterez bientôt, si vous avez l’orgueil de les voir. Oh fils aimable de mon ami ! permettez à mon âge la leçon que j’ose vous faire : vous êtes perdu, si vous ne vous êtes pas trouvé déplacé hier. Réfléchissez où peuvent vous conduire de semblables liaisons. Vous verrai-je, comme eux, afficher effrontément le mépris de toutes les bienséances, flétrir en un instant les fleurs de votre jeunesse ; engloutir tous vos biens dans les abysmes d’une débauche sans bornes, vous réduire bientôt à la nécessité d’une basse intrigue, qui fait trouver de nouvelles ressources par de nouveaux excès. Non, monsieur, non, vous n’êtes point né pour cette honte. Vous avez été effrayé du tableau que je viens de vous présenter ; & j’espère ne vous rencontrer jamais qu’avec des gens qui ne sont pas faits pour effrayer vos amis sur votre compte.