Librairie Plon (p. 124-125).


HASARD

Les êtres que j’aime sont des créatures. Ils sont nés du hasard. Ma rencontre avec eux est aussi un hasard. Ils mourront. Ce qu’ils pensent, ce qu’ils sentent et ce qu’ils font est limité et mélangé de bien et de mal.

Savoir cela de toute son âme et ne pas les aimer moins.

Imiter Dieu qui aime infiniment les choses finies en tant que choses finies.

Nous voudrions que tout ce qui a une valeur fût éternel. Or tout ce qui a une valeur est le produit d’une rencontre, dure par rencontre et cesse lorsque ce qui s’était rencontré se sépare. C’est la pensée centrale du bouddhisme (pensée héraclitéenne). Elle mène tout droit à Dieu.

La méditation sur le hasard qui a fait rencontrer mon père et ma mère est plus salutaire encore que celle de la mort.

Y a-t-il une seule chose en moi qui n’ait pas son origine dans cette rencontre ? Dieu seul. Et encore ma pensée de Dieu a son origine dans cette rencontre.

Étoiles et arbres fruitiers en fleurs. La permanence complète et l’extrême fragilité donnent également le sentiment de l’éternité.

Les théories sur le progrès, sur le « génie qui perce toujours », procèdent de ce qu’il est intolérable de se représenter ce qu’il y a de plus précieux dans le monde livré au hasard. C’est parce que cela est intolérable que cela doit être contemplé.

La création, c’est cela même.

Le seul bien qui ne soit pas sujet au hasard est celui qui est hors du monde.

La vulnérabilité des choses précieuses est belle parce que la vulnérabilité est une marque d’existence.

Destruction de Troie. Chute de pétales d’arbres fruitiers en fleurs. Savoir que le plus précieux n’est pas enraciné dans l’existence. Cela est beau. Pourquoi ? Projette l’âme hors du temps.

La femme qui souhaite un enfant blanc comme la neige, rouge comme le sang, l’obtient, mais elle meurt et l’enfant est livré à une belle-mère.