E. Dentu, éditeur (p. 1-3).


À DOURA

la meilleure et la plus belle chienne qui soit jamais née dans les montagnes des Pyrénées



Ma vieille amie, lorsque j’écrivais la Perle de Candelair, j’en faisais hommage, dans mon esprit et sur le papier, à un homme dont, pour crime d’ingratitude, je ne mets pas le nom en tête d’un ouvrage que je signe.

En échange d’une amitié sincère et désintéressée il m’a rendu la monnaie de toutes les petites lâchetés que le monde tolère, parce qu’il fait mine de n’y pas croire.

Il avait déjà un peu commencé à cette époque à me payer avec cette monnaie-là ; mais je faisais comme le monde : je ne croyais qu’à une défaillance momentanée de son cœur. Aussi je l’excusais de toute la force de mon affection pour lui, et ma dédicace était ainsi faite :

À un ami que je n’ai plus, l’ombre d’un futur portefeuille lui ayant, momentanément, changé l’esprit et le cœur.

Autrefois, alors que le soleil ne luisait plus pour vous, il n’y avait pas bien longtemps de cela, j’écrivais cet ouvrage en songeant combien d’entraves matérielles, composées de misères énervantes, peuvent se dresser en face d’un homme jeune, bon, etc… ; car dans mon amitié je vous donnais toutes les qualités.

J’avais vu, en vous regardant marcher dans la vie, toutes les pierres du chemin qui peuvent blesser les gens de quelque valeur : les épines qui les déchirent, les ronces qui les arrêtent.

Mon cœur avait épousé les secrètes douleurs d’une âme forte qui se sent isolée de toute aide, de toute bienveillance même, et qui plus d’une fois s’est désaltérée à la coupe enfiellée de la trahison, sans y puiser, hélas, de clairvoyance pour l’avenir.

Et j’avais écrit la Perle de Candelair, qui devait vous être dédiée. Qu’elle vous le soit encore, je ne change pas, car je n’en veux jamais entièrement à ceux que j’ai une fois aimés, je respecte en eux l’amitié que je leur avais vouée, quels que soient leurs torts ; c’est une part de moi qui leur restera toujours, et qui les protégera vis-à-vis de mes justes ressentiments.

En réponse au mal qu’ils m’ont fait : je les plains et j’attends.

Tous les soleils ont leur coucher. Si celui qui vous éclaire momentanément venait à pâlir, je sais que vous reviendriez à moi, parce que le chagrin nous ramène vers ceux qui nous aimaient. Ne craignez rien, les jours qui passent n’amassent point de reproche pour l’accueil qui vous sera fait ; l’amitié est le seul sentiment qui en vieillissant ne prenne point de rides, et quand viendra le soir vous trouverez mon affection ce qu’elle était au temps passé, et vous pourrez vous appuyer avec la même confiance à la main qui vous sera tendue.

 
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Je mets ton nom en tête de cet ouvrage, ma brave et vaillante Doura, et gardes-en la dédicace jusqu’à ce que l’oublieux ami la vienne redemander.


MIE D’AGHONNE.