La Peau de chagrin/La Femme sans cœur

Charpentier, libraire-éditeur (p. 93-220).
LA FEMME SANS CŒUR.

Après être resté silencieux pendant un moment, Raphaël dit en laissant échapper un geste d’insouciance

Je ne sais en vérité s’il ne faut pas attribuer

aux fumées du vin et du punch l’espèce de lucidité qui me permet d’embrasser en cet instant toute ma vie comme un même tableau, où les figures, les couleurs, les ombres, les lumières, les demi-teintes sont fidèlement rendues. Ce jeu poétique de mon imagination ne m’étonnerait pas, s’il n’était accompagné d’une sorte de dédain pour mes souffrances et pour mes joies passées. Vue à distance, ma vie est. comme rétrécie par un phénomène moral. Cette longue et lente douleur qui a duré dix ans peut aujourd’hui se reproduire par quelques phrases dans lesquelles la douleur ne sera plus qu’une pensée, et le plaisir une réflexion philosophique. Je juge, au lieu de sentir.

– Tu es ennuyeux comme un amendement, s’écria Émile.

– C’est possible, reprit Raphaël sans murmurer. Aussi, pour ne pas abuser de tes oreilles, te je grâce des dix-sept premières années de ma vie. Jusque-là, j’ai vécu comme toi, comme mille autres, de cette vie de collége ou de lycée, dont maintenant nous nous rappelons tous avec tant de délices les malheurs fictifs et les joies réelles, à laquelle notre gastronomie blasée redemande les légumes du vendredi, tant que nous ne les avons pas goûtés de nouveau : belle vie dont nous méprisons les travaux, qui cependant nous ont appris le travail.

— Arrive au au drame, dit Émile d’un air moitié comique et moitié plaintif.

– Quand je sortis du collége, reprit Raphaël en réclamant par un geste le droit de continuer, mon père m’astreignit à une discipline sévère, il me logea dans une chambre contiguë à son cabinet ; je me couchais dès neuf heures du soir et me levais à cinq heures du matin ; il voulait que je fisse mon droit en conscience, j’allais en même temps à l’École et chez un avoué ; mais les lois du temps et de l’espace étaient si sévèrement appliquées à mes courses, à mes travaux, et mon père me demandait en dînant un compte si rigoureux de…

– Qu’est-ce que cela me fait ? dit Émile.

– Eh ! que le diable t’emporte, répondit Raphaël. Comment pourras-tu concevoir mes sentiments si je ne te raconte les faits imperceptibles qui influèrent sur mon âme, la façonnèrent à la crainte et me laissèrent longtemps dans la naïveté primitive du jeune homme ? Ainsi, jusqu’à vingt et un ans, j’ai été courbé sous un despotisme aussi froid que celui d’une règle monacale. Pour te révéler les tristesses de ma vie, il suffira peut-être de te dépeindre mon père : un grand homme sec et mince, le visage en lame de couteau, le teint pâle, à parole brève, taquin comme une vieille fille, méticuleux comme un chef de bureau. Sa paternité planait audessus de mes lutines et joyeuses pensées, et les enfermait comme sous un dôme de plomb. Si je voulais lui manifester un sentiment doux et tendre, il me recevait en enfant qui va dire une sottise. Je le redoutais bien plus que nous ne craignions naguère nos maîtres d’étude. J’avais toujours huit ans pour lui. Je crois encore le voir devant moi : dans sa redingote marron, où il se tenait droit comme un cierge pascal, il avait l’air d’un hareng saur enveloppé dans la couverture rougeâtre d’un pamphlet. Cependant j’aimais mon père, au fond il était juste. Peut-être ne haïssons-nous pas la sévérité quand elle est justifiée par un grand caractère, par des moeurs pures, et qu’elle est adroitement entremêlée de bonté. Si mon père ne me quitta jamais, si jusqu’à l’âge de vingt ans, il ne laissa pas dix francs à ma disposition, dix coquins, dix libertins de francs, trésor immense dont la possession vainement enviée me faisait rêver d’ineffables délices, il cherchait du moins à me procurer quelques distractions. Après m’avoir promis un plaisir pendant des mois entiers, il me conduisait aux Bouffons, à un concert, à un bal, où j’espérais rencontrer une maîtresse. Une maîtresse ! c’était pour moi l’indépendance. Mais honteux et timide, ne sachant point l’idiome des salons et n’ y connaissant personne, j’en revenais le coeur toujours aussi neuf et tout aussi gonflé de désirs. Puis le lendemain, bridé comme un cheval d’escadron par mon père, dès le matin je retournais chez un avoué, au Droit, au Palais. Vouloir m’écarter de la route uniforme qu’il m’avait tracée, c’eût été m’exposer à sa colère ; il m’avait menacé de m’embarquer à ma première faute, en qualité de mousse, pour les Antilles. Aussi me prenait-il un horrible frisson quand par hasard j’osais m’aventurer, pendant une heure ou deux, dans quelque partie de plaisir. Figure-toi l’imagination la plus vagabonde, le coeur le plus amoureux, l’âme la plus tendre, l’esprit le plus poétique, sans cesse en présence de l’homme le plus caillouteux, le plus atrabilaire, le plus froid du monde ; enfin marie une jeune fille à un squelette, et tu comprendras l’existence dont tu m’interdis de te développer les scènes curieuses: projets de fuite évanouis à l’aspect de mon père, désespoirs calmés par le sommeil, désirs comprimés, sombres mélancolies dissipées par la musique. J’exhalais mon malheur en mélodies. Beethoven ou Mozart furent souvent mes discrets confidents. Aujourd’hui je souris en me souvenant de tous les préjugés qui troublaient ma conscience à cette époque d’innocence et de vertu : si j’avais mis le pied chez un restaurateur, je me serais cru ruiné ; mon imagination me faisait considérer un café comme un lieu de débauche, où les hommes se perdaient d’honneur et engageaient leur fortune ; quant à risquer de l’argent au jeu, il aurait fallu en avoir. Oh ! quand je devrais t’endormir, je veux te raconter l’une des plus terribles joies de ma vie, une de ces joies armées de griffes et qui s’enfoncent dans notre coeur comme un fer chaud sur l’épaule d’un forçat. J’étais au bal chez le duc de Navailles, cousin de mon père. Mais pour que tu puisses parfaitement comprendre ma position, apprends que j’avais un habit râpé, des souliers mal faits, une cravate de cocher et des gants déjà portés. Je me mis dans un coin afin de pouvoir tout à mon aise prendre des glaces et contempler les jolies femmes. Mon père m’aperçut. Par une raison que je n’ai jamais devinée, tant cet acte de confiance m’abasourdit, il me donna sa bourse et ses clefs à garder. A dix pas de moi quelques hommes jouaient. J’entendais frétiller l’or. J’avais vingt ans, je souhaitais passer une journée entière plongé dans les crimes de mon âge. C’était un libertinage d’esprit dont nous ne trouverions l’analogue ni dans les caprices de courtisane, ni dans les songes des jeunes filles. Depuis un an je me rêvais bien mis, en voiture, ayant une belle femme à mes côtés, tranchant du seigneur, dînant chez Véry, allant le soir au spectacle, décidé à ne revenir que le lendemain chez mon père ; mais armé contre lui d’une aventure plus intriguée que ne l’est le Mariage de Figaro, et dont il lui aurait été impossible de se dépêtrer. J’avais estimé toute cette joie cinquante écus. N’étais-je pas encore sous le charme naïf de l’école buissonnière ? J’allai donc dans un boudoir où, seul, les yeux cuisants, les doigts tremblants, je comptai l’argent de mon père: cent écus !

Évoquées par cette somme, les joies de mon escapade apparurent devant moi, dansant comme les sorcières de Macbeth autour de leur chaudière, mais alléchantes, frémissantes, délicieuses! Je devins un coquin déterminé. Sans écouter ni les tintements de

mon oreille, ni les battements précipités de mon coeur, je pris deux pièces de vingt francs que je vois encore ! Leurs millésimes étaient effacés et la figure de Bonaparte y grimaçait. Après avoir mis la bourse dans ma poche, je revins vers une table de jeu en tenant les deux pièces d’or dans la paume humide de ma main, et je rôdai autour des joueurs comme un émouchet au-dessus d’un poulailler. En proie à des angoisses inexprimables, je jetai soudain un regard translucide autour de moi. Certain de n’être aperçu par aucune personne de connaissance, je pariai pour un petit homme gras et réjoui, sur la tête duquel j’accumulai plus de prières et de vœux qu’il ne s’en fait en mer pendant trois tempêtes. Puis, avec un instinct de scélératesse ou de machiavélisme surprenant à mon âge, j’allai me planter près d’une porte, regardant à travers les salons sans y rien voir. Mon âme et mes yeux voltigeaient autour du fatal tapis vert. De cette soirée date la première observation physiologique à laquelle j’ai dû cette espèce de pénétration qui m’a permis de saisir quelques mystères de notre double nature. Je tournais le dos à la table où se disputait mon futur bonheur, bonheur d’autant plus profond peut-être qu’il était criminel ; entre les deux joueurs et moi, il se trouvait une haie d’hommes, épaisse de quatre ou cinq rangées de causeurs ; le bourdonnement des voix empêchait de distinguer le son de l’or qui se mêlait au bruit de l’orchestre ; malgré tous ces obstacles, par un privilège accordé aux passions et qui leur donne le pouvoir d’anéantir l’espace et le temps, j’entendais distinctement les paroles des deux joueurs, je connaissais leurs points, je savais celui des deux qui retournait le roi comme si j’eusse vu les cartes ; enfin à dix pas du jeu, je pâlissais de ses caprices. Mon père passa devant moi tout à coup, je compris alors cette parole de l’Écriture: L’esprit de Dieu passa devant sa face ! J’avais gagné. A travers le tourbillon d’hommes qui gravitait autour des joueurs, j’accourus à la table en m’y glissant avec la dextérité d’une anguille qui s’échappe par la maille rompue d’un filet. De douloureuses, mes fibres devinrent joyeuses. J’étais comme un condamné qui, marchant au supplice, a rencontré le roi. Par hasard, un homme décoré réclama quarante francs qui manquaient. Je fus soupçonné par des yeux inquiets, je pâlis et des gouttes de sueur sillonnèrent mon front. Le crime d’avoir volé mon père me parut bien vengé. Le bon gros petit homme dit alors d’une voix certainement angélique : « Tous ces messieurs avaient mis, » et paya les quarante francs. Je relevai mon front et jetai des regards triomphants sur les joueurs. Après avoir réintégré dans la bourse de mon père l’or que j’y avais pris, je laissai mon gain à ce digne et honnête monsieur qui continua de gagner. Dès que je me vis possesseur de cent soixante francs, je les enveloppai dans mon mouchoir de manière à ce qu’ils ne pussent ni remuer ni sonner pendant notre retour au logis, et ne jouai plus. — Que faisiez-vous au jeu ? me dit mon père en entrant dans le fiacre — Je regardais, répondis-je en tremblant. Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/112 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/113 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/114 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/115 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/116 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/117 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/118 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/119 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/120 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/121 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/122 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/123 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/124 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/125 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/126 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/127 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/128 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/129 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/130 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/131 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/132 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/133 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/134 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/135 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/136 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/137 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/138 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/139 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/140 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/141 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/142 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/143 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/144 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/145 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/146 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/147 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/148 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/149 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/150 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/151 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/152 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/153 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/154 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/155 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/156 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/157 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/158 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/159 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/160 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/161 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/162 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/163 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/164 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/165 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/166 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/167 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/168 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/169 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/170 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/171 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/172 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/173 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/174 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/175 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/176 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/177 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/178 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/179 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/180 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/181 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/182 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/183 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/184 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/185 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/186 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/187 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/188 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/189 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/190 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/191 chagrin. Ah ! Dieu ! elle vous tuera. J’en suis sûre. Il y avait dans son cri une sorte de croyance aux folles superstitions de sa mère. — Vous êtes bien crédule, Pauline ! —Oh !bien certainement ! dit-elle en me regardant avec terreur, la femme que vous aimerez vous tuera. Elle reprit son pinceau, le trempa dans la couleur en laissant paraître une vive émotion, et ne me regarda plus. En ce moment, j’aurais bien voulu croire à des chimères. Un homme n’est pas tout à fait misérable quand il est superstitieux. Une superstition est une espérance. Retiré dans ma chambre, je vis en effet deux nobles écus dont la présence me parut inexplicable. Au sein des pensées confuses du premier sommeil, je tâchai de vérifier mes dépenses pour me justifier cette trouvaille inespérée, mais je m’endormis perdu dans d’inutiles calculs. Le lendemain, Pauline vint me voir au moment où je sortais pour aller louer une loge. — Vous n’avez peut-être pas assez de dix francs, me dit en rougissant cette bonne et aimable fille, ma mère m’a chargée de vous offrir cet argent. Prenez, prenez ! Elle jeta trois écus sur ma table et voulut se sauver ; mais je la retins. L’admiration sécha les larmes qui roulaient dan mes yeux : — Pauline, lui dis-je, vous êtes un ange ! Ce prêt me touche bien moins que la pudeur de sentiment avec laquelle vous me l’offrez. Je désirais une femme riche, élégante, titrée ; hélas ! maintenant je voudrais posséder des millions et Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/193 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/194 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/195 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/196 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/197 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/198 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/199 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/200 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/201 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/202 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/203 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/204 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/205 geté à ses séductions. Sa figure était empreinte d’un charme fugitif, qui semblait prouver que nous sommes à chaque instant des êtres nouveaux, uniques, sans aucune similitude avec le nous de l’avenir et le nous du passé. Je ne l’avais jamais vue aussi éclatante. Savez-vous, dit-elle en riant, que vous avez — piqué ma curiosité ? Je ne la tromperai pas, répondis-je froidement en m’asseyant près d’elle et lui prenant une main qu’elle m’abandonna. Vous avez une bien belle voix Vous ne m’avez jamais entendue, s’écria-t-elle — en laissant échapper un mouvement de surprise. Je vous prouverai le contraire quand cela sera nécessaire. Votre chant délicieux serait-il donc encore un mystère ? Rassurez-vous, je ne veux pas le pénétrer. Nous restâmes environ une heure à causer familièrement. Si je pris le ton, les manières et les gestes d’un homme auquel Foedora ne devait rien refuser, j’eus aussi tout le respect d’un amant. En jouant ainsi, j’obtins la faveur de lui baiser la main ; elle se déganta par un mouvement mignon, et j’étais alors si voluptueusement enfoncé dans l’illusion à laquelle j’essayais de croire, que mon âme se fondit et s’épancha dans ce baiser. Foedora se laissa flatter, caresser, avec un incroyable abandon. Mais ne m’accuse pas de niaiserie ; si j’avais voulu faire un pas au-delà de cette càlinerie fraternelle, j’eusse senti les griffes de la chatte. Nous restâmes dix minutes environ, plongés dans un profond silence. Je l’admirais, lui prêtant des charmes auxquels elle mentait. En ce moment, elle était à moi, —

! Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/207 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/208 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/209 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/210 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/211 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/212 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/213 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/214 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/215 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/216 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/217 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/218 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/219 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/220 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/221 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/222 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/223 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/224 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/225 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/226 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/227 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/228 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/229 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/230 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/231 Page:La peau de chagrin, Honoré de Balzac.pdf/232