La Paix d’Amiens
Revue des Deux Mondes5e période, tome 11 (p. 311-341).
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LA PAIX D’AMIENS

V[1]
COMMENT LA PAIX FUT ROMPUE


En arrivant à Londres, Andréossy apprit que les Ministres demandaient un subside pour porter le nombre des marins de 30 000 à 50 000[2]. Le 14 novembre 1802, Hawkesbury écrit à Whitworth, à Paris : « Si le gouvernement français engage avec vous un entretien au sujet de l’île de Malte, il est de la plus grande importance que vous évitiez de révéler quoi que ce soit des intentions de Sa Majesté en ce qui regarde l’île. » Le roi déclare, le 10 novembre, qu’il réglera sa conduite sur la situation de l’Europe. Dans la discussion de l’adresse, aux Lords, Grenville dit : « Le royaume est placé dans la plus terrible, la plus critique des situations. Il ne lui reste plus que deux alternatives : préparer la guerre ou se courber sous la volonté de celui qui préside aux destinées de la France. » « Il vaut mieux, dit Windham, aux Communes, prévenir le coup que le parer. » Canning réclame de vigoureuses mesures de défense. Fox ose démontrer que l’extension de la puissance française a été prévue par les négociateurs du traité ; que ce ne sont point des nouveautés, que c’est le développement d’un état de choses connu : on ne l’écoute pas. Le ministère demande, le 8 décembre, que le pied de paix soit porté à 130 000 hommes. « La destruction de notre pays est la première vision qui pénètre Bonaparte avec le premier rayon du matin, s’écrie Sheridan ; c’est sa dernière pensée le soir, à quelque déité qu’il s’adresse, Jupiter, Mahomet, la déesse des batailles ou celle de la Raison. »

Pitt n’a pas encore reparu au Parlement ; mais il remonte sur la scène, il écrit, il cause. Il dit à Malmesbury : « La France est une puissance factice, cela ne peut pas durer, mon temps reviendra. Quelque grande que puisse être la France, notre revenu égale celui de l’Europe, notre marine est supérieure à celle de toute l’Europe. » Canning incrimine le ministère : « Tôt ou tard, il faudra qu’il agisse, sans quoi le pays est perdu… Il n’y a autre chose que concession, concession, concession[3] ! »

Sur ces entrefaites, Whitworth arrive à Paris. C’est un homme de cinquante ans : « grand, parfaitement beau, » de tournure noble, représentant, avec magnificence, un pays prospère et un État al lier. Un de ses premiers rapports est pour signaler les vues persistantes de Bonaparte sur l’Egypte et recommander la vigilance. Il tient pour la paix agitée. « Chaque nouvelle année de paix, écrit-il, le 1er décembre, tout en affaiblissant le gouvernement consulaire, donnera de la force et du courage à ceux dont c’est le but et l’intérêt de le renverser. De fait, nous entretenons, en maintenant la paix, un état de guerre, contre ce gouvernement, qui est plus décisif et plus dangereux par lui-même que des hostilités déclarées. »

Bonaparte ne s’y trompe pas : l’Angleterre ne rendra pas Malte. Les prétextes de ne point rendre cette île changent avec les époques : naguère c’était la république italienne, désormais ce sera la Suisse. Bonaparte apprend qu’à Londres les ci-devant fabricans de faux assignats se mettent, chose plus redoutable, à fabriquer de faux billets de la Banque de France ; que les émigrés complotent à Jersey, que des émissaires anglais parcourent les ports d’Italie, que les partisans de l’Angleterre s’agitent en Hollande et, sous le couvert d’une neutralité louche, travaillent à rompre l’alliance française. Il excite sa polémique, éperonne ses espions ; il refuse d’entendre parler de relations commerciales. « Nous ne paraissons pas être en paix, » écrit-il à Talleyrand. La conduite de l’Angleterre est « une injure perpétuelle au peuple français. » Il faut en finir, cependant. C’est une phrase qui revient en tous ses discours : « Le temps de la tranquillité est arrivé en Europe[4]. » Il dit à Markof : « Les flots excités par le dernier orage ne sont pas encore assez calmés pour ne pas faire craindre une nouvelle tempête, et, dans le cas d’une nouvelle explosion, mon parti est pris de faire proclamer l’empire des Gaules et de marcher à nos ennemis. » C’est l’épouvantail césarien : il se flatte d’en terrifier le continent.

L’acte de médiation de la Suisse se prépare, ostensiblement. Le 10 décembre, Bonaparte adresse aux délégués ce discours, qui porte loin : « La neutralité convient seule à la nature de votre pays et à vos intérêts ; » mais, ajoute-t-il : « Je dois vous parler comme magistrat d’un grand pays et ne pas vous déguiser que jamais la France et la République italienne ne pourront souffrir qu’il s’établisse chez vous un système de nature à favoriser nos ennemis. » L’histoire a placé la Suisse entre la République italienne et la France ; l’Angleterre n’a rien à y prétendre. « Je ne puis souffrir que la Suisse soit un autre Guernesey du côté de l’Alsace. Il faut que l’Angleterre ne puisse entretenir en Suisse un seul homme suspect. »

Toutefois, il croyait la guerre sinon évitable, au moins éloignée. Il fait partir l’expédition de l’Inde, et il donne, dans les derniers jours de janvier 1803, ces instructions à Decaen, qui en a le commandement : « Le capitaine général arrivera dans un pays où nos rivaux dominent, mais où ils pèsent également sur les peuples de ces vastes contrées. Il doit donc s’attacher à ne leur donner… aucun motif de discussion et à dissimuler le plus possible les vues du gouvernement. » Tout en cherchant à lier des relations « avec les peuples ou les princes qui supportent avec le plus d’impatience le joug de la Compagnie anglaise, » il s’étudiera à ne donner à cette compagnie aucune inquiétude. « Les Anglais sont les tyrans des Indes ; ils sont inquiets et jaloux ; il faut s’y comporter avec douceur, dissimulation et simplicité. » Decaen indiquera quelles forces il faudrait pour aider les princes hindous à chasser les Anglais. Puis, revenant à une date qu’il avait déjà plus d’une fois marquée : « Si la guerre venait à se déclarer avant le 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804)…, le capitaine général a carte blanche et est autorisé à se replier sur l’Ile de France. » Il termine par ces mots qui décèlent sa pensée secrète : « La mission du capitaine général est d’abord une mission d’observation ; mais le Premier Consul, bien instruit par lui et par l’exécution ponctuelle des observations qui précèdent, pourra le mettre à portée d’acquérir un jour cette gloire qui prolonge la mémoire des hommes au-delà de la durée des siècles[5]. »

Le bruit se répand qu’un corps de débarquement de 8 000 hommes se réunit en Corse, noyau d’une future armée d’Egypte. Le retour de Sébastiani confirme ces nouvelles. Sébastiani, important, bourdonnant, arrogant, volontiers enflé de sa personne et boursouflé dans ses discours, a rempli sa mission avec éclat ; il revient avec tapage. Ses propos circulent dans tout Paris. Le 30 janvier 1803, le Moniteur publie le Mémoire qu’il a adressé, sur sa mission, au Premier Consul. Il y accuse les Anglais de différer à dessein l’évacuation d’Alexandrie ; il accuse le général anglais Stuart de l’avoir voulu faire assassiner ; il peint l’armée anglaise « un ramassis d’hommes mal armés, sans discipline, usés par les excès de débauche. » — Six mille Français suffiraient aujourd’hui pour reconquérir l’Egypte. Ce pays est resté favorable à la France. La veille, Bonaparte adressait cette allocution aux délégués suisses : « L’Angleterre n’a rien à faire avec la Suisse ; si elle avait exprimé les craintes que je voulusse me faire votre landamann, je le devenais. On a dit que l’Angleterre s’intéressait à la dernière insurrection : si son cabinet avait fait à ce sujet une démarche officielle, s’il y avait eu un mot dans la Gazette de Londres, je vous réunissais ! »

Ces mots sont colportés dans toutes les ambassades, en attendant que les journaux les publient. L’effet en est déplorable et très différent de celui qu’en attendait Bonaparte. « On se réunit communément, écrit Markof, à attribuer ces incohérences à un esprit qui a de la tendance vers un égarement complet ; c’est communément l’opinion du principal ministre de tous ses plans politiques. » C’est en Angleterre surtout que le coup porte à faux.

Les politiques voient l’Egypte menacée, la Suisse fermée, c’est-à-dire une porte de côté par où ils exploraient et machinaient en France. Les négocians voient un entrepôt de plus enlevé aux affaires. La Cité lit le discours aux Suisses et le rapport de Sébastiani : le Corse les défie d’agir ici, il menace de les déloger de là ! Le sang monte à la tête de John Bull, il voit rouge, il ferme les poings, et sir John Falstaff cogne sa cuirasse de si formidables coups d’épée que le retentissement en fera évanouir le matamore du continent ! Le ministère Addington se guindé à la hauteur du public. Hawkesbury mande, le 9 février, à Whitworth de déclarer que l’Angleterre ne se dessaisira pas de Malte avant d’être rassurée sur les intentions de Bonaparte au sujet de l’Egypte et de l’empire ottoman. Malte est le gage universel et la garantie de toute réclamation. Whitworth, stylé à Londres par Simon Woronzof, Busse de profession et anglomane de goûts, s’était mis en confiance avec Markof, le consultait, lui communiquait tout, et Markof, de ces confidences, nourrissait ses rapports, attisant la jalousie d’Alexandre, aigrissant l’hostilité des ministres.

Whitworth avait conféré avec Talleyrand sur ses instructions du 9 février. Le 18, Bonaparte le fit prier de se rendre aux Tuileries[6]. Ce fut une de ces grandes scènes de tragédie historique que Bonaparte admirait tant chez Corneille et par lesquelles il se donnait et donnait à la postérité, le spectacle, souvent le secret de sa vie. La France, dit-il, a une armée de 480 000 hommes, préparée aux entreprises les plus hardies. L’Angleterre possède une flotte qui la rend maîtresse des mers et que la France n’égalera pas avant dix ans : ces deux puissances sont capables de gouverner le monde, par leur entente, et de le renverser par leurs discordes. « Depuis la paix d’Amiens, j’ai senti, en toute occasion, l’inimitié. Pour avoir la guerre, il suffit de déclarer qu’on la veut… » Il reprit, un par un, les griefs de l’Angleterre : — Le Piémont, la Suisse, ce sont des bagatelles. Tout cela était dans l’ordre naturel des choses et facile à présumer, lorsqu’on traitait à Amiens ; il ne fallait pas conclure alors, ou tenir ce qu’on avait promis, nommément à Malte. Quant à l’Egypte : « si j’avais senti la moindre inclination à m’en emparer par la force, je l’aurais fait, il y a un mois ; mais, tôt ou tard, l’Egypte appartiendra à la France, soit par la chute de l’empire ottoman, soit par quelque arrangement fait avec la Porte. » La France y conserve des intelligences ; c’est pour les entretenir qu’il y a envoyé Sébastiani, mission nécessaire à cause des obstacles que l’Angleterre apportait à la paix, c’est-à-dire après le refus d’évacuer Malte. Ces mots le conduisirent à parler de la guerre : une descente était le seul moyen de vaincre les Anglais ; mais comment croyait-on qu’arrivé à la hauteur où il était, il risquerait sa réputation, sa vie, dans une entreprise aussi hasardeuse ? Si on l’y pousse, toutefois, ce sera une guerre d’extermination, où la France entière le suivra. Il fit alors le tour du continent, montra l’Angleterre sans alliés, dépeignit l’Europe subjuguée par lui : l’empereur de Russie est très pacifique, l’Autriche ne compte plus ! « Il n’a tenu qu’à moi de coucher à Vienne dans le lit impérial ! » Il discourut, de la sorte, près de deux heures. A peine Whitworth put-il placer quelques répliques, mais très affirmatives. « J’ai cru, raconte-t-il, entendre plutôt un capitaine de dragons que le chef d’un des plus puissans États de l’Europe. »

Bonaparte, improvisant son rôle, avait dépassé le personnage qu’il voulait jouer. Talleyrand, en son commentaire, tâcha d’adoucir l’algarade. La dépêche qu’il écrivit à Andréossy, le jour même, n’en concluait pas moins à des propositions fort pressantes : évacuation de Malte et d’Alexandrie, expulsion de Georges, répression de la presse. Le lendemain, 20 février, le Moniteur inséra l’Acte de Médiation du Premier Consul entre les partis qui divisent la Suisse. Le recès, acte par lequel la Diète germanique consacrait le remaniement de l’Allemagne, était prêt et la signature n’en était plus qu’une formalité[7]. Ce même jour, 20 février, Bonaparte publia, sous forme de message adressé au Sénat et au Corps législatif, un exposé de la situation de la France. C’est la plus splendide revue politique que jamais chef d’État ait passée en Europe. Toutefois, pour célébrer la paix magnifique, il ne la présentait encore qu’à titre d’espérance. « Le gouvernement garantit à la nation la paix du continent, et il lui est permis d’espérer la paix maritime. » Il y fera tous les sacrifices compatibles avec l’honneur. Mais si un parti, en Angleterre, a conclu la paix et désire la maintenir, un autre « a juré à la France une haine implacable ; » d’où une altitude, à la fois pacifique et menaçante. » — « Tant que durera cette lutte des partis, il est des mesures que la prudence commande au Gouvernement de la République, 500 000 hommes doivent être et seront prêts à la défendre et à la venger. » Il répondait d’ailleurs du triomphe final, et en une phrase aussi présomptueuse de sa part que méprisante pour les Anglais : « Quel que soit à Londres le succès de l’intrigue, elle n’entraînera point d’autres peuples dans les ligues nouvelles ; et le Gouvernement le dit avec un juste orgueil : seule l’Angleterre ne saurait aujourd’hui lutter contre la France. » Et l’Angleterre sera seule à lutter !


II

Cependant, ce jour-là même, Bonaparte reçut un avertissement significatif. C’était une note de Markof, sur des instructions qui lui arrivaient de Pétersbourg. L’empereur est surpris du ton que prend le Premier Consul : « Ce n’est pas celui qui doit exister entre des États indépendans. Sa Majesté ne veut ni commander, ni que personne lui commande. » Puis, cette allusion directe à l’Egypte : L’empereur, satisfait du lot que la Providence lui a assigné, ne songe à s’agrandir d’aucun côté ; il entend que personne ne s’agrandisse aux dépens de la Turquie. Que le Premier Consul rassure sur cet article, la paix avec l’Angleterre sera facilitée. » Et, en attendant, la Russie rassure les Anglais. Le chancelier de l’empire mande à Simon Woronzof, à Londres : « Les intérêts de la Russie et ceux de l’Angleterre ont tant de points communs entre eux que ces deux puissances peuvent se considérer comme alliées sans avoir besoin de l’écrire sur le papier[8]. »

Les « amis de l’Angleterre » travaillant à semer l’alarme, à montrer la guerre imminente, à en rejeter toute la responsabilité sur Bonaparte ; et ils y réussissent. Talleyrand, qui les fait souffler par ses « affidés, » qui ménage Londres, qui cherche surtout à s’insinuer près d’Alexandre, est représenté par eux, comme il se représentera lui-même dans ses Mémoires, comme « un homme d’un très grand esprit… ayant dans la tête le courage que l’on a dans le cœur, » conseiller sage, mais peu écouté, d’un maître très imprudent, modérateur de la France en Europe, déplorant les actes auxquels il collabore, la politique dont il est l’instrument, et insinuant que, dans l’intérêt même de la France, une résistance de l’Angleterre, une résistance surtout de la Russie, seraient un bienfait pour le monde et sauveraient la paix.

Joseph Bonaparte, toujours aux aguets de la diplomatie, gémissant du joug qu’il subit de son cadet, colporte, en les blâmant sournoisement, les intempérances de langage du Cons il, les emportemens de sa polémique. Il condamne une guerre qui menace d’ensanglanter l’Europe, une guerre que l’on peut éviter, que, dira-t-il peu après, « sans l’extravagante mission de son Sébastiani, nous n’aurions jamais eue. » Il laisse fronder autour de lui. Il écoute volontiers son confident et ami, Miot, lui répéter : « La France ne partage pas cette susceptibilité politique, seul motif qu’on produise et qui tend à rallumer un nouvel incendie… La paix est le véritable objet de la nation. » Et Joseph se sent l’homme de la nation. Il ne lui déplaît point qu’on le murmure dans les salons où fréquentent les diplomates. « Le traité d’Amiens, écrit Mme de Staël, fut conclu lorsque les succès de Bonaparte en Italie le rendaient déjà maître du continent ; les conditions en étaient très désavantageuses pour les Anglais, et, pendant l’année qu’il subsista, Bonaparte se permit des empiétemens tellement redoutables, qu’après la faute de signer ce traité, celle de ne pas le rompre eût été la plus grande. »

Les Anglais sont persuadés que la guerre détruira le charme et déchirera le voile qui cache aux yeux des Français l’égoïsme et l’ambition outrée de Bonaparte ; ils cesseront de voir en lui l’héritier de la Révolution ; ils découvriront le condottiere qui en abuse. Les complots contre son gouvernement et contre sa personne en seront facilités. On parle de factions dans l’armée, notamment dans celle de l’Ouest, où commande Bernadotte, et c’est précisément dans ces pays, où la sédition couve toujours, que les émigrés méditent un débarquement, quelque coup fourré sur Brest : l’Angleterre y recommencerait le jeu de Toulon, en 1793. Ce n’est pas le cas d’expulser Georges et « ses officiers. » Un agitateur, intrigant et policier, Méhée de la Touche, se présente au Foreign Office, voit M. Hammond, livre des papiers qu’il a volés à Paris et offre ses services. On l’éconduit « vu l’état de paix ; » mais, « si les circonstances changeaient, » on accepterait ses offres avec plaisir. Or les « circonstances » tendent à changer. Comment les Anglais proscriraient-ils les Bourbons, quand ils se figurent que tant de Français sont résignés à la paix, même sans la Belgique et sans le Rhin, que la « faction des anciennes limites » fait cause commune avec celle des « amis de l’Angleterre » et que tous les opposans au Consul, républicains, royalistes ou constitutionnels, communient dans la même foi et la même complaisance à l’Angleterre. Cette « paix anglaise, » les Bourbons seuls la signeraient, et l’Angleterre se trouve avec Louis XVIII et Bonaparte dans les conditions où se trouvait Louis XIV avec Jacques II et Guillaume III : les droits sacrés de l’hospitalité couvrent les calculs de la politique. Talleyrand adresse, le 1er mars, à Andréossy, un mémoire sur les mesures que l’Angleterre réclama de la France, pour l’expulsion des Stuarts, en vertu de l’article 19 du traité d’Aix-la-Chapelle : « Il vous sera facile, dans vos conversations, d’établir l’analogie des circonstances. » L’analogie la plus claire, c’est que la paix ayant été signée le 18 octobre 1748, le 16 avril 1755, avant que la guerre fût déclarée, l’amirauté anglaise ordonnait aux marins d’attaquer, capturer et détruire les vaisseaux français qu’ils rencontreraient[9].

Ce n’est plus du Canada qu’il s’agit, ni même directement des Indes ; les Anglais en sont maîtres ; mais ils veulent tenir les embarcadères et les routes : Amsterdam, Anvers du côté des Indes occidentales, la Méditerranée, l’Egypte du côté des orientales. Pour Nelson, la Méditerranée est la cause vraie du conflit, le champ de rivalité, le champ de bataille. Il voit, il montre trois points sur la carte : Gibraltar qu’ils tiennent, Alexandrie qu’ils auraient tort d’évacuer, Malte qu’ils ne rendront pas. « Je considère, dit-il, Malte comme une station des plus importantes sur la route de l’Inde… J’espère que nous ne l’abandonnerons jamais. » Et Simon Woronzof, si répandu, si bien informé : « Tel qu’il soit (le ministère anglais), son système sera toujours celui d’anéantir la France, comme son unique rivale, et régner après despotiquement sur l’univers entier. Il a laissé faire Bonaparte pour avoir un prétexte à déclarer la guerre. Il veut garder Malte et l’aura ; et, à la chute de l’empire ottoman, il s’emparera de l’Egypte. » Markof enfin, après l’événement accompli et le rappel de l’ambassadeur anglais à Paris : « Ce fut un dernier trait de lumière pour moi que l’Angleterre voulait fortement, sinon la guerre, du moins l’annulation du traité d’Amiens, qui serait l’effet du premier coup de canon tiré de part et d’autre. »


III

Au reçu du rapport de Whitworth sur la scène du 18 février, Hawkesbury, très ému, se demanda s’il ne convenait pas de publier le récit. Malmesbury l’en détourna, sauf à élever le ton et à montrer les dents. « Bonaparte, lui dit-il, est un spadassin ; il recule quand on avance ; il avance quand on recule. — Il doit être fou, » opina Hawkesbury. « L’extravagance et la violence qui se montrent dans sa conversation gouvernent sa conduite, et le jetteront dans les dernières extrémités, peut-être contre son jugement, » écrivait Pitt. Et après la lecture du rapport de Sébastiani : Je le tiens pour un « exposé authentique et public » des plans de Bonaparte ; « de l’espoir qu’il nourrit de se trouver en mesure d’ordonner en maître… Nous devons nous attendre, si nous lui cédons maintenant, à nous voir obligés, au bout de quelque temps, de lui laisser prendre l’Egypte et les Sept-Iles… Je ne puis m’empêcher de conclure qu’une guerre immédiate et certaine serait un moindre mal qu’une concession aussi dangereuse et aussi honteuse. » Il concluait : « Nous devons être préparés à la possibilité d’une rupture immédiate, et, tout de suite après, ou plutôt en même temps, à une tentative de sa part pour nous frapper, dès le premier abord, à quelque endroit sensible[10]. »

De là à prendre les de vans, il n’est qu’un pas. Ils le franchirent, et d’autant plus délibérément qu’ils étaient avertis par Simon Woronzof de la note remise par Markof à Talleyrand : ils se savaient soutenus par la Russie, et ils ne doutaient pas de l’entraîner. Ajoutez les « amis » de Paris et les rapports de Whitworth. Andréossy lui-même confesse que le peuple est contre la guerre, que la moitié de l’armée est jacobine, que Bonaparte est hors d’état de faire campagne. L’occasion est bonne, note Malmesbury, dans son Journal.

Les ministres, qui désormais ne font rien sans Pitt, découvrent leur jeu. Alexandrie est évacuée, mais ils réclament Malte à titre de compensation et à titre de gage, qu’ils garderont tant que le Premier Consul ne les rassurera pas sur l’Egypte[11]. On parle du retour de Pitt au ministère. Pour répondre au message de Bonaparte du 10 février, à ses 500 000 hommes, à sa déclaration insolente que l’Angleterre seule n’est pas de taille, le roi, le 8 mars, demande de nouveaux subsides. Alors qu’ils savent par Whitworth lui-même qu’il ne se fait aucun armement dans les ports de France, le 10 mars, ils rappellent la milice ; le 11, le Parlement vote une levée de 10 000 marins. Les émigrés bourdonnent, remuent, paradent. Le Comte d’Artois joue au souverain au milieu de ses fidèles, toujours à la veille de l’héroïsme, de l’embarquement, de la restauration. Bonaparte leur avait fait passer des offres assez étranges : une indemnité, une satisfaction quelconque, en argent, moyennant quoi le prétendant renoncerait, en forme, à ses droits ; son frère et ses neveux se retireraient loin, très loin, à Moscou. Il en avait été question, en août 1802, entre Talleyrand et Markof. Le propos reprit, en février 1803, par l’entremise du roi de Prusse. Ce n’était pas l’heure, pour les Bourbons, de se désavouer eux-mêmes, de s’avilir comme le disait crûment Talleyrand, jugeant de ce mot l’acte qu’il était chargé de procurer. Ils ont tout refusé, écrit le roi de Prusse[12].

Andréossy, fort novice aux escarmouches d’ambassade, se sent quelque peu étourdi et chancelant. De sa personne, d’ailleurs, il incline aux opinions des entours de Joseph, de Miot, et ses propos intimes concordent singulièrement avec ceux qu’échangeait, au mois d’août précédent, son collègue de Vienne, Champagny, avec le plus enragé et acharné ennemi de la République et de Bonaparte, le comte d’Antraigues. Un camarade de jeunesse d’Andréossy, le comte de Guilhermy, homme de confiance de Louis XVIII, le vient visiter en son ambassade. Andréossy lui confie ses inquiétudes sur l’instabilité des choses de France. Il croit, en cas d’événement, que les Jacobins reprendront le pouvoir si les royalistes ne sont pas en mesure. Il fait grand cas de Pichegru. Il estime d’ailleurs, prenant à la lettre les déclarations officielles qu’il reçoit à Londres, que Bonaparte seul pousse à la guerre et qu’il ne tiendrait qu’à lui de l’éviter, ce qui est précisément le jeu joué par les Anglais. « Tel est, citoyen ministre, écrit-il à Talleyrand, le 17 mars 1803, l’état des esprits et des choses. Je crois qu’on peut encore tout ramener à la paix. Les mesures que prendra la France et la détermination du Premier Consul décideront du sort du monde. »


IV

Après divers retardemens, Bonaparte s’était décidé à faire partir Decaen. Ce général quitta Paris le 16 février, et Brest le 6 mars, avec la petite expédition destinée à reprendre possession des comptoirs des Indes que les Anglais devaient restituer. Bonaparte croyait donc encore à la prolongation de la paix ; il ne se disposait certainement point à la rompre : c’eût été livrer aux Anglais Decaen, ses soldats et l’escadre qui les portait. Le 11 mars, au matin, il reçut le texte du message royal du 8. C’était la guerre, et très prochaine. À la précipitation, à la complexité de ses mesures dans cette matinée du 11, on voit bien qu’il est pris au dépourvu. Il piétine la terre, comme pour en faire sortir des marins, des soldats, des auxiliaires. Il commande à Decrès des bateaux plats, qui devront être réunis à Dunkerque, à la fin de septembre. Il rassemble les pièces de la lourde machine de guerre, la machine toujours branlante et disloquée des alliances, tâchant de déjouer la diplomatie anglaise, de la prévenir partout. Il écrit au roi d’Espagne, il le presse de mettre en état sa flotte désarmée : « L’Angleterre veille toujours ; elle n’aura de repos qu’elle ne se soit emparée des colonies et du commerce du monde. » Il harcèle les Bataves ; il avertit Melzi, qu’il trouve mou : le temps n’est pas à la rhétorique ; « ce sont des conseillers d’État, des généraux italiens qui parlent de Zama et de Scipion !… ces parallèles, qu’on a peine à saisir, se traduisent ici par l’image des Vêpres siciliennes, qui sont plus modernes. »

Il ne suffit pas de crier aux alliés : Garde à vous ! Il faut occuper les positions offensives. Bonaparte n’a garde de méconnaître le conseil que Frédéric soufflait, en 1755, aux ministres de Louis XV, aveugles et sourds : « Toute leur conduite de modération ne leur fera différer ni éviter la guerre générale que l’Angleterre leur destine… Savez-vous le parti que je prendrais dans les circonstances présentes, si j’étais le roi de France ? Je ferais marcher, dès que la guerre serait déclarée ou que les Anglais auraient commis quelque hostilité contre la France, un corps considérable de troupes en Westphalie pour les porter tout de suite sur l’électoral de Hanovre. C’est le seul moyen de faire chanter ce… » Ici, un mot fort libre, désignant le roi d’Angleterre. Au lieu de disséminer ses troupes et de les engager dans le nord de l’Allemagne, Bonaparte préférerait, — c’est une tradition du Comité de salut public, — y placer le roi de Prusse, ce qui serait, du même coup, le lier à la France et l’engager contre l’Angleterre. Il envoie Duroc à Berlin, avec cette instruction : « Il faut trancher le mot ; le projet du Premier Consul, si le cabinet britannique persévère, est d’envahir sur-le-champ le Hanovre. » Mais Duroc fera entendre le fin des choses, le sens caché de la lettre que le Premier Consul adresse à Frédéric-Guillaume : « Votre Majesté sait combien je désire, dans toutes les circonstances, lui être agréable… »

En même temps que la Baltique, la Méditerranée, Bonaparte réoccupera Otrante et Tarente si les Anglais n’évacuent pas Malte. Le roi des Deux-Siciles en est prévenu. Le général Colbert part pour Pétersbourg avec une lettre qui en avertit Alexandre et réclame « son intervention. »

Ces lettres au roi d’Espagne, au roi de Prusse, à l’empereur de Russie, à Melzi, sont écrites dans la matinée du 11 mars. Ce jour-là, Talleyrand dînait chez le ministre de Prusse, Lucchesini, avec Whitworth, Berthier et Decrès. Au sortir de table, Talleyrand, non sans quelque solennité voulue, invita les ministres de la Guerre et de la Marine à retourner à leurs ministères où des ordres pressans les attendaient ; puis il emmena Whitworth dans un salon voisin. Il lui signifia que, si l’Angleterre ne fournissait pas des explications sur ses arméniens, le Premier Consul ferait entrer 20 000 hommes en Hollande, formerait un camp sur les frontières du Hanovre, un autre à Calais, et occuperait Tarente.

On remarqua que Whitworth, en rentrant au salon, paraissait fort ému[13].

Le 13 mars, il y avait réception chez Mme Bonaparte. Whitworth s’y rendit, paré pour la bataille, en gentilhomme qui va sur le terrain, parfaitement calme, hautain, d’une impertinence à peine voilée par les formes d’une extrême courtoisie ; lent de paroles, sobre de gestes, magnifiquement vêtu, la distinction même, un lord de la tête aux pieds[14]. Bonaparte l’aborde, agité : « Ainsi vous voulez la guerre ! — Non, Premier Consul ; nous sommes trop sensibles aux avantages de la paix. — Nous nous sommes battus pendant quinze ans. — C’en est déjà trop. — Mais vous voulez faire la guerre quinze années encore, et vous m’y forcez… Le roi d’Angleterre a dit dans son message que la France préparait des arméniens offensifs ; il a été trompé : il n’y a dans les ports de France aucun armement considérable, étant tous partis pour Saint-Domingue. Il a dit qu’il existait des différends entre les deux Cabinets. Je n’en connais aucun. Il est vrai que l’Angleterre doit évacuer Malte ; Sa Majesté s’y est engagée par le traité. » Whitworth explique les intentions du roi : le message est une forme constitutionnelle, il n’a rien d’une provocation ; tout s’arrangera, il l’espère, par des explications amicales. « Il n’y a pas à en donner, reprend Bonaparte, sur des stipulations aussi claires et aussi positives que celles du traité d’Amiens. » Puis, se détournant : — « Très bien ! Nous nous battrons dans quinze jours ! » — Markof se trouvait près de lui, il avait tout entendu ; il insinue quelques phrases de politesse, conciliantes. Azara, l’ambassadeur d’Espagne, se tenait près de Markof. Bonaparte reprend, s’adressant aux deux : — « Je ne demande pas mieux ; mais : Malte ou la guerre ! » Alors, élevant la voix, comme indigné : — « Les Anglais veulent la guerre ; mais s’ils sont les premiers à tirer l’épée, je serai le dernier à la remettre. Ils ne respectent pas les traités. Il faut dorénavant couvrir les traités du crêpe noir. » Après cette sortie, il s’adoucit, s’entretint avec Markof du départ de Colbert pour Pétersbourg, revint à Whitworth et, d’un ton de courtoisie, s’informa de la santé de lady Whitworth. « Elle est restée à la maison pour garder un de ses enfans malade, répondit l’ambassadeur. — Vous avez, repartit Bonaparte, passé ici une mauvaise saison ; je souhaite que vous restiez la bonne. » Mais, s’agitant de nouveau : « Il n’y a pas d’apparence après ce qui vient d’arriver. » Et ne se contenant plus : « Pourquoi des arméniens ? Contre qui des mesures de précaution ? Je n’ai pas un seul vaisseau de ligne dans les ports de France ; mais, si vous voulez armer, j’armerai aussi ; si vous voulez vous battre, je me battrai aussi. Vous pourrez peut-être tuer la France, mais jamais l’intimider. — On ne voudrait, dit Whitworth, ni l’un ni l’autre ; on voudrait vivre en bonne intelligence avec elle. — Il faut donc respecter les traités. Malheur à ceux qui ne respectent pas les traités ! Ils en seront responsables à toute l’Europe. » Sur ces mots, il rompit le cercle qui s’était formé autour de lui, et, « suffoquant de colère, » sortit en criant : « Malte ou la guerre, et malheur à ceux qui violent les traités ! »

Plus de cinquante personnes assistaient à la scène. Les courriers diplomatiques en portèrent des relations à Berlin, à Pétersbourg, à Vienne. Il ne fut bruit d’autre chose dans Paris. Le 15 mars, au Conseil d’Etat, on discutait un projet de loi sur la Banque de France. Un ancien membre, très modéré, du Comité de l’an III, Defermon, exprima la crainte que les circonstances ne nuisissent au succès de la Banque. « Les Romains assiégés envoyèrent une armée en Afrique, dit Bonaparte. Si nous avions la guerre, ce qui ne paraît pas présumable, je voudrais diminuer les impôts de trente millions. Nous vivrions en Europe, en Hanovre. » Le roi d’Angleterre paierait les frais de la guerre. Il rapporta les paroles qu’il avait adressées à Whitworth et ajouta : « La France ne peut reculer là-dessus — Malte — sans reculer sur tout le reste. Ce serait contraire à l’honneur. Il vaudrait mieux périr. Si l’on cédait sur ce point, ils demanderaient Dunkerque. Ces temps-là sont passés, nous ne sommes plus ce que nous étions. Nous ne serons pas les vassaux de l’Angleterre… Les Anglais ont été habitués à mener le continent, et, pour peu qu’ils trouvent actuellement de résistance, ils y sont très sensibles. Tant pis pour eux ! »

Dans le même temps, Markof écrivait à Pétersbourg après une conversation avec l’un « des plus affidés » de Talleyrand, Choiseul-Gouffier : « L’explosion sera sous peu, on en sera quitte pour le fracas. Bonaparte est hors d’état de porter ù son ennemi aucune atteinte directe. Tout ce qu’il peut exécuter, au moins cette année-ci, est de vexer le royaume de Naples en y faisant subsister un corps d’année. » Les Anglais ne céderont point[15]. « Je pense, disait Whitworth à son collègue de Russie, que ma cour voudrait peut-être se prévaloir des avantages de la position actuelle, qui la mettent à même de porter à la France des coups très sensibles, sans en avoir rien à craindre, pour demander, en Italie, et même ailleurs, un ordre de choses plus tolérable. Trop convaincue des vastes projets que l’ambition insatiable de Bonaparte lui suggère, elle est déterminée à saisir le moment actuel pour y mettre des bornes. » Joseph Bonaparte en convient. « Mon frère, dit-il à Whitworth, a trop abusé de son ascendant. » Joseph a essayé de le modérer, mais il s’est fait éconduire ; il a dû se retirer à Mortefontaine. Néanmoins, l’attitude de l’Angleterre a produit déjà deux très bons effets : « abattre l’orgueil du Premier Consul et désabuser les puissances de l’opinion où elles étaient tombées que rien ne pouvait lui résister. » On lit dans la correspondance royaliste 4-12 avril. « Les nouvelles sont à la guerre. Il est certain que Bonaparte ne la veut pas ; mais il paraît que l’Angleterre la veut. » Bonaparte écrivait à Melzi, le 2 avril : « Je vous dis, pour vous seul, que je ne pense pas que ce commencement de querelle ait de suite, et que je présume que tout s’arrangera suivant la teneur du traité d’Amiens. » Cependant, il avait envoyé un navire à la recherche de Decaen, avec l’ordre pour le général de s’arrêter à l’Ile de France, 25 mars 1803. Et Markof concluait, au milieu d’avril : « Je suis très porté à croire qu’il cédera à l’Angleterre sur l’article de Malte, dans la crainte de voir la guerre se renouveler, événement qu’il redoute, à cause du manque absolu des moyens à parer les premiers coups, qui mettraient dans le plus grand danger les restes de la marine française, la sûreté de ses possessions et particulièrement celles de l’Amérique espagnole… Les fonds continuent à baisser. »

Malte devenait le point de mire de toute l’Europe, le rocher où s’accumulent les nuages et qui annonce, selon la direction qu’ils prennent, le beau temps ou la tempête. Si les Anglais l’abandonnent, la France écrase l’Europe, Bonaparte se proclame empereur d’Occident ! Si Bonaparte y laisse les Anglais, c’est la retraite qui commence, et bientôt la déroute de la Révolution : il aura suffi, comme à Saint-Jean-d’Acre, de lui tenir tête pour déshabiller le fantoche et dissiper l’épouvantail ! Le prestige repasse à l’Angleterre, qui paraît se cramponner avec le plus d’acharnement, qui parle avec moins d’emphase, mais avec plus d’autorité. Si l’Angleterre est encore isolée, le continent tourne à la neutralité bienveillante. Duroc est éconduit à Berlin, très poliment ; mais ils sont repus, ils tiennent à digérer en repos. « Que les Anglais exercent le despotisme sur les mers, c’est un très grand inconvénient, je l’avoue, dit Haugwitz : mais le despotisme continental est infiniment plus dangereux. » Et voilà le fruit, très mûr désormais, de tant de sollicitations, d’offres de suprématie, d’empire même ; de tant de lieues carrées de terre allemande, de tant d’âmes d’Allemands, promises par tous les gouvernemens de la République depuis dix ans et distribuées naguère par Bonaparte.

La Prusse demeure ce qu’elle a toujours été. La Russie indique ce qu’elle sera. Alexandre diffère de répondre : c’est le carême, temps d’abstinence ; puis viennent les pieux devoirs de la Semaine sainte ! Quand il écrit, à la fin d’avril, c’est pour se dérober : « Quoique la conduite de l’Angleterre paraisse, en ce moment, contraire à la lettre du traité d’Amiens, je ne me permettrai ni de la défendre, ni de la blâmer. » Il regrette, toutefois, qu’elle se soit mise dans son tort, et il le mande à Simon Woronzof : « Je dois avouer que dans cette occasion, du moins en apparence, le gouvernement anglais a agi contre la lettre du traité d’Amiens, et que, juridiquement, il n’a pas le droit en sa faveur, s’étant obligé à l’évacuation de Malte en des termes déjà remplis ou qui peuvent l’être quand il voudra. » Il offre une médiation, qui serait « franche, si l’empereur n’était pas influencé par son ministère, » mande Hédouville, enguirlandé, comme le devaient être tous les envoyés français près d’Alexandre, et entêté de cette chimère : deux Russies, l’une hostile à l’alliance française, et c’est tout le monde ; l’autre favorable, et c’est l’Empereur tout seul : à la vérité, cet autocrate est incapable ou de vouloir par lui-même ou d’accomplir ce qu’il veut !

En Batavie, la France récolte ce qu’elle a semé depuis que Pichegru a conquis et Sieyès régenté cette république. Ils ne rêvent que neutralité. Sous le manteau, ils négocient avec Londres. Sémonville les soupçonne de vouloir livrer Walcheren aux Anglais. Ce n’est pas un allié sur qui la France puisse compter ; c’est un avant-poste que l’armée française doit occuper très fortement, si elle n’en veut être délogée, et l’ennemi est dans la place.

Il faudra donc, sur terre et sur mer, procéder à de formidables armemens : envoyer en Hollande et à Tarente, bateaux plats, canons et régimens ; opérer, en cas de guerre continentale, contre l’Autriche et la Russie, diversion classique ; il faudra des millions, et le trésor n’en a point. Les ressources extraordinaires sont taries avec la guerre. La nation française, à peine remise au travail, se rebellerait contre de nouveaux impôts. Tout l’édifice financier, à peine construit, s’écroulerait. Le billet de banque tomberait dans la banqueroute, se ravalerait à la valeur des assignats. Un seul moyen de se procurer de l’argent : céder des terres. Bonaparte n’a plus la ressource des biens nationaux, mais il a les terres conquises. L’échec de l’expédition de Saint-Domingue l’a détourné pour jamais de l’Amérique. La Louisiane n’a plus pour lui de raison d’être. Les vues qu’on lui prête sur le Mexique inquiètent les États-Unis, et il a besoin des États-Unis contre l’Angleterre. « Le jour où la France s’emparera de la Louisiane, avait dit le président Jefferson, elle prononcera la sentence qui la renfermera pour toujours dans la ligne tracée le long de ses côtes par le niveau des basses mers ; elle scellera l’union de deux peuples qui, réunis, peuvent être maîtres exclusifs de l’Océan ; elle nous contraindra à nous marier avec la flotte et la nation anglaises. » Bonaparte avait besoin d’argent, ils en avaient à placer ; ils le placèrent « en propriétés, » dont Bonaparte avait de quoi revendre. Ainsi fut conclu, à Paris, le 28 avril 1803, le traité de cession de la Louisiane aux États-Unis, pour 80 millions de francs. On a beaucoup dit que Bonaparte vendit des hommes ; il faut dire aussi que Jefferson en acheta ; l’un toucha l’argent, l’autre prit les âmes ; il y eut trafic, où l’on est toujours au moins deux à compter, et l’intérêt de cette opération est qu’elle se fit entre deux républiques, démocratiques toutes deux et qui, toutes deux, avaient affiché sur les murs, à côté de leur acte de naissance, une déclaration des droits des hommes ! Décidément le partage de la Pologne, conçu et accompli par deux princes philosophes, Frédéric et Catherine, demeurait, en matière de droit public, le dernier mot du siècle des lumières. La République française après s’être identifié cette politique, à Rastadt, venait de la consacrer en Allemagne par le grand recès de Ratisbonne, et c’était le seul lien de droit entre les pouvoirs sortis de l’ancien régime et les pouvoirs issus de la Révolution, entre la vieille Europe et la jeune Amérique !

La cession de la Louisiane, ainsi vendue aux Yankees, avant même que la France en eût pris livraison, parut une offense aux Espagnols, qui l’avaient, en gentilshommes, restituée à la France… en échange de l’Etrurie. Ce fut un motif de plus pour eux de se dérober à une alliance aussi humiliante, pensaient-ils, pour leur honneur qu’onéreuse à leurs finances et dangereuse pour leur domination dans l’Amérique du Sud. Godoy négociait à la Beaumarchais : servile, bavard, hâbleur, insaisissable. Il montrait les arsenaux vides, les vaisseaux désemparés ; étalant la misère de l’Etat, comme d’autres leurs richesses, et, sous le manteau, il causait de neutralité avec les agens de l’Angleterre. Autant de motifs pour Bonaparte de « filer » les négociations et d’ajourner la rupture ; autant de motifs pour les Anglais de la précipiter.


V

« Je rencontre chez Bonaparte, écrivait Whitworth, un grand désir de négocier » et « d’éviter la rupture si c’est possible[16]. » Mais le cabinet anglais y mettait des conditions que Bonaparte, on le savait à Londres, n’accepterait jamais : Malte, à perpétuité à l’Angleterre ; évacuation par la France de la Hollande et de la Suisse ; en compensation, reconnaissance de l’acquisition de l’île d’Elbe par la France, du royaume d’Etrurie, de la république italienne et de la république ligurienne, moyennant une indemnité au roi de Sardaigne, en Italie[17]. Bonaparte refuse Malte ; mais il fait insinuer par Talleyrand et Joseph la cession d’une autre île. Lampedusa, Corfou, Chypre même. Le cabinet anglais réplique : il lui faut être maître de Malte pour se sentir rassuré sur l’Egypte ; il propose ou le gouvernement civil de l’île donné à l’ordre avec garnison anglaise à perpétuité, ou la cession pure et simple de l’île à l’Angleterre pour dix années : dans l’une et l’autre combinaison, Bonaparte s’emploierait à leur procurer Lampedusa[18]. Cette ouverture officielle se double d’une négociation secrète qui montre à quel point les ministres anglais se croyaient sûrs des partisans qu’ils avaient à Paris, de leur zèle et de leur influence.

Un sieur Huber, citoyen suisse, ami de lord Auckland et qui entra plus tard dans le service de la trésorerie, résidant alors à Paris et fort répandu dans le monde complexe et mêlé des amis de l’Angleterre, fut chargé d’insinuer que si Bonaparte cédait sur l’article de Malte, le cabinet de Londres ne s’opposerait pas à la transformation de son Consulat à vie en pouvoir héréditaire : à cette insinuation se joignait l’arrière-pensée d’un traité de commerce. Huber porta ces paroles à Regnaud de Saint-Jean-d’Angély et à Joseph Bonaparte qu’il supposait, naturellement, intéressé dans l’affaire, puisque de frère du consul, de citoyen frère, il passerait altesse, Monsieur, et prince du sang ! Mais Bonaparte n’en voulut rien entendre. Il lui parut que ce mélange de couronne et de tarifs, de trafic de dynastie et de commerce le ravalerait devant la nation ; que la France qui relèverait peut-être au trône pour combattre les Anglais, surtout pour les avoir vaincus, ne lui pardonnerait pas de céder Malte pour acheter la reconnaissance par l’Angleterre de sa « promotion » à l’empire. L’empire des Gaules, dans sa pensée, était sa grande machine de guerre contre les Anglais, non un titre de courtoisie octroyé par le roi George. Enfin, persuadé que les Anglais ne rendraient point Malte, la proposition lui parut un piège. « Malte ou rien, » demeura donc sa maxime.

Le 23 avril, Hawkesbury renouvela ses réclamations, et sa dépêche prit la forme d’un ultimatum. Whitworth, en cas de refus, demanderait ses passeports. Le Premier Consul aurait jusqu’au 2 mai pour faire connaître sa réponse.

Whitworth reçut cette dépêche le 25 avril et, le 26, en remit la teneur à Talleyrand. Le 28 avril, fut portée une loi sur les douanes qui ne laissait point de jour à des arrangemens de commerce avec l’Angleterre. Ce fut une perturbation générale dans le monde des affaires et parmi les « amis de l’Angleterre. » « Ce qui restait d’amis de la liberté, rapporte Miot, n’envisageaient, dans les revers que la guerre pourrait amener, que ruines et désastres, et, dans les succès, qu’un moyen de plus pour le Premier Consul d’arriver au terme de son ambition. » « Ce ne sont, mande Lucchesini, que « récriminations » contre « les trop vastes projets de domination du Consul. » C’est lui seul qui s’est attiré cette redoutable réplique ; on envisage la note de Whitworth « avec plus de regrets que d’animosité. » « Le Gouvernement anglais, écrivait quelques mois après un autre ami de Joseph, est le seul obstacle qui s’oppose encore à l’exécution des projets ambitieux, il faut le renverser[19] ! »

Voilà tout ce monde en mouvement, en intrigues. Huber écrit à Whitworth, le 3 mai, après une tournée chez les partisans de la paix : « Votre Seigneurie sait que, comme caractère, situation et facultés, ils forment une très forte phalange et une très avantageuse association. Joseph Bonaparte, le meilleur de la famille… Regnaud de Saint-Jean d’Angély, son intime ami et confident, sont en fureur contre le Premier Consul… M. Malouet, homme de moralité, de caractère, est un membre essentiel de cette petite phalange. Le sénateur Fouché, homme très différent des précédens au point de vue de la moralité, est notoirement remarquable par ses facultés, son énergie, son indépendance d’esprit ; en cette occasion, il a été un grand et hardi avocat de la paix, et il osa seul combattre l’orgueil aveugle et l’ambition du Consul. Quant à M. de Talleyrand, vous savez, mylord, que son intérêt, comme ministre et comme individu, est si décidément, lié à la paix qu’on peut compter sur son aide, si quelque incident lui donne cette influence que son manque d’énergie lui refuse. »

Lucchesini écrit, dans le même temps et sous la même inspiration : « Talleyrand ne conseilla ni n’approuva la mission du colonel Sébastiani, et moins encore la publication des rapports insultans et indiscrets. » Il s’est opposé, jusqu’à offrir sa démission, au projet de présidence de la république helvétique ; il a tâché de faire supprimer dans l’exposé de la situation le passage provocant sur l’Angleterre. « Il n’y a pas, poursuit Lucchesini, un ministre, pas un conseiller d’Etat et presque point de généraux qui ne soient accablés de la perspective d’une guerre maritime…[20]. Les deux frères du Premier Consul et l’aîné surtout, dont la modération a souvent désapprouvé les élans trop ambitieux du général, auraient voulu que l’on renonçât à Malte… « Et Lucchesini transcrit ces mots, qui viennent tout droit de Talleyrand, qui seront toute la raison de sa conduite à Erfurt et tout le fond de son apologie future ; parlant du plan de descente de Bonaparte : « Il serait aussi funeste à sa sûreté d’échouer, que fatal à celle de l’Europe de réussir. » Lucchesini conclut, s’adressant à un des prétendus amis de la République, celui, à coup sûr, qu’elle a le mieux payé, tandis qu’elle s’est fait payer l’alliance par les autres : « Le trésor public est dans l’impossibilité de faire les moindres avances. Les alliés de la France sont sans ressources, sans disposition et sans intérêt pour la secourir. Les Français sont haïs en Hollande. La Suisse n’est pas encore tranquille. » Bonaparte s’attire la guerre parce qu’il ne se contente pas d’être le premier sur le continent et le second sur mer. « Telle est l’opinion que portent sur l’affaire du moment les hommes qui ne laissent s’en imposer ni par les formes illégales que donne à sa conduite diplomatique le ministère anglais, ni par les récriminations irréfutables qu’y oppose le Gouvernement français. »

C’est donc, et de l’aveu des partisans mêmes des Anglais, une guerre préventive, une guerre comme celle qu’ils ont faite à Louis XV en 1755, et que Frédéric a engagée en 1756 contre la France et l’Autriche. Mais, forts de ces précédens qui leur ont rapporté la paix de Paris, en 1763, la vraie paix anglaise ; se sentant soutenus à Pétersbourg, à Berlin, à Vienne, à La Haye, même à Madrid, à Paris enfin par le gouvernement presque entier du Consul, par sa famille, par l’armée, par ce qu’ils croient l’opinion ; voyant Bonaparte blâmé, espionné, desservi sinon encore trahi, au sens propre du mot ; convaincus qu’un échec le perdra, que la guerre ébranlera son pouvoir si elle ne le renverse ; sûrs enfin que celle guerre leur procurera les bénéfices que la paix leur refuse, le monopole du commerce et la suprématie des mers, les Anglais poussent leurs sommations, et, puisqu’ils le croient facile, entreprennent d’intimider la France, d’humilier et de déconcerter Bonaparte.

Le 1er mai était le jour de la réception ordinaire des diplomates. Whitworth s’abstint d’y paraître. On raconta qu’il faisait ses malles. Bonaparte aurait désiré le retenir : si Whitworth retardait son départ, des ouvertures étaient encore possibles. Il le dit à Markof, ajoutant toutefois : « L’Angleterre en agit avec la France comme si c’était une puissance du dernier ordre. » Et à Lucchesini : « Le Cabinet de Saint-James a pris le ton et les allures qui lui réussirent pendant les négociations du traité d’Utrecht. Pour calmer ses inquiétudes, il faudrait admettre de nouveau un commissaire anglais à Dunkerque et à Boulogne, combler les ports de la France et brûler tous les ateliers de ses manufactures ; il faut supposer aux Français une âme de boue et point de sang dans les veines pour les traiter de la sorte… »

Puis, les diplomates s’étant retirés, Bonaparte retint les sénateurs, les conseillers d’État. Il les harangue avec véhémence : « Les ministres anglais veulent nous faire sauter le fossé, et nous le sauterons… L’indépendance des États marche avant la liberté, avant la prospérité du commerce et de l’industrie… Admettre une modification au traité d’Amiens, c’est le premier anneau de la chaîne… » Accorder Malte, c’est l’asservissement complet, le traité de 1786 aggravé, le droit de visite ! « Nous avons acquis une assez grande étendue de côtes pour nous rendre redoutables ; nous ajouterons encore à cette étendue ; nous formerons un système de côtes plus complet, et l’Angleterre finira par pleurer en larmes de sang la guerre qu’elle aura entreprise. »

C’était le blocus, c’est-à-dire le retour à la politique formidable du Comité de salut public, la guerre sans fin, les assignats ! Tout ce qui s’était placé, classé, installé, enrichi dans la Révolution, consolidé dans le Consulat, tout ce qui se figurait aussi que, pour gagner l’Angleterre à la paix française, il suffisait de lui abandonner Malte, que la France n’avait pas su défendre, et l’Egypte que la France avait dû évacuer, se remit de plus belle en campagne pour retenir Whitworth.

Cet ambassadeur avait réclamé ses passeports pour le 2 mai. Talleyrand le traîne jusqu’au soir, et au lieu des passeports, lui envoie une note, raccrochant la procédure : avant de répondre à l’ultimatum et de rompre la paix d’Amiens, la France doit consulter l’Espagne et la Hollande, ses alliées, qui ont signé avec elle au traité ; la Russie, la Prusse, l’Autriche, ses amies, qui ont garanti la restitution de Malte aux chevaliers. Le 3 mai, à minuit, Whitworth attendait toujours ses passeports. Il veillait, causant avec ses secrétaires et quelques personnes. Un domestique annonce que l’on demande Huber, qui était là. Huber sort et trouve Malouet avec Regnaud, dépêchés par Joseph : ils offrent de remettre Malte, en dépôt, à la Russie. Huber rapporte leurs paroles à Whitworth qui répond : « L’Angleterre désire Malte pour sa propre sécurité, et non pour la donner à quelque autre puissance, si amie qu’elle soit. Cette proposition ne justifie pas la plus légère désobéissance aux ordres de Sa Majesté. » Les visiteurs nocturnes se retirent, décontenancés. Le 4, Talleyrand invite Whitworth à une conférence, il offre la remise de Malte à l’une des trois puissances garantes, et il demande que Whitworth en réfère à Londres. Whitworth refuse, mais, voyant que l’on recule, insiste pour la cession de Malte à l’Angleterre pour dix années, Talleyrand y consent, et Whitworth promet d’envoyer un courrier à Londres. La promesse faite, il se la reproche. Il confie ses scrupules à Markof. Ce Russe lui répond que l’ouverture de Talleyrand « tend visiblement à déjouer le but que se proposait la cour de Londres ; » c’est un témoignage de plus « de l’hésitation du Premier Consul, suite naturelle du désir qu’il a d’éviter la guerre dans ce moment-ci. » Whitworth, cependant, envoie son courrier.

Bonaparte a donné le mot d’ordre, et, quoi qu’ils en pensent au fond, ses ministres, ses agens le répètent. Il n’est question que du blocus. « Il n’y a qu’une voix en France sur la nécessité de fermer à l’Angleterre tous les ports du continent de l’Europe et toutes communications avec le commerce de ces pays. Le système favori du Premier Consul, écrit Lucchesini, est l’exclusion de toute autre puissance que la France du commerce étranger et de l’industrie nationale. » La réponse de l’Angleterre arrive, le 9, à Whitworth, qui la communique aussitôt à Joseph Bonaparte : l’Angleterre maintient son ultimatum : refus de confier Malte à la Russie ; l’Angleterre conservera cette île jusqu’à ce que Lampedusa lui soit remise et soit fortifiée ; évacuation de la Suisse et de la Hollande ; indemnité au roi de Sardaigne. Joseph rapporte, de mémoire, cette réponse à Bonaparte. Whitworth demande à Talleyrand une audience pour le 10. Point de réponse. Il envoie l’ultimatum par un secrétaire : Talleyrand est absent. Le secrétaire remet le pli à Durant, chef de division, un des « plus affidés » du ministre, et qui, prétend l’ami d’Antraigues, n’avait point de secrets pour lui. A quatre heures, Whitworth, impatienté, se rend au ministère. Talleyrand est à la campagne ; on ignore quand il rentrera. De retour à l’ambassade, Whitworth y reçoit, non décacheté, le pli remis à Durant. Durant demande s’il faut l’envoyer à Talleyrand, à la campagne. Sur quoi, Whitworth écrit à ce ministre, atteint si soudainement de fantaisie bucolique et d’humeur printanière, qu’il se mettra en route le jeudi 12 au matin, si d’ici là « la négociation n’est pas terminée favorablement. »

Le 11, Talleyrand, rendu à la vie citadine, reçoit tour à tour Whitworth qui lui remet l’ultimatum, et Markof qui offre la médiation du tsar. Bonaparte rassemble un conseil privé : les deux Consuls, les ministres de la Guerre, des Affaires étrangères, de la Marine, et Joseph Bonaparte. Il s’emporte contre l’ultimatum. Talleyrand et Joseph parlent pour la paix. Il les invective. Berthier, en bon militaire, et Decrès qui n’ayant point de vaisseaux ni de marins, doit payer de paroles, soutiennent le Consul en criant plus fort que lui. L’ultimatum est repoussé, les passeports sont signés et, après avoir vu Joseph, qui le prie de ne s’en aller ni vite ni loin, Whitworth part, dans la nuit du 12 au 13, pour Chantilly, où il s’arrête.

Bonaparte voudrait se renseigner sur la médiation russe. Le tsar prendrait-il Malte en dépôt ? Mais les événemens le pressent. Il fait rédiger, tandis que Talleyrand s’en explique avec Markof, un memorandum destiné à rejeter tous les torts de la rupture sur l’Angleterre. Il ordonne l’embargo sur les navires anglais dans les ports de la Hollande, de la Toscane, de la Ligurie. Le Moniteur, le 14, annonce le départ de l’ambassadeur d’Angleterre, et une communication extraordinaire au Sénat et au Corps législatif. Puis la convocation est contremandée. Whitworth, qui s’est acheminé doucement jusqu’à Breteuil, y reçoit une note, datée du 13 mai, dernière concession : Malte aux Anglais pour dix ans et, durant ces dix années, occupation d’Otrante et de Tarente par les Français. En même temps, des lettres d’Huber, des avis de Regnaud, ce billet de Joseph : Rien n’est encore désespéré… Quelque résolu que l’on soit à la guerre, on désire toutefois la paix, plus qu’on ne l’espère. » Whitworth envoie le tout à Londres, et continue sa route, sans se hâter.

Mais Bonaparte est au bout de sa patience. Les petites manœuvres des pacifiques lui paraissent désormais oiseuses et compromettantes. Il réunit le Conseil d’Etat, informe les grands corps de l’Etat des négociations, reçoit les adulations optimistes de Fontanes, ce Barère académique du nouveau régime : « Un grand peuple est capable de tout avec un grand homme ! » Joseph, désappointé, repart pour Mortefontaine. Talleyrand dit à Huber : « Je vous répète que nous voulons la paix, que nous la voulons plus que jamais, que, si elle nous échappe, ce sera par le simple effet du peu de ménagemens que vous avez pour l’amour-propre du Premier Consul… Il ne peut pas souffrir de se voir dicter sur tout, et il répète sans cesse que l’Angleterre le traite comme une garnison qui demanderait à capituler… Ce sera l’amour-propre blessé qui décidera la guerre. Car, pour le fond, il est impossible de ne pas s’entendre, et nous nous entendrons… » Vains propos que le Suisse Huber prise à leur néant. Whitworth est parti, la rupture est consommée, l’honnête courtier change de ton : « Que signifie ce langage à présent que vous avez laissé partir milord Whitworth ?… Qu’est-ce que cet enfantillage du Consul qui demande des bonbons pour ne pas mettre l’Europe en feu ? J’ai laissé lord Whitworth dégoûté, jusqu’à satiété, de procédés si peu analogues aux siens et qui annoncent simplement le désir de gagner du temps. — Gagner du temps ! » s’écrie Talleyrand, et, ingénument : « pour quel objet ? — Mais je ne le comprends pas trop, je l’avoue, à moins que vous ne vous flattiez que l’Angleterre vous donnerait le temps de voir rentrer votre escadre de Saint-Domingue. »

« J’ai été poussé à bout, » écrit Bonaparte au Pape, le 17 mai. Le 19, on apprend que les deux ambassadeurs ont passé le détroit, Andréossy revenant de Londres, Whitworth de Paris. Le 21, le Moniteur publie un message du Consul aux corps de l’Etat et des pièces de la négociation. Puis, apprenant que, même avant que la guerre soit officiellement déclarée, des bâtimens français ont été, dès le 20 mai, capturés dans la baie d’Audierne, par des navires anglais, en outre, que l’embargo a été mis en Angleterre sur des navires français et que des lettres de marque seront données, le 26 mai, Bonaparte commande, le 22, d’arrêter tous les Anglais qui se trouvent sur le territoire de la République, de mettre, en France et dans la république italienne, l’embargo sur les marchandises anglaises ; des lettres de marque seront données, les corsaires sont invités à courir sus aux navires anglais ; tous les Anglais de dix-huit à soixante ans qui se trouvent en France sont prisonniers de guerre.

Paris ne manifesta point. Il y eut seulement quelques murmures dans le peuple des Halles. Les gendarmes faisaient peur ; on n’osait blâmer. Mais on n’approuvait point, et la police dut déployer un zèle extraordinaire pour provoquer quelques apparences de démonstrations favorables. La masse des Français demeurait, par tradition, hostile aux Anglais, les jugeant jaloux et acharnés contre la prospérité de la France ; elle se laissait assez docilement entraîner à la guerre, comme en 1797, après Campo-Formio, pour en finir. Mais, en finirait-on jamais ? Et, pour réduire l’Angleterre à capitulation, n’était-ce pas, comme en 1799 ; la guerre continentale qui allait recommencer ?


VI

A Londres, les passions se débordèrent violemment, belliqueuses, orgueilleuses, intéressées.

Le 16 mai, le roi annonça la rupture ; il déclara l’embargo, les lettres de marque. Ni consternation, ni même inquiétude : c’est une affaire, une immense opération de commerce, à coups de canon, la lutte pour la vie qui se continue en lutte pour la suprématie. Les politiques reprochent au cabinet sa trop longue condescendance : il s’est prêté trop complaisamment au jeu des Français. « C’est un fait acquis, note Malmesbury ; Bonaparte souhaite encore ardemment la paix, il redoute la guerre, et j’ai le pressentiment qu’aujourd’hui encore, 17 mai, à 9 heures du matin, il consentira à toutes nos propositions et que, pour le moment, nous allons ajourner la guerre, remise mais non perdue. » Whitworth arrive ; il raconte que la France n’est pas prête ; elle aurait cédé sur Malte si l’Angleterre y avait mis quelque obligeance. Il témoigne du désarroi où la mort du Premier Consul jetterait la République : le 10 mai, Bonaparte est tombé de sa voiture, on l’a cru en péril ; Lucien a rassemblé ses fidèles, on a délibéré ; ils étaient une cinquantaine ; vingt à vingt-cinq se prononcèrent pour une candidature de Lucien ; dix à douze pour un prince étranger, le reste pour Cambacérès… L’anarchie des factions, l’incapacité des gouvernans, un Directoire très probablement, désiré par les militaires qui se donneraient licence, voilà la perspective du lendemain de cette mort, tant souhaitée. Un Directoire, ce serait le salut, et aussi la revanche de l’Europe : remonter de Lunéville, conclu, au congrès de Rastadt, dissous, le Rhin menacé, l’Italie en feu, la Suisse envahie, une descente en Hollande…

Le 23 mai, en réponse à un message de la couronne, aux Lords, Stanhope, exprima le regret que le cabinet n’eût pas accepté l’offre de Malte pour dix années. La Chambre presque entière protesta contre cette opinion. — Il faut châtier la France ! s’écria le duc de Clarence. — Il faut, ajouta le duc de Cumberland, s’opposer aux débordemens d’une ambition sans frein. — Lord Melville se félicite de savoir que l’article 10 du traité d’Amiens ne sera pas exécuté : l’Angleterre est la gardienne naturelle de Malte, et Malte vaut qu’on la revendique, même par la guerre. Rendre Malte à l’Ordre, c’était livrer l’Egypte aux Français. C’est pour l’Angleterre qu’il faut garder Malte ; tous les raisonnemens, ou plutôt toutes les exclamations tournaient autour de ces deux idées. Le duc de Norfolk essaya de recommander la médiation russe. La guerre est indispensable, réplique lord Spencer. La guerre est une nécessité, ajoute lord Grenville, et lord Ellenborough : « Si nous n’avons plus les héros de Crécy et d’Azincourt, il reste encore ceux du Nil et de Saint-Jean-d’Acre. » Castlereagh écrivait quelque temps après : « Il sera difficile de persuader le monde que nous ne combattions pas exclusivement pour Malte. »

La guerre ménageait à Pitt une rentrée triomphale. Il n’avait pas, depuis des mois, reparu aux Communes. Le 24 mai, l’on discutait l’adresse, en réponse au message Hawkesbury parlait depuis une heure, essayant l’apologie du cabinet, Pitt entra. « Grand et maigre, en habit noir, épée à poignée d’acier, chapeau sous le bras, montant, enjambant deux ou trois marches à la fois ; un regard dédaigneux, un air triste et moqueur… le nez au vent, la figure pâle… ; mal vêtu ; sans plaisir, sans passion, avide seulement du pouvoir, méprisant les honneurs, ne voulant être que William Pitt…[21], » celui qu’on appelait « le maître des rois de l’Europe, » gagna sa place. Après Hawkesbury, la chambre écoutait impatiemment Whitbread, Pitt se leva. De toutes parts, on s’écria : — M. Pitt ! M. Pitt ! Et il parla. Son élocution était monotone, son geste insensible ; mais « la fluidité de ses pensées, la logique de ses raisonnemens, subitement illuminés d’éclairs, faisaient de son talent quelque chose hors de ligne[22]. » Bien que la fatigue fût évidente chez lui, que le souffle de sa poitrine semblât défaillir à « ces phrases prodigieuses qu’il lançait jadis sans effort et que les autres hommes n’ont ni l’esprit de concevoir ni la vigueur de prononcer, » son discours parut un des plus beaux que le Parlement eût entendus. « Bonaparte absorbant tout le pouvoir de la France ; la flamme liquide des principes jacobins dévastant le monde ! » les sarcasmes impitoyables déversés sur Erskine, sa conscience et ses scrupules ! Il parla près d’une heure et demie. Il se rassit, salué par une triple salve d’applaudissement, approbation insolite, et la plus bruyante que, de mémoire d’homme, on eût manifestée aux Communes.

Le lendemain, on entendit Fox : riposte de haute éloquence, mais qui n’eut point d’écho. Vainement Fox et ses amis montrèrent-ils, dans la réunion du Piémont, un fait antérieur au traité ; dans le rapport de Sébastiani, une réponse aux polémiques de la presse anglaise ; ils n’apprenaient rien de nouveau à leurs collègues, et la majorité n’admettait plus d’objections. « La guerre pour Malte, s’écria un député ; non pour Malte, mais pour l’Egypte ; non pour l’Egypte, mais pour l’Inde ; non pour l’Inde, mais pour l’Angleterre, pour la cause de la justice, du bien, de la bonne foi, de la liberté dans le monde ! » Canning vint à la rescousse : « La paix d’Amiens, de tous ses nombreux avantages, célébrés sur tous les tons, n’en garde qu’un aujourd’hui, celui de montrer qu’une paix de cette sorte, basée sur un tel système, ne peut convenir au pays. » — Alors, s’écria Fox, « tout progrès que fera la France, au dehors et même à l’intérieur, commerce, manufacture, sera une cause de guerre, une injure pour nous ! » On l’applaudit, parce qu’il était homme de cœur et de parole vibrante ; mais, au vote, 367 voix contre 67 lui prouvèrent que, dans son ironie et croyant les flétrir, il avait exprimé les sentimens et traduit les passions de ses compatriotes.

Pour comprendre qu’en raison de ses causes mêmes, causes séculaires, la lutte était sans issue par les seuls moyens de force ; qu’aucune des deux nations ne pourrait exterminer ni même ruiner l’autre ; qu’il faudrait nécessairement concilier les différends ; se connaître au lieu de s’espionner, se fréquenter au lieu de s’envahir, respecter chez autrui ce que l’on voulait qu’autrui respectât ; accorder le travailles métiers, les banques, au lieu de se battre à coups de blocus, de banqueroutes, de prohibitions, ou de monopoles comme, autrefois, à coups de séditions et à coups de prétendans, Écossais, Irlandais, Vendéens, Bourguignons et Stuarts ; tourner enfin la rivalité pour la suprématie commerciale ou politique, en concurrence d’idées et de travail pour la direction intellectuelle et l’approvisionnement du monde civilisé, des années d’expérience sanglante étaient encore nécessaires, et les préjugés ne se purent dissiper que par un épouvantable gaspillage d’hommes et d’argent. C’était un ordre de pensées aussi étranger à William Pitt et à Bonaparte qu’à l’immense majorité des hommes qui se mêlaient alors des affaires publiques, dans les deux pays. William Pitt comprit que l’Angleterre devait à l’Irlande le droit à la patrie, le droit à la foi, le droit à la justice, et en cela, il se montra le premier homme d’Etat de l’Angleterre contemporaine. Bonaparte comprit que la France sortie de la Révolution demeurait la France, et que la Révolution s’y devait organiser en gouvernement puissant et bienfaisant, donnant, au dehors, le prestige, au dedans la paix sociale et la paix religieuse, garantissant le travail national, et cette vue politique le fit empereur. Mais lorsque Bonaparte et William Pitt parlaient de paix et de commerce entre la France et l’Angleterre, c’était pour qu’elles se dominassent l’une l’autre par la paix et par les traités de commerce ; l’Anglais pour absorber le marché de la France et étouffer l’industrie française renaissante ; le Français pour fermer son marché aux produits anglais, forcer les manufactures anglaises à éteindre leurs feux et faire sauter les banques d’Angleterre.

La lutte finit, mais elle finit aux conditions posées par l’Ultimatum de 1803, aux conditions que, dès 1792, l’Angleterre avait décidé de faire prévaloir : la France refoulée dans ses anciennes limites, l’Angleterre établie à Malte ; plus de Français aux Pays-Bas, 1814 ; plus de Français en Égypte, 1810 ; la France substituant à la politique de suprématie continentale, la guerre d’équilibre, désintéressée, 1853, et le traité de commerce, enfin, 1860. Pour dériver et retenir, paisibles, derrière ces écluses, des eaux lourdes de tant de tempêtes, que d’efforts, que d’expériences il fallut, que de ténacité, d’une part, et de l’autre que de catastrophes, de déceptions et de résignation ! Or, en 1803, les catastrophes, la France les infligeait à ses ennemis ; de résignation elle n’en connaissait d’autre que celle qu’elle exigeait d’autrui.

Un seul homme, Talleyrand, avait prévu et prédit les conditions de la paix anglaise : les anciennes limites et le traité de commerce ; il était le ministre de la politique de Bonaparte et il ne le fût pas resté une minute, congédié par le maître, désavoué par l’opinion, s’il avait osé reproduire, à titre de programme du Consulat, le mémoire qu’il envoyait de Londres, pour Danton, en 1792.

En réalité, ce sont sept cents ans d’histoire d’Angleterre qui continuent la lutte avec sept cents ans d’histoire de France. Les armes portent plus loin, les machines produisent plus vite, les meneurs d’Etat conçoivent plus en grand, opèrent à plus longue distance, avec de plus grandes masses d’hommes, mais le fond, le mobile initial, l’allure générale demeurent les mêmes. William Pitt et Bonaparte ne sont que les noms nouveaux de ces coryphées de la guerre de sept siècles, qui se sont appelés Guillaume le Conquérant et Henri Plantagenet, le Prince noir et Duguesclin, Louis XIV et Guillaume d’Orange, Chatham et La Fayette. L’esprit perturbateur du vieux monde dans la Révolution française, l’esprit conservateur de « l’Europe établie » chez les Anglais ; le prosélytisme conquérant de la France, l’expansion commerciale et mercantile des Anglais, ne firent que renouveler, sous une forme plus passionnée, cette rivalité séculaire.


ALBERT SOREL.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 août et du 1er septembre.
  2. Oscar Browning, England and Napoléon in 1803, Despatches of lord Whitworth. Londres, 1883.
  3. Canning à Malmesbury, 14 décembre 1802.
  4. Bonaparte à Talleyrand, 18 et 28 décembre ; rapports de Markof, 13 décembre ; de Whitworth, 23 décembre 1802.
  5. Henri Prentout, l’Ile de France sous Decaen. Paris, 1901.
  6. Rapports de Whitworth, 21 février ; de Markof, 28 février 1803, d’après le récit direct de Whitworth.
  7. Il fut signé le 25 février 1803.
  8. Novembre 1802. Markers, p. XI.
  9. Richard Waddington, Louis XV et le renversement des alliances, Paris, 1896.
  10. Pitt à son frère, 28 février ; 2 mars ; Journal de Malmesbury, 16, 20, 26, 27 février ; 2, 9 mars 1803.
  11. Rapports d’Andréossy, 24 février, 1er mars ; Hawkesbury à Whitworth, 28 février 1803.
  12. Rapports de Markof, 21 avril, 16 octobre 1802. Lettres de Frédéric-Guillaume à Alexandre, 11 février, 29 mars 1803. Bailleu.
  13. Rapports de Lucchesini, 12 mars ; note de Talleyrand à Whitworth, 12 mars ; Talleyrand à Andréossy, 12 mars 1803.
  14. Relations de Whitworth, 13 mars ; de Markof, 16, 17 mars ; de Talleyrand à Andréossy, 13 mars ; à Hédouville, 16 mars ; à Bignon, à Berlin, 16 mars. Mémoires de la duchesse d’Abrantès. Les textes fondamentaux sont ceux de Whitworth et de Talleyrand, du 13 mars, écrits sous l’impression même. Les autres sont recomposés, des discours. — Portrait de Whitworth, par Turner, au Louvre.
  15. Rapports de Markof, 17 mars, 4 avril 1803.
  16. Rapports des 27, 29 avril, 4 mai 1803.
  17. Note à Andréossy, 2 avril ; Hawkesbury à Whitworth, 4 avril 1802.
  18. Rapport de Whitworth, il avril ; Hawkesbury à Whitworth, 13 avril 1803.
  19. Stanislas Girardin à Rœderer, juin 1804.
  20. L’ami d’Antraigues, « ami de l’Angleterre, » écrit le 3 décembre 1803 : « L’Angleterre a ici des gens de talent, employés en chef dans l’armée, qui abhorrent cette guerre de descente et la veulent empêcher pour en faire une sur le continent, où ils puissent piller, saccager, s’enrichir à moins de risques. » « Ceux-là, poursuit l’ami, devinent le plan général d’après ce qu’ils entrevoient et avertissent Angleterre. » Communiqué par M. Pingaud.
  21. Chateaubriand, Mémoires.
  22. Récit d’un témoin, dans Stanhope, William Pitt.