La Paix (trad. Eugène Talbot)
Pour les autres éditions de ce texte, voir La Paix.
Théâtre complet d’Aristophane, Alphonse Lemerre, , Volume 1 (p. 327-403).
LA PAIX
(L’AN 425 AVANT J.-C.)
Le sujet de la Paix est le même que celui des Acharniens : seulement la paix, qui dans cette comédie n’est le vœu que d’un seul homme, est ici l’objet des désirs de tout le monde. Le vigneron Trygée, monté sur un escarbot, arrive à la porte de l’Olympe et découvre la Paix dans une caverne profonde ou elle a été enfermée par la Guerre. Avec l’aide de tous les hommes de bonne volonté, il la délivre. La joie et les fêtes renaissent de toutes parts. Trygée épouse l’Abondance, compagne de la Paix, et le Chœur chante en vers charmants les loisirs de la vie rustique.
Hellènes de différentes villes. La Paix. Opôra. Théoria. Lamakhos. Un Prytane. |
Personnages muets. |
LA PAIX
Apporte, apporte au plus vite de la pâtée pour l’escarbot.
Voici. Donne à ce maudit insecte ; jamais il n’aura mangé de meilleure pâtée.
Donne-lui-en une autre, pétrie de crottin d’âne.
Voilà encore.
Où donc est celle que tu apportais à l’instant ?
Ne l’a-t-il pas mangée ?
Oui, de par Zeus ! il l’a roulée dans ses pattes et l’a avalée en entier. Fais-en tout de suite beaucoup, et épaisse.
Vidangeurs, au nom des dieux, venez à mon aide, si vous ne voulez pas me voir suffoquer.
Encore ! Encore ! Donne-m’en d’un enfant qui sert d’hétaïre ; car l’escarbot dit qu’il l’aime bien broyée.
Voici. Je me crois, citoyens, à l’abri d’un soupçon : on ne dira pas qu’en pétrissant la farine, je la mange.
Ah ! Pouah ! Apporte-m’en une autre, puis une autre, et pétris-en une autre encore.
Par Apollôn ! je ne puis : je suis incapable de supporter cette sentine.
Je vais donc rentrer la bête et la sentine avec elle.
Et, de par Zeus ! tout cela aux corbeaux, et toi par-dessus le marché ! Que l’un de vous me dise, s’il le sait, où je pourrai acheter un nez sans trous. Car je ne connais pas de métier plus misérable que de pétrir de la pâtée pour la donner à un escarbot. Un porc, quand nous allons à la selle, un chien, en avalent sans façon. Mais celui-ci fait le fier et le dédaigneux, et il ne juge pas à propos de manger, si je ne lui présente, comme à une femme, après avoir passé toute la journée à la pétrir, une galette feuilletée. Mais je vais regarder s’il a fini son repas : entr’ouvrons seulement la porte, pour qu’il ne me voie point. Courage, ne t’arrête pas de manger, jusqu’à ce que tu en crèves sans t’en apercevoir. Comme il se courbe, l’animal, sur sa pâtée ! On dirait un lutteur : il avance les mâchoires ; il promène de-ci de-là sa tête et ses deux pattes, à la façon de ceux qui tournent de gros câbles pour les vaisseaux. Quelle bête hideuse, puante et vorace ! De quelle divinité est-elle l’emblème, je ne sais. Il ne me semble pas que ce soit d’Aphroditè, ni des Kharites, assurément.
De qui donc ?
Il n’y a pas moyen que ce soit un présage de Zeus prêt à descendre.
Maintenant, parmi les spectateurs, quelque jeune homme, qui se pique de sagesse, se met sans doute à dire : « Qu’est-ce que cela ? À quoi bon l’escarbot ? » Et un Ionien, assis à ses côtés, lui répond : « Selon moi, cela fait allusion à Kléôn, qui, sans pudeur, se nourrissait de fiente. » Mais je rentre donner à boire à l’escarbot.
Moi, je vais expliquer le sujet aux enfants, aux jeunes gens, aux hommes faits, aux vieillards et à tous ceux qui se croient quelque supériorité. Mon maître a une étrange folie, non pas la votre, mais une folie nouvelle tout à fait. Le jour entier, les yeux au ciel et la bouche béante, il invective contre Zeus : « Ô Zeus ! dit-il, que veux-tu donc faire ? Dépose ton balai ; ne balaie pas la Hellas. »
Ea ! Ea !
Silence ! Je crois entendre sa voix.
Ô Zeus ! que veux-tu donc faire de notre peuple ? Tu ne t’aperçois pas que tu égraines nos villes !
Voilà précisément la maladie dont je vous parlais : vous entendez un échantillon de ses manies. Mais les propos qu’il tenait au début de son accès de bile, vous allez les apprendre. Il se disait, ici, à lui-même : « Comment pourrais-je aller tout droit chez Zeus ? » Puis, fabriquant de petites échelles, il y grimpait du côté du ciel, jusqu’au moment où il se cassa la tête en dégringolant. Mais hier, étant malheureusement sorti je ne sais où, il a ramené un escarbot, gros comme l’Ætna, et m’a forcé d’en être le palefrenier ; puis, lui-même, le caressant comme un poulain : « Mon petit Pègasos, dit-il, généreux volatile, puisses-tu, dans ton essor, me conduire droit chez Zeus ! » Mais je vais me pencher pour voir ce qu’il fait là dedans. Ah ! quel malheur ! Accourez ici, accourez, voisins ! Mon maître s’envole là-haut, à cheval, dans les airs, sur un escarbot !
Tout doux, tout doux, du calme, ma monture : ne t’enlève pas fièrement d’abord et d’une force trop confiante ; attends que tu aies sué et assoupli les forces de tes membres par un vigoureux battement d’ailes. Ne va pas me lâcher une mauvaise odeur, je t’en conjure : si tu le faisais, mieux eût valu rester dans notre logis.
Mon maître et seigneur, tu deviens fou !
Silence ! silence !
Pourquoi chevauches-tu ainsi à travers les nuages ?
C’est pour le bien de tous les Hellènes que je vole, et que je tente une entreprise hardie et nouvelle.
Pourquoi voles-tu ? Pourquoi te mets-tu, sans cause, hors de bon sens ?
Il nous faut des paroles de bon augure ; pas un mot défavorable, mais des cris d’allégresse. Recommande aux hommes de se taire, de boucher les latrines et les égouts avec des briques neuves, et de mettre une clef à leurs derrières.
Pas moyen de me taire, si tu ne dis pas où tu as l’intention de voler.
Où veux-tu, si ce n’est chez Zeus, vers le ciel ?
Dans quelle intention ?
Pour lui demander ce qu’il a décidé de faire de tous les Hellènes.
Et s’il ne te dit rien de catégorique ?
Je l’accuserai de livrer la Hellas aux Mèdes.
Par Dionysos ! jamais de mon vivant !
Il n’en peut pas être autrement.
Iou ! Iou ! Iou ! pauvres fillettes, votre père vous abandonne ; il vous laisse seules ; il monte au ciel en cachette. Conjurez votre père, ô malheureuses enfants !
Mon père, mon père, est-il vrai le bruit qui court dans notre maison ? On dit que, nous quittant pour le pays des oiseaux, tu vas chez les corbeaux et disparaître. Y a-t-il là quelque chose de réel ? Dis-le-moi, mon père, pour peu que tu m’aimes.
C’est à croire, mes enfants. Ce qu’il y a de certain, c’est que vous me fendez le cœur, quand vous me demandez du pain, en m’appelant papa, et que je n’ai pas chez moi une parcelle d’argent, ni rien du tout. Mais si je réussis, à mon retour, vous aurez un gros gâteau et une gifle pour assaisonnement.
Mais par quel moyen feras-tu ce trajet ? Car ce n’est pas un navire qui te conduira sur cette route.
J’irai sur une monture ailée et non sur un vaisseau.
Et quelle idée as-tu de harnacher un escarbot pour monter chez les dieux, mon petit papa ?
On voit dans les fables d’Æsopos qu’il s’est trouvé le seul des animaux parvenu chez les dieux en volant.
Tu nous racontes une fable incroyable, petit père, comme quoi un animal si puant est allé chez les dieux.
Il y est allé, au temps jadis, par haine de l’aigle, et pour en faire rouler les œufs, afin de se venger.
Tu aurais dû plutôt monter le cheval ailé Pègasos ; tu aurais eu pour les dieux un air plus tragique.
Mais, petite sotte, il m’eût fallu double ration, tandis que tout ce que j’aurai mangé servira de fourrage à ma monture.
Et s’il vient à tomber dans les profondeurs de la plaine liquide, comment en pourra-t-il sortir, étant ailé ?
J’ai un gouvernail fait pour cela, et j’en userai : mon vaisseau sera un escarbot construit à Naxos.
Et quel port te recevra dans ton naufrage ?
Au Piræeus, n’y a-t-il pas le port de l’Escarbot ?
Prends bien garde de chopper et de choir de là-haut ! Devenu boiteux, tu fournirais un sujet à Euripidès, et tu deviendrais une tragédie.
Je veillerai à tout cela. Adieu ! (Les jeunes filles s’en vont.) Et vous, pour qui je me donne la peine de ces peines, ne pétez ni ne chiez de trois jours. Car si, en planant au-dessus des nuages, l’escarbot flairait quelque odeur, il me jetterait la tête en bas, et adieu mes espérances. Mais voyons, Pègasos, vas-y gaiement ; fais résonner ton frein d’or ; mets en mouvement tes oreilles luisantes. Que fais-tu ? que fais-tu ? Pourquoi baisses-tu ton nez du côté des latrines ? Élance-toi hardiment de terre, déploie tes ailes rapides ; monte tout droit au palais de Zeus ; détourne tes narines du caca, de ta pâture quotidienne. Ohé ! l’homme ! que fais-tu, toi, qui chies dans le Piræeus, près de la maison des prostituées ? Tu vas me faire tuer, tu vas me faire tuer ! Enfouis-moi cela ! Apportes-y un gros tas de terre, plante par-dessus du serpolet et répands-y des parfums ! S’il m’arrivait malheur, en tombant de là-haut, ma mort coûterait cinq talents à la ville de Khios, en raison de ton derrière. Mais, au fait, j’ai grand’peur, et je n’ai plus le mot pour rire. Ohé ! machiniste, fais attention à moi ! Je sens déjà quelque vent rouler autour de mon nombril. Si tu n’y prends garde, je vais faire de la pâture pour l’escarbot. Mais il me semble que je suis près des dieux, et je vois la demeure de Zeus. Où donc est le portier de Zeus ? N’ouvrez-vous pas ? (La scène change et représente le Ciel.)
D’où me vient cette odeur de mortel ? Ô divin Hèraklès, qu’est-ce que cette bête ?
Un hippokantharos.
Ô coquin, impudent, effronté, scélérat, très scélérat, plus que très scélérat, comment es-tu monté ici, ô scélératissime parmi les scélérats ? Quel est ton nom ? Ne le diras-tu pas ?
Scélératissime.
Quel est ton pays ? Dis-le-moi.
Scélératissime.
Quel est ton père ?
À moi ? Scélératissime.
Par la Terre ! tu es un homme mort, si tu ne me dis pas quel est ton nom ?
Trygæos d’Athmonia, honnête vigneron, pas sykophante, ni ami des affaires.
Pour quoi viens-tu ?
Pour t’apporter des viandes.
Ô pauvre homme, comment es-tu venu ?
Ô gourmand, tu vois que je n’ai plus l’air à tes yeux d’un scélératissime. Voyons, maintenant, appelle-moi Zeus.
Ié, ié, ié ! Tu n’es pas encore près de te trouver à côté des dieux. Ils sont partis hier : ils ont déménagé.
Pour quel endroit de la Terre ?
De la Terre, dis-tu ?
Oui, et où cela ?
Tout à fait loin ; absolument au fond de la calotte du Ciel.
Comment alors as-tu été laissé seul ici ?
Pour avoir l’œil sur le reste du mobilier des dieux, les petits pots, les tablettes, les petites amphores.
Et pourquoi les dieux ont-ils déménagé ?
Par colère contre les Hellènes. À l’endroit où ils étaient eux-mêmes, ceux-ci ont logé la Guerre, en vous livrant absolument à sa discrétion. Eux alors sont allés demeurer le plus haut possible, afin de ne plus voir vos combats et de ne plus entendre vos supplications.
Et pourquoi nous traitent-ils ainsi ? Dis-le-moi.
Parce que vous avez préféré la guerre, lorsque souvent ils vous ont ménagé la paix. Si les Lakoniens remportaient le plus mince avantage, ils disaient : « Par les deux Dieux, aujourd’hui les Attiques nous la paieront. » Et s’il arrivait quelque succès à vous, Attiques, vainqueurs à votre tour, quand les Lakoniens venaient traiter de la paix, vous disiez tout de suite : « On nous trompe par Athèna, par Zeus, il ne faut pas s’y fier. Ils reviendront tant que nous aurons Pylos. »
C’est bien là le sens local de nos paroles.
Aussi je ne sais si jamais vous reverrez la Paix.
Où donc est-elle allée ?
La Guerre l’a plongée dans une caverne profonde.
Laquelle ?
Là, en bas. Tu vois que de pierres elle a entassées, afin que vous ne la repreniez jamais.
Dis-moi, que machine-t-elle de faire contre nous ?
Je ne sais, sauf une chose, c’est qu’elle a apporté hier soir un mortier d’une grandeur énorme.
Et que veut-elle faire de ce mortier ?
Elle veut y piler les villes. Mais je m’en vais, car, si je ne m’abuse, elle est sur le point de sortir : elle fait un vacarme là dedans !
Malheur à moi ! Je me sauve ; car il me semble entendre moi-même le fracas du mortier belliqueux.
Ah ! mortels, mortels, mortels, infortunés, comme vous allez craquer des mâchoires !
Seigneur Apollôn, quelle largeur de mortier ! Que de mal dans le seul regard de la Guerre ! Est-ce donc là ce monstre que nous fuyons, cruel, redoutable, solide sur ses jambes ?
Ah ! Prasiæ, trois fois, cinq fois, mille fois malheureuse, la voilà perdue !
Cela, citoyens, n’est pas encore notre affaire : le coup porte sur la Lakonie.
Ô Mégara, Mégara, comme tu vas être absolument broyée et mise en hachis. Babæ ! Babæax !
Quel torrent de larmes amères chez les Mégariens !
Io ! Sikélia, toi aussi tu vas périr.
Quelle malheureuse cité sera réduite en poudre ?
Voyons, versons aussi là dedans de ce miel attique.
Holà ! je te conseille d’un autre miel. Celui-ci coûte quatre oboles : ménage le miel attique.
Esclave, esclave, Vacarme !
Pourquoi m’appelles-tu ?
Je te ferai pleurer à chaudes larmes. Tu es donc resté sans rien faire ? À toi ce coup de poing !
Il est dur ! Hélas ! hélas ! malheureux que je suis, ô mon maître ! Est-ce qu’il a de l’ail dans le poing ?
Cours me chercher un pilon.
Mais nous n’en avons point, mon maître ; nous ne sommes emménagés que d’hier.
Eh bien, cours en chercher un chez les Athéniens, et vivement.
J’y vais, de par Zeus ! et si je n’en ai pas, j’aurai à pleurer.
Ah ! que ferons-nous, chétifs mortels ? Voyez combien est grand le péril qui nous menace. S’il revient apportant le pilon, l’autre va piler les villes à son aise. Par Dionysos ! qu’il périsse avant de revenir avec l’instrument !
Eh bien ?
Quoi ?
Tu n’apportes rien ?
Malechance ! Les Athéniens ont perdu leur pilon, ce corroyeur qui bouleversait la Hellas.
Ô Athèna, vénérable souveraine, comme cet homme a bien fait de disparaître dans l’intérêt de la cité, avant de nous avoir servi son hachis !
Va donc en chercher un autre à Lakédæmôn, et finis vite.
C’est cela, maîtresse…
Reviens au plus tôt.
Citoyens, qu’allons-nous devenir ? Voici le grand combat ! Si quelqu’un de vous se trouve initié aux mystères de Samothrakè, c’est le moment de souhaiter une entorse à l’envoyé.
Hélas ! hélas ! malheureux que je suis, malheureux et trois fois malheureux !
Qu’est-ce donc ? Tu n’apportes rien encore ?
Les Lakédæmoniens ont aussi perdu leur pilon.
Comment, scélérat ?
Du côté de la Thrakè, ils l’avaient prêté à d’autres, et ils l’ont perdu.
Quelle chance ! quelle chance ! Peut-être que tout ira bien. Rassurez-vous, mortels !
Prends tout cet attirail, et remporte-le. Je rentre et je vais faire moi-même un pilon.
Voici l’instant de répéter ce que chantait Datis, en se caressant au milieu du jour : « Quel plaisir, quel délice, quelle jouissance ! » C’est le bon moment pour vous, hommes de la Hellas, où, délivrés des affaires et des combats, vous allez tirer de prison la Paix, chère à tous, avant qu’un autre pilon y mette obstacle. Allons, laboureurs, marchands, artisans, ouvriers, métèques, étrangers, insulaires, venez ici ; peuple de partout, prenez au plus vite pioches, leviers et câbles. Nous pouvons aujourd’hui saisir la coupe du Bon Génie.
Que chacun coure de tout cœur et promptement à la délivrance ! Ô Panhellènes, secourons-nous plus que jamais après avoir mis fin aux batailles et aux luttes sanglantes. Car le jour a brillé ennemi de Lamakhos. Toi, s’il y a quelque chose à faire, donne-nous des ordres ; sers-nous d’architecte : car il n’y a pas moyen, selon moi, aujourd’hui, de reculer, avant que les leviers et les machines aient ramené à la lumière la plus grande de toutes les déesses et la plus amie des vignes.
Vous tairez-vous ? Que votre joie de la tournure des affaires ne réveille pas la Guerre qui est là dedans : plus de cris !
Nous nous réjouissons d’entendre cet édit : ce n’est plus comme de venir avec des vivres pour trois jours.
Prenez garde que ce Kerbéros de là-dessous ne s’emporte et ne crie, comme lorsqu’il était ici, et ne nous empêche de ramener la Déesse.
Non, désormais on ne nous la ravira plus, une fois qu’elle sera venue entre nos bras. Ah ! ah ! ah !
Vous voulez donc me tuer, vilaines gens, en ne cessant pas vos cris ? Le monstre va s’élancer et fouler tout aux pieds.
Qu’il bouleverse, qu’il écrase, qu’il trouble tout ; notre joie aujourd’hui ne saurait cesser.
Ô malheur ! Qu’avez-vous donc, bonnes gens ? N’allez pas, au nom des dieux, gâter par vos danses une si belle affaire !
Ce n’est pas que je veuille danser, mais de plaisir, et sans que je les meuve, mes deux jambes sautillent.
N’allons pas plus loin ; cessez, cessez de sautiller.
Voilà, je cesse.
Tu le dis, mais tu ne cesses pas.
Laisse-moi donc encore esquisser un pas, et point davantage.
Celui-là seulement, et ne dansez plus, mais pas du tout.
Nous ne danserons plus, si nous te sommes utiles à quelque chose.
Mais vous le voyez, vous n’avez pas encore cessé.
De par Zeus ! nous lançons encore la jambe droite, et c’est fini.
Je vous le permets pour que vous ne me chagriniez plus.
Oui, mais la gauche veut nécessairement être de la partie. Je suis joyeux, je pète, je ris, plus même que si j’avais dépouillé la vieillesse ; j’échappe au bouclier.
Ne vous réjouissez pas encore ; car vous ne savez ce qu’il en est précisément. Mais quand nous la tiendrons, alors réjouissez-vous, criez, riez ! Il vous sera permis, en effet, de naviguer, de demeurer, de faire l’amour, de dormir, de prendre part aux panégyries et aux théories, de banqueter, de jouer au kottabe, de mener une vie de Sybarite et de crier : Iou ! Iou !
Puissé-je voir un si beau jour ! J’ai enduré bien des peines et des lits de jonchée échus à Phormiôn. Tu ne trouveras plus en moi un juge sévère, dur, intraitable, ni d’une humeur inflexible, comme jadis ; mais tu me verras rempli de douceur, rajeuni de plusieurs années, quand j’aurai été débarrassé des ennuis. Depuis un temps suffisant nous nous tuons, nous nous éreintons, courant vers le Lykéion ou hors du Lykéion, avec la lance, avec le bouclier ; mais comment te serons-nous le plus agréables ? Voyons, parle, puisqu’une heureuse fortune t’a choisi pour notre chef.
Voyons un peu par quel moyen nous enlèverons ces pierres.
Scélérat, impudent, que prétends-tu faire ?
Rien de mal, à la façon de Killikôn.
C’est fait de toi, misérable !
Sans doute, si le sort décide de moi ; car Hermès, je le sais, dirigera le hasard.
Tu es mort, anéanti.
Et quel jour ?
Tout de suite.
Mais je n’ai encore acheté ni orge, ni fromage, en homme qui doit mourir.
Cependant tu as été gentiment frotté.
Comment se fait-il que je n’en aie ressenti aucune jouissance ?
Ignores-tu que Zeus a décrété la peine de mort contre quiconque déterrera la prisonnière ?
Alors il est de toute nécessité que je meure ?
Sois-en certain.
Prête-moi alors trois drakhmes pour acheter un petit cochon ; car il faut que je me fasse initier avant de mourir.
Ô Zeus, qui fais gronder la foudre !
Au nom des dieux, maître, ne nous dénonce pas, je t’en conjure.
Je ne puis me taire.
Je t’en prie, par les viandes que je me suis empressé de t’offrir en arrivant.
Mais, animal, Zeus va m’anéantir, si je ne crie pas bien haut et si je ne révèle tout cela.
Ne révèle rien, je t’en supplie, mon petit Hermès… Eh bien ! vous autres, qu’est-ce que vous faites là ? Vous restez immobiles. Malheureux ! parlez donc ; autrement, il va tout révéler.
Ne le fais pas, seigneur Hermès, pas du tout ! Si c’est avec plaisir que tu sais avoir mangé le petit cochon que je t’ai offert, ne considère pas cette offre comme de peu de valeur, dans la circonstance actuelle.
N’entends-tu pas comme ils te flattent, souverain maître ?
Que ta colère ne reprenne pas le dessus, devant nos supplications ; laisse-nous délivrer la Déesse. Sois-nous favorable, ô le plus philanthrope, le plus généreux des dieux, s’il est vrai que tu as en horreur les aigrettes et les sourcils de Pisandros. Les victimes sacrées, les offrandes magnifiques, ô mon maître, te seront prodiguées par nos mains, et toujours.
Voyons, je t’en conjure, prends pitié de leurs prières : ils t’honorent mieux que jamais.
En effet, ils sont aujourd’hui plus voleurs que jamais.
Je te dirai la chose terrible, énorme, machinée contre tous les dieux.
Allons, parle : peut-être me convaincras-tu.
La Lune et ce vaurien de Soleil conspirent depuis longtemps contre vous et veulent livrer la Hellas aux Barbares.
Et pourquoi agissent-ils ainsi ?
Parce que, de par Zeus ! c’est à vous que nous offrons des sacrifices, tandis que c’est à eux que sacrifient les Barbares. Aussi est-il naturel qu’ils veuillent vous voir tous exterminés, afin de recevoir les offrandes faites aux dieux.
Voilà pourquoi, depuis longtemps, ils trichent tous deux sur la durée des jours et rognent frauduleusement de leur disque.
Oui, de par Zeus ! Ainsi, cher Hermès, viens-nous résolument en aide et délivre avec nous la captive. Et désormais c’est à toi, Hermès, que seront consacrées les grandes Panathènæa et les autres fêtes en l’honneur des dieux, Mystères, Dipolia, Adonia. Partout les villes, débarrassées de leurs maux, offriront des sacrifices à Hermès Préservateur. Et tu auras encore bien d’autres avantages : moi, d’abord, je te fais présent de cette coupe pour les libations.
Ah ! je suis toujours sensible aux coupes d’or. À votre œuvre donc, braves gens ! Pioches en main, entrez dans la caverne, et écartez au plus vite les pierres.
Nous y sommes ; mais toi, le plus habile des dieux, dis-nous en bon ouvrier ce qu’il faut faire ; pour le reste, tu ne nous trouveras pas insouciants à la besogne.
Voyons, alors ; toi, tends vite la coupe, et préludons par les libations à notre travail, en invoquant les dieux ! Libation ! Libation ! Silence ! Par ces libations, demandons que ce jour soit pour tous les Hellènes la source de mille biens, et que quiconque aura bravement mis la main à ces câbles, ce même homme ne la mette pas au bouclier.
Oui, au nom de Zeus, et que je passe ma vie au sein de la paix, aux bras d’une hétaïre, et tisonnant les charbons.
Fais que celui qui aime mieux voir régner la Guerre, ne cesse jamais, ô souverain Dionysos, de retirer de ses coudes les pointes des dards.
Et si quelque aspirant au grade de taxiarkhe te jalouse la lumière, ô Déesse vénérable, qu’il éprouve dans les combats le sort de Kléonymos.
Et si un fabricant de lances ou un brocanteur de boucliers, afin de vendre davantage, souhaite les batailles, qu’il soit pris par des voleurs et n’ait que de l’orge à manger.
Et si quelque aspirant au grade de stratège refuse son concours, ou qu’un esclave se prépare à passer à l’ennemi, qu’il soit attaché à la roue et fustigé.
À nous la bonne chance ! Iè, Pæan, iè !
Pas de « Pæan » ! Dis seulement : « Iè ! »
À Hermès, aux Kharites, aux Heures, à Aphroditè, au Désir !
Et point à Arès !
Point !
Point à Enyalios !
Point ! Tous, faites jouer les leviers et appliquez les câbles aux pierres.
Ho ! Eia !
Eia ! Plus fort !
Ho ! Eia !
Encore plus fort !
Ho ! Eia ! Ho ! Eia !
Mais ces hommes ne tirent pas également ! Vous n’agissez pas de concert ! Gare à vous ! Vous gémirez, tas de Bœotiens.
Eia ! encore !
Eia ! Ho !
Eh ! voyons ! Tirez aussi, vous deux.
Mais je tire, je me pends à la corde ; je me couche dessus ; j’y vais de bon cœur.
Comment se fait-il donc que la besogne n’avance pas ?
Ô Lamakhos ! tu as tort de rester en dehors, assis. Nous n’avons pas besoin, brave homme, de ta Mormô.
Ces Argiens ne tirent pas non plus ; et il y a longtemps de ça ; mais ils se rient de nos misères, et ils font leurs orges des deux côtés à la fois.
Oui, mais les Lakoniens, mon bon, tirent en vrais hommes.
Tu vois que ce sont exclusivement tous ceux d’entre eux qui ont en main le bois aratoire, seuls ils ont du cœur. Mais l’armurier s’y oppose.
Les Mégariens ne font pas grand’chose non plus : ils tirent toutefois, ouvrant gloutonnement leur bouche humide, à la manière des chiens, et, de par Zeus ! mourant d’inanition.
Nous ne faisons rien, bonnes gens ; allons-y tous du même cœur : sachons nous y reprendre.
Ho ! Eia !
Eia, plus fort !
Ho ! Eia !
Eia, de par Zeus !
Nous n’avançons guère.
N’est-ce pas affreux que les uns tirent dans un sens et les autres dans un autre ? Vous recevrez des coups, les Argiens !
Eia, encore !
Eia ! Ho !
Il y a des malintentionnés parmi nous.
Vous au moins, qui avez envie de la paix, tirez vigoureusement.
Mais il y en a qui empêchent.
Citoyens de Mégara, n’irez-vous pas aux corbeaux ? Vous êtes en haine à la Déesse, qui a bonne mémoire ; car c’est vous les premiers qui l’avez frottée d’ail. Quant à vous, Athéniens, je vous dis de cesser de tirer maintenant de ce côté, car vous ne faites que vous occuper de procès. Si donc vous désirez délivrer la captive, descendez un peu vers la mer.
Voyons, mes amis, que les laboureurs seuls saisissent les câbles.
La chose est en bien meilleur train, mes amis, pour notre avantage.
Il dit que la chose est en bon train : que chacun s’y mette donc de tout cœur.
Ce sont les laboureurs, et pas un autre, qui avancent l’ouvrage.
Allons, maintenant ; allons, tout le monde ! Il y a décidément de l’ensemble. Ne nous relâchons pas pour le moment, mais tendons les muscles avec plus de vigueur. Voilà qui est fait. Ho ! Eia ! maintenant. Ho ! Eia ! tout le monde. Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Ho ! Eia ! Eia ! Eia ! Eia ! tout le monde. (La Paix sort de la caverne.)
Vénérable Déesse qui donnes les raisins, quelles paroles t’adresserai-je ? Où prendrai-je des mots de la contenance de dix mille amphores pour te les adresser ? Je n’en ai plus à la maison. Salut, Opôra ! Salut, Théoria ! Que tu as donc un charmant visage, ô Théoria ! Quelle haleine, quelle odeur suave s’exhale de ton sein ! C’est la senteur très douce du congé militaire et des parfums.
Est-ce donc une odeur comparable à celle du sac militaire ?
J’ai le cœur sur les lèvres devant l’affreux sac d’osier d’un très affreux ennemi : c’est l’odeur du rot d’un mangeur d’oignon ; mais avec Opôra réceptions, Dionysia, flûtes, tragédies, chants de Sophoklès, grives, petits vers d’Euripidès…
Pleure de la calomnier : elle ne se plaît pas avec un faiseur de plaidoiries.
Lierre, passoire pour le vin, brebis bêlantes, gorges de femmes courant aux champs, servante prise d’ivresse, kongion renversé et mille autres bonnes choses.
Tiens, maintenant, regarde comme ces villes réconciliées jasent entre elles et rient de bonne humeur ; et cela, bien qu’affreusement meurtries, et toutes couvertes de ventouses.
Regarde aussi les figures des spectateurs, afin de savoir quels sont leurs métiers.
Ah ! malheur ! ne vois-tu pas ce fabricant d’aigrettes qui s’arrache lui-même les cheveux, tandis que le faiseur de hoyaux pète au nez de ce fabricant d’épées ?
Et le fabricant de faux, ne vois-tu pas comme il se réjouit et fait la nique à ce faiseur de lances ?
Va, maintenant, ordonne aux laboureurs de se retirer.
Écoutez, peuples. Que les laboureurs retournent au plus vite dans leurs champs, avec leurs instruments aratoires, sans lances, sans épées, sans javelots ; car déjà tout se remplit ici de la vieille Paix. Que chacun se rende à ses travaux champêtres, après avoir chanté un Pæan !
Ô jour désiré des gens de bien et des cultivateurs, avec quelle joie, en te revoyant, je veux saluer mes vignes et les figuiers que je plantai dans ma jeunesse ! Le cœur nous dit de les embrasser après un si long temps.
Et maintenant, bonnes gens, commençons par adorer la Déesse qui nous a débarrassés des aigrettes et des Gorgones ; ensuite nous retournerons à notre logis, chez nous, dans nos champs, après avoir fait l’emplette de quelque bonne salaison.
Ô Poséidôn, le beau coup d’œil que présente leur troupe, serrée comme une galette, animée comme un banquet !
Par Zeus ! c’est une belle chose qu’un hoyau bien emmanché ; et les fourches à trois pointes brillent vivement au soleil. Elles nous servent à aligner comme il faut les rangées d’arbres. Comme je souhaite depuis longtemps rentrer moi-même dans mon champ et retourner avec ma pioche mon petit terrain ! Ah ! souvenez-vous, mes amis, de la vie d’autrefois, que nous procurait la Déesse, cabas, figues, myrtes, vin doux, diaprures de violettes près du puits, oliviers que nous regrettons ! En mémoire de tous ces biens, adorez aujourd’hui la Déesse !
Salut ! Salut ! Combien nous attendrit ta venue, ô Déesse bien-aimée ! Je suis consumé du regret de ton absence et je veux ardemment retourner aux champs. En effet, tu étais pour nous un grand bien, ô Déesse regrettée, pour nous tous qui menons la vie champêtre : seule, tu nous venais en aide. Nous goûtions, grâce à toi et depuis longtemps, mille douceurs gratuites et délicieuses. Tu étais, pour les agriculteurs, les grillades de froment et la santé. Aussi les vignes, les jeunes figuiers, toutes les plantes sourient de joie à ton approche. (À Hermès.) Mais où donc était-elle durant tout le temps qu’elle a passé loin de nous ? Dis-le-nous, ô le plus bienveillant des dieux.
Très sages laboureurs, écoutez bien mes paroles si vous voulez entendre comment elle a été perdue. La première cause remonte à la disgrâce de Phidias. Ensuite Périklès, craignant de partager le même sort, en raison de votre nature et de votre humeur acariâtre, avant de rien éprouver de fâcheux lui-même, mit la ville en feu. Il lance, faible étincelle, le décret de Mégara, qui allume la triste guerre, dont la fumée fait pleurer tous les Hellènes, ceux d’ici et ceux de là-bas. Aussitôt que s’en répand la nouvelle, la vigne craque ; le tonneau, violemment heurté, se rue sur le tonneau : il n’y a plus personne pour arrêter le mal ; la Paix a disparu.
Par Apollôn ! je ne savais pas un mot de tout cela, et je n’avais pas ouï dire que Phidias eût des attaches avec elle.
Ni moi, jusqu’à ce moment : elle ne tenait sans doute une figure si belle que de sa parenté avec lui. Bien des choses nous échappent.
Alors, quand les villes, à vous soumises, connurent vos férocités mutuelles et vos grincements de dents, elles mirent tout en œuvre contre vous, différant les tributs, et elles gagnèrent à prix d’argent les principaux citoyens de la Lakonie. Ceux-ci, honteusement avares et haïsseurs des étrangers, repoussent honteusement la Paix et embrassent la Guerre. Cependant leurs profits sont la ruine des laboureurs. Car bientôt des trières, parties d’ici en représailles, mangent les figues de gens qui n’en peuvent mais.
C’était juste pourtant ; car ils m’ont brisé un figuier noir, que j’avais planté et élevé de mes mains.
Oui, de par Zeus ! mon cher, c’était bien fait ; car à moi, d’un coup de pierre, ils ont cassé un coffre qui contenait dix médimnes de froment.
Alors le peuple travailleur, revenu des champs à la ville, ne s’aperçut pas qu’il était vendu de la même manière qu’auparavant, mais n’ayant plus un pépin de raisin et aimant les figues, il regarda du côté des orateurs. Ceux-ci, connaissant la gêne des pauvres et leur manque d’orge, chassèrent la Déesse à coups de fourches à deux pointes et de cris, toutes les fois qu’elle reparaissait animée de tendresse pour ce pays. En même temps ils portaient le désordre chez les plus riches et les plus opulents de nos alliés, accusant l’un ou l’autre d’être partisan de Brasidas. Vous vous jetiez sur le malheureux, comme des chiens, pour le mettre en pièces. La ville pâle, épuisée de crainte, saisissant ce que lui jetait la calomnie, en faisait avec plaisir sa pâture. Voyant les coups que frappaient ces gens-là, les étrangers, témoins de leurs actes, leur fermaient la bouche avec de l’or. C’est ainsi qu’ils s’enrichirent, tandis que la Hellas se mourait à votre insu. Et la cause de cela était un corroyeur.
Assez, assez, seigneur Hermès, n’en parle plus ; laisse ce personnage là où il est, sous terre : il n’est plus à nous, cet homme, il est à toi. Tout ce que tu dirais de lui, quoique de son vivant ce fût un fourbe, un bavard, un sykophante, un brouillon, un perturbateur, tout cela serait aujourd’hui une insulte à l’un des tiens. Mais pourquoi gardes-tu le silence, vénérable Déesse ? Dis-le-moi.
Elle ne saurait parler devant les spectateurs : elle a contre eux un trop grand ressentiment des maux qu’elle a soufferts.
Qu’elle te dise au moins quelques mots.
Dis-moi, chère amie, quelles sont tes intentions à leur égard. Voyons, toi, qui de toutes les femmes détestes le plus les anneaux de bouclier… Bien, j’entends. C’est là ce que tu leur reproches ? Je comprends. Écoutez, vous autres, ce dont elle se plaint. Elle dit qu’elle s’est présentée d’elle-même après l’affaire de Pylos, apportant à la ville une corbeille pleine de traités, et que trois fois elle a été repoussée par les votes de l’assemblée.
Nous avons commis cette faute ; mais pardonne, notre esprit était alors dans les cuirs.
Voyons, maintenant, écoute la question qu’elle vient de me faire. Quel était ici le plus malintentionné pour elle, et quel était l’ami, qui souhaitait vivement la fin des batailles ?
Le mieux intentionné était sans contredit Kléonymos.
Quel semble donc être Kléonymos en ce qui touche à la guerre ?
Un brave cœur ; seulement il n’est pas né du père dont il se dit le fils ; et quand il marche en soldat, il le prouve aussitôt en jetant ses armes.
Écoute encore ce qu’elle vient de me demander. Qui est-ce qui domine aujourd’hui à la tribune de pierre de la Pnyx ?
Hyperbolos y occupe le premier rang. Eh bien, Déesse, que fais-tu ? Où tournes-tu la tête ?
Elle se détourne du peuple, indignée qu’il se soit donné un si mauvais chef.
Eh bien ! nous n’en userons plus du tout ; mais le peuple, dénué de guide, et réduit à la nudité, s’était servi de cet homme comme d’un manteau.
Elle demande quel avantage en tirera la république.
Nous deviendrons plus éclairés.
Comment ?
Parce qu’il se trouve être fabricant de lanternes. Auparavant nous tâtonnions les affaires dans l’obscurité ; aujourd’hui nous voterons tout à la lanterne.
Oh ! oh ! quelles questions elle m’ordonne de te faire !
Lesquelles ?
Une foule de vieilleries qu’elle a jadis laissées là. Elle demande d’abord ce que fait Sophoklès.
Il va bien, mais il lui est arrivé quelque chose d’étrange.
Quoi donc ?
De Sophoklès il est devenu Simonidès.
Simonidès ? Comment ?
Vieux et avare, pour gagner, il naviguerait sur une claie.
Et le sage Kratinos, vit-il toujours ?
Il est mort lors de l’invasion des Lakoniens.
De quel mal ?
De quel mal ? D’une syncope. Il n’a pu supporter le chagrin de voir briser un tonneau rempli de vin. Combien d’autres malheurs, penses-tu, ont encore affligé la ville ? Aussi jamais, ô Déesse ! nous ne nous séparerons de toi.
Eh bien ! maintenant, dans ces conditions, prends pour femme Opôra que voici. Va vivre aux champs avec elle, et faites ensemble du raisin.
Douce amie, viens ici et donne-moi un baiser. Crois-tu, seigneur Hermès, qu’il m’arrive malheur si, après une longue privation, je prends mes ébats avec Opôra ?
Non, à la condition que tu boives par-dessus une infusion de menthe. Mais hâte-toi de conduire Théoria, que voici, au Conseil, dont elle était jadis.
Bienheureux Conseil de ravoir Théoria ! Que de sauce tu vas avaler pendant trois jours ! Combien tu vas manger de tripes cuites et de viandes ! À toi, cher Hermès, un bon adieu !
Et toi aussi, brave homme, pars joyeux et souviens-toi de moi.
Ohé ! escarbot, à la maison, à la maison ! Revolons-y.
Il n’est plus ici, mon cher.
Où donc est-il allé ?
Il s’est attelé au char de Zeus, et il porte la foudre.
D’où le malheureux aura-t-il donc sa pâture ?
Il savourera l’ambroisie de Ganymèdès.
Et comment descendrai-je ?
Sois tranquille ; très bien, du côté de la Déesse.
Par ici, jeunes filles, suivez-moi vite ; car bon nombre de gens vous désirent et vous attendent tête levée.
Va donc avec joie. Pour nous, mettant ces objets entre les mains des gens de notre suite, donnons-les-leur à garder, vu que c’est autour de la scène particulièrement que la foule des voleurs a coutume de rôder et de faire de mauvais coups. Veillez-y donc avec courage.
Et nous, exposons aux spectateurs la voie que suivent nos ouvrages, et quelle en est l’intention. Il faudrait voir fustiger par les arbitres tout poète comique qui se louerait lui-même sur la scène dans les anapestes de sa parabase. Or, s’il est juste, fille de Zeus, d’honorer celui qui s’est fait le meilleur et le plus habile de tous les comiques, notre auteur croit avoir droit à de grands éloges. D’abord, il est le seul qui ait forcé ses rivaux à cesser de rire sans cesse des haillons, et de faire la guerre aux poux. Ces Hèraklès qui pétrissent, ces meurt-de-faim, il les a bannis et flétris le premier ; il a mis à l’écart les esclaves fuyards, trompeurs, battus et introduits par eux tout en larmes, à seule fin et exclusivement pour qu’un camarade se moque de leurs coups, et leur dise : « Malheureux, qu’est-il arrivé à ta peau ? Est-ce qu’une nombreuse armée de hérissons est tombée sur tes reins et a mis ton dos en coupe ? » Supprimant ces turpitudes, ces lourdeurs, ces bouffonneries ignobles, il nous a créé un grand art, bâti un palais aux tours élevées, à l’aide de belles paroles, de pensées et de plaisanteries, qui ne sentent pas l’Agora. Jamais il n’a mis en scène de simples particuliers, ni des femmes ; mais, avec le courage de Hèraklès, il s’est attaqué aux plus grands monstres passant à travers les odeurs fétides des cuirs et les menaces boueuses. Oui, le premier entre tous, je lutte contre la bête aux dents aiguës, dans les yeux de laquelle luisent des rayons terribles comme les yeux de Kynna, et dont les cent têtes sont léchées en cercle par des flatteurs, gémissant autour de son cou, ayant la voix redoutable d’un torrent qui grossit, l’odeur d’un phoque, les testicules malpropres d’une Lamia et le derrière d’un chameau. À la vue de ce monstre je n’ai pas eu peur, mais je lui fis face, combattant sans relâche pour vous et pour les autres îles. À vous aujourd’hui de m’en savoir gré et de vous en souvenir. Jadis, en effet, dans la joie du succès, je n’ai point parcouru les palestres, pour corrompre les jeunes gens, mais, emportant mon bagage, je me suis retiré tout de suite, après avoir causé peu de chagrin, beaucoup de gaieté et fait en tout mon devoir.
Aussi dois-je avoir pour moi les hommes et les enfants : les esclaves mêmes, nous les invitons à contribuer à notre victoire. Car, si je suis vainqueur, chacun dira à sa table et dans les banquets : « Offre au chauve, donne au chauve quelque friandise ; ne refuse rien au plus noble des poètes, homme au large front. »
Muse, toi qui as repoussé la guerre, viens te mêler aux danses avec moi, ton ami, célébrant les noces des dieux, les festins des hommes et les banquets des Heureux : c’est de cela que, depuis longtemps, tu as souci. Si Karkinos se présente avec son fils pour danser, ne l’admets pas, fausse-leur compagnie ; mais songe que ce sont tous des cailles domestiques, des danseurs au cou long et étroit, des nains, des raclures de crottes de chèvres, des poètes à machines. Le père disait, après un succès inespéré, que son drame fut, le soir, étranglé par un chat.
Il faut ainsi que le poète habile chante les hymnes populaires des Kharites à la belle chevelure, lorsque l’hirondelle printanière gazouille sur la branche, tandis que ni Morsimos, ni Mélanthios ne trouve de chœur ; ce dernier m’a fait entendre sa voix aigre lorsque son père et lui eurent un chœur tragique, tous deux Gorgones voraces, gourmands de raies, harpies, coureurs de vieilles, impurs, puant le bouc, destructeurs de poissons. Lance sur eux un grand et large crachat, Muse divine, et viens célébrer avec moi cette fête.
Que ce n’est guère commode d’aller tout droit chez les dieux ! Moi, j’en ai réellement les jambes presque rompues. Je vous voyais bien petits de là-haut, et votre méchanceté, vue du ciel, me semblait grande ; mais ici vous êtes plus méchants encore.
Hé ! maître, tu reviens ?
Oui, à ce que j’ai entendu dire.
Que t’est-il arrivé ?
D’avoir mal aux jambes après avoir fait un long chemin.
Voyons, maintenant, dis-moi…
Quoi ?
As-tu vu planant en l’air un homme autre que toi ?
Non, si ce n’est peut-être deux ou trois âmes de poètes dithyrambiques.
Que faisaient-elles ?
Dans leur vol, elles rassemblaient je ne sais quels préludes lyriques, noyés dans le vague des cieux.
Ce n’est donc pas vrai ce qu’on dit à propos de l’air, que nous devenons des astres sitôt qu’on meurt ?
Mais oui, absolument.
Et quel est donc l’astre qui brille maintenant ?
Iôn de Khios ; c’est lui qui a composé, jadis, une ode, « l’Orientale ». Aussi, dès qu’il parut, tout le monde l’appela « l’Astre oriental ».
Quels sont donc ces astres qui courent en laissant un sillon lumineux ?
Ce sont des astres riches qui reviennent de souper : ils portent des falots et, dans ces falots, du feu. Mais conduis vite cette jeune femme à la maison, nettoie la baignoire, chauffe l’eau et prépare pour elle et pour moi le lit nuptial ; puis, cela fait, reviens ici. Moi je vais la présenter au Conseil, en attendant.
Mais où as-tu pris ces femmes ?
Où ? Dans le ciel.
Je ne donnerais pas des dieux un triobole, s’ils entretiennent des maîtresses, comme nous autres mortels.
Non pas tous, mais quelques-uns aussi là-haut, vivent de cela.
Eh bien ! allons, maintenant. Dis-moi, lui donnerai-je quelque chose à manger ?
Rien : car elle ne voudra manger ni pain, ni galette. Elle est trop habituée chez les dieux, là-haut, à lécher constamment l’ambroisie.
À lécher ? On va donc lui préparer cela ici !
Le bonheur, pour ce vieillard, autant du moins que j’en puis juger, est devenu son affaire.
Que sera-ce quand vous m’aurez vu radieux comme un nouvel époux ?
Tu seras digne d’envie, vieillard, rajeuni et frotté d’essences.
Je le crois. Et que sera-ce, quand, couché avec elle, je lui palperai la gorge ?
Ton bonheur semblera au-dessus des totons de Karkinos.
N’est-ce pas juste, moi qui, à cheval sur un escarbot, ai sauvé les Hellènes, si bien que dans les champs tout le monde peut, à son aise, se rigoler et dormir ?
La fille est lavée et les alentours des fesses sont en bon état. Le gâteau est cuit, la galette de sésame pétrie, et tout le reste à l’avenant : il ne manque plus que toi et ton ustensile.
Allons, hâtons-nous de conduire Théoria devant le Conseil.
Elle ? Que dis-tu ?
Oui, c’est Théoria que, jadis, à Braurôn, nous caressions quand nous avions un peu bu. Sache que, pour la prendre, cela n’a pas été sans peine.
Ô mon maître, quelle régalade de serre-croupières tous les cinq ans !
Voyons, qui de vous est honnête homme ? Qui donc ? Qui prendra sous sa garde cette jeune fille pour la conduire au Conseil ? Holà ! toi, qu’est-ce que tu dessines là ?
Moi ? Je trace le plan d’une tente pour loger, aux jeux Isthmiques, ce que la pudeur me défend de nommer.
Eh bien ! Personne de vous ne dit qui sera le gardien ? Viens ici, Théoria ; je te conduis et je te place au milieu d’eux.
En voilà un qui fait signe !
Qui donc ?
Qui ? Ariphradès : il demande instamment que tu la lui conduises.
Non, mon cher, il fondra sur elle et en pompera le suc. Allons, toi, dépose tout cet attirail par terre. — Conseil, Prytanes, vous voyez Théoria. Considérez quels biens je vous apporte et je vous livre. Vous pouvez tout de suite lui lever les deux jambes en l’air et consommer le sacrifice. Voyez comme cette cuisine est belle, et c’est pour cela qu’elle est toute noircie : avant la guerre, le Conseil avait là ses casseroles. En la possédant, nous pourrons, dès demain, entrer brillamment en lice, lutter par terre, marcher à quatre pattes, la jeter sur le côté, nous tenir à genoux, tête baissée, puis, frottés d’huile, comme au pankration, frapper en jeune homme, fouiller et agir tout ensemble du poing et du pénis. Le troisième jour, après cela, vous ferez l’hippodromie, cavalier serrant de près un cavalier, attelages renversés les uns sur les autres, essoufflés, haletants, se donnant de mutuelles secousses ; d’autres, épuisés par les courbes, tombant de leurs chars. Mais, ô Prytanes, recevez Théoria. Tu vois avec quel empressement ce Prytane l’a reçue. Tu ne ferais pas ainsi s’il s’agissait d’une introduction gratuite ; mais je te verrais alléguer une transaction rétribuée.
Certes, on est un homme utile à tous ses concitoyens, quand on est tel que toi.
Quand vous vendangerez, vous saurez beaucoup mieux ce que je vaux.
Mais, dès à présent, on voit bien ce que tu es : tu es un sauveur pour tous les hommes.
Tu le diras assurément, quand tu auras bu un pot de vin nouveau.
Après les dieux, nous te placerons toujours au premier rang.
Oui, vous devez beaucoup à moi, Trygæos d’Athmonia, qui ai délivré des plus grandes peines le peuple de la ville et celui de la campagne, et réprimé Hyperbolos.
Eh bien, que devons-nous faire à présent ?
Quoi de mieux que de lui offrir des marmites de légumes ?
Des marmites, comme à un chétif Hermès ?
Eh bien, que vous en semble ? Voulez-vous un bœuf gras ?
Un bœuf ? Pas du tout, à moins qu’il ne faille beugler au secours !
Que diriez-vous d’un gros cochon gras ?
Non, non !
Pourquoi ?
De peur des cochonneries de Théagénès.
Que voulez-vous alors des autres offrandes ?
Une brebis.
Une brebis ?
Oui, de par Zeus !
Mais tu prononces ce mot à l’ionienne.
C’est à dessein ; car si, dans l’assemblée, quelqu’un dit qu’il faut faire la guerre, tous les assistants, pris de peur, bêleront à l’ionienne : « Oï ! »
Fort bien dit.
C’est le moyen d’être doux. Oui, nous serons des agneaux les uns pour les autres, et, à l’égard des alliés, beaucoup plus aimables.
Voyons, maintenant, qu’on aille prendre vite une brebis. Moi, je préparerai l’autel pour le sacrifice.
Comme tout, quand la divinité le veut et que la Fortune est favorable, comme tout marche à souhait ! Chaque chose vient à propos s’ajouter à une autre.
C’est évident. Voici l’autel prêt à la porte.
Hâtez-vous, maintenant que la volonté des dieux contient le souffle violent et inconstant de la guerre ; maintenant qu’un bon génie nous ramène évidemment vers la prospérité.
Voici la corbeille, avec les grains d’orge, et la couronne et le couteau, ainsi que le feu. Rien ne nous retient plus que la brebis.
Dépêchez-vous ; car si Khæris aperçoit l’orge, il va venir, sans être appelé, pour jouer de la flûte, et je suis sûr que, le voyant soufflant, hors d’haleine, vous lui ferez quelque présent.
Allons ! prends la corbeille et le bassin, et fais vite le tour de l’autel par la droite.
Voilà. As-tu à me dire quelque autre chose ? J’ai fait le tour.
Voyons. Je vais tremper ce tison dans l’eau. Toi, secoue vite. Présente maintenant de l’orge salée ; purifie-toi ; donne-moi ce bassin et jette des grains aux spectateurs.
C’est fait.
As-tu donné ?
Par Hermès ! si bien que parmi tout ce qu’il y a de spectateurs, il n’en est pas un qui n’ait eu de l’orge.
Les femmes n’en ont pas eu.
Mais, ce soir, les maris la leur donneront.
Maintenant, prions. Qui est ici ? Où est la foule des gens de bien ?
Permets que je leur donne : car nombreuse est la foule des gens de bien.
Tu crois donc que ce soient des gens de bien ?
Comment ne le seraient-ils pas, eux qui, aspergés par nous à si grande eau, sont demeurés immobiles à la même place ?
Mais hâtons-nous de prier.
Prions, en effet.
Ô très vénérable Reine et Déesse, respectable Paix, souveraine des Chœurs, souveraine des mariages, reçois notre sacrifice.
Reçois-le au nom de Zeus, ô la plus chère des déesses, et ne fais point ce que font les femmes qui trompent leurs maris. Celles-ci, en effet, entre-bâillent la porte et se baissent pour regarder. Si quelqu’un fait attention à elles, elles se retirent ; et, si l’on passe, elles reviennent. N’agis pas ainsi avec nous.
De par Zeus ! montre-toi tout entière, en honnête femme, à nous tes adorateurs, qui, depuis treize ans, desséchons de ton absence. Fais trêve aux combats, aux désordres, afin que nous te donnions le nom de Lysimakè. Mets fin à notre humeur soupçonneuse, parée d’agréables dehors, qui se déchaîne en mutuels commérages. Fais-nous goûter de nouveau, à nous autres Hellènes, le suc de la vieille amitié, et glisser dans notre âme je ne sais quelle douceur de pardon. Fais affluer sur notre Agora une foule de bonnes denrées, ail, concombres précoces, pommes, grenades, mantelets pour esclaves ; qu’on voie apporter de chez les Bœotiens oies, canards, pigeons, mauviettes ; que les anguilles du Kopaïs y viennent par panerées, et que, serrés en rangs d’acheteurs, nous les disputions à Morykhos, à Téléas, à Glaukétès et autres gourmands ; qu’ensuite Mélanthios, arrivant le dernier à l’Agora pour en acheter, se lamente et s’écrie, avec sa Mèdéia : « Je suis perdu, je suis perdu, elles m’ont échappé, cachées sous des bettes. » Et le monde de se réjouir. Accorde, Déesse vénérable, ces bienfaits à nos prières.
Prends le couteau et, en bon cuisinier, égorge la brebis.
Ce n’est pas permis.
Pourquoi donc ?
La Paix ne se plaît point aux égorgements : on n’ensanglante pas son autel. Porte la victime à l’intérieur, immole-la, et apportes-en ici les cuisses : par ce moyen la brebis est réservée au khorège. (L’Esclave sort.)
Pour toi, qui restes ici, devant la porte, rassemble vite les branches et tous les accessoires utiles.
Est-ce que je ne te parais pas disposer les broussailles en vrai devin ?
Comment ne serait-ce pas ? T’échappe-t-il rien de ce que doit savoir un habile homme ? Ne songes-tu pas à tout ce qui est nécessaire à quelqu’un de distingué par son esprit et par son audace féconde ?
Le fagot allumé incommode Stilbidès. J’apporterai aussi la table, et il n’y a pas besoin d’esclave.
Qui donc ne louerait pas un pareil homme, qui, supportant mille maux, a sauvé notre ville sacrée ? Jamais il ne cessera d’être un objet d’admiration pour tous.
C’est fait. Dépose les deux cuisses que voici. Moi, je vais chercher des entrailles et des offrandes.
J’aurai soin de cela ; mais il fallait que tu fusses revenu.
Eh bien ! me voici. Est-ce qu’il te semble que j’ai tardé ?
Maintenant, fais cuire cela bien à point. Mais un homme s’avance, couronné de lauriers. Qui est-il ?
Quel air important ! C’est quelque devin.
Eh ! non, par Zeus ! C’est Hiéroklès, un diseur de prédictions ; il est d’Oréos. Que va-t-il dire ?
Il est certain qu’il va faire opposition aux traités.
Non, mais il est venu attiré par le fumet du rôti.
Faisons semblant de ne pas le voir.
Tu as raison.
Quel est donc ce sacrifice, et pour quel dieu ?
Fais rôtir en silence ; tiens-le loin du râble.
Pour qui ce sacrifice ? Ne le direz-vous pas ?
La queue est-elle en bon état ?
Très bien, ô vénérable Paix chérie.
Voyons maintenant les prémices, et donne-m’en un morceau.
Il faut d’abord que ce soit mieux rôti.
Mais si, vraiment, c’est rôti à point.
Tu te mêles de bien des choses, qui que tu sois. (À l’Esclave.) Où est la table ? Apporte les libations.
La langue se coupe à part.
Nous nous le rappelons. Mais sais-tu ce que tu devrais faire ?
Si tu me le dis.
Ne nous adresse pas un mot. Nous sacrifions à la sainte Paix.
Mortels misérables et stupides !
Tout cela sur ta tête !
Vous qui, dans votre sottise, n’entendant rien à la volonté des dieux, faites des traités, vous, hommes, avec des singes malfaisants.
Hé ! heu ! heu !
Pourquoi ris-tu ?
Cela m’amuse, tes singes malfaisants !
Faibles colombes, vous vous fiez à des renards dont les âmes sont rusées, rusés les cœurs.
Puissent tes poumons, ô charlatan, devenir brûlants comme ces chairs !
Si les nymphes divines ne trompèrent point Bakis, ni Bakis les mortels, ni les nymphes encore Bakis lui-même…
Que la peste t’étouffe, si tu ne cesses de bakiser !
Les destins ne permettaient pas encore de délivrer la Paix de ses liens ; mais d’abord…
Saupoudre cela de sel.
Jamais il ne plaira aux dieux bienheureux de cesser les batailles, avant que le loup ne s’accouple avec la brebis.
Eh ! comment, maudit homme, le loup s’accouplerait-il avec la brebis ?
Tant que la punaise, en fuyant, répandra l’odeur la plus infecte, tant que la chienne aboyante, pressée de mettre bas, fera des petits aveugles, alors il ne faudra point songer à la paix.
Que fallait-il donc faire ? Ne mettre aucun terme à la guerre, tirer au sort à qui pleurerait le plus, tandis qu’un traité nous permettait de régner ensemble sur la Hellas ?
Tu ne feras jamais que l’écrevisse marche droit.
Tu ne souperas plus jamais au Prytanéion, et tu ne rendras plus d’oracles sur le fait accompli.
Tu ne rendras jamais lisse la peau rude du hérisson.
Cesseras-tu enfin d’en imposer aux Athéniens ?
En vertu de quel oracle avez-vous rôti des cuisses pour les dieux ?
En vertu de celui que Homèros a exprimé dans ses beaux vers : « Quand ils eurent chassé le nuage ennemi de la Guerre, ils embrassèrent la Paix et lui offrirent un sacrifice. Quand les cuisses furent brûlées et qu’ils se furent repus des entrailles, ils firent des libations avec leurs kratères. Et moi, je leur montrais le chemin ; mais personne n’offrit au devin la coupe éclatante. »
Je ne me préoccupe pas de tout cela : ce ne sont point paroles de la Sibylle.
Mais, de par Zeus ! le sage Homèros a dit encore ces mots ingénieux : « Il est sans phratrie, sans lois, sans foyers celui qui se plaît à la guerre intestine en répandant l’effroi. »
Prends garde que dupant ton esprit par quelque ruse, le milan ne ravisse…
Toi, cependant, fais bien attention que cet oracle est redoutable pour les entrailles. Verse la libation, et apporte de ces entrailles ici.
Mais, s’il te semble bon, je me servirai moi-même.
Libation ! Libation !
Verse-m’en aussi, et donne-moi une part des entrailles.
Non, cela n’agrée point encore aux dieux bienheureux ; mais d’abord buvons, nous ; et toi, va-t’en ! Ô vénérable Paix, reste toute ta vie au milieu de nous.
Apporte la langue !
Remporte la tienne.
La libation !
Avec la libation, prends ceci au plus vite.
Personne ne me donnera d’entrailles ?
Il nous est impossible de t’en donner « avant que le loup ne s’accouple avec la brebis ».
Je t’en prie à genoux.
C’est en vain, mon cher, que tu supplies. « Tu ne rendrais jamais lisse la peau rude du hérisson. » Voyons, spectateurs, régalez-vous de ces entrailles avec nous.
Et moi ?
Mange la Sibylle.
Non, par la Terre ! vous ne mangerez pas cela à vous seuls ; j’en prendrai ma part : c’est du bien commun.
Frappe, frappe ce Bakis.
Je prends à témoin…
Et moi aussi, que tu es un gourmand et un hâbleur. (À l’Esclave.) Frappe-le et tiens sous le bâton cet imposteur.
Tiens-le donc, toi ! Moi, les peaux qu’il nous a dérobées par ruse, je vais l’en dépouiller. Ne lâcheras-tu pas ces peaux, faiseur de sacrifices ? Entends-tu ? Quel corbeau nous est venu d’Oréos ! Est-ce qu’il ne va pas s’envoler vite vers Elymnion ?
Quel bonheur, quel bonheur de laisser là le casque, le fromage et les oignons ! Car je ne me plais pas aux combats, mais à boire, près du feu, avec de bons et intimes amis, à la flamme d’un bois très sec, scié pendant l’été ; grillant des pois sur les charbons, rôtissant des glands, et en même temps caressant Thratta, pendant que ma femme prend son bain.
Il n’y a point de plus agréable passe-temps, lorsque les semailles sont déjà faites, et que le Dieu les arrose, que de dire à un voisin : « Dis-moi, que faisons-nous maintenant, ô Komarkhidès ? » Il me plaît de boire, quand le Dieu nous fait du bien. Allons, femme, fais cuire trois khœnix de fèves, mêles-y du froment, et sers-nous des figues. Que Syra rappelle Manès des champs ! Il n’y a pas du tout moyen d’ébourgeonner la vigne aujourd’hui, ni de briser les mottes ; la terre est trop humide. Qu’on apporte de chez moi la grive et les deux pinsons : il doit y avoir aussi dans la maison de la présure et quatre morceaux de lièvre, à moins que le chat n’en ait volé le soir ; car il faisait je ne sais quel bruit et quel tapage dans la maison. Enfant, apportes-en trois pour nous, et donnes-en un à ton père. Demande à Æskhinadès des myrtes avec leurs baies : en même temps, car c’est sur le chemin, qu’on invite Kharinadès à venir boire avec nous, tandis que le Dieu propice favorise nos guérets.
Pendant que la cigale chante sa douce chanson, il m’est doux de regarder si les vignes de Lemnos commencent à mûrir ; car leur fruit est d’une nature précoce : j’aime à voir également grossir la figue ; quand elle est mûre, je la mange lentement, et je m’écrie : « Heures aimées ! » puis j’absorbe du thym broyé, et j’engraisse dans cette saison de l’été plus que quand je vois un taxiarkhe haï des dieux, ayant trois aigrettes et une robe de pourpre des plus voyantes, qu’il dit être une teinture de Sardes. Mais s’il lui faut combattre, vêtu de cette robe, alors il se teint lui-même en teinture de Kyzikos : il est le premier à fuir comme un hippalektryôn jaune, en agitant ses aigrettes ; et moi, je reste à veiller aux filets. Lorsque ces gens sont ici, ils font des choses intolérables, inscrivant les uns, effaçant les autres à tort et à travers, jusqu’à deux ou trois fois. « C’est demain le jour du départ ; » et tel ou tel n’a pas acheté de vivres ; car il ne savait rien en sortant, et, en passant près de la statue de Pandiôn, il se voit inscrit, et, pris au dépourvu, il court versant des larmes sur sa malechance. Voilà comment ils nous traitent, nous, hommes de la campagne, tandis que ceux de la ville sont moins malmenés par ces déserteurs de bouclier, méprisés des dieux et des hommes. Mais ils me la paieront si le Dieu le permet : car ils m’ont fait bien du mal, ces lions à la maison, renards au combat.
Iou ! Iou ! Quelle foule s’est empressée au banquet nuptial ! Tiens, essuie les tables avec cette aigrette : elle ne peut désormais servir absolument à rien. Puis apporte les gâteaux, les grives, les nombreux plats de lièvres et les pains d’orge.
Où donc est Trygæos ? Où est-il ?
Je fais cuire des grives.
Ô mon cher, ô Trygæos, que de bonheurs tu nous as procurés, en ramenant la Paix ! En effet, personne auparavant n’aurait acheté une faux, même un kollybe ; aujourd’hui je les vends cinquante drakhmes. Un autre vend trois drakhmes des tonneaux pour la campagne. Mais, voyons, Trygæos, prends gratis parmi ces faux et ces objets ce que tu veux : accepte-les : c’est le résultat de nos ventes et de nos bénéfices, nous te l’apportons en présent pour tes noces.
Eh bien ! maintenant, déposez tout cela ici, et entrez au plus vite chez moi, pour le festin ; car voici un trafiquant d’armes, qui arrive tout chagrin.
Hélas ! ô Trygæos, tu m’as radicalement détruit !
Qu’est-ce donc, pauvre malheureux ? Tu ne fabriques plus d’aigrettes ?
Tu as ruiné mon métier et ma vie, ainsi qu’à cet infortuné polisseur de lances.
Voyons, que faut-il que je te paie pour ces deux aigrettes ?
Toi-même, qu’en donnes-tu ?
Ce que j’en donne ? J’en ai honte. Cependant, comme la fermeture a coûté beaucoup de travail, je donnerais bien des deux, trois khœnix de figues sèches : je m’en servirai pour nettoyer la table.
Allons, entre, et fais-moi apporter les figues : cela vaut encore mieux, cher ami, que de ne recevoir rien.
Emporte, emporte, et va-t’en aux corbeaux loin de la maison ! Elles ont perdu leur crin, tes aigrettes, et elles ne valent rien. Je ne les achèterais pas une figue.
Voici une cuirasse de peau estimée deux mines, d’un excellent travail : qu’en ferai-je, malheureux ?
Cela ne te fera pas une grosse perte.
Prends-la-moi au prix coûtant.
Il est vrai qu’elle est tout à fait commode pour s’y soulager le ventre.
Cesse de te moquer de moi et de ma marchandise.
Comme ceci, au moyen de trois pierres. N’est-ce pas bien imaginé ?
Et comment te torcherais-tu, imbécile ?
Comme ceci : en passant une main par l’ouverture des bras, et l’autre…
Quoi ! les deux mains ?
Sans doute, de par Zeus ! pour n’être pas pris à voler en supprimant le trou du navire.
Et tu chierais, assis sur un vase de dix mines ?
Mais oui, de par Zeus ! vieux roué ! Crois-tu que je donnerais mon derrière pour mille drakhmes ?
Allons, voyons, apporte l’argent.
Mais, mon bon, elle me meurtrit le croupion. Remporte-la, je ne l’achèterai pas.
Que faire de cette trompette que j’ai payée dernièrement soixante drakhmes de ma poche ?
Verse du plomb dans le creux, puis fixe en haut une baguette un peu longue, et tu auras des kottabes en équilibre.
Ah ! tu veux rire !
Alors, un autre conseil. Verse du plomb, comme je te le disais ; attaches-y des cordes et suspends-y une balance, et tu pèseras dans le champ les figues destinées aux esclaves.
Maudit sort ! Tu me ruines, moi qui jadis ai échangé ces objets pour une mine ! Et maintenant, que faire ? Qui me les achètera ?
Va les vendre aux Ægyptiens : ils sont commodes pour mesurer de la syrmæa.
Hélas ! faiseur de casques, quelle est notre misère !
Mais il n’est pas malheureux du tout.
Comment ?
Ces casques peuvent encore trouver qui s’en serve. Si tu as l’esprit d’y mettre des anses, tu les vendras beaucoup plus cher que maintenant.
Allons-nous-en, polisseur de lances !
Nullement ; je lui achèterai ses lances.
Combien en donnes-tu ?
Si elles étaient fendues en deux, j’en prendrais, afin d’en faire des échalas, cent pour une drakhme.
On nous insulte : allons-nous-en, mon cher, en route !
Ah ! de par Zeus ! voici les enfants qui sortent ! Ce sont les enfants des invités : ils viennent ici pour pisser, et peut-être aussi, ce me semble, pour préluder à leurs chants. Ce que tu as l’intention de chanter, mon enfant, commence donc par l’essayer ici auprès de moi.
« Maintenant commençons par les jeunes. »
Cesse de chanter les jeunes guerriers ; et cela, ô trois fois malheureux enfant, quand règne la Paix : tu es un malappris et un vaurien.
« Lorsqu’ils furent presque à la portée les uns des autres, ils mirent en avant les écus et les boucliers. »
Les boucliers ! Ne vas-tu pas finir de nous rappeler le bouclier ?
« Alors ce fut à la fois un gémissement et la prière des guerriers. »
Le gémissement des guerriers ! Tu gémiras toi-même, par Dionysos ! si tu chantes des gémissements, fussent-ils bombés !
Alors, que chanterai-je ? Dis-moi ce qui te fait plaisir.
« C’est ainsi qu’ils se repaissaient de la chair des bœufs, » et autres choses analogues. « Ils servirent un festin et tout ce qu’il y a de plus agréable à manger. »
« Alors ils dévoraient la chair des bœufs et dételaient leurs coursiers en sueur ; car ils étaient rassasiés de guerre. »
À la bonne heure ! Ils étaient rassasiés de guerre, puis ils mangeaient. Chante, chante-nous cela, comment ils mangeaient, rassasiés.
« Ils mirent leurs cuirasses après qu’ils eurent fini. »
De bon cœur, je pense.
« Puis ils se précipitèrent des tours, et un grand cri s’éleva. »
À toi la pire des morts, fripon d’enfant, au milieu des batailles ! Tu ne chantes que des guerres. De qui es-tu fils ?
Moi ?
Oui, toi, de par Zeus !
Fils de Lamakhos.
Oh ! oh ! J’aurais été surpris, en t’écoutant, que tu ne fusses pas le fils de quelque Boulomakhos. Loin d’ici ! Va chanter pour les porte-lances ! Où est le fils de Kléonymos ? Chante quelque chose avant d’entrer. Toi, je le sais bien, tu ne chanteras pas de batailles : tu es le fils d’un homme prudent.
« Un guerrier de Saïs fait le fier avec le bouclier, armure irréprochable, que j’ai jeté près d’un buisson, malgré moi. »
Dis-moi, mon garçon, chantes-tu cela pour ton père ?
« J’ai sauvé ma vie ! »
Et tu as couvert de honte tes parents. Mais entrons. Car je sais bien que ce que tu viens de chanter sur le bouclier, tu ne l’oublieras jamais, étant le fils d’un tel père. Vous qui restez au festin, vous n’avez rien à faire qu’à avaler tout cela, à dévorer, à ne pas mâcher à creux. Allez-y vaillamment et jouez des deux mâchoires. Il ne sert de rien, mauvaises gens, d’avoir des dents blanches, si elles ne fonctionnent pas.
Nous y veillerons ; tu fais bien de nous parler ainsi. Mais vous, affamés de vieille date, jetez-vous sur ce civet. Il n’arrive pas tous les jours de tomber sur des gâteaux errants dans l’abandon. Grugez donc, ou je vous dis que bientôt vous vous en repentirez.
Il faut prononcer des paroles de bon augure, amener ici la mariée, apporter des torches, et engager tout le peuple à se réjouir. Il faut maintenant que chacun remporte aux champs tous ces ustensiles, organise des danses, fasse des libations, chasse Hyperbolos, et prie les dieux de donner la richesse aux Hellènes, de nous accorder à tous d’amples récoltes d’orge, puis beaucoup de vin, des desserts de figues ; de rendre nos femmes fécondes, de nous faire recouvrer intégralement tous les biens que nous avons perdus et de proscrire le fer étincelant.
Viens, femme, dans notre champ, et sois pour moi une belle et bonne coucheuse. Hymen, hyménée, ô !
Ô trois fois heureux ! tu mérites les biens que tu as. Hymen, hyménée, ô ! Hymen, hyménée, ô ! Que lui ferons-nous ? Que lui ferons-nous ? Nous la vendangerons. Nous la vendangerons. Mais, comme c’est notre devoir, allons, conduisons-lui le marié, mes amis. Hymen, hyménée, ô ! Hymen, hyménée, ô ! Vous habiterez ensemble sans chagrin, sans affaires, cueillant vos figues. Hymen, hyménée, ô ! Hymen, hyménée, ô ! Celui-ci en a de grandes et grosses ; celle-là les a douces. Hymen, hyménée, ô ! Tu chanteras, après avoir mangé et bu beaucoup de vin : Hymen, hyménée, ô ! Hymen, hyménée, ô !
Vive la joie ! vive la joie ! mes amis. Et s’il en est un qui me suive, vous mangerez des gâteaux.