La Pêche de la morue
La Pêche de la morue.
On ignore généralement l’intérêt et l’importance, — le vif intérêt et la haute importance — de l’industrie qui se cache sous ce titre modeste : La pêche de la morue. Cette navigation lointaine, cette pratique laborieuse des mers du Nord n’est pas seulement la cause et l’objet du commerce maritime le plus actif de nos ports de l’Ouest, par les bois, les sels, les chanvres, les goudrons, les métaux, les farines, les eaux-de-vie, les vins, etc. qu’elle demande au cabotage, et par les abondantes ressources alimentaires qu’elle fournit à l’Europe et à nos colonies par ses produits, elle est encore la rude école à laquelle se forment les meilleurs marins de nos classes : elle est donc à la fois un élément de puissance et une source de richesse pour le pays.
Elle se rattache de plus à l’une de ses gloires. Ce fut la pêche à la morue qui soutint l’empire colonial que la France fonda et posséda dans ces mers, vaste et fécond empire dont il ne nous reste plus que deux faibles débris : l’île Saint-Pierre et l’île Miquelon.
Nos gloires maritimes sont réellement trop peu connues.
Avant que les Espagnols, entraînés par Christophe Colomb, eussent découvert ce nouveau monde dont M. Vitet a prouvé que des pieds français avaient déjà foulé le sol ; avant que les Portugais se fussent jetés sur les traces des nefs dieppoises et eussent découvert ce cap des Tempêtes qui leur ouvrait la mer des Indes, les navigateurs basques, adonnés de temps immémorial à la pêche de la baleine, s’étaient enfoncés, dès le quatorzième siècle, à la poursuite de ces énormes cétacés dans les profondeurs des mers septentrionales et avaient abordé une grande île au ciel de brumes, à la végétation triste, aux falaises nues. Cette île est celle dont quelques auteurs attribuent légèrement la découverte à un aventurier vénitien, Jean Chabot, dans les dernières années du quinzième siècle : Terre-Neuve, le principal centre de la pêche à laquelle est consacrée cette courte notice.
Quel que soit le pays qui puisse revendiquer l’honneur de cette découverte, ce qui n’est pas douteux, c’est que le mérite d’y avoir, la première, créé des établissements ne peut être contesté à la France. Dès avant 1525, sous le règne de François ier, elle avait pris possession de cette terre, où l’abondance de poisson qui visitait les côtes avait fixé ses pêcheurs. Jean Verrazini, navigateur florentin au service de la France, et Jacques Cartier, l’illustre Malouin, y avaient fondé deux centres de population avant qu’aucun navire anglais en eût sillonné les eaux. La Grande-Bretagne n’y fonda quelques établissements que dans le siècle suivant, alors que le développement rapide de nos colonies de Canada et de l’Acadie y imprimait à nos pêches une activité chaque année plus considérable.
Les guerres navales du commencement du dix-septième siècle mirent un terme à cette prospérité, dont les vicissitudes de la guerre et de la diplomatie depuis le traité d’Utrecht, en 1713, jusqu’à ceux de 1815, n’ont laissé à la France que le droit de station sur certaines côtes de cette île mais sans pouvoir y fonder d’autres établissements que ceux nécessités par la pratique de la pêche durant l’époque annuelle où le poisson abonde dans ces parages.
Ces établissements auxquels nos marins ont donné le nom de chaufauds, par corruption évidente du mot échafaud, consistent en cabanes d’habitation, magasins et hangars destinés à recevoir une partie de la cargaison et de l’équipage du bâtiment qu’on dégrée, pendant la saison de la pêche ; en plates-formes ou échafaudages sur lesquels on décolle et l’on tranche, c’est-à-dire l’on étête, ouvre et vide la morue pour la livrer aux saleurs ; et enfin en une grave, vaste pavage en galets où l’on opère le sèchement du poisson, la salaison opérée.
Ils sont le centre de toutes les opérations de la campagne. C’est de là que partent chaque matin les bateaux de pêche, espèce de chaloupes montées par deux hommes, un maître et un hussus ; c’est là qu’ils reviennent chaque soir avec le produit de leurs lignes, et, que le lendemain, des hommes spéciaux font subir au poisson ses diverses préparations.
Le travail préalable est celui des décolleurs, opération fort simple, qui consiste à détacher la tête de la morue ; c’est le premier degré de l’apprentissage de ce rude métier.
Vient ensuite le travail des trancheurs, opération d’autant plus difficile qu’elle doit se faire avec plus de rapidité ; elle consiste à éventrer et vider le poisson, et à détacher l’arête ; elle est habituellement exécutée par les officiers du navire. Le capitaine ne dédaigne pas d’y concourir ; c’est même un talent anatomique que les armateurs prisent beaucoup dans l’habileté pratique des chirurgiens qu’ils portent sur leurs rôles.
La morue passe ensuite des mains des saleurs à celles des sécheurs, tandis que les détritus sont jetés dans un réceptacle où ils macèrent. On en extrait une huile (drache) très-riche en iode. Depuis que la médecine à découvert dans cette huile des propriétés curatives trés-énergiques, on traite les foies à part et avec le soin spécial qu’exige leur emploi.
Tel est l’ensemble des opérations pratiques de cette importante industrie, dont notre gravure reproduit les principales scènes.