La Nuit de Noël (Galloix)

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Poésies
Cherbuliez (p. 3-9).


I.

La Nuit de Noël


 

À son ami Élie Bovet


Voici la nuit où le Sauveur du monde
Naquit jadis aux murs de Bethléem,
Enfant plaintif dans une crèche immonde,
Pauvre, étranger, loin de Jérusalem.

Mais en ce jour sur de lointaines plages
L’Esprit divin éclaira de ses feux

L’âme et le cœur de trois antiques mages
Qu’au ciel guidait un astre aventureux.

Oh ! qui, mon Dieu, sans ta vive lumière,
Eût dit alors ses immenses destins ?
Combien l’enfant délaissé de la terre
Réveille encor d’échos doux et lointains !

Le Roi des rois naître dans l’indigence !
Le Roi des rois honorer le malheur !
Humble et souffrant dans sa jeune existence,
Que de leçons il donne à la douleur !

A sa voix tendre, ô vous que l’on méprise,
Vous que le monde a flétris sans retour,
Venez, venez, votre cœur qui se brise
Dans le pardon retrouvera l’amour.

Il vous aima jusqu’à donner sa vie ;
Pour nous sauver il mourut sur la croix.

Sages du monde, admirez sa folie !
Infortunés, accourez à sa voix !

Cœur abattu que le remords tourmente,
Vois ce brigand à l’heure du trépas ;
En vain il cherche une âme consolante,
L’homme le hait ; Jésus ne le hait pas.

Riches, puissans, vous dont l’indifférence
Des maux obscurs avec dédain se rit,
Vous dont un mot sait tarir l’espérance,
N’oubliez pas que votre Dieu souffrit !


II


L’air est glacé, mais la nuit est sereine,
Les astres clairs nagent en un ciel pur ;
J’entends gémir les eaux de la fontaine ;
Le firmament étale son azur.


L’airain battu, d’un coup triste et sonore,
Seul a troublé le repos de la nuit ;
Il est une heure et moi je veille encore ;
Je veille seul et le sommeil me fuit.

Oh ! que de fois le silence nocturne
Prêta son calme à mes songes divers !
Oh ! que de fois ma lampe taciturne
M’a vu rêver, lire, tracer des vers !

Nuit de Noël, derniers jours de l’année,
Oh ! que de jeux, de paix et de plaisirs
Vous rappelez à mon âme fanée !
Et tout a fui sous de nouveaux désirs.

Comme d’un rêve aussi doux que rapide,
Il m’en souvient de ce bonheur passé,
Bonheur d’enfance, imprévoyant, avide,
Que la raison a si vite effacé.

Il m’en souvient du sévère Chalande[1],
De son balai, de sa terrible voix,
De ses bombons, sa verte réprimande,
De mes terreurs et mes joies à la fois.

Il m’en souvient des amis de mon âge ;
Sur quels sentiers ont-ils porté leurs pas ?
Ah ! dans leurs cœurs ont-ils gardé l’image
De ces plaisirs qu’ils ne reverront pas ?

Il me souvient de ces cadeaux magiques
A mon réveil offerts dès le matin,
Et du foyer et des plombs fantastiques
Dont les contours présageaient le destin.

Me disaient-ils que je serais poète,
Victime, hélas ! des désirs de mon cœur,
Que le chagrin ferait courber ma tête,
Et que jamais je n’en serais vainqueur ?


Si j’avais pu sonder la destinée !
Si j’avais pu détourner l’avenir !
Mais quand l’aurore éveille la journée,
Sait-on jamais quel vent doit la finir ?

Oh ! que notre âme est un puissant mystère !
Chacun est seul à porter ses regrets ;
De nos tourmens, les langues de la terre
Voudraient en vain révéler les secrets.

Mais pour charmer mon intime souffrance,
Mes vers plaintifs ont eu quelque pouvoir.
Doux souvenirs, rendez-moi mon enfance
Et ces beaux jours que je ne puis revoir !


III



Déjà la cloche a répété quatre heures ;
Je veille encor, je veille pour chanter !

Un bruit soudain ébranle nos demeures ;
Quelle douceur j’éprouve à l’écouter !

Quels sons divins, quelle auguste harmonie
L’airain du temple exhale dans les airs !
Comme l’espoir, mon âme rajeunie
Entend vibrer les célestes concerts !

Nuit de Noël, nuit de paix et de joie,
C’est dans ton sein qu’un Sauveur nous est né.
Le cœur soumis qui marche dans ta voie
Humble et joyeux, n’est pas abandonné.

Ô mon Sauveur ! viens éclairer ma route !
Viens me couvrir des ailes de la foi !
Ouvre mon âme et dissipe mon doute !
Viens, je t’attends et je me livre à toi.

Genève, 1816.


  1. Génie familier présidant aux Fêtes de Noël, patron des petits enfans, dispensateur des friandises qu’il fait pleuvoir pour eux de la bûche enflammée.