La Nuit de Noël/L’Aître de Saint-Maclou (Alfred Busquet)

La Nuit de Noël
La Nuit de Noël : poème (Christmas Carol)Librairie nouvelle (p. 49-55).

L’AÎTRE SAINT-MACLOU


Une ruelle affreuse, étroite, Martainville,
(C’est le nom d’un parent qui fut maire en la ville
De Rouen — et marquis ; moi, je suis un vilain).
Jusqu’au talon le sol d’immondices est plein,

Murs de bois et pignons inclinés sur la rue,
Échoppes en plein vent, foule sans cesse accrue
De passants, de soldats, de femmes sans aveu,
De chiens, de vagabonds, rôdeurs sans feu ni lieu,
Sentine de brouillards sans cesse environnée,
Et que le choléra visite chaque année :
C’est fétide, et pourtant, c’est là dans ce milieu,
Qu’élégante et fleurie, une église de Dieu,
Humble dans sa grandeur, se dresse et résignée,
Hante les malheureux, nos frères, sa lignée.
Dieu ne ressemble pas aux seigneurs châtelains
Qui, fiers, ne souffrent pas autour d’eux de vilains :
La maison du Seigneur est au milieu des nôtres :

Sur les ventaux, Goujon a sculpté les apôtres,
Et pour ce peuple, issu du peuple, il a laissé
Tout un monde idéal sur le monde abaissé ;
C’est là, qu’en descendant, vous rencontrerez l’aître
De saint Maclou, charnier, qu’on a fait disparaître,
Et qui sert aujourd’hui pour les petits enfants
D’école et de jardin à leurs jeux triomphants.
La porte est basse et noire aux pas ; c’est un plein cintre
Surbaissé, dans un mur que rêverait un peintre :
Un corridor, fragment d’un cloître monacal,
S’ouvre et s’enfonce ainsi qu’un porche colossal.
Une vieille, en un coin, fait brûler aux fidèles,
En guise d’ex-voto, de petites chandelles,

Et marmotte tout bas de tristes oremus ;
Au-dessous d’une vierge, on lit : Adoremus.
Pour des passants la chose est assez ordinaire ;
Oui, mais la charité vous guette en ce repaire
Et vous fera monter des larmes dans les yeux.
Le mur s’ouvre, et soudain, par des degrés hideux,
Dans une cour étroite et sans soleil, on plonge
Sur des spectres grouillants comme on en voit en songe,
Vieillards, femmes, enfants, noir et lugubre essaim,
Qui tend, avec des cris, son écuelle et sa main.
Deux sœurs de charité, deux saintes ou deux anges,
Sous leurs voiles de lin, fantastiques, étranges,
Debout à la fenêtre et le front éclairé

Par un rayon perdu sur ce mur délabré
À tous ces malheureux font un égal partage
De bouillon et de vin, ordinaire héritage.
« Aujourd’hui, donnez-nous le pain quotidien. »
Et la charité veille, et pour Dieu fait le bien.
L’une de ces deux sœurs, blanche comme Marie,
Celle qu’à deux genoux, dans ma famille on prie,
Et qui, comme un soldat, est morte avec douceur,
Versait dans les tessons ; l’autre, — c’était sa sœur,
Corps à demi-penché, par la fenêtre ouverte,
Tendait au malheureux la modeste desserte,
Et joignant un sourire au pain de l’indigent,
Doublait l’aumône avec un luxe intelligent.

Oh ! que de fois, dès lors, Agathe, Rosalie,
Dans mes jours de tristesse — ou mes jours de folie,
Quand je suis morne ou seul, quand je me sens mauvais
Et que mon cœur gonflé succombe sous le faix,
J’ai revu par les yeux de l’âme, cette scène,
Où, servantes de Dieu, vous figuriez la Cène !
Que de fois j’ai revu vos fronts, votre maintien
Sévère et cependant si doux et si chrétien,
Votre sérénité sous le mal qui déchire
Et que vous bénissiez comme un joyeux martyre !
On eût dit à vous voir, blanches sous la pâleur
Des cierges, purs flambeaux qui brûliez sans chaleur,

Deux esprits dégagés des fanges de la terre,
Deux âmes de retour ici-bas, groupe austère,
Et que le feu divin éclairait en dedans,
Tant vos corps macérés étaient resplendissants !


Oh ! ce n’est pas en vain que Dieu donne aux familles
Ces exemples vivants, chères et saintes filles !
Votre mérite luit en nous et malgré nous,
Et quand le jour viendra qui nous rejoindra tous,
Vous nous serez rempart, ombres que je révère,
Bienheureuses du ciel, anges, sœurs de mon père !