Le Parnasse contemporain/1869/La Nuit (Aicard)

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 253-254).


LA NUIT


Le contour des objets tremble. Le jour recule.
Les horizons sont plus prochains au crépuscule,
Et la colline semble un navire qui va…
Voici l’heure féerique où tout ce qu’on rêva
D’étrange reparaît tout à coup dans les choses :

L’arbre noueux se tord en de bizarres poses ;
Un frisson court. Les bruits ressemblent à des voix ;
L’horreur sacrée emplit les plaines & les bois ;
Les vagues déités sortent de la matière ;
On voit passer l’esprit dans la vague & la pierre ;
La nuit cyclopéenne, oh ! terrible moment !
Pâle, rouvre son œil au fond du firmament.

Alors, si par hasard une chanson s’élève,
Flexible, longue, douce & forte, sur la grève,
Chanson de paysan qui retourne au foyer,
Le flot n’est plus qu’un chien que l’on laisse aboyer,
Le vent n’est qu’un oiseau nocturne aux cris funèbres,
Et l’on sent l’homme encor plus grand que les ténèbres !