La Nouvelle Amérique

La Nouvelle Amérique
Revue des Deux Mondes5e période, tome 17 (p. 414-445).
LA
NOUVELLE AMÉRIQUE

Sous ce titre la Nouvelle Amérique un Canadien anglais, M. Beckles Willson, vient de publier un volume sur les États-Unis. L’auteur ne se défend pas d’avoir jugé les hommes et les choses au point de vue particulier de sa nationalité et de sa race. Il estime que : « le caractère de la Société américaine » est en train de « changer entièrement. » Dans sa préface, il énumère ce qu’il considère comme les causes de cette modification. Ce sont : l’immigration considérable qui a suivi le développement des chemins de fer ; les restrictions apportées au libre accès de l’immigration ; l’importance croissante des trusts ; les réformes dans les services politiques et civils ; la résurrection de la doctrine de Monroë ; les acquisitions territoriales ; les progrès de l’armée et de la marine ; le pouvoir, tous les jours fortifié, de l’administration fédérale : la grande prospérité matérielle ; les échanges commerciaux avec tous les marchés de l’univers ; la guerre avec l’Espagne. « En un mot, conclut-il, après cent ans de gestation, les États-Unis viennent de mettre une nation au monde. »

Les faits que M. Willson produit à l’appui de sa thèse, sur le développement politique et industriel, de ce qu’il nomme une « nation » sont empruntés à l’American Commonwealth de M. James Bryce, aux dernières statistiques, et surtout à l’observation des événemens les plus récens. Pour exacts et intéressans que ces documens soient en eux-mêmes, on peut les reprendre l’un après l’autre, de façon à démontrer que, comme point de départ d’une critique d’ensemble, cette affirmation première est erronée : l’Amérique n’est pas encore une « nation. » C’est une collectivité d’individus. La communauté des occupations industrielles lui donne une unité apparente. Son patriotisme n’est pas un loyalisme congénital pour une tradition précise, mais de la gratitude envers la terre féconde qui enrichit.

Pendant les cent dix années qui séparent le premier et le dernier recensement de la population américaine, on constate qu’elle a cru de 3 millions à 76 millions. Pendant la même période le nombre des naissances, dans les familles d’Américains nés d’Américains, a diminué de 80 pour 100 et l’immigration des étrangers atteint, chaque année, un chiffre plus élevé. A l’heure actuelle, 12 pour 100 des habitans de la ville de New-York sont des Irlandais nés en Irlande. Au cours de l’année 1900, cette ville a vu arriver 84 346 Italiens, 60 764 Juifs, 46 938 Polonais, 35 607 Irlandais, 32 952 Scandinaves et 29 682 Allemands. Dans une des écoles primaires de la ville de Boston, c’est-à-dire dans la capitale de la vieille Amérique puritaine, le nombre total des écoliers est de : 1 167 Juifs, nés en Europe, 1 273 Italiens et 80 Américains. Parmi les immigrans qui vivent aux États-Unis, on en compte environ 6 millions qui restent attachés au souverain de leur pays d’origine et qui ne se fondent pas dans les institutions américaines. Toutes les religions prospèrent[1].

M. Beckles Willson cite ces faits avec d’autres de même ordre. où trouve-t-il dans cette diversité de races, de croyances et d’éducation, les élémens d’une nation ? Il croit les apercevoir, et, fidèle à son point de vue de Canadien anglais, il s’ingénie à découvrir nos acquisitions politiques. Il se heurte à la confusion d’un logis où l’on emménage et il en conclut : « Quand l’Amérique se détachera de cette hypocrite apparence de contentement qu’elle professe pour ses institutions, — quand elle arrivera à réaliser l’idée qu’il y a des besoins moraux et esthétiques, que sa forme de gouvernement ne peut satisfaire, — quand son peuple, en un mot, aura acquis l’humilité, la tolérance et le respect, alors elle paraîtra, à quelques-uns de ses voisins, plus digne d’être imitée. « 

C’est tout justement parce que M. Beckles Willson considère l’Amérique comme une nation achevée, « comme un empire dont le concert des nations est obligé désormais d’accueillir respectueusement les notes brusques et inharmonieuses, » qu’elle le trouble et l’exaspère. Il n’y a qu’une façon de juger l’Amérique : comme une gigantesque expérience industrielle, Pendant les cent vingt-cinq années qui représentent sa durée totale son gouvernement a eu pour préoccupation à peu près unique, d’assurer liberté et protection aux fermiers et aux manufacturiers.

La question américaine est des plus simples ; toutes les formes sous lesquelles elle se pose, peuvent être ramenées à une origine unique : la prodigieuse activité qui occupe une foule hétérogène à convertir les ressources d’une contrée vierge en des fortunes fabuleuses. Si à cette prospérité succédaient des temps malheureux, peut-être pourrait-on voir naître un idéal moins matériel que celui d’aujourd’hui. Tant que les chances de « faire de l’argent » resteront ce qu’elles sont aux États-Unis, l’Américain type sera un homme d’affaires ; et, aussi bien dans la politique intérieure que dans la politique étrangère, les affaires seront, aujourd’hui comme hier, le ressort unique de l’énergie, pour l’ancienne comme pour la nouvelle Amérique.

M. Beckles Willson soutient que « cette nation nouvelle est par la nécessité des événemens entraînée vers la concentration des pouvoirs entre les mains du gouvernement fédéral qui logiquement s’achèvera en impérialisme. » Pour asseoir son argumentation, dans la plupart des cas, il en réfère à l’état immédiat des affaires américaines. Sans doute l’intérêt que l’évolution de ces jeunes États-Unis a excité dans le monde est récent, mais il ne marque pas la date de l’existence des États eux-mêmes. Nous demandons la permission de jeter rétrospectivement un coup d’œil sur les phases de leur développement pendant la période de leur obscurité. Peut-être, après cela, pourra-t-on conclure : l’histoire de l’Amérique est moins un chapitre de philosophie politique que le récit d’une courte évolution commerciale, qui, à l’intérieur, a déterminé le caractère américain tel qu’il se révèle en littérature, enseignement, mœurs, finances, et, au dehors, créé les relations qui donnent à une République industrielle une place dans la politique générale du monde.


Jusqu’au 4 juillet 1776, l’Angleterre a possédé treize établissemens (settlements), entre eux distincts, qui ont été connus sous le nom de colonies d’Amérique. Le groupe le plus important fut celui des États de la Nouvelle-Angle terre. Depuis 1620, il avait été occupé par les puritains, par ces réformateurs religieux, sortis de la bourgeoisie anglaise, qui bravèrent les rudesses de la vie de pionniers sur une terre vierge pour gagner le droit de pratiquer librement la forme particulière de leur culte. Les territoires voisins, New-York et New-Jersey, ont été colonisés par les Hollandais. Ils y établirent des points d’échange avec les Indiens, construisirent des navires, engagèrent des relations commerciales et firent de leur capitale, New-Amsterdam, un port si florissant, que, en 1664, quand elle passa dans les mains des Anglais et devint New-York, on y trouva des immigrans qui parlaient dix-huit langues différentes. Ce fut dans le Delaware, nommé par Gustave-Adolphe, « le joyau de son empire, » que les Suédois, après sa mort, établirent une colonie dont on voulait faire un « refuge » pour tous les chrétiens opprimés. Un groupe de protestans français fuyant la persécution, et conduits par Jean Ribault, furent les premiers, en 1562, à donner un nom et des élémens de civilisation, aux Carolines du Sud. La colonie la plus voisine, la Géorgie, avait un gouverneur royal et une population mêlée d’Anglais, d’Ecossais, de Highlanders et de Moraves. La Virginie, la plus ancienne des colonies, avait été tout d’abord abandonnée à des fils de famille, des gens bons à rien, useless gentlemen, et à des criminels. Plus tard, sous l’impulsion de gentilshommes campa- gnards et de laborieuses communautés d’esclaves noirs dont la première importation remonte à 1619, on en fit une colonie prospère et bien réglée. La Pennsylvanie fut un don royal de Charles II, à un gentleman riche et de bonne éducation, William Penn, dit « le Roi des Quakers, » qui fonda un refuge pour les persécutés de toutes nationalités. Et, tandis que certaines colonies refusaient aux catholiques le droit de cité, le Maryland, par la faveur du roi Charles II, fut attribué à un gentilhomme catholique, lord Baltimore. Enfin, la colonie en miniature de Rhode-Island dut l’existence à quelques libres esprits : évadés de la tyrannie religieuse des autres colonies, ils stipulèrent dans leur assemblée générale que, Papistes, Protestans, Juifs et Turcs trouveraient auprès d’eux la liberté religieuse.

Tels furent les élémens, séparés si profondément quant à leurs origines, leurs traditions, leur foi, et leurs espérances, qui s’unirent pour se révolter contre l’oppression de l’Angleterre, et déclarèrent finalement que, entre eux et la Grande-Bretagne, tout lien politique était dissous. Cela dura sept années de guerre et coûta toute leur fortune, pour faire triompher la déclaration d’indépendance. Du moment où les colonies devenaient une Confédération, les individus si disparates dont elle était formée, manifestèrent certaines tendances communes qui, en ce temps-là comme aujourd’hui, furent l’essence même de l’américanisme.

La Déclaration d’Indépendance donna séparément à chaque État pleine puissance pour décider de la guerre, conclure la paix, contracter des alliances, établir des relations commerciales, entreprendre tous les autres actes et mouvemens auxquels « des États indépendans ont droit. » On limita autant que possible l’autorité du Congrès ; la peur de créer un gouvernement tyrannique conduisit à un degré de liberté que Washington qualifia de « presque anarchique. » « Un jour, dit-il, nous sommes une nation, le lendemain nous en sommes treize. Dans ces conditions, qui voudrait traiter avec nous ? » Sur cette importante question, le pays se divisa graduellement en deux partis : ceux qui souhaitaient l’unité, un gouvernement national et un président ; — ceux qui combattaient pour la souveraineté individuelle des divers États. Les chefs de ces deux groupes, Alexandre Hamilton et Thomas Jefferson, incarnent dans leurs personnes, l’un, cet esprit républicain, l’autre, cet esprit démocratique, double base de toutes les aventures politiques, économiques et sociales qui sont la matière de notre histoire américaine[2].

Alexandre Hamilton était un Anglais, un aristocrate et un homme d’Etat. Jefferson, un Américain fils de ses œuvres, auteur de la Déclaration de l’Indépendance. Il désirait le gouvernement par le peuple, tandis qu’Hamilton inclinait vers la concentration du pouvoir. Les sympathies de Jefferson le portaient vers la France. Hamilton avait pour idéal la tradition anglo-saxonne. Il aurait désiré calquer le gouvernement américain de la Grande- Bretagne. Jefferson était préoccupé des intérêts domestiques, du développement intérieur, du progrès agricole et commercial. Hamilton redoutait l’intervention étrangère. Il insistait sur la nécessité d’un gouvernement national, capable de-créer une armée et une marine. Il écrivit un admirable rapport sur l’administration financière. Ainsi, d’un mot, Hamilton donna une forme, et Jefferson la vie à la République qui naissait, sous le nom d’États-Unis, et qui promulgua sa Constitution en 1788. « Quelle que soit l’époque de la dissolution de l’Union, » dit le républicain Hamilton, à ce moment l’Amérique pourra dire avec le poète : « Adieu, adieu pour jamais, à toute ma grandeur. » Et Jefferson, le démocrate, déclara de son côté que, « le gouvernement fédéral ne sera jamais rien de plus pour l’Amérique, que le département des Affaires étrangères. »

Washington, un républicain, un Anglo-Saxon, l’intime de Hamilton, fut le premier président des Etats-Unis (1789-1797). On sait qu’Adams lui succéda, et, quatre ans plus tard (1801), Thomas Jefferson fut appelé à diriger la nation. Quelques détails pittoresques, donnés par les chroniqueurs de la première heure, éclairent d’une façon vivante les différences entre les deux partis, et la liberté qu’on laissa à chaque Président de produire ses opinions personnelles. Quand on discuta la question du titre officiel qui serait donné au Président, Washington demanda qu’on lui accordât la qualification de High Mightiness (Votre Haute Puissance). Le jour de la naissance du Président fut célébré comme une fête nationale, ainsi que jusqu’alors on en avait usé pour le Roi. Une fois par quinzaine, Washington tenait dans sa propre maison, des petits levers où l’on observait toutes les formalités des levers royaux. Le Président, vêtu de velours noir, avec des bas de soie blanche, un gilet de satin blanc et une longue épée, engainée de cuir blanc, avec ses cheveux poudrés et noués en queue, se tenait, debout, adossé à la cheminée. Il avait son couvre-chef à la main et il accueillait d’un salut chaque visiteur qu’on lui présentait. De son côté. Mme Washington, tout comme la reine d’Angleterre, tenait des levers. On était obligé d’y venir en robes de gala, de faire les révérences, de la nommer lady Washington. A l’ouverture du Parlement, Washington se fit conduire, dans un carrosse à huit ressorts, superbement relevé de Cupidons, de guirlandes, de fleurs et de fruits, avec un attelage de six chevaux blancs menés par des cochers et des postillons en livrées écarlates à galons d’argent.

Démocrate non seulement dans sa façon de penser, mais dans sa manière de vivre, Jefferson s’habillait avec une simplicité absolue. Il refusa de faire connaître le jour de sa naissance. Il ne reçut jamais de façon privée ; mais, deux fois par an, au 1er janvier et au 4 juillet, il ouvrit ses portes à la foule, et serra la main à tout venant. Le jour de son installation, quand il lui fallut se rendre au Parlement, il y alla seul, à cheval. Il descendit de sa monture sans qu’on l’aidât, l’attacha lui-même à un poteau, et lut, personnellement, son adresse. Les années suivantes, il ne jugea même pas à propos de tant paraître ; mais il envoya le « message » par son secrétaire, comme on en use encore aujourd’hui. Dans cet esprit, pendant les deux années de son administration, il réduisit les dépenses publiques et réussit à éteindre 33 millions de dollars de la dette nationale.

Avant de considérer le pouvoir du Président tel que la constitution et la volonté populaire, dont elle est l’interprète, l’établissent, il est nécessaire de savoir dans quel domaine ce pouvoir s’exerce. Quand se produisit la séparation d’avec l’Angleterre, chacune des treize colonies avait une charte différente qui, avec quelques modifications, devinrent les constitutions de ces États au moment où ils se groupaient pour former la nouvelle République. Toutes ces constitutions prévoient un gouvernement particulier de l’État qui consiste en un gouverneur, un sous-gouverneur, un Sénat, une Chambre de représentans, un Tribunal civil et criminel. Elles ont des articles qui traitent des questions d’éducation, de milice, d’impôt, de revenu, d’administration criminelle, du mariage, du divorce, des droits de la femme, des monopoles industriels, qui tous varient avec les frontières. Elles sont, en somme, si précises et si complètes qu’elles laissent peu de place aux interprétations du droit coutumier. En tant que personnalité distincte, aucun État ne peut traiter politiquement avec un autre État, mais il faut qu’un homme soit d’abord citoyen d’un État particulier, qu’il y ait conquis son droit de vote, pour qu’il devienne un citoyen des États-Unis et un électeur du Président. Les 35 États, qui, l’un après l’autre, sont venus s’ajouter à l’union des 13 premiers, étaient des républiques de ce type ; elles possédaient des constitutions originales, ou elles avaient le pouvoir de s’en forger. Elles peuvent retoucher ce qu’elles possèdent ou, quand cela leur convient, se doter d’une constitution toute neuve. Depuis la guerre civile de 1861 et l’affranchissement des nègres, chaque État dans le Sud a inauguré une constitution nouvelle. New-York, l’État commercial et cosmopolite par excellence, s’est successivement doté de trois constitutions différentes. La Nouvelle-Angleterre qui, moins que toute autre partie de l’Amérique, a été affectée par le métissage et la découverte de mines sur son territoire, se satisfait en ajoutant, de temps en temps, quelques amendemens aux constitutions que les différens États qui la composent ont adoptées à la fin du XVIIIe siècle. Au contraire, les États de l’Ouest, qui comptent à peine soixante ans de vie, ont échafaudé, les unes sur les autres, jusqu’à cinq ou six constitutions, au fur et à mesure que survenaient les crises locales, dues à la formidable immigration des étrangers ou au développement inattendu de l’industrie dans leurs domaines.

Cette élasticité de forme a merveilleusement servi à l’accroissement du pays. Chaque gouvernement local est l’expression pratique des résultats d’une expérience personnelle qui sait où sont ses intérêts particuliers. Dans l’union collective, ces intérêts trouvent une protection et une orientation neuve. C’est comme un système nerveux qui, avec ses 48 membres, isolément actifs, forme un organisme unique.

Montesquieu était l’oracle consulté en matière de division des pouvoirs, quand la Constitution fédérale prit forme. On l’avait assise sur ce principe énoncé par lui : « Lorsque dans la même personne, ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté, parce que l’on peut craindre que le même Monarque ou le même Sénat ne fassent des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »

Le Président des États-Unis n’est membre d’aucune des deux Chambres, et ses ministres n’ont pas de lien avec elles, il ne peut donc présenter aucun projet de loi. Le veto, que sans doute il a le droit de prononcer, peut être annulé si la majorité du Sénat est en contradiction avec lui. Dans des circonstances extraordinaires, il peut convoquer une des Chambres ou les deux, mais c’est seulement en cas de désaccord survenu entre elles sur la date de clôture des sessions, qu’il intervient, et leur assigne, à sa convenance, une date de réouverture.

Cependant, on lui laisse de l’initiative en temps de guerre et en temps de paix, à certaines minutes critiques, quand il y a intérêt à abréger les formalités constitutionnelles ; il passe par-dessus sénateurs et députés ; il produit son jugement directement d’une façon qui pourrait paraître despotique, s’il ne s’agissait alors de faire triompher la volonté populaire.

On n’a pas besoin d’aller chercher bien loin un exemple de la licence anticonstitutionnelle que se permet un président quand il est soutenu par le sentiment de tous. Au mois d’octobre dernier, la prompte conclusion de la grève des mineurs en Pennsylvanie n’a pas été due au Président des Etats-Unis : il n’avait pas le droit d’intervenir en cette occasion, puisqu’un tel arbitrage appartenait à l’Etat de Pennsylvanie, seul responsable de sa police. C’est Théodore Roosevelt qui, soi-disant en qualité de simple citoyen, accomplit ce jour-là un acte auquel sa position officielle donnait en réalité la valeur qu’on y a reconnue. Un cas plus caractéristique encore fut l’acquisition de la Louisiane, par Thomas Jefferson, en 1803. Il convient d’entrer un peu avant dans le détail de ces négociations afin de montrer quelle préparation de l’opinion publique fournit un point d’appui à Jefferson pour oser cette sorte de coup d’Etat : on y trouvera aussi un renseignement sur les difficultés particulières qui aboutirent à la déclaration de la doctrine de Monroë

Le 1er octobre 1800, l’Espagne céda à la France toute la Louisiane, y compris le port de Nouvelle-Orléans et la franchise des eaux du Mississipi. Il y avait déjà des années que Jefferson, Secrétaire de l’Etat, prévoyant la future importance commerciale de cette voie fluviale, attachait toute son attention à ses destinées. « La cession par l’Espagne, de la Louisiane à la France, » écrit le Président Jefferson, en 1801, bouleverse complètement le système des relations politiques des Etats-Unis. Il nous est impossible de rester plus longtemps en amitié avec la France quand nous nous trouvons en face d’elle, dans un contact si irritant... Du moment que la France prend possession de Nouvelle-Orléans, il faut de toute nécessité que nous nous mariions avec la flotte et la nation anglaise. » Jefferson et son parti avaient été accusés d’aimer la France plus que la patrie américaine ; la possibilité d’une guerre avec les Français ajoutait, pour eux, à un chagrin, une anxiété politique. A la place du faible voisin d’autrefois, ils allaient trouver devant eux un nouveau venu qui avait la figure d’un rival. Il y eut pis : avant que les Français n’effectuassent leur occupation, les Espagnols déchirèrent le traité ancien qu’ils avaient passé avec les États-Unis, qui garantissait à cette nation le droit de naviguer sur le Mississipi et d’user librement du port de Nouvelle-Orléans. La colère des Américains ne connut plus de bornes. De toutes parts, des protestations furent signées par le peuple ; dans l’Ouest, on se tenait prêt à prendre les armes au premier signal. On touchait alors aux derniers jours de l’année 1802. Au début de 1803, profitant d’une part de la tournure que prenaient les événemens politiques, de l’autre, des dispositions de Napoléon, qui renonçait à établir une colonie dans le nord de l’Amérique, les envoyés extraordinaires que le Président Jefferson avait expédiés à Paris, avec l’ordre d’entrer en négociations, achetèrent toute la Louisiane, sans que le Congrès en fût même averti. Cela était en contradiction directe avec le droit constitutionnel et avec les principes sur lesquels Jefferson lui-même avait fondé son parti démocratique. Conscient du profit énorme qu’une telle acquisition était pour les États-Unis, et sûr de l’approbation populaire, il écrivit : « Pour ce qui est des difficultés constitutionnelles, le meilleur est de n’en rien dire. Le Congrès fera ce qu’il jugera nécessaire. L’affaire est que les débats soient aussi courts que possible. » Le Congrès et le Sénat, « jugèrent nécessaire » de ratifier le traité par une grande majorité et ils votèrent tout le crédit demandé. L’estime dont Jefferson était l’objet dans le public, augmenta. Il n’y avait rien de changé dans les attributions du Pouvoir Exécutif ; ce n’était pas un précédent qu’on venait de créer, Jefferson définit lui-même le droit dont il venait d’user « l’initiative d’accomplir un acte, certainement anticonstitutionnel, mais si évidemment utile à la nation que la nation l’accomplirait elle-même si elle était en position de le faire. »

La possession de la Louisiane ne mit pas fin à tous les débats. La jeune Union continuait à se débattre, dans des questions de titres de propriété territoriale, qui, d’une façon ou de l’autre, intéressaient l’action commerciale. Jefferson lui-même compromit un peu son principe démocratique en émettant ce vœu : « Tandis que les nations du vieux monde luttent entre elles, les États-Unis doivent rester en dehors, indifférens ou au moins impartiaux, amassant rapidement des richesses, grâce au canal d’un vaste commerce neutre. » Il va plus loin encore, quand, à propos des colonies méridionales restées aux mains de l’Espagne, il précise cette doctrine : « Nous naissons à l’idée qu’il faut considérer comme des eaux américaines tout le Gulf-Stream, où nous devons, dès aujourd’hui, désapprouver les actions navales et les croisières, en attendant que nous ayons la force de les interdire. Nous ne permettrons jamais à un corsaire d’y pénétrer et, nous fermerons nos ports aux navires de guerre, battant pavillon étranger. Ceci est essentiel à notre tranquillité, à notre commerce. » Les jeunes États n’avaient pas la puissance de faire vivant ce rêve de neutralité. Déjà l’Angleterre était jalouse de leur croissance commerciale qui commençait à la mettre en échec. Elle décida que les États feraient alliance avec elle ou qu’elle leur déclarerait la guerre sur l’Océan. Et la France jugea que, si le commerce américain devenait un butin, il fallait en avoir sa part. A dater de 1804, les navires américains ne trouvaient de sûreté contre les canons anglais, même pas dans leurs propres ports. Les bâtimens qui ne naviguaient pas d’après certaines règles s’exposaient à être capturés par les Anglais ; ceux qui satisfaisaient à ces règles-là, devenaient, pour la France un objet de prise. Le garrottement du commerce fut achevé par un décret d’embargo que les États imposèrent eux-mêmes à tous leurs ports. Il fut levé seulement après la capture par les Américains de toute la flotte britannique, dans une dernière bataille, qui finit une guerre commencée en 1812 et continuée jusqu’à la signature du traité de Gand, au commencement de l’année 1815.

Ce fut à la même époque que le pays souffrit, pour la première fois, de troubles intérieurs. Aussi souvent qu’un État nouveau demandait à être admis dans l’Union, la question de savoir si l’esclavage serait maintenu ou non, devenait une occasion de dissentimens entre les sudistes, qui défendaient leurs intérêts, et les nordistes, qui soutenaient un principe. Ceux du Sud, pressentant la dissolution qui finit par se produire en 1861, se hâtèrent d’accroître leur étendue territoriale et le nombre des États esclavagistes. La frontière méridionale des États-Unis était encore en 1819 une colonie espagnole, la Floride. Sous le prétexte de mettre fin aux perpétuelles déprédations causées en territoire américain par les Indiens de Floride, un des généraux, qui avait pris une part active dans la guerre récente contre l’Angleterre, André Jackson, conduisit ses soldats contre les Indiens, en plein territoire espagnol ; il s’empara des villes, obligea leurs gouverneurs à capituler, et fit comprendre nettement à l’Espagne qu’il lui fallait accepter ou le traité offert par les États-Unis ou les conséquences de son refus. Le traité fut signé. Les Espagnols reçurent une indemnité de cinq millions de dollars, et, une fois de plus, les élastiques frontières des États-Unis s’allongèrent.

A titre de compensation, pour les pertes éprouvées durant la guerre avec l’Angleterre, le Secrétaire d’État émit l’idée que le Canada, qu’on avait vainement essayé de conquérir au début de la guerre, devrait être cédé aux États-Unis par l’Angleterre, « pour donner satisfaction au sens commun et à des convenances mutuelles. » Ce même secrétaire, John Quincey Adams, fit la première allusion à la doctrine qui allait devenir celle de Monroë. Dans un discours officiel sur l’expansion des Etats, il précisait que c’était « une absurdité matérielle, morale et politique, de supposer que, dans des jours à venir, l’Angleterre et l’Espagne pourraient conserver les possessions qu’elles avaient du côté cisatlantique. C’est à peine, ajoutait-il, si nous pouvons nous défendre contre la conviction que l’annexion de Cuba à notre République fédérale, est une nécessité pour assurer la continuation et l’intégrité de l’Union. » Il était désireux « qu’on familiarisât le monde avec l’idée que l’Amérique du Nord serait le cadre de la domination américaine. » Enfin, quand une discussion s’éleva avec la Russie, au sujet des territoires qu’elle avait dans le nord-ouest, Adams déclara qu’il contesterait les droits de la Russie à un établissement quelconque sur ce continent, et qu’il y avait urgence à formuler ce principe « que les continens américains ne pouvaient plus être considérés par l’Europe comme des terres libres pour de nouveaux établissemens coloniaux. »

Quelques mois plus tard, en décembre 1823, le Président Monroë dit dans son message au Congrès : « L’occasion a paru bonne d’affirmer comme un principe dans lequel sont enveloppés les droits et les intérêts des Etats-Unis, que les continens américains, en vertu des conditions libres et indépendantes qu’ils ont su conquérir et maintenir, ne peuvent pas être plus longtemps considérés, par aucune des puissances européennes, comme les cadres d’une colonisation future. » Les applications de cette doctrine sont aujourd’hui vivantes. Continuant l’expansion de son domaine par des moyens tantôt pacifiques, tantôt violens, l’Amérique s’est ajouté après la guerre du Mexique en 1846 une partie de la province de Mexico ; en 1867, tout l’Alaska, qu’elle a acheté à la Russie ; en 1898, Cuba, Porto Rico, et les Philippines[3].

Après cent années pendant lesquelles l’Amérique a vu grandir ses possessions, de 1 376 000 kilomètres carrés à 5 764 784 kilomètres carrés, sans compter Cuba ni les Philippines, la question que l’on nomme, en Europe, la politique d’expansion des États-Unis n’apparaît pas de l’autre côté de la nier comme une nouveauté. Le Président Roosevelt, se référant à la doctrine de Monroë dans son premier message, a dit : « Cette doctrine doit être le fond même de la politique étrangère de toutes les nations qui composent les deux Amériques. Elle n’est pas plus une machine de guerre dirigée contre les États de l’ancien continent, qu’une commodité offerte aux nations du Nouveau Monde, qui voudraient inaugurer une politique d’agression... C’est la garantie la plus certaine de l’indépendance commerciale des Américains. Il faut nous appliquer sans relâche à l’accroissement de notre marine. La création d’une marine redoutée est la seule chance que nous ayons d’obliger toutes les nations, quelles qu’elles soient, à ne pas tourner en dérision la doctrine de Monroë. » Il revient sur ce sujet dans ses derniers discours : « Quand nous prenons une attitude politique, rappelons-nous qu’il dépend de nous de la soutenir ; il faut montrer que nous sommes prêts à pousser les choses à bout. Honte sur nous, si nous proclamons la doctrine de Monroë, et si, dès que sa légitimité est mise en question, nous montrons que nous n’avions que des mots et non des actes pour la soutenir. Nous n’entendons pas, par cette doctrine, des velléités d’agression contre aucune puissance. Nous réclamons seulement ceci : étant, sur ce continent, la puissance la plus considérable, nous resterons attachés de toutes nos forces au principe qui a été pour la première fois formulé sous la présidence de Monroë. Et cette doctrine, comment a-t-elle été formulée ? Si ce n’était qu’un développement électoral, ou un grimoire, elle ne vaudrait ni le souffle qui l’a prononcée, ni le papier qui l’a reçue. Cette doctrine sera respectée aussi longtemps que nos forces navales nous placeront au premier rang. Pas un jour de plus. »

En 1787, Hamilton a dit : « Nous avons souvent entendu parler des flottes de l’Angleterre et si nous sommes prudens, on parlera un jour des flottes de l’Amérique. » Il semble que cette minute approche.

En effet d’une part, l’excédent des impôts payés par les citoyens de la République dépasse d’une façon si anormale les dépenses d’administrations publiques que cette accumulation d’argent est un embarras véritable pour le Trésor[4]. D’autre part la volonté d’accroître la flotte que manifeste le peuple est soutenue avec la plus grande vigueur par le Président ; au Congrès, les deux Chambres l’ont approuvée. Il est curieux de noter que, en dehors de cette puissance de guerre, la position des États-Unis, en tant que flotte commerciale, est insignifiante. A l’heure actuelle cette flotte que l’on va sextupler convoie seulement 8 pour 100 de l’exportation et de l’importation nationales.

De juin 1901 à juin 1902 (époque officielle des rendemens de comptes), l’importation a atteint 903 327 071 dollars ; l’exportation, 1 381 719 401 dollars, 851 560 312 dollars représentent les produits de l’agriculture ; la moitié a été consommée par l’Angleterre et les colonies anglaises. 22 pour 100 des produits de l’agriculture, 3 à 4 pour 100 des produits manufacturés sont en excédent de la consommation nationale. Si l’on s’en rapporte aux plus récentes statistiques publiées par la Chambre de commerce américaine, les États-Unis se présentent comme le plus grand exportateur du monde<ref>

Exportation (en dollars).
États-Unis jusqu’à la fin de juin 1902 1 381 719 401
Grande-Bretagne jusqu’à la fin de décembre 1902 1 362 728 893
Allemagne, jusqu’à la fin de décembre 1902 1 113 125 000
France, jusqu’à la fin de décembre 1902 804 069 800
Pays-Bas, jusqu’à la fin de décembre 1902 680 008 168
5 341 651 262
Tous les autres pays principaux 4 380 629 568
Total 9 722 280 830

Le dollar vaut au change actuel de 5 fr. 10 à 5 fr. 19. </<ref>. Les ressources du pays sont sans limites. La surface de charbon mise en exploitation dans l’Europe occidentale est inférieure à 16 000 kilomètres carrés. En Amérique, 80 000 kilomètres carrés sont actuellement à découvert, et bien qu’en 1898 le charbon extrait dépassât la production de la Grande-Bretagne, on n’avait pas touché à la moitié du trésor dont on dispose. Les dix dernières années ont porté au premier rang de la production l’industrie du fer. Sur les 12 850 000 balles de coton qui, au cours de l’année 1901-1902, représentent l’effort de la culture du monde, les cotonnières des provinces méridionales de l’Union en ont fourni 10 679 000. On pourrait allonger indéfiniment cette liste de chiffres. À ces richesses naturelles du pays, il faut ajouter l’activité prodigieuse des habitans. Un seul exemple indiquera ce qu’elle vaut : dans les usines du Sud, on désigne la main-d’œuvre qui n’est pas composée de gens de couleur, sous le nom expressif, de « déchets blancs. » C’est sûrement un rebut de population américaine. Cependant, alors qu’en Suisse ou en Allemagne, dans le même genre d’industrie, un ouvrier mène deux machines et en Angleterre trois, ces spécimens décriés du travailleur américain, malgré leur nonchalance méridionale, arrivent à conduire six métiers à la fois[5]. Pour un salaire de 2 fr. 50 à 8 francs par jour, cet ouvrier sudiste donne tout ce qu’il a d’énergie. Il n’a pas de loisir, pas même le goût de lire un journal. Ses idées politiques sont limitées à ses observations personnelles sur les variations de la consommation et de la production. Nous retrouvons l’inspiration que Jefferson avait eue d’exercer la souveraineté sur les eaux du Gulf-Stream, pour y assurer la sécurité du commerce américain, dans les opinions spontanées qu’inspire, aux ouvriers du Sud la connaissance de leurs intérêts. Quand M. Mac-Kinley, le dernier Président, au cours d’un de ses voyages officiels, s’arrêta à Vicksburg, — une petite ville industrielle du Mississipi ; — il vit qu’en son honneur, on avait élevé un arc de triomphe avec des balles de coton. Au-dessus, était écrit « Expansion. » Ce mot que l’on a voulu représenter comme un programme politique, prend son sens véritable quand on le trouve ainsi dans la bouche de producteurs industriels, qui n’épellent même pas l’A B C de la politique.

Il n’est pas sûr que la nation elle-même se rende compte jusqu’où ces acquisitions territoriales pourraient l’entraîner sur le terrain de la politique étrangère. Jefferson avait dit, on s’en souvient, que le gouvernement fédéral « ne pouvait être rien autre chose pour l’Union que son département des Affaires étrangères. » Mais dans quelle mesure ce développement peut-il se produire ? Sans doute le Président a le droit, de traiter avec des nations étrangères sous la réserve de l’article de la Constitution qui lui confère « le pouvoir de passer des traités avec l’avis et le consentement du Sénat, à la condition que les deux tiers des sénateurs présens ratifient sa manière de voir. » Cette limite légale mise à l’action personnelle du Président dans l’exercice de son pouvoir a son contre-coup dans l’organisation du service diplomatique. Le personnel tout entier en change tous les quatre ans, à l’avènement d’un Président nouveau. L’Amérique est représentée à l’étranger par des citoyens, qui, pour traiter d’affaires internationales, n’ont d’autre préparation et autorité, que leur nomination par le Président et leur approbation par le Sénat. Le système républicain que l’Amérique s’est donné, ne permet pas cette continuité d’action politique extérieure, qui est un nécessaire développement de l’effort diplomatique. Et il n’y a en ce moment aucun projet à l’étude pour accroître l’initiative accordée au Président, ni pour limiter la liberté qu’a le Sénat de réviser les traités proposés par l’Exécutif. L’examen des archives révèle que si, dans le passé, le Sénat exerçait modérément et avec de grandes précautions son droit de critique, aujourd’hui, il n’y a pour ainsi dire pas de traités qui soient ratifiés sans quelque amendement.

Le gouvernement des États-Unis continue à être successivement aux mains de ces deux partis qui ont conservé les noms de Républicains et Démocrates. La différence caractéristique de leurs programmes est en ce moment le désaccord dans les questions de douane et d’expansion. Les Démocrates sont libre-échangistes et anti-impérialistes ; les Républicains, aujourd’hui au pouvoir, tiennent pour les droits protecteurs et pour les annexions territoriales. Les Démocrates affirment que la suppression des droits d’entrée serait un correctif à l’inconvénient des trusts ; mais les Républicains peuvent se vanter que, depuis que les droits ont été élevés par eux au maximum, l’Amérique jouit d’une prospérité jusqu’ici inconnue d’elle-même.

L’acte de la Déclaration d’Indépendance s’ouvre par cette affirmation considérée comme démontrée que tous les hommes naissent égaux. Du fait des réalités de la vie industrielle, cette évidence idéale a souffert quelques éclipses quand on s’est trouvé en face des problèmes nègre, indien et chinois. Il y a maintenant aux États-Unis environ 200 000 Indiens qui vivent sous le contrôle de ce qu’on nomme « le gouvernement indien. » Quarante écoles leur donnent une instruction spéciale. Cependant un quart seulement de cette population indienne arrive à soutenir, en anglais, la conversation la plus simple. Pour les étudians indiens de l’Ecole Supérieure de Hampton qui, eux, prennent des grades en musique, en arts, en mathématiques, en langues vivantes, ils retournent fréquemment à leur tribu, recommencent à se tatouer, reprennent leurs mœurs sauvages, et affectent un oubli complet de tout ce qu’on leur a enseigné. Comment en faire des égaux ? Incapables qu’ils sont de subsister par eux-mêmes dans une société industrielle, ils sont tombés à la charge du gouvernement qui ne pouvait les élever à la dignité de citoyens. D’autre part, en 1888, le Congrès a publié un acte pour fermer aux ouvriers chinois l’entrée des États-Unis. On interdisait aux entrepreneurs d’employer, dans aucun service, ces Chinois qui, pour des motifs religieux, ne peuvent changer leur nationalité et, pour des raisons d’endurance physique et de sobriété inouïe, travaillent à des prix qui font une concurrence nuisible aux ouvriers américains.

Si l’on remonte aux causes qui, un jour, devaient armer le Nord contre le Midi et faire surgir le problème nègre, on s’avise que, au fond de cette question de race, comme dans toutes les autres, on retrouve des préoccupations industrielles.

A la fin du XVIIIe siècle, les planteurs des États du Sud n’étaient pas éloignés d’accepter, en matière d’abolition d’esclavage, les principes du Nord. Mais il arriva tout justement à cette minute qu’un jeune inventeur américain perfectionna la machine à carder le coton. Avant cette innovation, un nègre, travaillant du matin au soir, ne pouvait purifier que six livres de coton. Avec le secours de l’engin nouveau, un noir pouvait carder mille livres en un jour. C’était dans l’industrie cotonnière une révolution. En dix ans, l’exportation seule allait centupler. Dès qu’on vit quels profits on pouvait tirer d’une culture raisonner du coton, les sociétés qui s’étaient formées pour l’abolition de l’esclavage disparurent dans le Sud comme par enchantement. Les noirs apparaissaient comme les hommes du monde les plus aptes à cultiver cette plante tropicale. On s’adonna donc à l’élevage systématique des esclaves. Le résultat fut qu’en soixante ans, leur nombre crut de 500 000 à 4 millions.

Les États du Sud mis en minorité au Sénat et à la Chambre, convaincus qu’ils pouvaient atteindre une prospérité morale et matérielle plus grande hors de l’Union que dans son sein, décidèrent la « sécession, » avec l’exacte connaissance du prix qu’il faudrait la payer. On leur répondit par une déclaration de guerre. Dans un discours qu’il prononça à cette minute, Lincoln indiqua clairement l’importance qu’il attachait réciproquement à la question de l’Esclavage et à celle de la Sécession. Il déclara qu’il voulait sauver l’Union à tout prix, soit en conservant l’esclavage, soit en le détruisant, soit en s’arrêtant à un terme moyen.

Devant l’importance que le Sud donnait au maintien de l’esclavage, il joua de l’abolition comme du châtiment qui punirait une rébellion persistante. Il déclara officiellement que, si les insurgés ne revenaient pas à l’Union, avant le 1er janvier 1863, tous les esclaves seraient affranchis. Pas un État ne prit garde à cette menace et le résultat fut la fameuse Proclamation d’émancipation. Ce n’était pas là un acte d’essence politique. Comme président, Lincoln n’avait pas le pouvoir de promulguer un tel décret. C’était une tactique de guerre. Comme chef de l’armée du Nord, Lincoln espérait ainsi obliger le Sud à rentrer dans l’Union et il l’attaquait par son point le plus faible : l’esclavage et les intérêts qui y étaient liés. Le résultat de la guerre fut un changement dans la Constitution, qui jusqu’alors avait enfermé des lois concernant « les personnes tenues en condition de servage ou de travail. » Le premier amendement publié en 1855 déclara que, « dans les États-Unis tout entiers et dans les territoires soumis à leur juridiction, l’esclavage et la servitude involontaires étaient abolis, en dehors du fait de châtiment d’un crime dûment démontré. » Un second amendement donna les droits de citoyen à toutes les personnes nées aux États-Unis ou naturalisées. Un troisième amendement, — qui a été proposé et ratifié cinq ans après la guerre et l’assassinat de Lincoln, — conféra à tous les citoyens des États-Unis le droit de voter. Ce droit ne peut être lié ou limité, ni par l’union des États, ni par aucun des États qui la composent, pour des raisons de race, de couleur ou pour des faits de servitude antérieure. Au sujet de cette possibilité d’affranchir le nègre, Lincoln avait dit en 1856 : « Je n’approuve pas et je n’ai jamais approuvé que l’on établisse l’égalité sociale et politique du blanc et du noir. Je ne suis pas pour que l’on fasse avec des nègres, des magistrats, des électeurs, ou des fonctionnaires, ni pour qu’on leur permette le mariage avec des personnes blanches, et j’ajouterai, qu’entre la race blanche et la race noire, il y a une différence physique qui toujours empêchera ces deux races de vivre, l’une à côté de l’autre, sur le pied de l’égalité sociale ou politique. Et puisqu’ils ne peuvent vivre dans cette condition, là où elles sont en contact, elles doivent être, l’une en face de l’autre, dans la position d’une race supérieure et d’une race inférieure. Or moi, comme le premier venu, je suis d’avis que la position supérieure appartient aux blancs. »

Cette modération ne prévalut pas. Ce principe démocratique tel que les Américains eux-mêmes l’avaient formulé contraignait d’accorder l’égalité des droits à tous les citoyens de l’Union. Mais la brusque incorporation dans le peuple souverain de millions d’illettrés, fils d’Africains, élevés dans l’esclavage, allait causer de graves embarras politiques et sociaux. Il a fallu s’en défendre. Les lois particulières de chaque État sont intervenues. Elles empêchent la loi fédérale de faire triompher le rêve démocratique d’une chimérique égalité. Les ingénieux amendemens qui ont été apportés par les États à leurs constitutions personnelles excluent pratiquement le nègre du droit de suffrage. Pour ne citer qu’un exemple : on a interdit le vote à tout homme de couleur dont le grand-père ne savait pas lire et écrire ; or chacun sait qu’au pays où vivait ce grand-père-là, une autre loi interdisait de donner aucune espèce d’instruction élémentaire aux esclaves. C’est au noir à tenter un effort pour surmonter le préjugé qui lui dispute ses privilèges. Il lui faut prouver qu’il est digne du crédit qu’on lui a fait. On attend qu’il démontre ce qu’il vaut comme producteur industriel ; qu’il s’impose de ce chef comme un élément avec lequel on doit compter. Or ces aptitudes industrielles et l’énergie qu’elles supposent, le nègre ne semble point les posséder jusqu’ici.

Ceux qui le connaissent et qui savent quelle qualité d’effort on exigera de lui avant de lui permettre l’usage de ses droits, affirment qu’il ne trouvera pas dans le système industriel d’emploi fixe. Ils disent qu’il est gaspilleur, imprévoyant, incapable d’épargne, en somme un citoyen de peu de prix. Dans les basses terres le long de la côte, là où la population est pour ainsi dire entièrement noire, le nègre risque de retomber à l’état barbare. Dans tel centre commercial de la Caroline du Nord où les trois quarts des habitans sont nègres, c’est le quart blanc qui paie 97 pour 100 de l’impôt municipal. De plus, ce nègre si fainéant est sans cesse en contravention avec la loi. Dans les prisons du Sud, 70 pour 100 des détenus sont des gens de couleur. Enfin ce dernier obstacle plus sérieux que tous les autres s’oppose aux progrès industriels de la race noire : depuis une trentaine d’années, les nègres obtiennent de plus en plus aisément la liberté d’acheter l’alcool, les spiritueux et, d’autre part, on leur prodigue l’instruction. Leurs cerveaux de primitifs n’étaient pas plus en état de résister à l’excès de savoir qu’à l’excès de boisson. La conséquence est la multiplicité des cas de folie.

Les difficultés de vie qui naissent de la rigueur des hivers septentrionaux, de la suprématie absolue des blancs dans le Nord, des concurrences industrielles, confinent le noir dans les régions chaudes des États-Unis où il parvient à subsister avec un minimum d’effort. Donc, les trois quarts de la population totale des noirs sont concentrés dans les États du Sud. Il y a plus de cent comtés où l’on trouve deux ou trois noirs pour un blanc. Dans l’Etat de Mississipi seul, on compte plus de nègres que dans toute la Nouvelle-Angleterre. Il y en a dans l’Alabama, plus que dans les trente et un États du Nord et de l’Ouest.

Partout où les nègres sont en minorité, cette minorité décroît. Le problème se résout donc, au Nord dans la formule de cette loi naturelle : le triomphe des plus forts. Dans le Sud, où il semble que les noirs sont en majorité il convient de comparer les chiffres actuels de population aux statistiques anciennes si l’on veut se former une idée exacte de la situation respective des deux élémens : en 1790, les nègres représentaient environ 19 pour 100 de la population totale des États-Unis ; aujourd’hui ils ne sont plus que 11 pour 100. Il faut remarquer d’ailleurs que, entre tous les immigrans de diverses origines qui ont été attirés aux États-Unis, le nègre est le seul que l’on ait importé sur ce sol et qui n’ait pas été poussé par un élan de volonté personnelle, un espoir de faire fortune ou d’acquérir de la liberté.

Avant la guerre, il était soumis à un régime anti-démocratique. La raison de sa présence en Amérique était la nécessité de l’esclavage. L’esclavage une fois aboli, il est devenu un outil trop abondant et hors d’usage. Il n’a pas d’avenir dans la République et les embarras que crée sa présence à l’heure actuelle se liquideront comme toutes les difficultés américaines sur le terrain de l’évolution industrielle. Ainsi, le grand courant de l’immigration qui après 1850 commença à s’orienter vers l’Amérique, se dirigea exclusivement vers le Nord et l’Ouest. D’instinct les nouveaux venus fuyaient la région où l’esclavage était installé. Le régime aristocratique de l’achat des bras n’attirait pas ceux qui étaient venus chercher une terre de liberté. Or, dans le Nord et dans l’Ouest, on vit cette liberté de l’individu engendrer une prospérité féerique tandis que le Sud, avec son régime de servage anti-démocratique, restait stationnaire. Il ne semblait pas que, depuis 1790, il eût fait de progrès normaux. Un recensement aussi récent que celui de 1880, montre encore que, deux ou trois centres mis à part, les États du Sud n’ont attiré aucun élément nouveau d’émigration. Ce n’était plus l’esclavage qui les écartait, mais la débâcle financière et l’abattement qui suivirent la guerre de 1861. Mais voici que la réaction commence. Le capital placé dans les industries du Midi a monté depuis vingt-cinq années de 257 200 000 dollars à 1 500 000 000 dollars. Les salaires payés à la main-d’œuvre des usines ont monté de 75 700 000 dollars à 400 000 000 dollars par an, et moins de deux ans après la guerre avec l’Espagne, l’exportation des cotonnades dans la seule Mandchourie a augmenté de 10 millions de dollars. Sous l’influence du nouveau régime social, on assiste à la régénération d’une partie du pays que l’on avait longtemps considéré comme voué à une nécessaire infériorité. Cela suffira pour attirer le flot d’immigrans qui, en travaillant pour eux-mêmes, assurent la prospérité de la contrée.

Jusqu’à cette heure le nègre n’avait jamais lutté à égalité. Maintenant que les États du Midi ont affirmé leurs droits à la concurrence vitale, le nègre va être mis en contact avec une collectivité d’individus doués jusqu’à la férocité de l’énergie ouvrière. Les conditions de la vie dans le Sud ne vont-elles pas devenir pour lui aussi défavorables que dans le Nord ? N’est-il pas appelé à disparaître lentement, mais inévitablement, devant cette rapide évolution industrielle à laquelle on assiste pour la première fois dans les États du Midi ?

C’est en 1786 d’abord que les différens gouvernemens américains se sont groupés, afin de traiter des affaires communes. La présente Constitution est sortie de cette union. Le motif allégué officiellement pour convoquer les délégués était une discussion sur les méthodes qui allaient donner au Congrès le droit de réglementer le commerce. Il est constant que depuis cette époque tout l’effort du gouvernement a tendu à provoquer des essais où les forces vierges du pays trouveraient l’occasion de se développer prodigieusement. De toutes ces cultures voulues et intenses, la plus curieuse est sûrement le trust.

On dirait que ç’a été le destin du grand et fertile hémisphère dont les États-Unis sont une moitié, de rester plongé dans l’obscurité jusqu’à l’âge de l’industrie triomphante qui allait donner aux ressources naturelles de ce pays l’occasion d’être mises en pleine valeur. Chaque contrée a produit un type d’homme correspondant au rôle qu’il aurait à jouer dans l’évolution universelle. L’Amérique a débuté dans le monde avec l’avènement d’une ère commerciale ; doit-on s’étonner, après cela, que l’Américain type soit, comme il a été dit, un homme d’affaires ?

La biographie de M. André Carnegie vient ici comme l’exemple après la règle. Voilà un homme qui, lorsqu’il est arrivé à New-York vers 1845, était un enfant de pauvres. En 1902, il s’est retiré des affaires, avec une fortune de 100 millions de dollars. M. C.-M. Schwab, son successeur à la tête de l’United States Steel Corporation, était, il y a vingt-deux ans, un simple ouvrier aux usines de Pittsburg. Il est propriétaire maintenant de 15 millions de dollars en actions de la même Compagnie, il a sous ses ordres un demi-million d’employés. Voudra-t-on contester le génie à des hommes de cette trempe, à des Pierpont Morgan, à des Rockefeller ?

Si les trusts commencent à être en opposition avec les lois qui devraient gouverner l’humanité, et à menacer la prospérité de la République, au moment où on les juge, on ne doit pas oublier qu’ils tirent leur existence, non pas seulement de l’association du capital et du travail, mais, en toute occasion, d’une intelligence souveraine. Ils sont la création du cerveau d’un homme particulier. Leur vie est limitée à sa vie. Le trust et l’homme ne font qu’un, et cet homme est un sujet doué pur excellence des qualités américaines. Comment limiter la liberté du trust, sans, du même coup, toucher à l’initiative de l’homme ?

Vers 1882, les grandes compagnies intéressées dans la raffinerie de l’huile, s’unirent sous la direction de M. Rockefeller. Les principaux raffineurs d’huile tombèrent d’accord qu’au lieu de lutter les uns contre les autres, en supportant la charge d’administrations aussi nombreuses que les compagnies elles-mêmes, ils auraient intérêt à fondre ces administrations en une seule, tout en restant, quand même, une collectivité de compagnies. Ce procédé de centralisation des finances d’une industrie entière, dans le dessein de créer un monopole, se nomme un trust. M. Rockefeller a été l’initiateur de ces entreprises. Son revenu annuel est estimé à 25 millions de dollars. De ce fait, il est l’homme le plus riche du monde.

Il y a un grand nombre de variétés dans les trusts, mais la forme dans laquelle ils se moulent le plus ordinairement, est la suivante. Les porteurs de titres de toutes les compagnies autonomes font l’apport de leurs actions à la compagnie-mère. La compagnie-mère, en échange de ces actions particulières, remet aux porteurs des actions de trust ; les bénéfices sont distribués au prorata du nombre d’actions du trust que chaque Société particulière a en portefeuille. Tous les bénéfices encaissés par les membres différens de la combinaison, sont mis en commun pour constituer le trésor de tous. Le fait qu’un des établissemens manufacturiers engagés dans le trust arrête momentanément son travail n’a pas d’importance, au moment de la distribution des bénéfices conquis en commun par les actionnaires de cette compagnie spéciale. Chaque compagnie isolée conserve son cadre d’administration technique, directeur, personnel, etc., mais sous le contrôle de la direction générale des délégués de la compagnie-mère. Ces combinaisons ou trusts peuvent être formés par l’union de compagnies qui avaient lutté en concurrence les unes contre les autres, ou par le groupement des différentes formes de productions qui concourent à l’établissement d’une industrie. Le trust de l’acier par exemple, dont le capital atteint 1 400 291 000 de dollars, est composé de dix sous-compagnies qui n’étaient pas toutes concurrentes. Elles possèdent 112 navires, 2 380 kilomètres de voies ferrées, 23 185 wagons, 428 locomotives, et de plus, des propriétés immenses, des mines de charbon, de fer, des centres de production de gaz naturel, la machinerie, les usines et l’outillage nécessaire à la fabrication de l’acier. Quelque importantes que soient ces richesses, s’il fallait les « réaliser » elles ne suffiraient pas toujours à rembourser totalement les porteurs d’actions. Il peut même arriver que les dividendes payés aux porteurs d’actions dépassent les profits de l’année et l’intérêt normal du capital engagé. Le capital du trust du sucre, par exemple, a augmenté nominalement quatre fois et demi d’importance, en quinze années ; dans le même laps de temps, la consommation du sucre a à peine doublé et le marché du trust qui représentait 90 pour 100 du commerce total du sucre est tombé à 57 pour 100 en dix ans. Les actions continuent à rapporter 7 pour 100 (actions ordinaires), 12 pour 100 (actions privilégiées). Aussi longtemps que les actions se vendent au-dessus du pair, la Compagnie peut augmenter son capital par de nouvelles émissions. Elle n’est pas tenue à dépenser tout son capital en améliorations ou en agrandissemens. Elle peut disposer de tout ou d’une partie de son avoir pour le distribuer en dividendes aux porteurs d’actions. Les directeurs ne doivent aucun renseignement sur le maniement des fonds et, dans bien de cas, les statuts mêmes de l’association interdisent aux porteurs de demander communication des livres. Le public qui prend des actions du trust n’est renseigné ni sur sa situation financière ni sur ses opérations. Un secret si profond permet aux directeurs, s’ils ne sont pas au-dessus de la tentation, de faire des profits illicites considérables, aux dépens des porteurs de titres, en achetant et en vendant à propos. Et de même il rend possible cette pléthore de capital qui est un des argumens avec lesquels on combat l’institution du trust. Le peuple les attaque sur leur tentative d’établir un monopole qui écrase le petit producteur et permet aux créateurs de trusts de faire monter, de façon illicite, le coût de leurs produits. Pour dire le vrai, aucun des trusts n’a jamais réussi à conquérir un monopole complet. Leur politique a été clairement définie par M. H. O. Havemeyer, président du trust du sucre : « Si vous exigez un trop grand profit, dit-il, vous faites surgir une concurrence. La seule façon de rendre toute concurrence impossible est de tenir vos prix au-dessous du cours. Nous nous efforçons d’abaisser les nôtres à un point qui soit un défi pour nos rivaux. » Si tel était le seul but du trust, on pourrait tout de suite arriver au monopole, et l’avantage que le public y trouverait donnerait à l’opération un caractère presque philanthropique ; mais M. Havemeyer n’est pas un philanthrope, il est un homme d’affaires : « Je pense, dit-il, qu’il est légitime de tirer du consommateur tout ce qu’on peut. » La tentation où est tombé le trust de tirer occasionnellement tout ce qu’on peut du consommateur est cause qu’il n’a pas réussi, comme il y comptait, à décourager en tout temps et partout la concurrence. Après quinze années d’une habile direction financière, il est parvenu à monopoliser, en moyenne, les trois quarts du commerce du sucre des États-Unis. Les statisticiens nous apprennent que, depuis qu’il a été formé, l’écart des profits, c’est-à-dire la différence entre le prix du sucre brut et du produit manufacturé, a été réduit. La suppression de la concurrence et les avantages d’un commerce qui se développe sur une large échelle abaissent souvent de moitié les frais de la production. L’ouvrier a sa part modique dans le profit qui en découle. L’augmentation des salaires sous le règne des trusts s’est élevée pour les ouvriers de toutes catégories d’environ un dollar par semaine. Jusqu’ici les conditions du travail en Amérique n’ont pour elles que l’expérience de la prospérité. Tant que l’offre d’emploi sera supérieure à la demande, l’ouvrier a toutes les chances du monde de défendre ses droits sur le terrain économique.

M. Jenks, le Directeur du Département des Entreprises au Bureau Fédéral, dit que, grâce aux trusts, le travail est devenu plus sûr. La raison en est évidente : avant que le trust du sucre fût organisé, quarante raffineries luttaient entre elles. Pas une ne pouvait aller au bout de ses forces de production, ni tenir constamment ses portes ouvertes à cause de la concurrence qui finit par entraîner la banqueroute de dix-huit usines. Le trust fut organisé. Il ferma plusieurs de ces raffineries qu’il s’était annexées, mais il soutint les autres dans une production sans arrêt qui employait toutes les forces. Le trust apparaît donc moins menaçant pour l’ouvrier que pour le public en général. « Si la puissance de l’organisation du travail lutte à égalité avec les combinaisons du capital, dit M. Jenks, il est probable que l’union de ces deux puissances, au moins pendant un temps, s’exercera de plus en plus aux dépens du consommateur. » D’une façon générale, les trusts ne sont pas hostiles aux associations ouvrières, et cependant on ne peut nier qu’ils ont enlevé leur gagne-pain à des classes de travailleurs qui, dans la combinaison nouvelle, n’ont plus la place qu’ils trouvaient autrefois dans les sociétés concurrentes. M. Jenks constate cette difficulté, et dit : « Il est vrai, que la souffrance sera probablement la destinée de ceux qui sont congédiés... Si cependant un réel progrès est l’effet de ces combinaisons, il faut oublier que des individus souffrent, pour ne considérer que le bénéfice conquis par la classe des ouvriers dans son ensemble. »

En 1890, la Chambre des députés fit passer une loi qui est connue sous le nom de l’anti-trust. Elle déclare que « toute entreprise affectant la forme des trusts, ou ce qui leur ressemble, toute conspiration pour restreindre le commerce ou les échanges entre les différens États américains, ou entre l’Union et les nations étrangères, est déclarée illégale. » Quand vint le moment d’appliquer la loi, la Haute-Cour s’avisa qu’une telle nouveauté allait enlever aux États le contrôle de presque toutes les affaires importantes en fait de transactions et de commerce pour les soumettre au gouvernement national. On donna donc à la loi l’interprétation suivante, qui aurait ravi Jefferson et ceux qui tenaient pour la souveraineté de l’État opposée au Pouvoir Fédéral. On se ressouvint que le Congrès n’avait nul pouvoir pour réglementer les transactions qui avaient été passées « dans les limites » d’un État[6]. Tel était le cas du trust. Il ne fallait pas tenir compte du fait qu’il pouvait exercer une influence indirecte sur les transactions commerciales qui se nouaient entre des États différens. Le Congrès avait usé de tout le pouvoir que la Constitution lui confère, et il avait échoué dans son désir d’empêcher la multiplication des trusts[7].

Les combinaisons industrielles de cette nature formées dans la seule année de 1899 disposaient d’un capital de deux milliards de dollars. Actuellement, on compte 287 trusts, dont le capital déclaré atteint sept milliards de dollars, soit à peu près le tiers du capital total engagé aux États-Unis dans l’industrie. Quand on se demande comment on pourrait contrôler de telles entreprises, on se trouve en face de solutions différentes. D’un côté, se présentent les partisans de la liberté de l’industrie, qui se réclament de la politique de « laisser-faire. » Russell Sage, le financier millionnaire, estime qu’il faut permettre aux trusts de courir eux-mêmes à leur destinée tragique. « Si les trusts, dit-il, continuaient à augmenter, le peuple américain se révolterait certainement contre leur tyrannie, et alors, ce serait un écroulement financier tel que l’on n’en a même jamais rêvé dans l’histoire du monde. » D’autre part, on rencontre des économistes prudens qui approuvent l’intervention de la loi pour détruire absolument les trusts. Entre ces deux extrêmes se groupent ceux qui viennent renforcer l’opinion d’un arbitre respecté, M. Roosevelt. Le Président dit : « Il vaut beaucoup mieux voir quelques personnes profiter à l’excès que personne ne prospérer du tout. Ainsi, un homme qui réclame la destruction des trusts par des mesures qui viendraient à paralyser l’industrie de ce pays est ou un charlatan, ou le pire ennemi de la République. » Et un peu plus loin : « Il faut cependant, ici, que la législation intervienne comme un remède courageux et efficace. » En fait de remède légal, on a songé depuis longtemps à l’abaissement des tarifs douaniers comme à la première et à la plus importante des mesures qu’il fallait prendre dans l’occasion. Mais il a été démontré avec clarté que l’abaissement des droits avant de détruire un seul trust, supprimerait d’abord toutes les industries survivantes qui luttaient contre son monopole. D’autre part, deux moyens efficaces sont proposés pour atténuer le mal causé par les trusts en conservant ce qu’ils ont de bon : d’abord, les chemins de fer ne pourront, sans illégalité, transporter le fret des trusts à des tarifs de faveur qui écrasent leurs petits concurrens. Ensuite, il faut exiger que les trusts rendent publics les statuts de leurs organisations, et les résultats de leurs transactions[8].

Quant aux moyens précis que M. Roosevelt propose, voici ses propres paroles : « Dans la nécessité où l’on est de réglementer les trusts, il semble qu’il faille les placer sous le contrôle non pas nominal, mais réel, d’un souverain, auquel ils devraient obéissance et dont ils respecteraient les commandemens. A cette puissance souveraine, il faut donner de l’autorité sur ses forces organisées, de façon si artificielle et si redoutable. A mon avis, il conviendrait que cette souveraine puissance fût le gouvernement national. Quand elle sera armée de toute l’autorité nécessaire, elle en pourra user pour contrôler toute influence pernicieuse, avec la volonté d’exercer sa force dans un sentiment de modération et de bienveillance. »

Quant à la vie intellectuelle aux Etats-Unis, il suffit de la considérer dans une seule de ses manifestations — les universités — pour voir que, même dans ce royaume de la culture, les affaires tiennent un rôle des plus importans. Herbert Spencer qui est, en Angleterre, un oracle écouté, dit : « La meilleure éducation est celle qui prépare le plus directement l’homme au genre de vie qu’il devra mener. » A prendre cette définition au pied de la lettre, il faut reconnaître que l’expérience a été jusqu’ici en Amérique le meilleur éducateur. Si l’on considère la jeunesse de ce pays, et tout ce qu’on y a fait depuis cent ans, on comprendra que les Américains aient eu peu de loisir à consacrer à des études qui ne trouvaient pas immédiatement leur application pratique. En revanche, ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que l’ignorance est le plus dangereux des ennemis, — même pour des hommes qui tendent seulement vers des fins commerciales. Le résultat de cette découverte est la passion de tout un peuple pour l’instruction. Plus de 17 millions d’Américains fréquentent les écoles ou les collèges ; c’est-à-dire que, sur quatre personnes, en comptant les hommes, les femmes et les enfans, il y a un individu qui s’assoit sur les bancs d’une école. Il faut ajouter à ces chiffres des centaines de mille d’ouvriers et d’ouvrières qui suivent les écoles du soir, ou des cours par correspondance. Nulle part, ailleurs, on ne voit tant d’hommes d’affaires envoyer leurs fils au collège. L’habitude en devient chaque jour plus fréquente, et le nombre des étudians confiés aux Universités croît dans une proportion formidable. Inutile de dire que la majorité de ces jeunes gens, après qu’elle aura pris ses grades, ira aux affaires. M. Carnegie apprécie dans ces termes l’influence de l’éducation universitaire dans la préparation de l’homme qui prétend réussir à la bataille commerciale : « Si l’on considère que, dans le monde des affaires, aucun homme ayant atteint une haute position n’a pris ses grades, il semble que l’on ait le droit de conclure que l’éducation du collège, telle qu’on l’a aujourd’hui, est un obstacle insurmontable à ce genre de succès. Le gradué qui, à vingt ans, entre dans les affaires, est destiné à être supplanté par le petit garçon qui a balayé le bureau, ou par le commis qui a débuté à quatorze ans. C’est la leçon de l’expérience. » Henry Clewes, le financier, va plus loin encore. Il déclare : « Je n’emploie pas dans ma banque des hommes qui aient fréquenté le collège. Ils me solliciteraient en vain. Je ne les désire pas, car je crois qu’ils sont gâtés pour la vie d’affaires. L’homme de collège ne veut pas commencer tout en bas de l’échelle, il regarde de haut les positions humbles qu’il serait apte à remplir ; autant dire que c’est toutes les affaires qu’il regarde de haut, comme une besogne pesante et qui n’attire pas. Ses pensées ne sont pas tournées vers les affaires, mais vers ses livres, la littérature, la philosophie, le latin. Or, inutile de s’engager dans la bataille des affaires si on ne leur donne pas tout son cœur ; les affaires réclament le tout d’un homme. »

Cependant, ces princes des affaires sont les mêmes hommes qui ont donné les sommes d’argent les plus considérables pour fonder et pour élargir les universités américaines. M. Carnegie a offert à l’Institut de Washington, baptisé de son nom, une fortune qui permettra à cette Université de disposer en douze mois d’autant d’argent que la Société royale de Londres a pu en dépenser dans le dernier siècle[9]. M. Rockefeller, en une seule année, a gratifié l’Université de Chicago d’un don de 7 millions de dollars. Enfin, de 1890 à 1900, les donations privées aux États-Unis ont atteint le chiffre de 114 030165 dollars. Tout cet argent, presque sans exception, provient des largesses d’hommes d’affaires heureux, qui sont entrés dans les bureaux à seize ans, et qui, à vingt-cinq ans, figuraient déjà comme associés dans leurs Compagnies, c’est-à-dire à l’âge où les gradués de collège commencent l’existence.

La contradiction qui apparaît entre le préjugé que M. Carnegie professe contre l’éducation universitaire et les efforts qu’il fait pour répandre cette éducation s’atténue si l’on considère que le corps enseignant n’est pas seulement appointé, mais contrôlé par un président qui, dans l’occasion, agit comme le représentant du millionnaire bienfaiteur. On veut que le jeune Américain soit éduqué, mais à la condition que cette éducation l’arme pour la vie qui l’attend. Les cours eux-mêmes sont en train de subir des transformations qui sont définies en ces termes par un professeur de l’Université : « Nous sommes en face d’un mouvement qui conquiert une Université après l’autre. Ses caractéristiques sont d’abord l’intention consciente de grouper les cours pour qu’ils servent d’entraînement direct aux futurs hommes d’affaires ; ensuite, la multiplication des cours techniques qui s’appliquaient déjà aux différentes branches de l’activité commerciale. »

Les collèges qui donnent une instruction spéciale sur des matières telles que les chemins de fer, les transports, le maniement de l’argent, la banque, le commerce et le tarif, attirent quantité de jeunes gens que, dans le passé, leurs pères auraient envoyés, dès leur dix-huitième année, dans un bureau, ou dans une usine. On peut dire que le vieil idéal académique est en train de céder aux exigences du commerce.

Le Président Roosevelt disait dans un discours récent : « Le courant des événemens nous a entraînés dans ces deux dernières années à prendre malgré nous une position dans l’équilibre du monde. Que nous le voulions ou non, nous sommes arrivés à un point de notre développement où il nous faut jouer un rôle important dans le concert général. » Il est sûr qu’à ce point de vue particulier, les États-Unis inaugurent un chapitre nouveau de leur histoire. L’erreur de M. Willson dans sa Nouvelle Amérique est d’attribuer ce changement à un empiétement du Pouvoir Exécutif. Le mot « nouveau » est accolé à la bonne moitié des titres de ses chapitres : « La Nouvelle Diplomatie, » « La Nouvelle Politique, » « La Nouvelle Constitution, » « Les Nouvelles Lois, » et lorsqu’on se demande comment ces nouveautés prennent corps, on vous répond : « A mesure que la nation va se développer et que vont grandir les aptitudes de ce peuple au self-government, on le verra se tourner vers la Présidence comme vers le seul organe capable d’exercer la souveraineté. » Et ailleurs : « On verra surgir un dictateur militaire. » Et plus loin : « Le Président dispose de pouvoirs égaux à ceux des monarques d’Europe... On lui donnera plus de pouvoirs. »

Si, dans des conditions égales de fertilité, l’Amérique s’est développée plus rapidement que toute autre contrée, c’est à sa forme politique qu’elle le doit. Son gouvernement stimule, plus que nul autre, l’ambition de chacun de ces citoyens. Il donne à chaque homme le droit de mesurer ses forces sans entraves aux chances de la bataille, et de toucher, sans intermédiaire, les fruits de son travail. C’est à cette liberté que les immigrans qui envahissent l’Amérique doivent leur transformation. Ils commument dans la certitude que l’individu ne rencontrera à son succès d’autre obstacle que la médiocrité de ses dons. C’est cette certitude qui, avec un troupeau international, fait le peuple américain. Il ne témoigne pas, ce peuple, du moindre désir d’augmenter l’autorité du Pouvoir Exécutif. Une Commission a siégé pendant dix ans avec le dessein de renforcer, sur certains points précis, le Pouvoir Fédéral. Elle a échoué, parce que la volonté du peuple n’était pas avec elle. Supprimez les amendemens tout récens qui concernent la question des nègres et des esclaves, et ces corrections ajoutées au lendemain de la rédaction de la Constitution, vous retrouvez ce document tel aujourd’hui qu’il était au premier jour, intact. Il n’y a pas eu d’évolution dans le Gouvernement Fédéral. S’il semble avoir grandi, ce n’est pas de sa propre initiative, mais sous la pression du développement de l’industrie et du commerce.

Il y a aux Etats-Unis deux gouvernemens, celui qui siège à Washington, avec une forme déjà séculaire, qui se renouvelle tous les quatre ans, et qui est une émanation du peuple entier. Il y en a un autre, qui règne à Wall Street, à la Bourse, sur la centralisation des intérêts financiers. Ces intérêts deviennent chaque jour plus puissans. Ils ont évolué avec une rapidité irrésistible depuis les origines de la République jusqu’à cette heure précise où ils dominent des millions d’hommes[10] et disposent des milliards qui leur appartiennent. Les moyens de communication qui donnent son unité à un pays dont la superficie atteint 5 millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire les chemins de fer, les compagnies de navigation, les télégraphes, les téléphones, les tramways, tout appartient à des personnes privées. Un seul des trusts dispose d’une armée de 12 000 porteurs de titres qui, à la minute des élections nationales, soutiennent ses intérêts. Les ouvriers qui dépendent de la corporation de l’acier se chiffrent par un demi-million. Une telle influence multipliée par des centaines de trusts et divisée à la fin entre quelques individus seulement, dont les richesses particulières dépassent la fortune propre de l’Etat, suffit à expliquer cette évolution normale de l’Amérique en dehors de toute influence politique.

L’origine des mots « expansion » et « impérialisme » ne remonte qu’à la guerre avec l’Espagne, dont l’opinion publique, aujourd’hui mieux éclairée, attribue aux sénateurs la responsabilité. Or, de tous les corps qui gouvernent, le Sénat est le moins populaire. Ceux qui y siègent sont, pour la plupart, des hommes d’argent. Ils étaient de connivence avec le parti des marchands. Au contraire, le Gouvernement Fédéral, reflet de la volonté populaire, a fait tout son effort, d’abord pour empêcher la déclaration de guerre, et ensuite pour tenir les promesses dont, avant les hostilités, le Sénat masquait ses intentions véritables. Il a donné un gouvernement autonome à Cuba ; mais l’effort du Président pour accorder la réciprocité aux importations cubaines se heurte définitivement à l’obstruction du Sénat. Cette résistance a un motif péremptoire : l’entrée libre du sucre et du tabac cubain aux Etats-Unis ferait échec à la prospérité des trusts américains des sucres et des tabacs.

Le Président Roosevelt a fait connaître ses intentions au sujet de Porto-Rico. « Notre but est d’élever le niveau de cette île à la hauteur du développement de l’Etat américain. Cet effort accompli, on lui donnera un gouvernement autonome. » Et les mêmes engagemens sont pris à l’endroit des Philippines.

Le conflit qui s’est élevé à propos des tarifs cubains, la question actuellement pendante des trusts, met dans une lumière certaine l’existence de deux pouvoirs qui ne sont pas aujourd’hui en plein accord. Des présidens comme Harrison, Cleveland, Mac-Kinley, représentaient les intérêts du peuple américain. Roosevelt représente ses principes. Tout d’abord il a en vue le droit. Le gouvernement de Wall Street a tout d’abord en vue le profit. Si cette opposition se prolonge, on ne tardera pas à voir de quel côté est la vraie force.

Quant à l’impérialisme, ceux qui, comme M. Willson, épient son aurore, se sont tournés du mauvais côté de l’horizon. Jamais le peuple américain, né libre, ne dotera son chef d’une puissance impériale. Il n’accroîtra même pas librement les prérogatives que la Constitution a octroyées au Président[11]. En revanche, le développement logique du génie commercial des Américains qui, quotidiennement, accumule plus de pouvoir dans les mains de quelques chefs industriels, pourra, un jour, nous montrer ces « Maîtres » imposant au peuple les obligations de l’Empire.


Mrs JOHN VAN VORST.

  1. La statistique de 1902 accuse 43 genres de religions qui se subdivisent en 150 variétés.
  2. Ces deux partis politiques étaient : Fédéralistes (1789), Républicains (1820), Whigs (1854), Démocrates (1830), Républicains (1856).
  3. A l’époque de l’insurrection contre l’Angleterre, des efforts réitérés ont été tentés pour déterminer le Canada, la Nouvelle-Ecosse, les Bermudes elles-mêmes à se joindre aux colonies révoltées. Les propriétaires d’esclaves essayèrent d’acquérir à prix d’argent Cuba et Porto Rico. Le Président Polk essaya d’acheter Cuba à l’Espagne.
    Des ouvertures faites dans la même intention en 1867, pour enlever Saint-Thomas et Saint-John, au Danemark ont été renouvelées récemment ; en 1869, ce fut Saint-Domingue que l’on visa.
  4. Beaucoup d’impôts dont la guerre avait été l’origine sont supprimés à l’heure actuelle. Le revenu de l’impôt accuse, pour l’année qui vient de s’écouler, 560 millions de dollars, dont 90 millions représentent un excédent qui reste sans emploi. On vient de voter 80 millions pour la construction de « nouveaux navires de guerre. »
  5. En 1870, la valeur totale des produits manufacturés en Amérique atteignait 3 385 millions de dollars, soit un excès de 75 pour 100 sur les chiffres de 1860. Dix ans plus tard, en 1880, à un accroissement de population de 30 pour 100 correspond un accroissement de production de 58 pour 100, soit au total 5 349 millions de dollars. En 1890, l’augmentation de la population est de 25 pour 100, celle des produits manufacturés de 69 pour 100, En 1900, à 21 pour 100 d’accroissement dépopulation correspond une augmentation de 54 pour 100, dans les produits manufacturés. Le premier et court chapitre publié par les États-Unis sur leurs échanges commerciaux avec leurs colonies indique l’ascension rapide de la production américaine et l’inévitable nécessité où ils sont réduits par la surproduction de conquérir des marchés extérieurs.
    De 1898 à 1902, soit en quatre ans, les exportations américaines avec Porto-Rico se sont élevées de 1505 946 dollars à 10 719 444 dollars ; avec les îles Hawaï de 5 907155 dollars, à 19 000 000 dollars ; avec les îles Philippines de 127 804 dollars à 5 251 867 dollars.
  6. Art. Ier de la Constitution : Le Congrès aura pleine puissance de régler le commerce avec les nations étrangères et entre les États différens.
  7. Cette loi dite de l’Anti-Trust est pendante devant les Cours.
  8. La Chambre vient de créer un nouveau Département du Commerce dans la pensée de surveiller les trusts et de signaler leurs abus.
  9. M. Carnegie a donné 10 millions de dollars à l’Université qui portera son nom-
  10. Ouvriers agricoles mis à part, les trusts et les compagnies des chemins de fer disposent d’un quart de la population ouvrière masculine.
  11. Aucune modification aux termes de la Constitution ne peut être apportée sans que les deux tiers des deux Chambres aient jugé opportun de présenter un amendement qui, pour être accepté, doit être ratifié par les trois quarts des États.