La Norvège et l’Union avec la Suède/06

Traduction par Gabriel Rouy.
Société d’édition et de publication (p. 66-83).

vi

la question des consulats


Il ne peut être élevé aucun doute sur le droit de la Norvège à créer un service consulaire distinct.

La Constitution norvégienne contenait dans la forme où elle fut votée à Eidsvold (17 mai 1814) des dispositions concernant les consuls de Norvège. Ultérieurement, lors de l’établissement de l’Union entre la Norvège et la Suède, le roi de Suède s’engagea, par la Convention de Moss, en août 1814, à accepter cette Constitution et à ne proposer que les modifications nécessitées par l’Union projetée. Aucune modification ne fut apportée aux dispositions concernant les consulats ; les commissaires suédois ne considéraient donc pas, eux non plus, ces dispositions qui se rapportaient seulement à des consuls norvégiens, comme incompatibles avec l’union. Ajoutons que l’Acte d’Union de 1815 ne contient pas un seul mot ayant trait aux consuls. C’est la démonstration directe et indirecte que la Norvège a droit à ses consuls spéciaux, et il n’existe aucun engagement entre les deux pays les obligeant à avoir un service consulaire commun ([1]).

Au début de l’Union, pour des raisons pratiques, la Norvège trouva utilité de se servir, jusqu’à nouvel ordre, comme consuls des mêmes personnes que la Suède, en faisant usage de l’autorisation accordée par l’article 92 de la Constitution de nommer des étrangers consuls de Norvège ; on pouvait donc nommer comme tels aussi des consuls suédois.

C’est ainsi que fut organisé un service consulaire commun aux deux pays dont la direction supérieure appartenait au ministre des Affaires étrangères. Entre temps le gouvernement et la Chambre de Norvège ont affirmé énergiquement, à différentes reprises, que le fait d’avoir les même consuls que la Suède, n’engagerait pas le pays à reconnaître cet organisme commun comme juridiquement obligatoire ; aux diverses tentatives faites pour obtenir de nous des engagements dans ce sens, il fut toujours répondu nettement (par exemple, en 1847, par le gouvernement norvégien tout entier) que la Norvège ne saurait s’interdire le droit de nommer des consuls particuliers si ses intérêts rendaient cette création nécessaire.

La Suède a riposté en essayant de faire reconnaître que le service consulaire est si étroitement lié au service diplomatique qu’il n’en peut être séparé. Mais cette prétention a été réduite à néant par le fait qu’un comité norvégien-suédois qui comptait parmi ses membres le Baron Bildt, actuellement ministre de Norvège et de Suède à Londres, a proposé, à l’unanimité, une organisation comportant des services consulaires séparés, sans pour cela porter atteinte à la communauté existant dans le service diplomatique. Le gouvernement suédois, ainsi que le gouvernement norvégien, et aussi le roi, ont admis en principe cette organisation telle qu’elle fut proposée.

Lorsque, en 1814, furent créés les consuls communs aux deux pays, ces fonctionnaires ne ressortaient pas du ministre des Affaires étrangères ; ils dépendaient en Suède du « collège du Commerce » et, en Norvège, plusieurs années plus tard, du ministre des Finances norvégien. Seulement en 1858, une ordonnance du 20 avril confia la direction du service consulaire au ministre des Affaires étrangères.

Il est donc réellement et historiquement inexact de prétendre, comme le font les Suédois, que la communauté est nécessaire suivant la nature même des choses ; et cette prétention a été jugée nulle par le gouvernement suédois lui-même, lorsqu’il déclara, par l’intermédiaire de ses négociateurs « qu’on a reconnu qu’il n’est pas impossible… d’organiser un système comprenant des consuls séparés pour chacun des royaumes ».

À mesure que la navigation et le commerce extérieur de la Norvège prirent un développement de plus en plus considérable, le moment devait s’approcher où la Norvège aurait besoin d’un service consulaire séparé, qui pût, étant géré exclusivement par une autorité norvégienne, se vouer entièrement aux intérêts norvégiens.

À ce sujet, on peut se rappeler que la Norvège a son pavillon à elle, arboré par une flotte de commerce qui tient le quatrième rang parmi les flottes du monde entier, et qui est environ trois fois plus considérable que celle de la Suède.

Les inconvénients de la communauté augmentèrent à mesure que les intérêts commerciaux des deux pays entrèrent en concurrence les uns avec les autres ; et ils devinrent surtout frappants, lorsque la Suède, vers 1880, adopta une politique fortement protectionniste, tandis que la Norvège continuait à maintenir un système plutôt libre-échangiste.

L’effet immédiat fut que les traités antérieurement communs à la Norvège et à la Suède, durent être passés séparément pour chacun des deux royaumes. Par ce nouvel état de choses, la situation des consuls communs devint encore plus difficile ; et, comme ils étaient les subordonnés d’un ministre des Affaires étrangères suédois, il y avait à craindre que, dans les cas où les intérêts seraient contraires, la question ne fût tranchée aux dépens de la Norvège.

La concurrence augmenta encore lorsque, il y a dix ans, la Suède dénonça la convention aux termes de laquelle le commerce entre la Norvège et la Suède était pour ainsi dire exempt de droit de douane, ce changement força le commerce d’exportation des deux pays, à chercher l’avantage des marchés étrangers pour écouler ses produits. La franchise qui avait existé jusqu’alors entre les deux pays, était certainement le lien réel qui les unissait le plus fortement ; quand il fut supprimé par la Suède, le nerf vital de leur existence commerciale et industrielle commune fut tranché[2].

En outre, pour la Norvège, cette situation était un véritable défi au bon sens ; avec une flotte bien des fois supérieure à celle de la Suède, notre pays ne pouvait exercer une influence, même de moitié, sur la nomination des consuls qui devaient sauvegarder ses intérêts considérables.

Quoique la Suède ait une population de plus du double de celle de la Norvège, c’est notre pays, qui, tout dernièrement encore, à l’aide de ses droits de tonnage, payait la majeure partie des frais du service consulaire commun. Actuellement ces frais sont partagés de moitié entre les deux pays.

Beaucoup de conflits d’intérêts qui ont surgi entre les deux royaumes n’étaient pas faits pour fortifier l’Union, et, suivant l’opinion des Norvégiens, ils se renouvelleront sans cesse, tant qu’une communauté consulaire, qui n’a plus de raison d’être, n’aura pas été supprimée. A cet égard, le fait que le ministre des Affaires étrangères suédois, directeur depuis 1858 du service consulaire commun, se trouva, après la modification introduite, en 1885, dans la loi fondamentale, absolument dépendant du parlementarisme suédois, eut une importance capitale ; par ce fait, la prépondérance dans la direction des Affaires étrangères communes aux deux royaumes, passa entièrement à la Suède.

Après avoir, en vain, essayé de rétablir par des négociations, l’équilibre ébranlé par la modification suédoise de 1885, le principe d’un service consulaire norvégien distinct fut adopté en Norvège à partir de 1891.

Un comité norvégien, créé pour l’étude de cette question, déclara en 1891, à l’unanimité, entre autres, que les intérêts maritimes et commerciaux du pays exigeaient que la direction absolue de son service consulaire lui appartînt et, d’autre part, la nomination de citoyens norvégiens aux postes les plus importants de cette carrière. Plusieurs votes émis par le Storthing, conformément au rapport de ce comité sur la création d’un service consulaire norvégien distinct, restèrent cependant sans effet, le roi refusant toujours, en s’appuyant sur l’opinion de la Suède, de les mettre à exécution.

De là, résulta en 1892, une première crise ; le ministère ne voulant accepter la responsabilité du refus opposé par le roi à ces diverses résolutions de la Chambre, offrit sa démission. L’affaire fut remise. En 1893, nouvelle crise, provisoirement arrêtée par la démission du ministère et par la formation d’un nouveau cabinet. Mais le Storthing accueillit ce gouvernement par un vote de méfiance et renouvela ses votes concernant la création d’un service consulaire distinct. Le roi refusa sa sanction à ces décisions, et la situation devint très critique en 1895, lorsque le roi fit rester au pouvoir, pendant neuf mois, le ministère norvégien qui, à la suite du résultat des élections générales avait demandé à se retirer, quoique ce ministère ne pût pas prendre la responsabilité des complications qui était survenues. En même temps se produisit en Suède un fort mouvement en faveur « d’une révision forcée », au bénéfice de la Suède, du traité de l’Union en entier, par conséquent en faveur d’une intervention avec emploi de la force armée.

Afin d’éviter une rupture, le Storthing décida l’ouverture de négociations avec la Suède, tant au sujet de la question du ministre des Affaires étrangères que de celle du service consulaire.

Un comité, composé de membres choisis dans les deux pays, fut fondé et travailla jusqu’en 1898. Les membres de ce comité ne tombèrent pas d’accord, et se divisèrent en quatre fractions, deux suédoises et deux norvégiennes. Les négociations échouèrent surtout à cause de l’opposition faite par les membres suédois à la prétention unanime de la Norvège, de posséder un service consulaire distinct.

Ensuite la question de l’Union entra dans une période plus calme qui se prolongea jusqu’en 1902. À cette époque, sur l’initiative de la Suède, et notamment de M. Lagerheim, ministre des Affaires étrangères, on décida la création d’un comité commun chargé de discuter, au point de vue administratif, la question de la création de services consulaires distincts, sans s’occuper de la question des Affaires étrangères, par conséquent dans les mêmes conditions que l’avait voulu le Storthing.

Les membres norvégiens du comité furent M. Ibsen, plus tard ministre d’État, et M. W. Christophersen, consul général à Anvers ; les membres suédois furent M. Bildt, actuellement ministre à Londres, et M. Ameen, consul général à Barcelone.

À l’unanimité, ils arrivèrent à ces conclusions :

« Il est possible de nommer des consuls norvégiens spéciaux, ressortissant exclusivement de l’autorité norvégienne, et des consuls suédois spéciaux, ressortissant exclusivement de l’autorité suédoise. Toute immixtion de la part du ministre des Affaires étrangères dans la direction du service consulaire norvégien cessera, excepté pour ce qui concerne l’obtention de l’exequatur ; de même son autorité disciplinaire vis-à-vis des consuls norvégiens n’existera plus. Ces fonctions sont transmises à un ministère du gouvernement norvégien, qui forme la direction consulaire norvégienne. »

Tel était le rapport unanime du comité, signé par des hommes spécialement désignés pour examiner la question.

Le comité donnait, en outre, de nombreux préceptes sur la façon dont devraient être réglés les rapports entre le service consulaire et le ministre des Affaires étrangères ; ils assuraient une collaboration entièrement satisfaisante entre la diplomatie et le service consulaire, sans qu’il existât entre eux de rapports hiérarchiques de supérieurs à subordonnés et sans qu’il fût porté atteinte à l’autorité légitime ou du ministre des Affaires étrangères ou de la direction consulaire nationale.

En se basant sur les résolutions du comité, des négociations furent ensuite menées entre certains membres des ministères norvégien et suédois. Elles conduisirent à une entente formulée dans un document en date du 24 mars 1903, où les négociateurs suédois déclaraient, entre autres choses : « On a trouvé qu’il n’est pas impossible, sous certaines conditions, d’organiser un système avec des consuls distincts pour chacun des royaumes, système qui, tout en satisfaisant les désirs exprimés du côté norvégien, semble pouvoir écarter des hésite tâtions éprouvées du côté suédois. » Il était déclaré de plus dans ce document que les négociateurs suédois croyaient « pouvoir conseiller un règlement de la question en adoptant les bases suivantes :

« 1. Il sera créé des services consulaires séparés pour la Suède et pour la Norvège. Les consuls de chacun des royaumes ressortiront de l’autorité qui, dans leurs pays respectifs, aura été désignée à cet effet.

« 2. La situation des consuls distincts vis-à-vis du ministre des Affaires étrangères et des Légations sera réglée par des lois de même teneur, qui ne pourront être modifiées ni abrogées sans l’assentiment des autorités d’État des deux royaumes. »

Cette entente fut signée par M. Boström, président du Conseil suédois, M. Lagerheim, ministre des Affaires étrangères, M. Blehr, président du Conseil norvégien, ainsi que par plusieurs autres ministres.

Elle fut généralement accueillie avec une grande satisfaction en Norvège, où l’on fit tout son possible pour assurer aux négociations qui allaient être poursuivies un bon résultat. Deux des membres du gouvernement norvégien d’alors durent se retirer parce qu’ils n’étaient pas d’accord au sujet de l’entente. Comme l’on craignait que d’autres membres du gouvernement ne lui témoignassent aussi une certaine froideur, il se forma, aux élections de l’automne 1903, une nouvelle majorité, d’où sortit un nouveau gouvernement tout à fait favorable aux négociations, avec M. Hagerup, leader du parti conservateur, comme président du Conseil.

En Suède, au contraire, l’entente ne fut pas accueillie avec la même satisfaction, et c’est ce qui explique pourquoi le gouvernement suédois et spécialement son chef, montrèrent de moins en moins d’empressement à arriver à une convention définitive.

Le document du 24 mars 1903 fut, au mois de décembre, approuvé par le roi, en présence et sur le conseil des gouvernements des deux pays, qui furent chargés de poursuivre les négociations sur les bases ainsi données. On devait élaborer pour le service consulaire séparé, un projet d’organisation et un projet de budget qui purent être présentés aux Assemblées nationales en même temps que les lois se rapportant à cette question. Conformément à ce plan, ces projets furent élaborés en Norvège par un comité institué à cet effet, et furent terminés 31 décembre 1904. Par contre, je ne sache pas que clés mesures correspondantes aient été prise en Suède.

Le gouvernement norvégien présenta en mai 1904, un projet de loi de même teneur, en complète harmonie avec l’entente provisoire de mars 1903. Dans ce projet les rapports entre les consuls spéciaux, d’une part, et la direction des Affaires étrangères et des Légations, d’autre part, étaient réglés par une série de dispositions. Telles sont celles qui établissent : « que les consuls spéciaux, dans les affaires qui ont pris ou que l’on suppose devoir prendre un caractère diplomatique, seront tenus de répondre aux demandes de renseignements et aux invitations que leur fera à ce sujet le ministre des Affaires étrangères : que, d’une manière générale, le consul ne doit pas entrer en rapport avec les autorités centrales, notamment avec le ministre des Affaires étrangères, du pays où il est nommé, règles qui limitent strictement l’activité des consuls, tout en en remettant le contrôle à une autorité norvégienne.

Le gouvernement suédois évita longtemps de répondre directement à cette proposition ; mais, entre temps, le ministre des Affaires étrangères, M. Lagerheim, promoteur et principal soutien des négociations du côté suédois, fut obligé, par suite des agissements du chef du ministère suédois, de donner sa démission. Le président du Conseil, M. Boström, prit alors en main les négociations, et en novembre 1904, six mois après que le projet norvégien avait été présenté, il produisit un exposé des principes qui devaient servir de base, et dans lequel il émettait toute une série d’exigences absolument contraires à ce qui avait été convenu.

Dans sa réponse à ce sujet, au chef du ministère suédois (26 novembre 1904), le ministre d’État norvégien, M. Hagerup, docteur en droit, dit, de l’une de ces exigences, que « suivant les principes ordinaires de droit public et international, elle imprimerait à la Norvège la marque d’un état vassal », et « qu’au point de vue national, elle serait un grand pas en arrière, en comparaison de l’organisation actuelle du service consulaire ».

En décembre 1904, la majorité des membres du ministère suédois présenta un nouveau projet de loi ; mais M. Boström ne s’y rallia pas, ne voulant pas abandonner le point de vue auquel il s’était placé et dont nous avons parlé. On comprendra aisément, que, sans même tenir compte du contenu de la proposition, le fait seul que le président du Conseil suédois, l’homme politique le plus puissant de son pays, déclarait être absolument opposé à la proposition de négociations qu’il faisait lui-même aux Norvégiens, au nom du gouvernement, devait rendre toute entente très difficile. De plus, le projet de loi suédois contenait aussi toute une série d’exigences inacceptables pour la Norvège, car elles étaient en contradiction avec les bases adoptées pour les négociations et avec leur but.

Le gouvernement norvégien, dans la réponse qu’il fit à ce sujet, déclara que le projet contenait au moins six articles qui apportaient dans la question « des considérations toutes nouvelles, une série de prétentions qui, si elles avaient été émises et maintenues à une époque antérieure, auraient fait renoncer à la pensée d’arriver à une entente réciproque ». — Au sujet de ces articles, le gouvernement norvégien déclare en outre qu’ils sont manifestement inacceptables « parce qu’ils sont contraires à la Constitution de la Norvège ou à ce que l’on réclame dans ce pays du contenu et des formes de la souveraineté, parce que aussi, on n’atteint pas par là le but que l’on se proposait en engageant les négociations, c’est-à-dire, pour employer les propres expressions des négociateurs suédois « qu’il sera créé des services consulaires distincts pour la Suède et pour la Norvège. Les consuls de chacun des royaumes ressortiront de l’autorité, qui, dans les pays respectifs, aura été désignée à cet effet. » Si la proposition suédoise avait été acceptée, le service consulaire norvégien aurait été, dans une large mesure, subordonné au ministre des Affaires étrangères, qui est un ministre constitutionnel suédois.

Lorsque le ministère norvégien fit savoir que le projet de loi suédois était inacceptable, le ministère suédois répondit en déclarant qu’il était obligé de maintenir les parties essentielles de ces stipulations, et que la Suède ne désirait continuer les négociations que si le ministère norvégien consentait à modifier sa manière de voir.

Aussi les négociations furent cette fois encore interrompues sans avoir donné de résultat. La Norvège, depuis l’entente provisoire, avait fait preuve d’une grande bonne volonté à négocier et du désir ardent d’arriver à un accord. Le ministère suédois, au contraire, ne se prêtait plus volontiers à la dissolution de la communauté consulaire, selon les bases établies par le document du 24 mars 1903 et approuvées par un acte politique du roi ; il faisait dépendre la création d’un service consulaire norvégien distinct d’un certain nombre de nouvelles conditions et restrictions, dont l’acceptation par la Norvège aurait équivalu à un renoncement à la souveraineté nationale.

Dès la réception de la réponse suédoise, le ministère norvégien fit savoir qu’elle ne pouvait donner lieu à aucune déclaration ultérieure de sa part.

En reconnaissant l’influence fatale que cette dernière rupture des négociations a exercé sur r Union, on a essayé dans certains milieux en Suède de donner aux faits l’apparence que les négociations turent interrompues par le gouvernement norvégien. D’après ce que nous venons de voir, cette prétention semble déjà bien vaine, mais elle devient absolument fausse après les révélations qui viennent d’être faites par le plus habile parlementaire de la Suède, M. Adolf Hedin, pendant nombre d’années député de la capitale de la Suède au Riksdag (diète) et le vétéran des membres du Riksdag suédois. M. Adolf Hedin déclara, il y a peu de temps, dans un discours public, que ce n’était pas à la fin de l’année dernière qu’il devint évident pour ceux qui étaient au courant de la situation en Suède, que les négociations échoueraient, mais que cela était considéré par eux comme inévitable dès le printemps précédent.

Cela est si vrai que le ministre des Affaires étrangères, M. Lagerheim, qui, jusqu’alors, avait mené d’une manière si heureuse les négociations avec la Norvège, laissa comprendre à ce moment à certaines personnes qu’il valait peut-être autant qu’il se retirât immédiatement. « Je puis ajouter, dit M. Adolf Hedin, que le projet absolument définitif qu’il avait préparé, n’a été soumis à aucun examen. » La preuve en est que déjà au printemps, il avait été décidé par M. Boström que les négociations seraient réduites à néant ; c’est ce qui obligea M. Lagerheim à démissionner. « Mais, continue M. Adolf Hedin, cela ne diminue pas les mérites du ministre des Affaires étrangères qui s’est retiré, et cela ne diminue pas non plus les mérites des membres du ministère norvégien avec lesquels il entretint ces négociations sans aucun doute bien difficiles. C’est à eux que revient la gloire d’avoir mené les négociations au point où elles en étaient arrivées. Et d’après tout ce que j’en sais, ce qui restait à accomplir, semblait infiniment simple en comparaison des difficultés que l’on avait surmontées. »

Tel est le jugement que porte sur M. Boström, et sur sa façon d’interrompre les négociations, l’éminent parlementaire suédois, de l’avis de tous, l’homme politique le plus habile de la Suède.

Quand M. Boström, il y a peu de temps, fut obligé de donner sa démission, le principal organe du parti de la première Chambre en Suède, le « Nya Dagligt Allehanda », publia, le 9 avril 1905, un article sur M. Boström qui donne une très juste idée de l’opinion suédoise dans ce groupe. Il y est dit, entre autres : « M. Bostrôm et ses collègues firent ressortir la corrélation indissoluble qui lie la question des consulats à celle de la direction des Affaires étrangères. La faute et la méprise qu’il commit furent de se laisser un moment déterminer par les Norvégiens à faire dévier son point de vue primitif ; c’est ce qu’exprimait le communiqué de mars 1903. Mais il répara essentiellement sa faute en reprenant, à temps, et avant qu’il fût trop tard, son ancien point de vue, le seul qui soit exact. Les Norvégiens ayant refusé de traiter la question de la direction des Affaires étrangères conjointement avec la question des consulats[3], il en résulta que M. Boström fut nécessairement amené — malgré l’excessive indignation des Norvégiens — à exiger la subordination des consuls spéciaux au ministre des Affaires étrangères suédois. »

Ce langage du principal organe des classes aristocratiques en Suède prouve donc qu’il reconnaît sans honte, que la manière d’agir de M. Boström, en 1904, était ouvertement une rupture à une entente, ou, comme il l’exprime, « un retour à son ancien point de vue ».







  1. Afin d’expliquer comment la Norvège n’a aucun droit de posséder des consuls spéciaux, il a été soutenu en Suède (par exemple, par le Dr  Sven Hedin, dans le Times du 1er avril 1905), que cela doit être dû à un « oubli » si les dispositions concernant les consuls ont continué à figurer dans la loi fondamentale après la fondation de l’union. Mais cet argument contient en lui-même un véritable aveu que, telle qu’elle existe en réalité, la loi fondamentale donne à la Norvège le droit d’avoir un service consulaire distinct, et, suivant la pratique ordinaire du droit international, on juge de la validité d’une loi, d’après ce qui se trouve écrit, et non pas d’après ce qui aurait pu être écrit.

    On a même cité, à l’appui de cette prétention qu’il y avait eu « oubli », une autorité norvégienne, M. le professeur Aschehoug ; mais les faits historiques sur lesquels M. Aschehoug, à l’époque, n’a pas porté son attention, prouvent directement que cet argument est inexact. En effet, on désirait, en 1814, du côté suédois, que l’un des articles qui contiennent des dispositions relatives aux consuls, fût modifié ; mais quand les Norvégiens demandèrent ce qu’on visait par là, l’article fut maintenu dans sa forme primitive. L’argument de l’oubli se trouve donc absolument anéanti, et de même la prétention que les négociateurs de 1814 et 1815 seraient partis de ce point de vue, qu’il allait sans dire que le service consulaire serait commun.

  2. On semble s’en rendre compte de plus en plus en Suède. L’ex-ministre des Affaires étrangères, M. Lagerheim, déclara dernièrement dans une réunion en Suède, cette dénonciation du traité du commerce, appelée « mellemrigslov » comme la plus grande faute de la politique unionnelle suédoise.
  3. Dans l’entente provisoire du 24 mars 1908, il avait été établi et reconnu par les deux gouvernements, comme base formelle des négociations, que celles-ci ne concerneraient que l’organisation du service consulaire, et que la question de la direction des Affaires étrangères serait tenue à l’écart, comme n’étant pas encore mûre pour être résolue.