La Norvège et l’Union avec la Suède/03

Traduction par Gabriel Rouy.
Société d’édition et de publication (p. 23-28).

iii

l’acte d’union


L’Acte d’Union (Rigsakt) forme la base juridique de l’union des deux royaumes et, d’après ses déclarations, il contient « les conditions de la réunion décidée entre la Norvège et la Suède sous un seul roi, mais avec des lois spéciales de gouvernement ». La Suède ne peut pas exiger que la communauté soit plus étroite, la Norvège ne peut pas prétendre à la restreindre. L’Acte d’Union implique un régime d’égalité absolue entre les deux États où, comme le déclare l’adresse unanime du Storthing au roi en 1860 : « La base établie par l’Acte d’Union est l’égalité de droits des royaumes et la libre disposition de chacun d’eux dans les matières qui ne sont pas spécifiées comme unionnelles. »

Dans la lettre du 12 avril 1815, jointe à l’envoi à la Diète suédoise du projet d’Acte d’Union, Charles-Jean, agissant au nom du roi de Suède, dit, entre autres choses :

« Lorsque deux peuples se soumettent volontairement à un même gouvernement, il importe d’écarter, avec le plus grand soin, tout ce qui pourrait créer une différence dans leurs rapports avec le souverain commun. Autrement l’union sera brisée tôt ou tard, et l’un des peuples ne tardera pas à opprimer l’autre, ou bien il arrivera que leur séparation violente engendrera, dans les esprits, le germe de dissentiments amers, qui éloigneront ces peuples l’un de l’autre pour des siècles…

Pour atteindre ce but, fonder une puissance scandinave avec deux peuples longtemps ennemis, et faire progresser la confiance réciproque et l’amitié sincère, il faut, lorsqu’on fixera les droits communs aux deux peuples, établir une complète égalité entre eux, sans tenir compte du chiffre de la population ni de la productivité des deux pays…

Si, dans un des royaumes, le nombre des habitants l’emporte considérablement, cet avantage est d’ailleurs contrebalancé par la situation naturelle de l’autre pays favorable à sa défense, et comme on ne doit pas avoir pour intention que l’un ou l’autre des deux peuples s’arroge une appréciation arbitraire des décisions de l’autre, Sa Majesté s’est crue, pour plusieurs raisons, autorisée à reconnaître le principe d’une égalité parfaite entre les deux pays, dans toutes les questions concernant leur commun gouvernement. »

Ces citations font à merveille entrevoir de quelle façon le pouvoir royal suédois interprétait l’union. De son côté, la Diète suédoise ne se borna pas à l’approbation du projet d’Acte d’Union préalablement voté par le Storthing norvégien ; elle reconnut encore expressément « le principe d’égalité », en déclarant que « les ordres du royaume ont reconnu la parfaite égalité entre les deux États. »

L’exorde de l’Acte d’Union définit son but : la défense de leurs communs trônes.

Dans l’exemplaire norvégien, l’article Ier est ainsi conçu : « La Norvège sera un royaume libre, indépendant, indivisible et inaliénable, uni avec la Suède sous un seul roi. La forme du gouvernement est celle d’une monarchie limitée et héréditaire. »

L’union est une alliance entre deux États souverains, égaux en droit, et a pour objectif leur communauté dans la guerre et dans la paix et dans la personne du roi. Les différentes clauses de l’acte ont pour but de formuler les divers détails de ce principe ; elles stipulent entre autres des prescriptions secondaires, en vue d’assurer la communauté dans la personne du roi ; elles fixent de même les mesures à prendre dans le cas où un roi serait incapable de diriger lui-même les affaires du gouvernement.

L’article 4 stipule les importantes fonctions d’État dont sera investi le roi : déclarer la guerre et conclure la paix, contracter et rompre les alliances, envoyer et recevoir des ambassadeurs. Les deux royaumes se sont donc engagés par traité, chacun pour ce qui le concerne, à laisser au roi l’exercice de ses fonctions.

Le même article détermine les conditions spéciales afférentes à la déclaration de guerre.

L’article 5 donne au roi la faculté de traiter les affaires communes en présence de membres des gouvernements des deux pays. Comme degré intermédiaire dans l’union, garantissant que son objet (communauté dans la guerre et communauté dans la paix) sera certainement atteint, il y a la communauté de la personne royale.

En dehors de la guerre, de la paix et de la personne royale, en dehors des corps constitués qui, le cas échéant, peuvent être appelés à remplacer la personne royale, l’Acte d’Union n’établit aucune communauté entre les deux royaumes. Il en découle donc que chacun d’eux a conservé intégralement son droit de libre disposition comme État souverain, dans toutes les autres affaires, qui ne se rangent pas dans celles visées dans les articles précédents.

L’Acte d’Union contient, ainsi qu’il a été dit, des préceptes pour l’expédition des affaires communes, mais il laisse à chacun des deux royaumes la liberté absolue de diriger ses autres affaires dans le sens qu’il croira être le plus favorable à sa prospérité.

Enfin, si l’on veut se rendre compte exactement combien l’union souscrite et l’acte qui l’a précédée, suppriment peu la souveraineté séparée des deux royaumes, il faut se rappeler que les deux puissances réunies en 1814, sous un même roi, étaient tout à fait étrangères l’une à l’autre, et qu’on n’a donc pas le droit de parler de « home rule » en Norvège. Ce qui existe en réalité, c’est la même situation réciproque et le même degré de communauté qui existeraient si, par exemple, l’Angleterre et la France s’entendaient un jour pour fonder une union défensive permanente, sous un même roi, tout en conservant chacune en ce qui la concerne, toutes ses autres institutions, et sans contracter aucune autre espèce de communauté : à qui viendrait donc l’idée de parler de « home rule », en Angleterre, si ce pays revendiquait son droit de libre disposition dans ses affaires particulières ?

Les Constitutions de la Norvège et de la Suède sont tout à fait différentes, et ne peuvent être appliquées que dans chaque pays pris séparément ; aucune de leurs dispositions n’est de nature contractuelle ou unionnelle ; cela n’empêcha d’ailleurs pas, comme nous le verrons plus tard, que les Suédois, en plusieurs circonstances, élevèrent des prétentions contraires.

Cependant le caractère non-unionnel des deux Constitutions est désormais absolument reconnu par les Suédois, les ministres suédois, ayant, à l’unanimité, au conseil mixte du 17 avril 1885 (composé de membres des ministères suédois et norvégiens), fait la déclaration suivante[1] : « La réciprocité que la Norvège a le droit de réclamer en échange de ce que la Suède a la disposition exclusive de sa Constitution Sur ce point comme sur tous les autres, consiste en ce que la Norvège a elle-même la disposition exclusive de sa Constitution dans tous ses points ».


  1. La Norvège et la Suède ont leurs gouvernements et leurs assemblées nationales séparés, basés partiellement sur des principes tout différents, leur armée et leur flotte séparées, l’administration des finances, des douanes, de la justice, des affaires militaires et ecclésiastiques, est différente aussi : il y a une frontière douanière entre les deux pays, etc., etc.