La Navigation aérienne - les Aérostats et les Aéronefs

La Navigation aérienne - les Aérostats et les Aéronefs
Revue des Deux Mondes2e période, tome 48 (p. 279-306).
LA
NAVIGATION AERIENNE

LES AEROSTATS ET LES AERONEFS

C’est un phénomène moral assez bizarre que ce soient toujours les mêmes utopies qui passionnent périodiquement le vulgaire, tantôt le mouvement perpétuel, tantôt la prédiction du temps. Aujourd’hui nous sommes témoins d’une recrudescence d’intérêt en faveur de l’aérostation et de la navigation aérienne, et il est superflu peut-être de rappeler à ce propos qu’il y a douze ans environ le public en France est resté pendant quelques mois sous l’empire des mêmes préoccupations. La direction des ballons, la locomotion aérienne, la conquête de l’air par l’hélice, ne sont ni des idées nouvelles ni des projets inédits. On ne peut même remarquer sans tristesse que la sympathie momentanée qu’obtiennent quelquefois les questions scientifiques a rarement pour objet les découvertes ingénieuses et intéressantes que nous voyons modestement éclore de temps en temps. Pour ne prendre que des exemples récens, quelle place ont tenue dans les conversations de chaque jour les brillantes expériences de MM. Kirchoff et Bunsen, qui ont décomposé la flamme du soleil et enrichi la chimie d’un procédé d’analyse excessivement délicat? On leur doit cependant, et les lecteurs de la Revue le savent, des notions exactes sur la nature de l’astre qui nous éclaire et la découverte de plusieurs corps nouveaux, tels que le thallium et le rubidium, dont la liste s’accroît chaque année. Quelle notoriété ont obtenue les travaux du docteur Duchenne, qui reproduit à volonté sur la figure humaine, au moyen de l’électricité, les indices de toutes les passions ? Les recherches patientes ne satisfont que les esprits sagaces qui veulent pénétrer au fond des choses, et sont un aliment médiocre pour la curiosité du plus grand nombre. Un inventeur n’excite quelque attention qu’autant qu’il flatte l’imagination en promettant des résultats exagérés. Naviguer à la hauteur des nuages, flotter dans l’air, quel rêve féerique ! Quel fantastique avenir que celui qui nous est promis par une découverte de ce genre ! Autre motif pour réussir, la plaisanterie trouve son compte en ces banales utopies aussi bien que l’imagination. Voler comme l’oiseau, pour les uns c’est la satisfaction d’un souhait téméraire, pour d’autres c’est un moyen d’éluder quelques exigences de notre état social, et par exemple de franchir sans encombre les lignes douanières les mieux surveillées.

Pendant la dernière période d’engouement qu’on a vu se produire en faveur de l’aérostation, l’histoire de cette découverte et des premiers voyages aériens a été racontée dans la Revue[1]. Il n’est pas inutile cependant de rappeler les débuts de la navigation aérienne en complétant le récit des ascensions anciennes par celui des ascensions plus récentes qui ont eu un caractère scientifique. Il sera bon ensuite de nous rendre compte des effets obtenus par l’emploi des ballons considérés comme agens de transport avant d’arriver à l’exposé de la navigation aérienne par l’hélice, que l’on propose aujourd’hui comme une découverte promise à un brillant avenir.


I

Presque tous les écrivains qui se sont occupés de l’origine des aérostats ne font remonter qu’à la fin du XVIIIe siècle les premiers essais de locomotion aérienne. L’invention des ballons date d’une époque plus éloignée. Dans les dernières années du XVIIe siècle vivait en Portugal un certain Gusmao, qui fit de brillantes études chez les pères de la compagnie de Jésus, et s’adonna surtout aux sciences physiques. Comme Galilée, qui découvrit les lois du pendule envoyant osciller un lustre dans une église, comme Newton, à qui la chute d’une pomme révéla les mystères de la gravitation, le jeune savant était sans doute un observateur patient et curieux. Un jour, de sa fenêtre, qui donnait sur un jardin, il vit un corps sphérique très léger, peut-être une bulle de savon, qui flottait dans les airs. Gusmao voulut produire en grand ce phénomène. Il construisit sans trop de succès un premier ballon qui voltigeait à peine, puis il perfectionna peu à peu son invention et réussit à produire un véritable aérostat. Cette découverte ne pouvait rester ignorée. Mandé à la cour, il vint à Lisbonne avec un ballon de grande dimension et s’éleva dans les airs, devant le palais du roi, en présence de Jean V, de toute la famille royale et d’une immense foule de spectateurs. L’ascension ne devait pas être longue; Gusmao n’atteignit que la corniche du palais, où le ballon, accroché par une fausse manœuvre, s’entr’ouvrit. Le principe était découvert; il ne restait qu’à recommencer avec plus de soin une seconde expérience. L’inquisition prit ombrage de cette merveilleuse découverte et ameuta le peuple contre l’infortuné Gusmao. On l’appelait par dérision « l’homme volant. » Obligé de s’expatrier pour échapper aux persécutions et aux jalousies que suscitait son génie entreprenant, il mourut dans l’exil en 1724 sans avoir pu donner suite à ses premières tentatives et sans même en laisser le secret à ses contemporains.

L’histoire de Gusmao, qui paraît n’avoir été connue en France que dans ces dernières années, n’eut assurément aucune influence sur les recherches des frères Montgolfier. Ceux-ci, après de nombreux essais, lancèrent à Annonay, le 5 juin 1783, un aérostat qui fut en France le premier spectacle de ce genre donné au public. La montgolfière se composait d’un globe en taffetas et papier verni qui portait une ouverture à sa partie inférieure. A une petite distance au-dessous était suspendu un panier en fil métallique où l’on plaçait le combustible, paille hachée ou papier. Le ballon se remplissait d’air échauffé, qui pèse moins que l’air froid, et, allégé d’autant, s’élevait en emportant avec lui le combustible enflammé qui entretenait la puissance ascensionnelle. Cette expérience eut un grand retentissement dans toute la France. Une souscription fut ouverte à Paris pour subvenir aux frais d’une nouvelle ascension, qui fut dirigée par Charles, célèbre professeur de physique du temps. Charles eut l’idée de remplacer l’air échauffé par le gaz hydrogène, que Cavendish avait découvert quelques années auparavant; beaucoup plus léger que l’air atmosphérique, ce gaz donnait au ballon, à volume égal, une force ascensionnelle plus considérable. Le peuple suivait ces travaux avec un enthousiasme indicible et assistait en foule au départ des aérostats. Cependant on n’osait pas encore confier une vie humaine aux frêles machines qui s’élevaient dans les airs. Quelques mois plus tard, Pilatre de Rozier et le marquis d’Arlandes firent ensemble le premier voyage aérien dans un ballon à air échauffé. Ils eurent bientôt de nombreux imitateurs malgré quelques accidens, dont le plus fameux eut pour victime Pilatre de Rozier lui-même.

Les savans avaient compris dès l’origine que les ballons pouvaient servir utilement aux progrès de la météorologie, en permettant d’observer dans les hautes régions de l’atmosphère les variations de la température, les oscillations de l’aiguille aimantée, l’intensité et la direction des courans d’air. Il devenait possible de saisir sur le fait le secret de la formation des nuages orageux, de la grêle et des autres météores. Les aérostats pouvaient encore être employés à la guerre pour faire des reconnaissances au-dessus d’une place assiégée, pour observer une armée ennemie au milieu de ses cantonnemens. Lorsque le professeur Charles donnait ses soins à la confection des premiers ballons, les aéronautes avaient trop peu d’expérience de leur art pour que l’on pût songer à faire dans l’atmosphère des observations météorologiques. Ce n’étaient encore que des voyages d’essai entrepris par curiosité. La première ascension scientifique fut faite par Boulton le 26 décembre 1784. Quelques années plus tard, en août 1804, Gay-Lussac et Biot s’élevèrent ensemble et recueillirent de nombreux renseignemens sur la physique de l’air. Un mois après, Gay-Lussac partit seul, atteignit une hauteur de 7,000 mètres, et en rapporta, dans des tubes vidés à l’avance, des échantillons d’air atmosphérique qu’il soumit dans son laboratoire à des analyses chimiques. En 1806, Carlo Broschi, astronome royal à Naples, voulut monter plus haut que Gay-Lussac : son ballon creva; mais ce qui restait d’air suffit heureusement pour amortir la rapidité de sa chute.

Depuis cette époque jusqu’à des ascensions beaucoup plus récentes, les ballons n’ont guère été qu’un accessoire aux fêtes publiques, un spectacle intéressant pour la foule, mais sans résultats utiles. Les voyages aériens ont aussi perdu en partie le caractère aventureux qui, pour certains hommes, en faisait le principal mérite et l’attrait. On cite des aéronautes qui se sont élevés des centaines de fois dans les airs. On ne s’est même plus contenté de la vulgaire gondole en osier où les voyageurs étaient relativement en sûreté. L’un d’eux s’élevait sur un cheval, comme un héros de la fable; d’autres se distinguèrent par l’étendue et la rapidité du parcours qu’ils accomplirent.

On peut s’étonner que de tant d’ascensions exécutées par tant d’hommes différens, il ne soit résulté ni perfectionnement dans les procédés aérostatiques, ni inventions propres à étendre les effets de cet art, ni applications utiles. Dès 1784, Charles avait déjà fait usage de la soupape pour faciliter la descente en vidant le ballon, et pris du lest, dont le déchargement l’allégeait et lui restituait sa force ascensionnelle. Il n’a rien été changé de notre temps à ce qui se faisait alors, si ce n’est qu’on a substitué, par raison d’économie, au gaz hydrogène le gaz d’éclairage, et que les aéronautes sont arrivés, par une longue expérience, à régler avec plus de sécurité les opérations dangereuses du départ et de l’arrivée. Ne serait-on pas tenté de croire, après tant d’années où les ballons ont joui de la faveur publique, qu’ils ne peuvent servir à rien et qu’on n’en doit rien attendre? A ne considérer pourtant que le côté scientifique de la question, la météorologie aurait beaucoup à profiter des expériences que l’aéronaute le moins instruit peut faire au moyen des instrumens les plus simples, le baromètre et le thermomètre. C’est à peine si l’on a pris soin d’étudier en certaines occasions la trajectoire, c’est-à-dire la courbe que décrit un aérostat depuis le point de départ jusqu’au moment où il redescend sur le sol. Il y a quelques années, des officiers du génie et de l’artillerie firent à Metz des observations de ce genre. Ils s’étaient placés en diverses stations sur la route que, d’après le vent régnant, le ballon était supposé devoir suivre, et ils purent en étudier la marche dans les airs de même que l’astronome étudie les mouvemens d’une planète. À ce point de vue, l’aérostation pourrait rendre d’utiles services pour les levées topographiques du terrain.

En juin et juillet 1850, MM. Barral et Bixio firent deux ascensions dont le but était principalement scientifique. Il s’agissait de monter aussi haut que possible pour étudier avec des instrumens perfectionnés une multitude de phénomènes encore assez mal connus, puis de déterminer suivant quelle loi la température s’abaisse à mesure que l’on s’élève, d’observer la décroissance de l’humidité de l’air, de décider si la composition chimique de l’atmosphère est la même à toutes les altitudes, si la proportion d’acide carbonique varie, de comparer les effets calorifiques des rayons solaires avec ces mêmes effets produits à la surface de la terre. Ces questions n’ont pas un intérêt purement théorique. Les renseignemens recueillis dans les hautes régions de l’air peuvent avoir une influence considérable sur les observations astronomiques et en particulier sur le calcul des réfractions, qui intéresse à la fois les astronomes et les marins. En dépit du froid et de l’état peu favorable de l’atmosphère, malgré d’autres accidens survenus, les résultats de ces deux ascensions ne furent pas sans intérêt. Le ballon traversa un nuage composé d’aiguilles de glace qui se maintiennent en l’air, contrairement aux lois apparentes de la pesanteur : c’est là un des faits les plus curieux constatés par la météorologie moderne. Les voyageurs virent briller au-dessous de leur horizon une image réfléchie du soleil qui était formée par la réflexion des rayons lumineux sur les faces horizontales de ces cristaux de glace flottant dans une atmosphère brumeuse. Ils remarquèrent aussi un prodigieux abaissement de la température dans les régions élevées. Gay-Lussac, qui avait fait sa seconde ascension par un temps serein ou plutôt légèrement vaporeux et avait atteint à peu près la même hauteur, n’avait vu son thermomètre descendre qu’à 9,5 degrés au-dessous de zéro. La même température de 9,5 degrés fut reconnue cette fois à 6,000 mètres d’élévation; puis, à partir de ce point et dans une étendue de 600 mètres à peu près, sans transition, le thermomètre varia d’une manière tout à fait extraordinaire, et descendit jusqu’à 39 degrés. Jusqu’alors on avait cru que la température de l’atmosphère décroissait progressivement, et s’abaissait assez régulièrement d’un degré environ par 200 mètres d’élévation. Cette théorie ne peut plus être admise. Il paraît certain qu’il y a dans les régions supérieures de vastes espaces soumis à un refroidissement exceptionnel, et qu’il existe en quelque sorte des nuages de froid. Il est facile de comprendre que la présence de ces nuages doit jouer un grand rôle dans tous les phénomènes météorologiques et influer gravement sur le climat des contrées situées au-dessous. L’étude en serait donc profitable et féconde en conséquences. Il ne serait pas moins intéressant d’analyser les causes qui produisent ces températures très basses. Les explorations aériennes de 1850, loin d’épuiser le sujet, n’ont fait qu’indiquer un champ plus vaste aux explorations futures.

Par malheur, il est rare que l’on trouve réunies chez le même homme toutes les qualités nécessaires pour assurer le succès d’une expédition de ce genre, l’intrépidité et le sang-froid de l’aéronaute, l’expérience et la sincérité de l’observateur. Aussi les ascensions si fréquentes de nos jours servent-elles rarement les progrès de la science. On a cependant si bien perfectionné les instrumens que les observations sont plus faciles, et que l’aéronaute le plus ignorant peut les enregistrer sans peine et sans embarras. A la place des baromètres et des thermomètres, qui ne donnent des indications précises que s’ils sont maniés par un expérimentateur habile, M. Regnault a construit des appareils avec lesquels il n’y a plus qu’à tourner quelques robinets en notant soigneusement l’heure. Tout voyageur pourrait recueillir dans les espaces célestes des renseignemens utiles, quand même il serait distrait par la nouveauté du spectacle ou occupé aux manœuvres du ballon. Ce serait ensuite l’œuvre du savant de discuter et d’interpréter dans son laboratoire les indications recueillies pendant le voyage. Si la faveur du public remet en vogue, comme cela paraît probable, les exercices aérostatiques, il est à désirer que les aéronautes fassent usage de ces instrumens perfectionnés, et que la météorologie retire, elle aussi, sa part dans les profits du spectacle.

Les dépenses d’une ascension scientifique sont trop considérables pour qu’il soit possible à un particulier de les entreprendre seul. Aussi ce sont presque toujours les corps savans qui en supportent les frais. En Angleterre, la Société royale de Londres était disposée depuis longtemps à faire de grands sacrifices pour favoriser les études aériennes. En l’année 1852, M. Welsh fit plusieurs voyages dans l’air sous les auspices de cette société. Portant principalement son attention sur les variations de la température, il reconnut que le thermomètre baissait d’abord en proportion de la hauteur depuis la surface du sol jusqu’à une certaine élévation, que le décaissement de la température s’arrêtait ensuite, et que dans un espace de 600 à 900 mètres le thermomètre restait presque au même point, et qu’enfin le refroidissement reprenait une marche persistante et régulière, quoiqu’un peu moins rapide que dans les parties basses de l’atmosphère.

Il y eut une longue interruption dans les expériences aérostatiques, qui ne furent plus reprises qu’en 1861. À cette époque, l’association britannique pour l’avancement des sciences institua un comité pour diriger les expéditions en ballon, vota les fonds nécessaires pour en couvrir les dépenses, et, ce qui est plus rare, elle eut le bonheur de rencontrer un physicien disposé à affronter les périls de ces explorations ; ce fut le directeur du département météorologique à l’observatoire de Greenwich, M. Glaisher. Ce savant était assisté de son fils, enfant de quatorze ans, de plusieurs officiers de l’armée anglaise, et surtout de M. Henry Coxwell, aéronaute habile, qui depuis vingt ans a exécuté près de cinq cents ascensions. Le programme des expériences à faire était à peu près le même que celui qui avait été dressé, onze ans auparavant, à Paris. Les études thermométriques et hygrométriques y tenaient encore avec raison la plus grande place.

M. Glaisher en est déjà à sa dix-huitième ascension. Le ballon dont il se sert cube 2,708 mètres et peut enlever six personnes jusqu’à 3,000 mètres de hauteur; mais on conçoit que cette élévation ne paraissait pas suffisante. Une fois, c’était le 5 septembre 1862, MM. Glaisher et Coxwell partirent seuls. Lorsqu’ils furent parvenus à une altitude de 8,700 mètres (la colonne barométrique ne marquait plus que 30 centimètres, et le thermomètre était descendu à 21 degrés au-dessous de zéro), M. Glaisher sentit qu’il perdait connaissance. Ses yeux troublés ne pouvaient plus lire les indications du baromètre. Bientôt il lui semble que le jour s’obscurcit, puis la nuit se fait entièrement pour lui. Il était une heure de l’après-midi. Le froid et l’extrême raréfaction de l’air avaient épuisé ses forces. Cependant le ballon montait, montait toujours. M. Coxwell, assis au-dessus de la nacelle pour manœuvrer les soupapes, sentait à son tour que le sentiment allait l’abandonner. Il perdait l’usage de ses mains gelées et devenues presque noires. Il est difficile de savoir au juste à quelle hauteur ils étaient arrivés; ils l’estiment à environ 11,000 mètres, peut-être avec quelque exagération. Les pigeons qui venaient d’être lâchés tombèrent comme des pierres dans cet air raréfié, où leurs ailes étaient trop faibles pour les soutenir. Les observateurs eurent le mérite cette fois de monter plus haut que n’était jamais monté aucun homme. Comme des voyageurs égarés dans un désert inconnu, ils s’étaient trouvés dans ces espaces mystérieux, sans humidité, sans air et sans chaleur, où les nuages ne peuvent même plus se soutenir et où la voix de l’homme s’éteint complètement.

De toutes ces expéditions poursuivies depuis deux ans il est résulté un grand nombre d’observations qui, sans résoudre complètement les problèmes relatifs à l’état de notre atmosphère, jettent néanmoins un grand jour sur des questions longtemps controversées. Ainsi il paraît certain que le thermomètre s’abaisse toujours rapidement tant que l’on n’a pas atteint les nuages; puis on traverse des couches d’air plus ou moins chaudes, qui peuvent avoir de 300 à 3,000 mètres d’épaisseur. Ce sont sans doute des courans atmosphériques qui viennent du sud et qui exercent une action dominante sur le climat d’une contrée. Pendant les 5 ou 6 premiers kilomètres, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on atteint la surface supérieure de la zone nuageuse, la succession des températures est donc très variable et n’est nullement conforme à l’ancienne théorie. Au-dessus des nuages, la température recommence à décroître, peut-être à décroître sans limites, jusqu’aux espaces planétaires, qui sont froids à un point que nous ne pouvons concevoir. Les rayons du soleil traversent ces régions glacées sans s’y arrêter et sans y rien laisser. En présence de ces espaces vides que l’œil et la pensée peuvent seuls pénétrer et d’où la vie est à jamais exclue, on se demande involontairement quel était le but du Créateur en laissant tant de place perdue dans la nature. M. Glaisher a traversé aussi, en plein été, des nuages de neige et de glace à une altitude d’environ 5,000 mètres. En outre il a pu remarquer plus d’une fois combien les sons produits à la surface de la terre remuent profondément l’atmosphère. Le sourd murmure de Londres s’entendait distinctement à 2 kilomètres de hauteur. Cependant tous les bruits ne paraissent pas également capables de traverser l’air : ainsi on percevait encore à 3,000 mètres les aboiemens d’un chien, et à 6,400 le sifflement d’une locomotive; mais les cris de plusieurs milliers de personnes ne pouvaient être entendus à 1,500 mètres d’élévation. Ajoutons que le savant anglais n’a pas négligé d’observer sur lui-même et sur les personnes qui l’accompagnaient les effets physiologiques produits par la raréfaction de l’air; mais sur ce sujet les résultats sont aussi variables que les tempéramens des voyageurs. Tantôt les battemens du pouls deviennent plus forts et tantôt ils deviennent plus faibles; chez quelques individus, ils s’accélèrent, et chez d’autres ils se ralentissent. M. Glaisher poursuit encore ses recherches et paraît s’occuper de faire tourner l’expérience qu’il a su acquérir en aérostation au profit des opérations militaires. Il est à désirer qu’il ait des imitateurs en d’autres pays. Le climat changeant de l’Angleterre et l’atmosphère agitée qui recouvre cette contrée ne sont peut-être pas très favorables aux observations dont il s’occupe. Il est probable qu’au-dessus des grandes plaines d’un continent on trouverait plus de fixité dans les élémens, et que les lois qui régissent les courans atmosphériques apparaîtraient avec plus de netteté.

Au moment où les frères Montgolfier venaient de produire en public leur merveilleuse découverte, quelqu’un demandait à Franklin à quoi serviraient les ballons. « A quoi sert, répondit-il, l’enfant qui vient de naître? » Ces paroles sentencieuses d’un homme de génie, que plus d’un inventeur voudrait exploiter en faveur de ses idées, pourraient se justifier par les services que les ascensions scientifiques rendent quelquefois à la météorologie. La science peut-elle à son tour perfectionner les aérostats et en faire des machines utiles? La question n’est pas nouvelle, et semble en ce moment plus que jamais à la mode. Il est donc à propos d’étudier ce qui a déjà été conçu, projeté ou essayé, pour satisfaire à un désir si général.

En 1850, alors que les essais aéronautiques étaient bien venus du public et encouragés par de nombreuses sympathies, les recherches des inventeurs paraissaient s’être dirigées vers la solution d’un seul problème. Diriger les ballons, tel était le vœu ou, pour mieux dire, telle était la préoccupation de tous. L’Académie des Sciences reçut pendant cette seule année vingt et un mémoires sur la navigation aérienne. On ne peut savoir en quoi consistaient ces projets, car, par un dédain que l’on s’explique aisément, l’illustre secrétaire perpétuel de l’Académie se bornait, en ces matières, à mentionner dans les comptes-rendus le nom de l’auteur et le but qu’il se proposait. Il aurait même voulu détourner les hommes sérieux de ces travaux, qu’il considérait comme chimériques. A l’occasion des nombreuses communications qui lui avaient été adressées depuis quelque temps, M. Arago fit observer, dans la séance du 25 novembre 1850, qu’un membre fort distingué de l’Académie des Sciences, Meusnier[2], avait depuis longtemps traité ce sujet d’une manière très remarquable et très complète. « Le mémoire de Meusnier, ajoutait-il, est resté manuscrit, et se trouve, dit-on, à la bibliothèque de l’École d’application de Metz. Il pourrait y avoir quelque utilité à le publier, ne fût-ce que pour prouver aux personnes qui croient découvrir de nouveaux moyens de locomotion aérienne que ce qu’il y a de plausible et de raisonnable dans leurs idées était déjà parfaitement connu et apprécié dans le siècle dernier. »

Cependant les projets se sont représentés en ces derniers temps plus nombreux et plus pressans que jamais. Il semblerait, à en écouter les auteurs, que le but sera bientôt atteint, et que l’auto-locomotion aérienne ne peut tarder à se réaliser dès qu’on s’en occupera sérieusement. — C’est une question, nous dit-on, qui touche l’humanité tout entière comme elle touche à toutes les sciences, qui est destinée à bouleverser les relations actuelles des peuples et des hommes, à effacer les frontières et rendre les guerres impossibles. Il faut que nous nous hâtions d’imiter l’oiseau comme nous avons imité le poisson, et que nous nous emparions sans plus tarder du champ infini des airs, qui nous appartient aussi légitimement que la terre et que l’eau, par droit de génie et de conquête ! L’homme ne doit pas se lasser de revenir à cette escalade sublime, malgré tant d’assauts infructueux, jusqu’à ce qu’il ait pénétré en maître et non plus en esclave dans le domaine des vents. Par malheur, ces expériences sont coûteuses, et les inventeurs sont forcés d’attendre que le public veuille bien payer les dépenses des premiers travaux. Pour ceux qui ne sauraient se laisser prendre aux promesses décevantes de l’imagination, il importe d’examiner d’abord non pas les résultats, mais les moyens dont on dispose pour les réaliser. Il est juste de convenir que quelques bons esprits se sont occupés de ces travaux. Si l’art aérostatique n’a pas encore reçu ces perfectionnemens qui sont l’indice d’un succès prochain, il faut néanmoins reconnaître que la question a été mieux posée. C’est un premier acheminement vers une solution.

En y réfléchissant bien, on se convaincra aisément que la direction des ballons n’est pas le seul problème aérostatique à résoudre. C’est peut-être même en ce moment l’un des moins importans, quoique ce soit le seul qu’étudient la plupart des inventeurs. Dans les voyages aériens dont les péripéties sont racontées avec tant de complaisance, quelle est la préoccupation constante des aéronautes? Ce n’est pas de marcher dans une certaine direction, d’avancer au nord plutôt qu’au sud ou de descendre à l’est plutôt qu’à l’ouest. Ils ne demandent qu’à s’élever et à se maintenir dans l’atmosphère le plus longtemps possible. Ils s’effraient des déchirures qui peuvent les précipiter à terre, des pertes de gaz accidentelles ou volontaires qui les forceront bientôt à redescendre. La porosité et la fragilité de l’enveloppe, l’endosmose du gaz de l’intérieur à l’extérieur du ballon, tels sont les inconvéniens auxquels il faut d’abord remédier. Quand même les ballons pourraient être dirigés dans les airs et suivre une course assignée d’avance, il n’est personne qui ne convienne que ces véhicules aériens n’attireraient pas encore beaucoup de voyageurs. Sauf quelques touristes intrépides, on penserait en général que la sécurité de ce mode de locomotion n’est pas assez complète.

Le premier homme qui eut l’idée de construire une barque et de s’abandonner au cours d’un fleuve eut plus de souci de rendre sa nacelle étanche que de savoir comment il la dirigerait. Avant d’inventer le gouvernail, il voulut empêcher que l’eau ne le submergeât. De même, en aéronautique, la première difficulté à vaincre serait d’assurer l’imperméabilité de l’enveloppe. Les tissus et la plupart des enveloppes flexibles tamisent le gaz, même quand ils sont recouverts de substances gommeuses ; ils coûtent cher et durent peu. Les peaux sont perméables, et la baudruche notamment, gros intestin du bœuf, que l’on emploie fréquemment à cet usage, offre les mêmes inconvéniens que la soie[3]. Le carton peut-être ou du moins le papier en feuilles superposées aurait l’avantage du bon marché, de la légèreté, de l’imperméabilité; mais il se rétrécit ou s’allonge par l’effet de l’humidité, et ne présenterait sans doute pas la résistance désirable. Quelques personnes ont pensé que les métaux en feuilles minces conviendraient mieux. En réalité, les gazomètres en tôle sous lesquels on conserve dans les usines le gaz d’éclairage ne sont que des ballons. Le poids serait-il un inconvénient ? Mais on produit aujourd’hui des feuilles minces de cuivre et de tôle qui ont à peine un ou deux dixièmes de millimètre d’épaisseur. Chacun a remarqué l’excessive minceur des feuilles d’étain qu’emploient certaines industries. Par malheur, le métal aplati par le laminage devient cassant, fragile, trop souple pour l’objet que l’on a en vue. Sous une épaisseur plus grande, il serait trop lourd. Il faut donc avouer que nous ne disposons d’aucune substance propre à faire un aérostat qui puisse rester gonflé pendant un temps très long. Tant que l’on n’aura rien découvert de mieux, les voyages aériens se borneront à un séjour de quelques heures dans l’atmosphère.

En dehors des utopies de certains hommes qui voudraient instituer sur une large échelle la navigation aérienne, il ne serait pas sans intérêt pour la science et peut-être pour l’agriculture que l’on arrivât à fabriquer des aérostats imperméables. Au siècle dernier, quelques années après que Franklin eut fait connaître que les pointes élevées préservaient de la foudre en neutralisant l’électricité atmosphérique, un magistrat français, de Romas, assesseur au présidial de Nérac, eut l’idée d’enlever pendant un orage un cerf-volant retenu par une corde métallique. Il en obtint des étincelles d’une grandeur surprenante, des lames de feu de plusieurs mètres de longueur. Ne pourrait-on renouveler cette grande et belle expérience au moyen d’un aérostat captif armé de pointes qui, montant beaucoup plus haut que les cerfs-volans, dépasserait de quelques centaines de mètres la couche atmosphérique où s’arrêtent d’ordinaire les pointes terminales des paratonnerres, et soutirerait l’électricité nuisible au sein même des nuages orageux? Frappé des désastres que produit la grêle, dont la formation paraît intimement liée à la présence de fortes charges électriques, Arago aurait voulu tenter une expérience si intéressante pour la richesse agricole du pays. Il supposait que par ce système on ferait avorter les plus violens orages. L’aérostat paragrêle devrait séjourner indéfiniment dans l’atmosphère; il est donc indispensable qu’il soit inaltérable par l’air qui l’environne et imperméable au gaz qu’il contient. Une enveloppe métallique pouvait seule convenir. M. Marey-Monge entreprit de faire construire pour cet usage un ballon de dix mètres de diamètre en minces feuilles de laiton. La tentative n’eut aucun succès, et servit seulement à démontrer à l’auteur qu’il était inutile de persévérer dans cette voie.

La nature de l’enveloppe n’est pas la seule question qu’il soit prudent d’étudier dans la fabrication des aérostats. Le gaz que l’on y renferme mérite aussi quelque attention. On n’a fait usage jusqu’à ce jour que de trois gaz différens : l’air échauffé, l’hydrogène et le gaz d’éclairage. L’invention première des frères Montgolfier consistait, on s’en souvient, en un ballon percé d’un orifice inférieur au-dessous duquel était suspendu un réchaud allumé. Ce procédé présentait le précieux avantage que le gonflement s’opérait en quelques minutes et sans dépense appréciable; mais, si d’un côté il y avait économie de temps et d’argent, il faut avouer que la force ascensionnelle était faible et que le poids du combustible surchargeait inutilement la nacelle. La densité de l’air échauffé à 10 degrés est de 0,96, c’est-à-dire que l’air ne perd à cette température que 4 pour 100 de son poids. Il fallait donc que l’appareil eût de grandes dimensions. Eh outre il est à considérer que le feu allumé au-dessous d’une étoffe inflammable était un danger permanent; aussi l’emploi en fut-il interdit par ordonnance de police sous la restauration pour les ascensions qui étaient opérées dans les fêtes publiques. Ce danger ne serait plus à craindre maintenant que l’on sait rendre les tissus incombustibles au moyen d’une dissolution de sels alcalins.

Le carbure d’hydrogène, vulgairement appelé gaz d’éclairage, que l’on prépare en grand dans toutes les villes importantes, ne pèse que 2 pour 100 en moins que l’air atmosphérique. Aussi ne donne-t-il au ballon qu’une force ascensionnelle très faible, qu’il faut accroître en augmentant le volume de l’enveloppe. Cependant les aéronautes de profession en font toujours usage. Il a pour eux l’avantage d’être à bon marché et de se trouver toujours tout fabriqué. D’ailleurs l’aérostat des fêtes publiques, n’ayant pas besoin de s’élever très haut, n’exige qu’une faible puissance, et quant à l’excessive dimension de l’enveloppe, c’est un attrait de plus pour le spectateur.

L’hydrogène est préférable à tout autre gaz, grâce à sa faible densité, car, seize fois plus léger que l’air et que le gaz des manufactures, il fait perdre au contenu du ballon 94 pour 100 de son poids. On peut lui reprocher peut-être qu’en raison précisément de son extrême fluidité il filtre plus aisément à travers l’étoffe qui le retient. On objecte encore qu’il est d’un prix élevé : lorsqu’on ne fabrique l’hydrogène qu’accidentellement, en vue par exemple de gonfler un seul ballon, ce gaz coûte environ dix fois plus cher que celui qui est fabriqué dans les usines pour l’éclairage. Il faut remarquer cependant que l’industrie se perfectionnerait, s’il en était demandé de plus grandes quantités. On peut se rappeler à ce propos qu’il y a quelques années il fut établi près de Paris une usine qui préparait l’hydrogène pour le chauffage et l’éclairage, et le livrait aux consommateurs à un prix assez modéré pour lutter contre les usines plus anciennes, qui ne fournissaient guère que des carbures d’hydrogène.

Lorsque les ingénieurs aéronautiques sauront fabriquer des ballons imperméables et les gonfler d’hydrogène à bas prix, ils auront déjà réalisé d’importantes améliorations, et cependant ils auront à peine effleuré les questions préliminaires de la locomotion aérienne. Il faudra encore s’occuper de la forme qu’il convient le mieux de donner à la machine pour qu’elle puisse résister au vent et fendre plus aisément l’atmosphère. Conservera-t-on la forme sphérique de nos ballons vulgaires? C’est peu probable, quoique cette forme ait l’avantage de contenir le plus grand volume de gaz avec une enveloppe la plus petite possible. En général les corps destinés à pénétrer un milieu présentent une pointe ou une arête qui fend le corps à pénétrer, un renflement dont l’épaisseur dépend de la longueur totale, puis une extrémité arrondie. Telle est la forme des oiseaux dans l’air, des poissons dans l’eau, des navires dans la partie immergée, des balles cylindro-coniques que lancent les nouvelles armes perfectionnées. Les aérostats devront sans doute se conformer à ces lois communes à tous les corps flottans. Remarquons encore que la pression du gaz intérieur ne doit pas être sensiblement supérieure à la pression de l’air qui l’entoure, car, s’il en était autrement, l’enveloppe serait trop tendue et pourrait éclater. Aussi les aéronautes qui s’élèvent dans les couches supérieures de l’atmosphère, où la pression s’affaiblit d’autant plus que l’altitude est plus grande, ont-ils soin de gonfler partiellement leur ballon au départ ou d’ouvrir de temps en temps la soupape, afin que le gaz intérieur, trop comprimé, puisse s’échapper au dehors. Supposons toutes ces conditions remplies et tous ces perfectionnemens réalisés. C’est affaire de chimiste et de mécanicien; on peut admettre que ces problèmes ne sont pas insolubles. Il reste à voir quel service il sera possible d’obtenir d’une machine bien gonflée, bien légère, bien close : sera-t-elle capable de monter et de descendre à la volonté de celui qui la gouvernera? Suivra-t-elle la route que son pilote voudra lui imposer? Pour faire un raisonnement d’un usage fréquent dans la mécanique, décomposons la course aérienne d’un ballon en deux mouvemens : l’un dans le sens vertical, de bas en haut ou de haut en bas; l’autre dans le sens horizontal, dans la direction du but que l’on se propose d’atteindre. Si les ressources dont nous disposons permettent d’imprimer à l’aérostat l’un ou l’autre de ces mouvemens à volonté et successivement, il est clair que toutes les routes de l’océan atmosphérique seront ouvertes au navigateur.

Les aéronautes n’ont jamais eu qu’un procédé pour descendre : c’est d’ouvrir la soupape placée au sommet du ballon et de laisser le gaz s’échapper jusqu’à ce que la machine ait perdu l’excès de force ascensionnelle dont ils veulent se débarrasser. Veulent-ils remonter, ils jettent une partie de leur lest et redeviennent plus légers. Ce sont des moyens héroïques qui ne seraient pas admissibles dans un voyage au long cours, puisque la quantité de gaz et de lest dont on dispose est très limitée. Les inventeurs ont proposé plusieurs moyens de produire le même effet sans rien perdre de ce que l’on emporté. Tous ces moyens ont quelques avantages et beaucoup d’inconvéniens. Pilatre de Rozier perdit la vie dans un essai de ce genre, précipité sur les rochers de Boulogne. Il eut l’idée, assez heureuse en principe, mais téméraire dans l’application, de suspendre au-dessous de l’aérostat à gaz hydrogène qui l’enlevait un second ballon à air chaud, une véritable montgolfière de petite dimension, dont il pouvait régler le feu à volonté sans quitter la nacelle. Cette montgolfière, lorsqu’elle était chauffée, donnait à l’appareil tout entier un surcroît de puissance ascensionnelle et le faisait monter. Pour descendre, Pilatre la laissait refroidir. Il est à croire qu’il ne s’était pas entouré de toutes les précautions que commandait la prudence. Le feu prit à la montgolfière, fit détoner le réservoir de gaz inflammable qui était au-dessus; la nacelle, restée seule dans l’espace, retomba de tout son poids, et l’aventureux aéronaute périt dans la chute. Zambeccari, quelques années plus tard, voulut recommencer l’expérience; il eut aussi peu de succès, et succomba dans une troisième ascension par le même accident, après avoir couru de grands dangers les deux premières fois.

Meusnier, dont il a été question plus haut, proposait un procédé moins dangereux. Il voulait imiter la vessie natatoire du poisson, qui se gonfle ou s’affaisse au gré de l’animal, augmente ou diminue son volume, et par conséquent le rend plus léger ou plus lourd. L’effet que le poisson produit dans l’eau en comprimant ou en dilatant de l’air serait plus difficile à réaliser dans un milieu moins dense, tel que l’atmosphère. Il faudrait que la vessie eût des dimensions considérables. Aussi Meusnier donnait-il à son ballon une double enveloppe, et c’est dans l’intervalle qui les séparait qu’il refoulait de l’air au moyen d’une pompe placée dans la nacelle. Quoique aucune expérience n’en ait été faite, on peut douter que ce moyen soit d’une application pratique, car la manœuvre serait pénible et le résultat insuffisant. Le mouvement vertical ne s’opérerait qu’avec lenteur, ou peut-être même la puissance développée ne pourrait-elle faire équilibre aux autres forces qui tendent à faire monter ou descendre l’appareil. C’est du moins ce que le calcul semble démontrer. De plus, l’excès de tension donné au gaz intérieur pourrait être une cause de déchirure dans l’enveloppe. — D’autres encore ont proposé de comprimer le ballon lui-même au moyen d’un système de cordes que manœuvrerait l’aéronaute; mais il y aurait à craindre l’excès de tension et le frottement des cordes sur l’étoffe, qui l’userait sans contredit en un temps très court.

Enfin on a songé à employer une machine spéciale, roue à palettes, rames, pu toute autre qu’on peut imaginer, pour favoriser ou neutraliser alternativement, suivant les besoins, le mouvement ascendant du ballon. En 1847, le docteur Van-Hecke soumettait à l’approbation de l’Académie des Sciences un projet de ce genre dans lequel il faisait usage d’une hélice (l’application de l’hélice aux aérostats n’est donc pas nouvelle). On peut imaginer bien des dispositions de même nature, qui trouveraient une justification dans leur analogie avec la queue des oiseaux et des poissons. Ces idées sont-elles praticables ? Elles n’ont été, paraît-il, expérimentées que sur une petite échelle, et soulèvent une grave objection. Il faut un moteur à ces machines. Eu égard à la force considérable qu’il faut déployer, les bras de l’équipage seraient insuffisans ; il y aurait donc nécessité d’emporter avec soi un moteur inanimé, une machine à vapeur par exemple. Qu’on ne s’effraie pas trop à cette idée ; il sera aisé de montrer que, pour d’autres motifs, le progrès de l’art aérostatique n’est possible qu’à cette condition.

Sauf la vapeur, dont la puissance peut augmenter à l’infini, on n’a donc encore trouvé aucun moyen efficace pour accomplir cette première manœuvre aéronautique : monter et descendre à volonté[4]. Examinons maintenant si le mouvement horizontal du ballon est un problème d’une solution plus simple. L’analogie est grande entre la navigation horizontale dans l’air et la navigation maritime à la surface de l’Océan. De même que le bateau qui descend le cours d’un fleuve, le ballon peut se laisser entraîner par le fluide qui le porte et en partager le mouvement. De même aussi, il peut, à l’aide de moteurs artificiels, remonter le courant, si le moteur est assez puissant et que le courant ne soit pas trop fort.

Pendant plusieurs siècles, les hommes ont navigué sur l’Océan sans étudier ni connaître les vents et les courans qui pouvaient accélérer ou retarder leur voyage. On s’aperçut assez promptement que dans l’Océan-Indien il y a des vents constans à certaines époques de l’année, les moussons et les alizés, et les marins surent bientôt en profiter pour entreprendre leurs traversées dans la saison la plus favorable. Ils allaient du cap de Bonne-Espérance au Bengale en été, revenaient en hiver, évitant avec soin de tenir la mer pendant les équinoxes, époque à laquelle les deux moussons opposées luttent entre elles. Il fallut plus de temps pour reconnaître que la région équatoriale jouit d’un calme presque constant, et que par conséquent le navigateur qui ne veut pas s’attarder dans ces parages doit franchir l’équateur presque perpendiculairement pour être retenu moins longtemps dans les accalmies. Enfin, et ce progrès est de notre époque, on reconnut que pour chaque traversée il y a une route particulière qu’il est préférable de suivre ; .par exemple, des États-Unis en Europe, on vogue directement de l’ouest à l’est parce que le vent et le courant poussent également dans ce sens, tandis que, pour retourner d’Europe en Amérique, il faut se rapprocher de la zone tropicale et chercher bien loin vers le sud une brise favorable.

Les plus modérés parmi ceux qui rêvent la navigation aérienne, se défiant des machines, se contenteraient d’imiter la marine à voiles, et projettent d’utiliser le vent pour la direction de leur appareil. L’atmosphère a-t-elle donc aussi sur la terre ces vents constans qui rèégnent à la surface des océans ? Au premier abord, il semble qu’il n’en soit rien. Les courans d’air terrestres, déviés à chaque instant par les montagnes, les villes, les forêts, perdent la régularité qui leur est propre au-dessus de la plane étendue des mers. Cependant, en s’élevant plus haut que tous ces obstacles, il est à croire que l’on peut retrouver les courans constans, variables tout au plus d’une saison à l’autre. C’est un fait qui n’aura échappé à personne, que les aérostats qui s’élèvent de Paris se dirigent presque tous vers le nord-est. Ceci nous révèle un premier courant régulier dirigé du sud-ouest au nord-est. Puis, comme l’air ne peut toujours se diriger vers la même région, où il s’accumulerait indéfiniment, il doit y avoir plus haut encore un courant de retour dirigé du nord-est au sud-ouest. Le navigateur aérien devra donc traverser rapidement la première zone de l’atmosphère, où règnent les vents variables, et s’élever dans le premier ouïe second courant, suivant la route qu’il voudra faire. Quelques aéronautes ont eu assez de confiance dans ces vents réguliers pour oser s’aventurer au-dessus de la mer. M. Green partit de Londres, le 7 novembre 1836, avec deux compagnons de voyage, franchit la Mer du Nord pendant la nuit et reprit terre le lendemain matin à Coblentz, après avoir parcouru 800 kilomètres en dix-huit heures ; il avait navigué dans le courant inférieur. Le ballon qui fut lancé de Paris au couronnement de l’empereur Napoléon Ier, et qui vint s’abattre dans le lac Bracciano, en Italie, s’était sans doute élevé très haut, n’ayant pas de charge à porter, et avait pu profiter du courant supérieur. On cite même une ascension pendant laquelle l’aéronaute fut successivement entraîné par les deux courans superposés. M. Robertson, s’étant élevé à Lisbonne en 1822, faisait route au sud-est, et avait déjà franchi le Tage, lorsqu’il fit la remarque que les nuages situés au-dessus de lui marchaient en sens inverse. Il voulut retourner avec eux sur la ville; ayant jeté du lest, il atteignit en effet un vent de sens contraire, revint planer au-dessus de la ville et redescendit près de l’endroit d’où il était parti, en sorte que les mêmes personnes qui avaient été témoins de son départ purent assister à son retour.

En accordant aux aéronautes qu’ils rencontreront dans l’atmosphère des courans réguliers superposés et dirigés en sens contraire l’un de l’autre, nous n’entendons pas que la direction des ballons soit par cela même un problème déjà résolu. D’abord le vent supérieur ne sera pas toujours à la même hauteur; il faudra quelquefois l’aller chercher plus haut que ne le comporte la force ascensionnelle de l’aérostat. Puis le ballon ne peut s’avancer que dans le sens du vent ; il est incapable de faire toutes les routes du compas, comme un navire, depuis le vent arrière jusqu’au plus près ; il ne peut non plus courir des bordées et résister au fluide léger en s’appuyant sur un fluide plus dense. Est-ce d’ailleurs à la navigation à voiles, avec ses lenteurs, ses détours et ses incertitudes, que l’on veut nous ramener aujourd’hui? Évidemment non. On aurait compris l’opportunité de ces projets avant la vapeur et les chemins de fer ; mais ils ne sont plus de notre temps. Pour que la navigation aérienne se fasse accepter, il faut qu’elle soit créée d’une seule pièce toute perfectionnée sans passer par les degrés intermédiaires qu’a franchis la navigation maritime. Il faut dès le début appliquer la vapeur aux aérostats comme aux wagons et aux bateaux.

Sous quelle forme la vapeur manifestera-t-elle sa puissance? Mettra-t-elle en mouvement un gouvernail, des rames ou une hélice ? Ce sont des questions secondaires qu’il ne nous importe pas de traiter. Trouvera-t-on des matériaux assez légers, en même temps assez résistans, pour ces appareils aériens? La nature ne peut plus guider les inventeurs, car elle s’est refusée à créer des oiseaux d’une grande dimension. Les moteurs dont nous disposons aujourd’hui sont assurément mal appropriés aux besoins de la locomotion aérienne. Si l’on voulait employer la machine à vapeur, on aurait à craindre les dangers du feu, notamment par les étincelles qui sortent de la cheminée, et qui, rencontrant une fuite de gaz, pourraient en déterminer l’explosion. Cependant ce péril peut être écarté, si l’on prend soin d’envelopper l’orifice de cette cheminée avec une toile métallique à l’instar des lampes de mineur de Davy. La perte de poids due à la consommation du combustible présentera un autre obstacle qu’il sera peut-être aisé de surmonter. La plus grave objection gît dans le poids énorme dont la machine avec son charbon et l’appareil qu’elle doit mettre en mouvement surchargera la nacelle[5]. Il est clair que le perfectionnement projeté ne peut s’appliquer qu’aux aérostats gigantesques, infiniment plus grands que nos petits ballons capables de soulever deux ou trois hommes au plus. D’autres inventeurs ont proposé d’employer la machine à gaz Lenoir, qui est d’un poids moindre, qui dispense de chaudière, et supprime le feu ainsi que les dangers qui en résultent ; mais cette machine est encore d’un poids considérable et exige une abondante provision d’eau pour le refroidissement du cylindre. Tous ces obstacles ne sont pas insurmontables. Il suffit que la science n’indique aucune impossibilité à guider un ballon dans un air calme.

Supposons donc que l’on réussisse à installer dans la nacelle de l’aérostat un gouvernail ou une hélice directrice d’un effet certain et puissant : est-ce à dire que l’on aura découvert enfin la solution du problème? Pas encore, ou du moins la solution ne sera qu’incomplète. Le ballon sera dans les jours de tempête le jouet de l’atmosphère, comme le navire est le jouet des flots. Présentant une immense surface à l’action des vents, il se verra contraint de rester au port par le moindre zéphir qui fera rider la surface de l’eau : comme le roseau de la fable, tout lui sera aquilon. Qu’on en juge par un calcul bien simple : un tel ballon, s’il veut porter avec sa machine des passagers et des vivres, devra présenter une surface au moins aussi grande que la voilure d’un vaisseau de guerre. Or cette voilure, sous l’action de ce que les marins appellent une bonne brise, donne au navire la même vitesse que le ferait la machine à vapeur de 4 à 500 chevaux, son moteur en temps de calme. La machine de l’aérostat étant loin d’avoir cette puissance, tout ce que nous en pouvons attendre, c’est qu’il circulera assez lestement dans une atmosphère paisible, faisant quelques kilomètres à l’heure, décrivant des cercles ou des spirales aériennes. Ses voyages de circumnavigation auront pour limites le Champ-de-Mars ou tout au plus l’enceinte de Paris : spectacle curieux sans contredit, application ingénieuse de la science, mais résultat sans utilité et surtout sans valeur industrielle[6].

Au point où nous en sommes, il est possible de résumer en quelques mots les conditions qu’il reste à remplir pour réaliser la navigation aérienne par les ballons. Rendre l’enveloppe imperméable au gaz, gouverner dans le sens vertical, gouverner dans le sens horizontal, tels sont les trois termes du problème à résoudre. Aujourd’hui le meilleur aérostat ne conserve pas sa puissance ascensionnelle pendant quarante-huit heures, les mouvemens verticaux ne s’opèrent qu’aux dépens du chargement, la translation horizontale-se fait au gré des vents : tel est l’état de la question. C’est dire qu’on est aussi loin de la solution que l’étaient Montgolfier, Charles et les autres aéronautes des premiers jours. Tout est encore à créer. Les travaux de quelques centaines d’inventeurs, prolongés pendant près d’un siècle, n’ont produit aucune amélioration pratique, et cependant au nombre de ces inventeurs on compte quelques-unes des intelligences les plus fermes et les plus vigoureuses de notre époque, par exemple Monge et Meusnier, pour ne citer que ceux qui sont morts. Le problème est-il donc insoluble? Avant de conclure, il reste à examiner un dernier projet qui vient de se produire avec bruit, avec plus de bruit peut-être qu’il ne convient à un projet scientifique.


II

S’élever dans l’atmosphère sans être soulevé par un aérostat, monter et descendre, évoluer en tout sens, lutter contre les vents, traverser l’air avec la vitesse d’un projectile, tel est le but qu’on s’est proposé d’atteindre. « Le ballon est, dit-on, un obstacle à la navigation aérienne, c’est une bouée ou tout au plus un radeau. Une machine attelée à un ballon, c’est le mouvement associé à l’immobilité, c’est le vaisseau amarré dont on déploierait les voiles. Attachez un aigle à un ballon, le roi des airs captif, jouet des vents, traînant son boulet et traîné par lui tour à tour, essaiera en vain de lutter contre le moindre trouble atmosphérique. L’aérostat est devenu un obstacle, ou, pour mieux dire, un point de départ vicieux autour duquel s’égarent la plupart des chercheurs. L’aérostat est, comme l’étymologie l’indique, un corps flottant dans l’atmosphère, comme une vessie gonflée flotterait à la surface de l’eau. A sa place, nous voulons créer l’aéronef, littéralement navire aérien qui sera un appareil nageur s’élevant et se dirigeant par sa propre force. »

On connaît l’hélice; dans le moulin à vent, dans la turbine, dans le propulseur sous-marin, c’est toujours l’hélice qui agit, moteur puissant qui pénètre l’air ou l’eau comme une vis pénètre le bois en refoulant le fluide qui s’oppose à son mouvement de progression. L’eau sans doute est très mobile; l’air a moins de consistance encore. La palette du moteur, si elle est animée d’une vitesse suffisante, y trouve cependant un point d’appui comme sur un corps solide. L’hélice fut connue de toute antiquité. La vis d’Archimède est une hélice qui pourrait, comme le levier, remuer le monde à la condition de trouver un point d’appui résistant. Dès 1752, Bernouilli proposait de l’employer à la propulsion des navires, idée prématurée qui ne pouvait être réalisée qu’un siècle plus tard. Vers le même temps, Euler perfectionnait la turbine ou roue hydraulique horizontale, qui est encore une hélice; mais il n’y a guère que trente ans que cet organe est devenu d’un usage général. La préférence que les ingénieurs lui accordent aujourd’hui sur les roués à aubes et les autres engins de même espèce s’explique aisément, car on a reconnu qu’il n’en est pas qui permette d’utiliser plus complètement les forces naturelles ou artificielles dont on dispose. En d’autres termes, l’hélice est le moteur qui produit la plus grande quantité de travail utile et consomme le moins de force vive dans les frottemens et les résistances intérieures de la machine.

On se souvient peut-être d’un jouet d’enfant, le spiralifère, qui fit fureur en son temps et qui se composait de petites ailes montées sur un axe auquel on imprimait un mouvement de rotation par le moyen d’un ressort de montre ou d’une corde de toupie. Lorsque les ailettes tournaient rapidement, ce petit appareil s’élevait en l’air et s’y soutenait aussi longtemps que la force de rotation agissait. Au lieu d’ailes de petite dimension, que l’on prenne des ailes d’une vaste envergure; au lieu d’imprimer à l’axe un mouvement de rotation peu durable, qu’on y adapte une machine à vapeur qui agira sans cesse : on aura l’aéronef, l’hélicoptère, que MM. de Ponton d’Amécourt et de La Landelle viennent de présenter comme une solution infaillible de la navigation aérienne.

Si le principe est simple, l’application présente quelques difficultés que peu de mots suffiront pour faire comprendre. L’aile de l’hélice qui est inclinée frappe l’air obliquement et produit deux mouvemens, l’un vertical de bas en haut, qui est l’effet utile, l’autre horizontal en rotation autour de l’axe. Ce dernier mouvement est la part perdue dans le travail total de l’appareil, et non-seulement c’est une force perdue, mais encore il faut détruire le mouvement de rotation que l’aéronef en recevrait. Le remède est bien simple : il consiste à employer deux hélices qui sont placées l’une au-dessus de l’autre et tournent en sens inverse, l’une de gauche à droite et l’autre de droite à gauche. Il résulte de cet ensemble deux mouvemens de rotation en sens inverse qui s’annihilent par leur opposition et un mouvement commun d’ascension qui entraîne la nacelle vers le firmament. Ce n’est pas tout encore, car les deux hélices à axe vertical ne produiraient qu’un mouvement vertical. Il en faut une troisième à axe horizontal qui jouera le même rôle que le propulseur dans le bateau à vapeur, et produira la marche dans le sens horizontal. Cependant ce dernier organe pourrait être supprimé, à la condition que le pilote pût incliner à volonté l’axe des deux premières hélices, car le mouvement se fera toujours dans le sens de cet axe : si l’axe est d’aplomb, on montera verticalement ; s’il est incliné à l’horizon, on s’avancera obliquement, comme un navire qui court des bordées.

Maintenant, pour donner une idée complète de l’aéronef, qu’on se figure un plancher concave comme un fragment de sphère au milieu duquel est implanté un mât qui sert d’axe aux deux hélices principales, Le moteur, une machine à vapeur sans doute, est installé au pied du mât, à la portée du mécanicien ; tout autour, un balcon et une cloison en vitrage transparent, pour mettre le voyageur à l’abri des courans d’air qu’engendrerait la rapidité du vol ; sur le côté, le gouvernail ou l’hélice directrice qui donnera le mouvement de translation ; en haut du mât, au-dessus des ailes, un parachute qui s’ouvrira de lui-même, comme tous les appareils de ce genre, au moment où la descente commencera, et plus haut encore la banderole aux couleurs nationales, flottant dans les airs. On conçoit sans peine que ce système ne sera pas aussi difficile à diriger qu’un ballon : il n’a qu’une médiocre surface, il offre peu de prise au vent. Une force relativement faible suffira pour lui imprimer une vitesse de translation considérable, par exemple 100 kilomètres à l’heure. Si l’aéronef veut marcher dans le sens du vent, la vitesse du vent s’ajoutera à la sienne propre ; s’il marche contre, sa vitesse sera diminuée d’autant ; mais, à moins d’un ouragan d’une violence extrême, il s’avancera dans le sens qui lui sera fixé.

Jusqu’ici la conception est irréprochable, et la théorie ne souffre pas d’objection, car si les ailes sont assez étendues et qu’elles tournent assez vite, on ne peut nier que l’appareil entier s’élèvera et voguera dans l’atmosphère. On a bien fait quelques observations. Les ailes, tournant avec rapidité, seront animées d’une force centrifuge telle qu’elles s’arracheront elles-mêmes de l’arbre auquel elles seront fixées ; mais avec une surface assez grande, répond l’inventeur, elles n’ont pas besoin de tourner plus vite que le volant d’une machine ordinaire. D’ailleurs la solidité dépend de leur forme et de leur nature. — Dans les hautes régions de l’atmosphère, dit-on encore, l’air est raréfié, et n’offre plus aux surfaces planes qu’une résistance du tiers ou du quart de celle que vous éprouvez près du sol; mais l’aéronef n’a pas la prétention de monter dans ces hautes régions : il naviguera entre la terre et les nuages (inter utrumque volat), juste assez haut pour ne se heurter ni aux arbres, ni aux clochers, ni aux montagnes, et quand il rencontrera le cours d’un fleuve, il suivra la vallée, cette voie aplanie par la nature. On doit convenir que ces objections sont secondaires. La difficulté n’est pas là; elle se trouve tout entière dans le moteur qui doit donner la vie au système.

Dans l’industrie moderne, un perfectionnement d’une immense portée serait de réussir à emmagasiner les forces que la nature a mises avec tant de libéralité à la disposition de l’homme. Que ne peut-on faire pendant le jour provision de lumière pour la nuit! Que ne peut-on pendant l’été amasser de la chaleur, comme on amasse du grain pour l’hiver, mettre de côté l’abondante électricité d’un nuage orageux pour la consommer à l’heure du besoin, emprisonner l’effort du vent au moment d’une tempête, le poids de l’eau dans une cataracte, pour les rendre peu à peu libres et puissans sur la machine que l’on veut mettre en action! Lumière, chaleur, force, électricité, il faut, si nous voulons profiter des dons de la nature, les consommer au moment précis où elle nous les prodigue, et, si nous en avons besoin plus tard, il faut les produire nous-mêmes aux dépens de notre travail. Il ne serait pas tout à fait exact de dire qu’on ne peut emmagasiner la force motrice, car le poids de l’horloge, le ressort d’un tournebroche ou d’une pendule, sont des organes où l’on accumule de la force par un travail de quelques secondes pour suffire à la consommation de plusieurs heures. Malheureusement ce qui est possible sur une petite échelle ne peut être réalisé en grand. On peut faire marcher une montre au moyen d’un ressort, on ne saurait faire tourner la roue d’un moulin. Parce qu’un jouet d’enfant s’élève en l’air grâce à la rotation d’une hélice, on ne doit pas en conclure que l’aéronef se comportera de même, car ce dernier appareil ne peut emporter une provision de force, et il doit enlever avec lui son moteur. Du reste, M. de Ponton d’Amécourt ne s’est pas fait illusion à cet égard, et il a envisagé le problème dans toute sa difficulté. Il cherche un moteur léger; seulement il ne s’est peut-être pas assez rendu compte de combien devrait être allégée la machine à vapeur actuelle pour convenir au système qu’il préconise.

Ici je crains que cette discussion, malgré mes efforts pour l’abréger, ne prenne un caractère trop mathématique. Cependant il faut recourir au calcul, qui peut seul trancher la question. Un corps solide descend dans l’air d’environ 5 mètres en une seconde par l’effet de la pesanteur. D’un autre côté, la force que nous appelons cheval-vapeur élève en une seconde 75 kilogrammes à 1 mètre de hauteur, ou, ce qui revient au même, 15 kilogrammes à 5 mètres. Pour que la machine à vapeur de la force d’un cheval pût se soutenir elle-même en l’air, il faudrait donc qu’elle ne pesât que 15 kilogrammes. Or les machines pèsent aujourd’hui pour le moins de 500 à 600 kilogrammes par cheval de force[7]; il faudrait par conséquent que le poids en fût réduit environ quarante fois. Encore doit-on remarquer que le moteur de l’aéronef devra non-seulement se soutenir en l’air, mais encore s’enlever de terre, emportant avec lui, outre son propre poids, l’appareil auquel il est attaché, et qu’en plus il devra fournir une force excédante pour les manœuvres horizontales[8]. Il n’y a pas exagération à dire que la machine à vapeur actuelle ne pourra convenir à la navigation aérienne qu’autant qu’elle aura perdu 99 pour 100 de sa masse.

On nous dit, il est vrai, que les ingénieurs se sont peu préoccupés jusqu’à ce jour de la légèreté des moteurs, qu’une locomotive est lourde parce qu’on veut qu’elle le soit pour adhérer au rail, qu’un moteur d’usine est lourd parce que le fabricant, qui le vend au poids, est intéressé à le rendre massif. Ceci n’est même pas exact pour les machines marines, que dès le premier jour les ingénieurs ont eu avantage à rendre aussi légères que possible. On ajoute qu’on emploiera pour la construction de l’aéronef et de ses engins l’aluminium, le moins dense des métaux, qu’on a des procédés particuliers pour augmenter la surface de chauffe, pour simplifier la chaudière. Tout cela peut se faire, et il ne serait pas étonnant que l’on réduisît le poids d’une quantité notable par les perfectionnemens ingénieux que l’on nous promet; mais une réduction de 99 pour 100, c’est impossible. D’autres, dédaignant la vapeur et le moteur à gaz de M. Lenoir, qui est aussi trop lourd, comptent sur les forces électro-motrices, dont le dernier mot n’est pas dit, sur l’air comprimé, sur l’acide carbonique, peut-être même sur les forces explosives, comme la poudre à canon. Par malheur, ces moteurs sont trop faibles ou trop dangereux. Avant que l’on essaie de les appliquer aux aéronefs, il faudrait prouver qu’ils peuvent être utilisés sur la terre.

Il résulte de tout ceci que la navigation aérienne n’est point directement intéressée pour le moment dans les recherches qui se font avec tant de bruit à propos de l’hélice. Les inventeurs voudraient trouver un moteur léger, une machine à vapeur ou à gaz (il importe peu) qui travaillerait comme un cheval et que l’ouvrier porterait sous le bras comme un outil. Au lieu de se faire aéronautes, ils se font mécaniciens. À ce point de vue, leurs recherches présentent un intérêt bien plus général et méritent d’être encouragées: il peut en sortir quelque chose d’utile; mais avons-nous tort d’affirmer qu’ils n’atteindront pas le but qu’ils se proposent avec les ressources actuelles de l’industrie? Il ne s’agit plus d’un simple perfectionnement; il faut une découverte nouvelle pour que le vol par l’hélice devienne praticable, et cette découverte aurait des conséquences tellement importantes et fructueuses que la navigation aérienne en serait sans contredit l’un des moindres résultats.

On ne s’arrêtera pas ici sur les récentes ascensions qui ont été marquées par de sinistres incidens. Un seul enseignement en ressort, et c’est la preuve de l’impuissance des ballons en tant qu’agens de transport. Après avoir fait le procès aux aérostats, qui n’ont, à l’en croire, aucun perfectionnement à attendre de l’avenir, l’auteur de ces ascensions, on le sait, a voulu courageusement gagner au métier d’aéronaute les sommes nécessaires pour expérimenter l’aéronef. Il a fait construire un ballon géant, le dernier des ballons, assure-t-il, le plus grand des ballons connus. Ce monstre de l’aérostation cube plus de 6,000 mètres, mesure 45 mètres de hauteur, 90 mètres de circonférence, et, gonflé avec du gaz d’éclairage, peut se charger d’un poids de plusieurs quintaux. Enlevé au milieu du Champ-de-Mars en présence d’une foule immense, le Géant n’a fourni d’abord qu’une courte carrière, puisqu’il est retombé à quelques lieues de Paris. Ensuite, à sa seconde ascension, le 18 octobre, il a accompli à coup sûr l’une des plus belles traversées aérostatiques que l’on ait jamais vues, car il a parcouru une distance de plus de 800 kilomètres sans toucher terre, et est allé s’abattre dans le royaume de Hanovre, après avoir franchi en vainqueur plusieurs états et plusieurs lignes de douane. C’est à l’atterrage que se sont produites les difficultés, et il semble bien démontré aujourd’hui que l’arrêt des grands ballons, que certaines personnes ont la prétention de diriger, offre les plus sérieux dangers. Ces grosses machines doivent échouer au port. C’est un péril nouveau à ajouter à tous ceux qui menaçaient déjà les navigateurs aériens, et l’un des plus propres à dégoûter le public de ce périlleux exercice.

Les nombreux inventeurs qui étudient sans se décourager l’éternel problème de la navigation aérienne se sont souvent plaints que cette question fût comptée au nombre de celles que les savans et les académies traitent avec dédain et indifférence. À ce sujet, ils rappellent avec complaisance l’incrédulité contre laquelle se heurtèrent les ingénieurs qui voulurent les premiers appliquer la vapeur à la locomotion terrestre, fluviale ou maritime. Ces plaintes sont-elles fondées? Les problèmes que l’on met au ban de la science appartiennent à deux catégories bien distinctes. Les uns, le mouvement perpétuel est de ce nombre, sont considérés comme insolubles parce que le résultat serait en opposition avec les lois de la nature. Il n’y faut songer ni maintenant ni plus tard, car l’impossibilité est radicale. Pour d’autres problèmes, l’impossibilité n’est que relative et n’a d’autre cause que l’imperfection des organes qui nous servent. La solution dépend de certaines questions secondaires. De même que le général qui assiège une ville doit faire capituler les forts détachés avant de s’attaquer au corps de place, de même l’ingénieur qui prétend naviguer dans l’atmosphère doit d’abord perdre de vue le but final de ses recherches et lever les obstacles subsidiaires qui lui obstruent la voie, fabriquer un ballon imperméable, créer un moteur d’une légèreté inouïe, peut-être ajouter un nouveau corps simple à la nomenclature chimique ou une nouvelle loi aux principes de la mécanique. Avec les ressources actuelles, c’est une illusion que de prétendre voler comme l’hirondelle ou même comme le plus pesant oiseau de nos basses-cours. N’ayons donc plus de ces préoccupations insensées. N’eût-il pas été vain de discuter au siècle d’Aristote l’existence d’un continent au-delà de la mer Atlantique, puisque les trirèmes ne pouvaient franchir cet océan? Il y a cent ans, lorsqu’on ne connaissait, en fait de machines à vapeur, que l’informe et lourde pompe à feu des mines de la Cornouaille, les rêveurs s’occupaient seuls d’employer la vapeur à la traction des voitures et des bateaux. Lorsqu’on eut inventé les condensateurs de Watt, la chaudière tabulaire, la détente et tous les autres perfectionnemens de la machine à vapeur actuelle, le rêve devint une réalité, et l’application s’en fit sans difficulté. On peut donc se demander à quoi servent les efforts de ces nouveaux Dédale. Attaché au sol par les invincibles liens de la pesanteur, l’homme n’a de puissance qu’autant qu’il s’arc-boute sur un élément qui lui résiste. La terre et l’eau sont les seuls points d’appui où, comme Antée, il puisse reprendre incessamment des forces. Son royaume ne s’étend pas plus haut :

Omnia possideat; non possidet aëra Minos.

Du reste, il n’est pas juste de reprocher aux mathématiciens d’avoir étouffé la question sans l’examiner avec soin. Il y a plus de vingt ans, Navier terminait ainsi un remarquable mémoire auquel l’Académie des Sciences donnait son approbation : « La création d’un art de la navigation aérienne, dont les résultats pourraient être utiles et présenter autre chose qu’un spectacle, est subordonnée à la découverte d’un nouveau moteur dont l’action comporterait un appareil beaucoup moins pesant que ceux qu’exigent les moteurs que nous connaissons aujourd’hui. C’est aussi la conclusion à laquelle nous venons d’arriver. » Plus récemment, MM.  Giffard et Landur ont traité de nouveau le problème par l’analyse mathématique et sont arrivés au même résultat ; mais on se demande en vérité si le calcul était bien nécessaire ici. Le bon sens suffit assurément pour nous convaincre que l’homme, lourd et pesant animal, qui a peine à se mouvoir dans l’eau, ne saurait voltiger dans un fluide mille fois plus léger, ni imiter l’oiseau si souple et si vif en ses allures.

Certes c’est une utopie bien séduisante que la locomotion aérienne et bien propre à enflammer l’imagination. Toute ville, tout village, chaque usine jouirait des avantages d’un port de mer. Les canaux, les routes et les chemins de fer deviendraient inutiles et rendraient à l’agriculture la surface qu’ils occupent. Les vaisseaux (s’il en restait encore), surpris par la tempête, seraient enlevés par leur grand mât en pleine mer et reconduits au port ; ils seraient transportés pardessus les isthmes et les chaînes de montagnes. La guerre ne se ferait plus que par en haut au moyen de bombes formidables qu’on laisserait tomber d’aplomb sur les armées et les places fortes ; mais il n’y aurait plus de guerre, car les frontières seraient effacées, les peuples communiqueraient en quelques heures d’un antipode à l’autre, et par un contact incessant se fondraient en une seule famille. L’intérieur des continens inaccessibles n’aurait plus de mystères pour nous. Que si c’est trop présumer de la puissance des aéronefs, au moins dans une sphère plus limitée serait-il possible d’établir entre la terre et un navire naufragé des communications promptes et faciles, de secourir en cas d’incendie les habitans d’une maison jusqu’aux étages les plus élevés, de franchir les rivières sans ponts et la Manche sans bateau à vapeur.

Admettons en définitive que l’homme puisse réussir tôt ou tard à s’élever et se diriger dans l’atmosphère, cela ne veut pas dire qu’il planera comme l’aigle au sommet du firmament ou qu’il franchira comme l’hirondelle d’immenses espaces sans s’arrêter. Son vol serait probablement bas, timide, embarrassé ; il n’a besoin ni de monter dans les régions supérieures de l’atmosphère ni d’aller chercher au-dessus du sol les voies de communication rapides qu’il trouve à la surface. Il est superflu pourtant de chercher le secret d’un avenir si éloigné. Cette question n’est pas de notre temps. Il est assurément plus sage de modérer l’enthousiasme qu’excitent en ce moment chez quelques personnes les projets de navigation aérienne. D’ailleurs il n’est pas sans inconvénient, disons-le bien haut, d’annoncer de nouvelles expériences en s’en promettant des résultats hyperboliques. L’esprit public, entraîné par de trompeuses espérances, accorde moins d’attention aux découvertes plus réelles et plus utiles qui n’ont pas l’appât du merveilleux. Puis la foule se dégoûte des projets exagérés aussi vite qu’elle s’en est éprise. Il est possible que les hommes qui se sont mis à la tête de l’agitation aérostatique obtiennent quelque effet curieux; mais il n’est pas douteux qu’ils ne sauraient satisfaire à leur programme. L’Aéronaute, nouveau journal fondé pour servir d’organe aux défenseurs de la navigation aérienne, porte en tête de sa première page un frontispice fantastique qui représente un navire aérien manœuvrant en liberté au milieu des nuages. Nous pouvons affirmer hardiment que ce résultat imaginaire ne sera pas atteint par les moyens qu’on se propose d’employer. Peut-être ces infatigables inventeurs trouveront-ils quelque perfectionnement inattendu, quelque amélioration réelle. Le public ne leur en saura aucun gré, parce qu’ils n’auront pas tenu tout ce qu’ils promettaient. Ce sera une juste punition de la témérité de leur entreprise et un enseignement pour les inventeurs à venir qu’il faut se contenter d’un programme modeste et se garder de promesses inconsidérées.

Swift raconte qu’au pays de Lupata un voyageur nouvellement débarqué vit flotter au-dessus de sa tête une espèce d’île habitée par des hommes qui avaient l’art et le pouvoir de la hausser, de l’abaisser et de la faire marcher à leur gré. Ce voyageur (c’était Gulliver) eut le bonheur d’être reçu dans l’île volante, et put examiner de près le mécanisme qui la soutenait en l’air. Il est à regretter que la description qu’il nous en a laissée ne suffise pas pour reconstruire un semblable appareil. Il y a, ce me semble, sous la fable de ce récit, une vérité qu’il est opportun de mettre en lumière. L’île n’était peuplée que de mathématiciens et de philosophes, tandis que le vulgaire ignorant, qui n’avait sans doute pas été capable d’imiter cette machine, se traînait péniblement à la surface de la terre, occupé nuit et jour à des découvertes insensées. Nos rêveurs ne pourraient-ils conclure de cette fable ingénieuse que la navigation aérienne ne peut être fondée que sur la science? Quand ce seront les savans qui monteront dans la nacelle au lieu de rester sur le sol, il n’est pas certain que l’aérostation fera de rapides progrès; mais peut-être les projets raisonnables seront-ils seuls soumis à la discussion et seuls encouragés.


H. BLERZY.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1850, une étude sur les Aérostats et les Aéronautes.
  2. Meusnier, officier très instruit de Parme du génie, consacra dix années de sa vie à des études aéronautiques. Ayant longtemps séjourné à Cherbourg, il se livra à une foule d’expériences sur la résistance des cordes, des toiles et d’autres substances qui se trouvaient dans l’arsenal de la marine. En 1793, il fut envoyé comme général à l’armée du Rhin et fut tué par un boulet au siège de Mayence. A sa mort, les Prussiens, saisis d’admiration et de respect, cessèrent leur feu pour donner aux Français le temps d’élever la tombe de leur général dans un des bastions de la ville. Monge recueillit les plans et les papiers que cet ingénieur avait laissés à Cherbourg, et les déposa à Paris au ministère de la guerre, qui plus tard les envoya à l’école de Metz, où ils doivent être encore. Meusnier avait préparé, entre autres projets, les plans d’un magnifique aérostat ellipsoïdal de 87 mètres de grand axe et 43 mètres de petit axe, destiné a porter trente hommes avec soixante jours de vivres. M. Marey-Monge, dans un livre intéressant, Études sur l’aérostation, a publié quelques planches qui donnent une idée de l’importance de ce travail. La nacelle, avec l’équipage, les vivres et le matériel qu’elle emportait, ne devait pas peser moins de 25,000 kilogrammes.
  3. On annonce, il est vrai, qu’une mousseline double revêtue à l’intérieur seulement, ou à l’intérieur et à l’extérieur à la fois, d’une couche de caoutchouc, ferait un excellent service.
  4. Il est à remarquer que les variations dans la température de l’atmosphère peuvent exercer quelque influence sur la position d’équilibre du ballon dans l’air. Tant que le soleil échauffe la terre, le ballon monte ; il redescend lorsque la nuit se fait. L’occultation du ciel par les nuages, la pluie et le beau temps, en un mot tout ce qui modifie la température modifie aussi la hauteur du ballon. Quoique les effets qui en résultent soient bien faibles, l’aéronaute en profitera peut-être pour atterrir ou reprendre son vol, semblable au marin qui s’éloigne du port avec le jusant et revient au rivage avec le flot.
  5. On prétend que les mécaniciens ne se sont guère occupés jusqu’à ce jour de rendre les machines à vapeur légères. Dans les machines fixes ou locomotives, la masse est une garantie de solidité qui présente peu d’inconvéniens. M. Giffard, dont le nom reste attaché à l’un des plus précieux perfectionnemens de ces machines, a entrepris, lui aussi, de mettre la vapeur au service de l’aéronautique. Pour restreindre le poids de l’appareil, il le fait fonctionner a une très haute pression, 60 atmosphères au moins. La consommation de charbon diminue en même temps. Pour économiser l’eau, il invente, dit-on, un condensateur à grande surface d’un effet prodigieux. L’essai public de ce nouveau système se fera prochainement.
  6. Il faut encore compter au nombre des obstacles de la locomotion aérienne l’impossibilité de savoir le lieu où l’on se trouve. Perdu dans les nuages, le voyageur n’a connaissance de la route qu’il fait qu’autant qu’il communique avec la terre.
  7. Un écrivain compétent en cette matière, M. Gaudry, nous dit « qu’on admet aujourd’hui que les machines de mer, y compris les chaudières et le propulseur en ordre de marche, ne doivent pas dépasser 500 kilogrammes par force de cheval effectif. »
  8. En laissant à part l’impossibilité de la construction, si l’on voulait discuter l’aéronef au point de vue économique, on arriverait à des conclusions très défavorables. A supposer que l’on pût réduire le poids du moteur jusqu’à 8 kilogrammes par cheval, il faudrait une machine de 60 chevaux pour enlever une nacelle avec ses hélices, ses agrès, son combustible et deux voyageurs, un poids total d’environ 250 kilogrammes. Le poids mort serait énorme en proportion du poids utile. Quoi qu’il arrive, ce mode de locomotion serait donc extrêmement coûteux : 60 chevaux pour une voiture à deux places !