La Négresse blonde (recueil)/Phèdre

La Négresse blonde, Texte établi par Willy Voir et modifier les données sur WikidataA. Messein (p. 83-88).
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PHÈDRE


Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême,
Dit des vers où d’abord personne n’entend rien.

Le duc de Nevers.


Dans un fauteuil en bois de cèdre
(à moins qu’il ne soit d’acajou),
en chemise, madame Phèdre
fait des mines de sapajou.

Tandis que sa nourrice Œnone
qui, jadis, eut de si bon lait,
se compose un maintien de nonne
et marmotte son chapelet,

elle fait venir Hippolyte,
fils de l’amazone et de son
époux, un jeune homme d’élite,
et lui dit : « Mon très cher garçon,


« dès longtemps, d’humeur vagabonde,
« monsieur votre père est parti ;
« on dit qu’il est dans l’autre monde,
« il faut en prendre son parti !

« Sans doute, un marron sur la trogne
« lui fit passer le goût du pain ;
« requiescat ! il fut ivrogne,
« coureur et poseur de lapin ;

« oublier cet époux volage
« ne sera pas un gros péché !
« donnez-moi votre pucelage
« et vous n’en serez pas fâché !

« Vois-tu ma nourrice fidèle
« qu’on prendrait pour un vieux tableau ?
« elle nous tiendra la chandelle
« et nous fera bouillir de l’eau !

« Viens, mon chéri, viens faire ensemble
« dans mon lit nos petits dodos !
« Hein ! petit cochon, que t’en semble,
« du jeu de la bête à deux dos ? »


À cette tirade insolite,
ouvrant de gros yeux étonnés,
comme un bon jeune homme, Hippolyte
répondit, les doigts dans le nez :

— Or ça ! belle-maman, j’espère
que vous blaguez, en ce moment !
Moi, je veux honorer mon père
afin de vivre longuement :

« À la cour brillante et sonore
« il est vrai que j’ai peu vécu :
« mais je doute qu’un fils honore
« son père en le faisant cocu !

« Vos discours, femelle trop mûre,
« dégoûteraient la Putiphar !
« prenez un gramme de bromure
« avec un peu de nénuphar !… »

Sur quoi, faisant la révérence,
les bras en anse de panier,
il laisse la dame plus rance
que du beurre de l’an dernier.


« — Eh ! va donc, puceau, phénomène !
« Va donc, châtré, va donc, salop,
« va donc, lopaille à Théramène !
« Eh ! va donc t’amuser, Charlot !… »

Comme elle braille de la sorte
harengère soûle, voilà
qu’un esclave frappe à sa porte :
« — Madame, votre époux est là !

« Theseus, c’est Theseus ! il arrive !
« C’est lui-même : il monte à grands pas ! »
Venait-il de Quimper, de Brive
d’Honolulu ? je ne sais pas,

mais il entre, embrasse sa femme
la rembrasse en mari calant ;
aussitôt la carogne infâme
pleurniche, puis d’un ton dolent :

« — Monsieur, votre fils Hippolyte,
avec tous ses grands airs bigots
et ses mines de carmélite,
est bien le roi des saligods !


« Plus de vingt fois, sous la chemise,
« le salop m’a pincé le cul
« et, passant la blague permise,
« volontiers vous eût fait cocu :

« il ardait comme trente Suisses
« et (rendez grâce à ma vertu !)
« si je n’avais serré les cuisses,
« votre honneur était bien foutu !…

Phèdre sait conter une fable
(tout un chacun le reconnaît) :
son discours parut vraisemblable
si bien que le pauvre benêt

de Theseus promit à Neptune
un cierge (mais chicocandard !),
un gros cierge au moins d’une thune
pour exterminer ce pendard !

Pauvre Hippolyte ! Un marin monstre
le trouvant dodu, le mangea
puis le digéra, ce qui monstre
(mais on le savait bien déjà !)


qu’on peut suivre, ô bon pédagogue,
avec soin le commandement
quatrième du décalogue
sans vivre pour ça longuement ! »