La Mystification fatale/Première Partie/VIII


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 22-26).
§ VIII. — Adrien Ier et Charlemagne.


Dans les livres appelés Carolins, le troisième consiste en une longue dissertation, en forme de lettre, de Charlemagne à Adrien Ier (patrol. Migne, tom. 98, pag. 1118), où celui-là, ou plutôt ses théologiens, s’occupent tout au long à réprouver diverses décisions du septième concile œcuménique. Il y condamne aussi une expression du patriarche Taraise contenue dans une lettre adressée aux patriarches d’Orient, où il disait que le St-Esprit procède du Père par le moyen du Fils, per Filium (tandis qu’il devait dire et du Fils) et e Filio, ce que ces théologiens se mettaient à soutenir de toute la force de leur savoir. Et ici encore la mystification ourdie au fond des Espagnes par le clergé Gotho-Vandale, exerce son empire pernicieux. Dans une de ces Répréhensions, comme elles y sont appelées, Charlemagne affirme que le Filioque était compris dans le symbole dès le jour de sa promulgation à Constantinople : « Quod Tarasius non rectè sentiat qui Spiritum Sanctum non ex Patre et Filio secundum Nicæni[1] symbole fidem, sed ex patre per Filium procedentem in suae credulitatis lectione profiteatur. » (Patrol. Migne, tom. 98, pag. 1247-1254. Voyez Pièces justificatives à la fin du volume.)

Quelle différence se trouve-t-il entre la procession per Filium et e Filio ? Sont-elles identiques ou non ? Si non, en quoi consiste leur différence ? Ici le cas est terrible. Rapporter ce qui a été dit, soutenu et développé de divers côtés serait composer un traité spécial rempli de subtilités très compliquées de grammaire et de dialectique scolastique. Il me suffit de dire ici que, d’après le jugement de Lequiens, cité par le docteur Neale (pag. 1154), Tarasius et Adrien par le per Filium entendaient parler de la mission temporaire, et non de l’émission ou procession prééternelle ; mais, comme il ne dit pas en quel endroit de ses ouvrages on peut rencontrer cela, je n’ai pas pu retrouver les détails de son exposition. J’y toucherai plus loin en parlant du témoignage d’Anastase le Bibliothécaire.

Adrien, dans sa réponse, se met d’abord à citer divers extraits des ouvrages des SS. Pères grecs et latins, dont une grande partie était falsifiée dès son temps, comme nous le montrerons dans la suite, et il continue sur le même sujet dans le chapitre II de la même Action, ainsi que dans le chapitre III de la XVI Action, dont la suite se trouve détachée et placée après le chapitre 51 à la page 1273.[2] Après tout cela, il ne restait à Adrien que d’exprimer son opinion. Nous nous trouvons, direz-vous, en bonne voie pour apprendre bien des choses qui doivent jeter beaucoup de lumière sur cette question. Mais voilà que devant nos pas s’ouvre un gouffre béant. Des quatorze articles qui expriment l’opinion d’Adrien sur ce cas particulier, il n’en reste que trois ; les autres, au nombre de onze, qui suivaient, ont disparu. Au XV, Adrien commence à entrer de nouveau dans l’autre question, celle qui regarde le culte des Images. Que sont devenus ces onze chapitres ? Qui les a détruits ? Celui qui se trouvait intéressé à leur disparition. Is fecit ciu prodest. Celui qui fit encore disparaître du Code qui contenait les lettres des Papes toutes les pages qui comprenaient l’espace de 170 années ; matière dont nous parlerons plus amplement dans la suite. Ce délit de la réponse d’Adrien est patent, flagrant, indéniable. S’il y a quelque chose à y opposer, qu’on le produise, on y est toujours à temps. Cette considération corrobore ce que Photius dit dans son épître au métropolitain d’Aquilée à ce propos. Dans cette épître, après avoir fait mention de ce qui regarde la croyance de Léon III, il y ajoute : « mais Adrien encore, celui qui a gouverné le même siége apostolique, dans sa réponse au Très Saint Patriarche Tarasius montre clairement et solennellement qu’il professe que le St-Esprit procède du Père et aucunement du Fils. »[3] S’il en était autrement, Photius oserait-il écrire une telle chose au métropolitain d’Aquilée, chose qui pouvait être facilement contrôlée dans les minutes conservées aux archives de Latran ? Outre que, cette espèce de lettre était une encyclique comme celles adressées partout où l’on croyait nécessaire de les communiquer.[4]

À tout cela il faut encore ajouter une autre considération d’une importance capitale, qui n’a pas été remarquée, autant que je sache, par ceux qui se sont occupés de ces questions, et qui à elle seule pourrait suffire pour tout le reste. Si la réponse d’Adrien était favorable aux prétentions de Charlemagne, quel besoin avait-il de convoquer un concile à Aquisgranum en l’an 809, pour examiner la question et la faire triompher à son gré ? Mais il fut trompé dans ses espérances, comme le prouve la disparition de ses actes. L’Occident septentrional n’était pas encore gagné considérablement à cette innovation. Si la réponse d’Adrien était favorable aux prétentions de Charlemagne, pourquoi les légats qu’il avait envoyés près de Léon III, successeur immédiat d’Adrien, pour le gagner à ses opinions, n’ont-ils aucunement mentionné cette réponse parmi les autres arguments qu’ils y étalaient, si ce n’est parce qu’elle était défavorable à ses prétentions ?


  1. Ceux qui s’occupent d’histoire ecclésiastique savent que sous la dénomination de concile de Nicée est compris aussi celui de Constantinople.
  2. Dieu sait combien de manipulations a subi ce code des Capitulaires en cet endroit qui s’occupe de la Procession, pour arriver à cette confusion. En effet, ce point que nous signalons ici n’est pas le seul dans ces diverses Actions que nous citions, où la question de la Procession soit entremêlée et enchevêtrée avec celle du culte des Images, pendant que dans les pages précédentes tout marche régulièrement.
  3. Épîtres de Photius, édition Valetas, epist. Ε, § ια : Αλλα και Αδριανος εκεινος, τον αυτον Αποστολικον διιθυνας θρονον, εν οις προς τον αγιωτατον και μακαριωτατον Ταρασιον, τον ημετερον πατροθειον, αντεγραφε, σαφως τε και περιφανως φαινεται το Πνευμα το αγιον, φρονων εκ του Πατρος, αλλ ουκ εκ του Γιου, εκπορευεσθαι.
  4. Honneur à M. Hergenrother qui, dans sa vie de Photius, ne fait aucune objection contre le contenu de cette lettre.