La Mystification fatale/Deuxième Partie/XVII


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 177-183).
§ XVII. — Formules : per Filium ; — e Patre tantum.


Les saints Pères, ceux surtout de l’Église grecque disent quelquefois en parlant du Saint-Esprit qu’il procède, est ou émane du Père par le Fils : δια Υιου, per Filium. Voici comment les Latins expliquent les expressions de ce genre : « Il est connu, par de nombreux exemples, que les particules par (δια) et de (εκ) sont indistinctement employées dans la sainte Écriture et dans les œuvres des saints Pères. Ainsi, dans les paroles de l’Évangéliste : « Toutes choses ont été faites par Lui » (δι αυτου), ou : « Le monde a été fait par Lui » (Jean I, 3, 10), par Lui (δι αυτου) signifie sans nul doute de Lui (εξ αυτου). Par conséquent, chez les anciens Docteurs, cette expression : « Le Saint-Esprit est du Père par le Fils », est tout-à-fait équivalente à celle-ci : « Le Saint-Esprit est du Fils ». Mais d’abord (c’est ici une remarque générale), de ce que la Parole divine et les œuvres des saints Pères nous présentent quelquefois, disons même souvent la particule δια, par employée dans le sens de la particule εκ, de, s’ensuit-il qu’elles la prennent toujours dans ce même sens ? Non, certainement. Au contraire, quiconque a lu la Parole divine et les saints Pères sait qu’il s’y trouve nombre de passages où la particule δια est employée également dans ses autres acceptions, savoir dans le sens de avec, après, durant, etc. En particulier sait-on, ne fût-ce que par un seul cas direct et concluant, que les anciens Docteurs, en parlant de la procession du Saint-Esprit par le Fils, aient pris leurs paroles dans le sens de : du Fils ? Non ; au contraire, on sait positivement que, dans ce cas, ils établissaient une distinction rigoureuse entre la particule δια, par, et la particule εκ, de. En effet, l’expression par le Fils fut employée, par exemple, même par saint Grégoire de Nysse, qui disait cependant du Saint-Esprit : « C’est par Lui (c’est-à-dire par la Lumière engendrée ou le Fils) qu’Il brille ; mais Il tire le principe de son existence de la Lumière primitive. » Elle fut employée aussi par Maxime le Confesseur et par saint Jean Damascène, qui repoussèrent néanmoins directement l’idée que le Saint-Esprit procède du Fils ; et Théodoret alla même jusqu’à nommer impie et blasphématoire l’expression par le Fils entendue dans le sens que ce serait du Fils que le Saint-Esprit tiendrait l’existence. On sait enfin, par les œuvres des saints Pères et Docteurs de l’Église, que δι’ Υιου, appliqué au Saint-Esprit, signifiait pour eux avec le Fils, après le Fils, et le plus souvent par le Fils, c’est-à-dire exprimait qu’avec le Fils Il a son existence du Père ; qu’après le Fils Il vient dans l’ordre des Personnes de la sainte Trinité ; que par le Fils Il est envoyé dans le monde, manifesté aux créatures, dispensé aux fidèles, etc. En voici des exemples : 1° Saint Basile dit : « En tant que le Saint-Esprit… est uni avec le Fils d’une union inséparable, et qu’Il a une existence dépendante de l’Auteur, du Père, duquel Il procède, le signe distinctif de son attribut hypostatique, c’est d’être connu (γνωριζεσθαι) après (μετα) le Fils et avec (συν) le Fils et d’avoir son existence du Père. Mais le Fils, qui fait connaître (γνωριζων) avec (δια) Lui-même et après (μετα) Lui l’Esprit qui procède du Père, resplendissant seul du sein de la Lumière inengendrée, n’a dans ses attributs distinctifs rien de commun avec le Père ou le Saint-Esprit. Ici la préposition δια est évidemment mise pour la préposition συν ; car il y a répétition de la même idée, savoir : du rapport du Saint-Esprit au Fils, et les particules indiquées sont en parfaite correspondance l’une avec l’autre, et, bien qu’on affirme que le Saint-Esprit existe δι’ Υιου, cependant la procession éternelle de l’Esprit est affectée au Père exclusivement. 2° Saint Grégoire de Nysse écrit : « Le Père est sans principe et inengendré ; Il est représenté toujours comme Père. Après Lui, immédiatement (κατα το προσεχες), le Fils unique est représenté comme inséparablement uni avec le Père. Et à la suite du (δια) Fils et après (μετα) le Fils, aussitôt après, pour prévenir l’idée de quelque intermédiaire inutile et non existant, est compris aussi conjointement le Saint-Esprit, qui d’ailleurs, — n’étant point postérieur au Fils par existence, de sorte qu’on puisse jamais se représenter le Fils unique sans l’Esprit, mais ayant Lui-même sa raison d’être dans le Dieu de toutes choses, duquel aussi est la Lumière unique, resplendissant à la suite de (δια) la vraie Lumière, — ne se distingue du Père ou du Fils unique, ni par la distance, ni par la différence de nature. » Ici, certainement, l’écrivain a en vue l’ordre des personnes divines, et, pour exprimer que le Saint-Esprit suit immédiatement le Fils, il fait usage de la préposition δια ; il dit que, quoique le Saint-Esprit vienne après (δια) le Fils, il a également sa raison d’être dans le Dieu de toutes choses, aussi bien que le Fils. 3° Saint Cyrille d’Alexandrie, prouvant que le mystère de la sainte Trinité était accessible jusqu’à un certain point même aux philosophes du paganisme, dit entre autres : « Le Dieu de toutes choses est unique, mais l’idée de ce Dieu unique s’étend, pour ainsi dire, sur la sainte et consubstantielle Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que Platon appelait l’âme du monde ; mais l’Esprit donne la vie et procède du Père vivant par le Fils. » Puis, après avoir exposé quelques idées de Platon sur les personnes de la sainte Trinité, il conclut en disant : « Ainsi il Le reconnaissait (le Saint-Esprit) comme réellement existant, vivifiant et nourrissant tout, et découlant en quelque sorte de la sainte source de Dieu le Père ; car Il procède du Père par essence et se répand sur la créature par le Fils. » De cette manière le saint Docteur exprime, en finissant, ce que signifie, selon lui, « procéder du Père par le Fils, » idée qu’il avait énoncée au début sans y ajouter aucune explication. 4° Saint Jean Damascène, qui a répété aussi plusieurs fois que l’Esprit procède du Père par le Fils, détermine plus clairement encore comment doit être entendue cette expression : « Nous adorons le Saint-Esprit, l’Esprit de Dieu le Père, en tant qu’Il procède de Lui ; on le nomme aussi Esprit du Fils comme ayant été manifesté par Lui (δι αυτου) et communiqué aux créatures, mais non point comme tenant de Lui son existence. »

Enfin d’autres logiciens vous soutiennent gravement que puisque le Symbole ne dit pas que le Saint-Esprit procède du Père seulement, mais qu’il dit simplement du Père, rien n’empêche de considérer comme sous-entendu et du Fils, voire même de l’y ajouter. — Mais, pourquoi donc le faire sans nécessité ? D’ailleurs, si d’un côté il n’est pas dit qu’il procède du Père seulement, de l’autre il est seulement dit qu’il procède du Père : l’un balance l’autre.

D’après cette ingénieuse manière de raisonner, prenez toute déclaration, tout pacte, tout contrat, tout traité, appliquez-y ce beau procédé et vous verrez les merveilleux effets qui pourront en résulter. Prenez, par exemple, la Déclaration des droits de l’homme, l’article Ier porte : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Voulez-vous neutraliser les dispositions de cet article ? Faites la remarque qu’il ne dit pas sur l’utilité commune seulement, et qu’on peut par conséquent sous-entendre et ajouter les mots : et sur la naissance. L’article Ier du concordat de l’an IX dit de la religion catholique romaine : Le culte en sera public et se conformera aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. » Voulez-vous y faire intervenir d’autres agents ? Faites la remarque que puisqu’il n’est pas dit dans cet article ; le gouvernement seul, il est naturel de sous-entendre que ce sera avec l’approbation de l’évêque ou de l’archevêque du lieu ; le nonce ou légat du pape n’en sera même pas exclu.

Au reste, supposons pour un instant que le mot seulement se fût trouvé dans le Symbole, quelle résistance, je vous le demande, aurait pu faire ce récalcitrant en présence de la méthode des fauteurs de la procession dyadique ? N’aurait-il pas payé cher de vouloir, dans son audace, leur barrer le chemin, et la suppression de ce mot malencontreux n’aurait-elle pas été promptement décrétée ? En voici au reste un exemple. Dans le Décret de Gratien (Pars P, Dist 2 cap. 4—6) on lit : Plebiscitum est quod plebes tantum constituunt et senatusconsultum quod senatus populi consulto decernat… constitutio vel edictum est tantum quod rex vel imperator constituit vel edicit. Le plébiscite est seulement ce que le peuple a établi, le sénatus-consulte ce que le sénat a décrété avec l’approbation du peuple, la constitution ou édit est seulement ce que le roi ou l’empereur a établi ou décrété. C’est ce que porte l’édition de 1555, suivie par celle de Venise de 1608 et par d’autres encore ; mais dans la correction de ce décret de Gratien faite sur l’ordre de Grégoire XIII et publiée à Rome, ce dernier tantum (seulement) a disparu. Ainsi vous pouvez dire franchement que, d’après Gratien, le pape peut, à l’instar des rois et des empereurs, promulguer des lois obligatoires, attendu que le canon ne dit pas : seulement. Ces définitions sont tirées du Corps du droit romain, qui de cette façon se trouve falsifié.