La Mystification fatale/Deuxième Partie/VII


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 139-146).
§ VII. — Symbole de saint Athanase.


Souvent des personnes versées dans la littérature ecclésiastique et qui partant ne peuvent passer pour dupes, vous mettent en avant un symbole de la foi commençant par les mots : Quiscumque vult salvus esse etc., qu’on appelle : symbole de saint Athanase. Dans les éditions modernes de ce symbole, on voit figurer le mot : Filioque, ce qui serait d’un grand soutien pour la doctrine de la Procession dyadique si ce symbole n’était point une œuvre supposée, et si surtout, malgré son origine, le Filioque n’y figurait pas comme interpolation, comme nous allons le démontrer.

Nous ne trouvons aucune mention d’un tel symbole avant le concile d’Autun assemblé en l’an 676. Zernicavius et son traducteur tiennent à l’ancienne opinion d’après laquelle ce symbole aurait été composé originairement en grec, puis traduit en latin, mais les critiques les plus autorisés croient qu’il fut composé, avant l’époque de Charlemagne, en latin, puis traduit en grec. Quoi qu’il en soit, il est incontestablement avéré et prouvé qu’originairement le Filioque ne se trouvait ni dans le texte latin, ni dans la version grecque. Les légats envoyés par Charlemagne à Léon III, pour le catéchiser sur l’orthodoxie de la double procession, citent en effet à ce pape divers passages des saints Pères et même de saint Athanase au soutien de leur doctrine, et se taisent complètement sur ce symbole : évidemment parce qu’il ne devait pas encore contenir la fameuse addition, sinon eussent-ils manqué de s’en prévaloir ?

On oppose que pendant le quatrième concile de Tolède, célébré en l’an 633, l’article premier de la procession de foi que l’on y prononça, contient presque mot à mot les expressions du passage de ce symbole qui se rapporte à la Procession dyadique. Zernicavius y répond (pag. 225—26) que cette ressemblance d’expressions ne prouve pas que cette partie de la profession de foi ait été copiée sur le symbole en question, par suite, qu’on ne peut, sur ce seul incident, admettre, qu’à cette époque le Quiscumque fut connu dans les Espagnes. Tout cela est inutile : On peut bien admettre qu’il y fût connu, mais que cet endroit qu’on lui empruntait, on le produisait falsifié. Isidore archevêque de Séville, qui présidait ce concile, nous fait, dans sa lettre au duc Claudius, les aveux les plus complets à ce sujet. « Vous avez pensé, dit-il, à nous avertir de la conduite de certains Grecs qui se basant sur la défense faite sous peine d’anathème de ne rien retrancher ou ajouter au symbole de Constantinople et à celui de saint Athanase, prétendent audacieusement faire des reproches aux Latins de ce que dans ces deux professions de foi, ils chantent de bouche et professent de cœur que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils… Mais si l’on considère cette défense avec plus de subtilité et de correction — si subtiliter et recte prœcipitur — toute équivoque disparait : puisque la défense de ne rien ajouter ne regarde que l’opinion contraire. »

Jacques de Vitry évêque d’Acre qui florissait vers l’an 1244, fait la remarque suivante dans son Histoire de Jérusalem (chap. 84) : « Plusieurs points de doctrine, qui n’avaient pas été clairement énoncés dès le commencement, ont été postérieurement éclaircis et déterminés par les saints, c’est pourquoi où les Grecs disent que le Saint-Esprit procède du Père, les Latins disent plus clairement du Père et du Fils. » — Ici le mot « clairement » n’a aucune signification : il ne s’agit pas de clarté ou d’obscurité, mais d’adultération. — « De même poursuit l’auteur, où les Grecs disent que l’Esprit saint n’est ni fait, ni créé, ni engendré, mais qu’il procède du Père, les Latins ont ajouté et du Fils. » Le premier de ces exemples se rapporte comme on le voit au symbole de Constantinople, et le second à celui de saint Athanase. Ceci montre d’une manière péremptoire que du temps de Jacques de Vitry, c’est-à-dire vers le milieu du treizième siècle, les anciens codes de ce dernier symbole n’étaient pas encore chargés de l’addition, et que le texte latin aussi bien que la version grecque étaient purs de cette souillure. Dans le cas contraire, l’auteur aurait-il manqué de se servir d’un tel document pour soutenir sa cause et attaquer les Grecs auteurs de sa disparition ? (Jacobi de Vitriaco lib. II, Migne. tom. CXC, pag. 628.)

Dans la trente et unième session du concile de Florence, Jean le Provincial, qui cite tant d’autres passages des œuvres de saint Athanase pour établir l’admission de l’addition, ne mentionne nullement ce symbole, qui était alors considéré comme authentique, ce qui prouve assez hautement qu’il le reconnaissait pour falsifié. Nous ne parlons pas du mensonge éhonté de Chichovius, qui nous dit, dans son Tribunal Sanctum Patrum, que lorsque ce symbole fut lu au concile de Florence, les Grecs restèrent confondus. Tout le monde sait que ce ne fut pas pendant la présence des Grecs à ce concile, mais précisément après leur départ que le pape Eugène, ne craignant plus aucune contradiction, osa en faire étalage dans le § VI de son Décret aux Arméniens[1].

On lit dans un ouvrage faussement attribué à Gennadius Scholarius et intitulé : Cinq Chapitres sur le concile de Florence, que les Grecs qui se trouvaient à ce concile, entendant dire que saint Athanase professait dans son symbole la doctrine du Filioque, et ne sachant qu’y opposer, répondirent que lorsque saint Athanase écrivait ce symbole il se trouvait, sans doute, en état d’ivresse. Et Cichovius, dans son Tribunal, et Bellarmin, dans son de Christo — cité avec grande complaisance par M. Laemmer[2] — d’invoquer cette bouffonnerie au soutien de leur cause. Cette espèce de réponse appartient à une autre école. Le père Letellier, lors des querelles sur la bulle Unigenitus, s’occupant à réfuter les opinions des Jansénistes sur la Grâce, s’entendait répéter souvent par son secrétaire, que de cette façon il se mettait en opposition avec les doctrines de saint Augustin. Impatienté de cette incessante contradiction, Letellier lui dit, un jour, que saint Augustin était une tête chaude, qu’il faudrait enfermer à la Bastille s’il vivait encore. (Mémoires de Duclos, (1806) tome V, pag. 124.)

En définitive, si du temps des papes Adrien I, Léon III, Adrien II, Jean VIII, Adrien III, ce symbole s’était trouvé muni du Filioque, aurait-on manqué d’en faire mention et de le prendre en très-sérieuse considération ? Vu surtout qu’à cette époque, pas l’ombre d’un doute ne s’était encore élevé sur l’authenticité de son origine.

Je ne me suis occupé jusqu’ici que du texte latin et j’ai prouvé qu’il avait été falsifié ; quant au texte grec, ce serait fatiguer le lecteur que de citer tous les témoignages des divers critiques, qui rapportent les différents codes contenant ce symbole et dans lesquels, à l’exception de deux ou trois seulement, ne figure pas la soudure en question. Le lecteur qui voudrait en savoir davantage peut consulter l’ouvrage de Théophane Procopowitz (vol. II, § 209, pag. 237—238).

Après avoir établi la vérité, en signalant et prouvant l’adultération du Quiscumque par la fameuse addition, nous devons rappeler aux chaleureux partisans du Filioque, qui ne citent le symbole de saint Athanase que garni de cette interpolation, la terrible sanction dont il est orné au commencement et à la fin : « Haec igitur est orthodoxa fides, quam quis si non intemeratam servaverit salvus esse non potest… quam fidem nisi quis impolutam et incorruptam servaverit æternam inveniet perniciem ». Ceste est la foi commune la quelle se chacuns n’aura creue feèllement et fermement saüs ne pourra estre… Qui ne tenra ceste foi de seinte chrestienté loyaument enfin sera damné perdurablement. Avis au docteur Pusey qui, dans une de ses lettres adressées au Times, lors des conférences de Bonn entre les anglicans, les vieux-catholiques et les orthodoxes, déclarait que c’était sur cette ancre qu’il fondait ses espérances de salut.


  1. Sexto, compendiosam illam fidei regulam per beatissimum Athanasium editum, ipsis praebemus oratoribus, cujus tenor talis est : « Quiscumque vult salvus esse. »
  2. VIII. Quae in omnibus Latinis Symboli Athanasiani interpretationibus leguntur verba : „Spiritus Sanctus a Patre et Filio, non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens“, ea monachus Baturinensis corruptelam appellat manifestam, quia universae editiones Graecae in textu illud και εκ του υιου non habeant. Citat insuper famosum Marcum Antonium de Dominis, utpote qui testatus sit, etiam in exemplis MScr. additamentum omitti. E contra nos quidem

    a) repetimus quae Bellarminus hac super re egregie disseruit inquiens : „dici posset, haec verba (Et filio) esse addita a Latinis. At neque hoc dici potest, tum quia etiam in Graecis Symbolis haec particula invenitur, tum etiam in Concilio Toletano IV capite I recitatur confessio, fere ad verbum desumpta ex hoc Symbolo, et ibi legimus, a Patre et filio, et fuit celebratum hoc Concilium circa annum DCXXXIII, et proinde ante schisma Graecorum. Adde, quod Gennadius Scholarius in lib. pro defensione Concil. Florentini, c. 1 sect. 5 dicit, Graecos sui temporis dicere solitos, Athanasium fuisse ebrium, quando haec scripsit. Ex quo apparet, illos non negasse, Athanasium ita scripsisse.“

    b) subiicimus minime deesse exemplaria Greuca, in quibus additamentum exstet. Varietatem scripturae repraesentant duo quos excussi Codices Vaticani numeris 579 et 677 distincti, quorum prior fol. 190 sq. haec habet : Του αγιου Αθανασιου αρχιεπισκοπου Αλεξανδρειας λογος περι της ορθοδοξου πιστεως. Οστις δ’ αν βουληται σωθηναι κτλ… οιος ο πατηρ, τοιουτος ο υιος, τοιουτον και το πνευμα το αγιον… το πνευμα το αγιον απο του πατρος ου ποιητον, ου κτιστον, ου γεννητον, αλλ’ εκπορευτον εις ουν ο πατηρ κτλ. Verun in Cod. 677 fol. 78 concordantia cum latinis recensionibus conspicitur : Του μεγαλου Αθανασιου εκθεσις πιστεως. Οστις αν βουληται σωθηναι κτλ… το πνευμα το αγιον απο του πατρος και του υιου ου ποιητον, ου κτιστον, ου γεννητον, αλλ’ εκπορευομενον κτλ.