La Mystification fatale/Deuxième Partie/Appendice A


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 189-193).


APPENDICES




APPENDICE A


Raisonnements théologiques sur la procession du Saint-Esprit.


Nous nous sommes bornés dans cet ouvrage, à considérer la question de la procession du Saint-Esprit, sous son côté purement historique ; nous allons donner ici un aperçu des raisonnements théologiques sur cette question. Mais, rappelons-nous avant tout, les paroles profondes d’un grand théologien d’Occident.

Pierre d’Ailly, surnommé l’aigle de France et le marteau des hérétiques, écrivait vers le milieu du XIV siècle : « Le Saint-Esprit procède naturellement du Père et du Fils. Il y a certaines gens qui tâchent de prouver cette croyance par des raisonnements ; mais je dis qu’il n’est pas permis de le prouver au moyen d’argumentations, car tout ce qu’on pourrait proposer, peut être facilement réfuté. » Après cette considération préalable dont la portée est immense, exposons impartialement les arguments qu’ont coutume de présenter les partisans de l’une et de l’autre opinion. Nous empruntons les lignes qui suivent à l’excellente Dogmatique de Macaire, évêque de Vinnitza.

I. — Quels raisonnements présentent d’ordinaire les orthodoxes en faveur de la doctrine que l’Esprit-Saint procède uniquement du Père et ne procède pas en même temps du Fils ?

Voici les principaux :

1° C’est une vérité incontestable, admise par tous les Chrétiens, soit de l’Église d’Orient, soit de l’Église d’Occident, que, dans la sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un par essence, mais distincts comme personnes, et par conséquent ont des attributs de deux sortes : des attributs essentiels, inséparables et communs à Eux tous, et des attributs personnels, distincts, appartenant exclusivement à chacun d’Eux séparément. Voici maintenant la question : À quoi faut-il rapporter dans le Père la procession du Saint-Esprit (de même que la génération du Fils) ? Est-ce à l’essence du Père ou à sa personnalité ? Si c’est à l’essence, on doit nécessairement admettre que le Saint-Esprit procède, non-seulement du Père et du Fils, mais encore de Lui-même (absurdité que repoussent même les Chrétiens d’Occident), car l’essence, chez toutes les personnes de la Divinité, est une et indivisible. Et si c’est à la personnalité, on est bien forcé de reconnaître que l’Esprit-Saint procède uniquement du Père ; car le Père, en tant que personne, est tout à fait distinct du Fils et du Saint-Esprit, et ce qui appartient à l’un d’Eux ne peut point appartenir à un autre.

2° C’est une vérité incontestable, également admise, depuis l’antiquité, par tous les Chrétiens, que, dans la sainte Trinité, à côté de la trinité des personnes il n’existe qu’un seul principe, μοναρχία. Nous aussi nous maintenons en tout point cette vérité, et nous professons l’unité de principe dans la Divinité, lorsque nous disons que c’est d’un seul et même Père qu’est engendré le Fils et que procède le Saint-Esprit. Mais les Chrétiens d’Occident ne le maintiennent pas ; ils admettent deux principes au milieu d’un seul, quand ils disent que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; car le Père et le Fils ne sont qu’un par essence, mais, en tant que personnes, Ils sont deux, et n’ont entre Eux que leur unité d’essence, qui puisse constituer un principe unique pour le Saint-Esprit. Or, admettre que la procession du Saint-Esprit se rapporte à l’essence du Père et du Fils, qui, comme nous l’avons fait voir, est commune même au Saint-Esprit, ce serait admettre une absurdité.

3° Toute l’Église chrétienne, en Occident, comme en Orient, a toujours enseigné et enseigne encore que, dans la sainte Trinité de même qu’il ne faut pas diviser l’essence, il ne faut pas non plus confondre les hypostases, quoi qu’en puissent dire les hérétiques, les Sabelliens. Mais les Docteurs de l’Occident confondent aujourd’hui les hypostases du Père et du Fils (et tombent, en conséquence dans le sabellianisme), du moins en tant qu’ils admettent entre le Père et le Fils, outre l’unité d’essence, une espèce d’union particulière en vertu de laquelle ces deux personnes, par une action une et indivisible, comme ils disent, font procéder le Saint-Esprit, et sont pour Lui, non point deux principes ou deux auteurs, mais un seul principe et un seul auteur.

4° Suivant la doctrine de l’Église universelle, toutes les trois personnes de la très-sainte Trinité ne font l’unité que par leur essence commune ; il s’ensuit que la même unité qu’a le Fils avec le Père, le Saint-Esprit l’a également. Mais les Docteurs de l’Occident admettent de nos jours que le Fils a avec le Père une plus grande unité que le Saint-Esprit, lorsqu’ils affirment que le Père et le Fils sont un aussi par rapport à cette action commune par laquelle Ils tirent d’Eux l’Esprit-Saint, qu’ils sont un en tant que seul principe éternel et indivisible du Saint-Esprit.

5° L’Église universelle ne reconnut jamais en Dieu que l’unité d’essence et la trinité de personnes. Mais les Docteurs d’Occident non-seulement reconnaissent aujourd’hui, dans la Divinité, l’unité et la trinité, mais en même temps ils y introduisent la duplicité. Ils reconnaissent l’unité, car ils enseignent que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un par essence ; ils reconnaissent la trinité, car ils enseignent que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois personnes ; ils introduisent la duplicité, car ils enseignent que le Père et le Fils forment un principe éternel et indivisible par rapport au Saint-Esprit, en tant que son principe, mais que le Saint-Esprit, par rapport à Eux, en forme un second, en tant que procédant de ce principe.

Toutes ces idées-là sont incontestables : cela saute aux yeux ; elles sont basées sur la doctrine positive de l’Église universelle, et établies, sans le moindre effort, d’après les principes d’un sain raisonnement.

II. — Quelles considérations présentent d’ordinaire les théologiens de l’Occident à l’appui de leur idée que l’Esprit-Saint procède également du Fils ?

De toutes celles qu’ont imaginées les scholastiques, on avance jusqu’à ce jour, et, par conséquent, on reconnaît pour les meilleures comparativement, les quatre suivantes.

1° « Si le Saint-Esprit ne procédait pas du Fils comme du Père, Il ne serait pas non plus réellement distinct de Lui ; car les personnes de la très-sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, dans lesquelles tout est un, ne se distinguent que par la corrélation qui existe entre l’une des personnes, comme auteur, et une autre personne, comme provenant de la première, de l’auteur, et réciproquement. » Mais ces deux idées sont purement arbitraires, et, loin d’être basées sur la doctrine positive de l’ancienne Église, elles lui sont diamétralement opposées. En effet, cette Église enseignait que, bien que le Fils et le Saint-Esprit soient du seul et même Père, ils diffèrent cependant entre eux, en ce que le Fils est engendré par le Père, et que le Saint-Esprit procède du Père. De plus elle distinguait en général les personnes divines, non point en établissant entre Elles une sorte de corrélation, mais en croyant le Père inengendré, le Fils engendré par le Père et le Saint-Esprit procédant du Père.

2° « Ce n’est qu’en admettant que le Saint-Esprit procède du Fils que nous pouvons nous représenter entre eux un rapport parfait. Il est vrai qu’indépendamment de cela ils sont dans un rapport connu d’unité, d’abord parce que tous deux Ils proviennent du Père seul, puis de diversité, parce qu’Ils en proviennent tous deux d’une manière différente. Mais ce n’est pas là un rapport immédiat de l’un avec l’autre, ni par conséquent un rapport de haute perfection, tel qu’il convient de se le représenter dans la sainte Trinité. » Voilà encore des idées purement arbitraires, qui ne sont nullement fondées, sur la doctrine positive de l’Église. En effet, sur quoi prétendre qu’il doive exister un rapport immédiat entre les personnes de la sainte Trinité, comme personnes distinctes, lorsque, selon la doctrine de la sainte Église, elles constituent par essence une sainte et indivisible unité, et que, par conséquent, elles sont bien mieux entre elles que dans un rapport immédiat ? Et, d’un autre côté, pourquoi ne pas nommer également parfaits les deux autres rapports indiqués entre le Fils et le Saint-Esprit, celui de l’unité de principe et celui de la diversité d’extraction de ce principe ?

3° « Si le Saint-Esprit, ajoute-t-on, ne procède pas du Fils, aussi bien que du Père, il en résulte que le Père se distingue doublement du Fils, nommément par la génération du Fils et par la procession du Saint-Esprit. Mais il ne faut admettre qu’une seule distinction, une seule particularité dans chacune des personnes divines, leur perfection ne consistant pas moins dans le maximum de l’unité que dans le minimum de la diversité, et, par conséquent, exigeant qu’on n’attribue à chacune d’Elles qu’un seul caractère distinctif ou personnel. » Mais qui de nous est en droit de déterminer quel est le nombre précis des traits particuliers dont doit se former l’attribut personnel de chacune des personnes de la sainte Trinité, quand ce mystère est inaccessible à notre esprit, et que, suivant la doctrine positive de l’ancienne Église, l’attribut personnel du Père renferme en réalité, non-seulement deux, mais jusqu’à trois particularités distinctes : qu’Il est inengendré et ne procède de personne, qu’Il engendre le Fils et qu’Il fait procéder de soi le Saint-Esprit ? Et, d’un autre côté, qu’est-ce que cette idée que la plus haute perfection des personnes divines exige qu’elles n’aient toutes qu’un seul trait ou attribut distinctif, et que le Père cesserait d’être parfait si nous venions à offrir, dans son attribut personnel, deux ou trois traits particuliers ?

4° « Le Fils reçoit tout du Père, sauf la paternité, qui est seule incommunicable ; par conséquent Il reçoit aussi la volonté divine fructifiante (fruchtbaren) ; et, par cette raison, au moyen de cette volonté divine, le Fils participe (ist fruchtbar) avec le Père, et comme le Père, à la procession du Saint-Esprit. » Mais d’où sait-on que chez le Père la paternité seule est incommunicable, et que la faculté de faire procéder le Saint-Esprit est communicable, lorsqu’au contraire les anciens Docteurs de l’Église attribuaient l’une et l’autre également à la seule personne du Père, et exprimaient que le Fils a tout reçu du Père, sauf la propriété d’être auteur d’une autre personne, c’est-à-dire et d’engendrer le Fils, et de faire procéder le Saint-Esprit ? Et, d’ailleurs, où va-t-on prendre cette idée que, de concert avec le Père, le Fils fait procéder le Saint-Esprit par un acte de sa volonté ?