Calmann Lévy, éditeurs (p. 97-99).


FENÊTRES CLOSES





Tandis que, dans leur gai château de Normandie,
Les maîtres du logis finissent la saison,
À Paris, le silence ouate la maison
Depuis les derniers jours du printemps engourdie.

Aujourd’hui simple et chaste en ses atours d’été,
Le grand salon, l'hiver tout bourdonnant de monde,
Dans l'ensommeillement de cette paix profonde
Lentement se refait une virginité.


L’heure n’anime plus les pendules muettes ;
Les housses, ondulant comme des linceuls blancs,
Recouvrent les divans aux coussins nonchalants,
Les lourds fauteuils dorés et les chaises fluettes.

Le piano, touché par tant de doigts mignons,
Repose dans un coin près d’une mandoline,
Et, tout emmitouflé de raide mousseline,
Le lustre, au lieu de bras, tend d’informes moignons.

De grands draps épinglés soigneusement voilée,
La vitrine coquette — où les Saxes ténus
Restent figés dans leurs sourires ingénus, —
Se dresse avec un air vague de mausolée.

Au lieu du chaud tapis d’Orient où coulait
Le fourmillement doux des légères chaussures,
S’allonge un parquet sec, craquelé de gerçures,
Où la poussière glisse et monte en bourrelet.


Veuves de leurs rideaux, les patères pointues
Comme des dards aigus semblent sortir des murs,
Et depuis trois longs mois, sous des linges obscurs,
Se dérobe la fleur de marbre des statues.

En cette solitude et ce recueillement,
Que trouble le seul bruit des fiacres dans la rue,
À travers les volets une lumière crue
Tombe, en minces rayons, silencieusement.

Et, sortant des pâleurs des housses demi-closes,
Flotte une odeur de camphre et d’âcre vétiver
En ces mêmes recoins discrets, où tout l’hiver
On a flirté, parmi les lilas et les roses.