Calmann Lévy, éditeurs (p. 75-84).

CIRQUE D’ÉTÉ





Sous la caresse protectrice
Des arbres au doux frôlement,
Autrefois « de l'Impératrice »,
Aujourd’hui « d’Été » simplement,

Bourdonnant de polkas folâtres,
Le Cirque, tel qu’un grand joujou,
Dresse la blancheur de ses plâtres
Et son toit luisant comme un sou.


Entre la grille minuscule
Et les bons vieux chevaux de bois
Tout le jour va, grouille et circule
Le peuple des jeunes bourgeois :

Fillettes roses, bien peignées,
Garçonnets au jeu turbulent,
Que les nourrices alignées
Suivent d’un œil distrait et lent.

Le soir, quand les Champs-Élysées,
Jusqu’en mai sombres et déserts,
Voient les foules inamusées
S’entasser aux cafés-concerts,

Le Cirque s’allume et flamboie
À travers ses vitraux ardents,
Énorme gâteau de Savoie
Avec des chandelles dedans.


Évohé ! Messieurs de la gomme !
Les samedis sont les jours chics…
C’est là qu’il faut sucer la pomme
Étincelante de vos sticks !

C’est là qu’il faut, belles « tendresses »,
Devant les « rastas » éblouis,
Arborer sur vos blondes tresses
Des chapeaux de douze louis !

C’est là que dans les écuries,
Pendant l’entr’acte, il faut savoir
Prodiguer les agaceries
Aux beaux messieurs en habit noir,

Et faire, douces tentatrices,
Pousser au cœur du galantin
La fleur des fugitifs caprices
Parmi les odeurs du crottin !


Oui, c’est là qu’aux heures voulues
Il faut vous montrer tout exprès,
Pour qu’en des gazettes fort lues
Demain on chante vos attrails ;

À la sortie, ô mes déesses,
C’est là qu’il faut, par les loustics,
Être prises pour des duchesses…
Les samedis sont les jours chics !



Quand l’été vers toi me ramène
Ô vieux Cirque, je t’aime mieux
Les autres jours de la semaine,
Moins encombré, mais plus joyeux.

On peut, sans heurt et sans obstacle,
Gagner sa place, et rencontrer
Des gens venus… pour le spectacle,
Sans nul souci de s’y montrer.


En ces foules plus réservées
Que je retrouve plus souvent
Les impressions éprouvées
Lorsque j’étais petit enfant !

Bercé par la Valse des roses
Qui tombe en perles du plafond ;
Suivant, les paupières mi-closes,
Un cheval qui galope en rond ;

Au clic-clac de la chambrière
Crépitant par coups espacés,
Je crois revenir en arrière
Et revivre les jours passés.

Ah ! quelle ivresse bienheureuse
Quand vite, bien vite, à mon rang
Je grimpais, guidé par l’ouvreuse,
Cette Madone au petit banc !


Plus muet qu’un frère trappiste,
Le cou tendu, les doigts raidis,
Comme j’attachais sur la piste
Mes yeux par la joie agrandis !

Que tout me semblait admirable !…
Les deux pitres enfarinés
Avec les coups de pied au… râble,
Et la tache de rouge au nez ;

Les chiens savants dressant leurs queues,
Et groupés au premier signal ;
Les singes en casaques bleues
Qu’entraîne un galop infernal ;

Les bayadères court vêtues
Le sourire aux lèvres figé,
Prenant des poses de statues
Pendant le repos obligé ;


Le postillon, le dos en boule,
Les deux pieds comme écartelés
Montant, descendant sur la houle
Des quatre chevaux accouplés ;

Les gymnastes, vivante échelle,
Château branlant de corps humains ;
L’ours… oh ! l’Ours et la sentinelle,
Drame applaudi par tant de mains !

Et surtout, droits dans leurs cravates,
Sanglés en leurs habits trop longs,
Plus corrects que des diplomates,
La bande d’or aux pantalons,

Pommadés, frisés, pleins de grâce,
Les écuyers silencieux
Dont je demandais, à voix basse :
« Maman, c’est-y des vrais messieurs ? »



Oui ! tout cet enfantin poème
En moi semble ressuscité…
Voilà pourquoi si fort je t’aime,
Ô mon bon vieux Cirque d’Été !

Ici-bas tout passe et tout lasse ;
Tout change en mieux ou bien en mal…
Seul, tu gardes la même place
Ô temple auguste du Cheval !

Ces traditions immortelles
D’un art restreint et défini
Tu les maintiens dignes, et telles
Qu’au temps de monsieur Franconi.

On ravagera des provinces ;
Les ministères tomberont ;
On verra, de princes en princes,
Les couronnes changer de front…


Qu’importe ! Ferme sur tes bases
Ô Cirque, tu sauras toujours
Montrer, parmi le flot des gazes
Et le chatoiement des velours,

Les bras tendus comme des ailes,
Sous l’œil enflammé du pompier,
D’intéressantes demoiselles
Trouant des cerceaux en papier !