La Muse gaillarde/Un grand d’Espagne

La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 293-295).



UN GRAND D’ESPAGNE


Ô mon gosier, prépare-toi
À recevoir d’une galante
Façon le merveilleux convoi
D’une bouteille d’Alicante.

Voici venir, ô mon gosier,
Un vin d’or parfumé de roses,
Fils du Soleil, ce grand sorcier
Qui fait un tas de bonnes choses.


Ô mes lèvres, entr’ouvrez-vous.
Mes dents, alignez vos rangées ;
Je m’en vais le boire à genoux,
À toutes petites gorgées.

Ce prince, en habit de velours
Est un bougre de conséquence,
Tâchez de lui faire un discours,
Ô ma bouche, plein d’éloquence !

Je veux qu’il trouve en mon palais
Une réception royale.
Vous, ma langue, rubis balais —
Vous allez baiser sa sandale.

Dans mon magnifique estomac
Il aura la plus belle chambre ;
Je l’encenserai de tabac,
De tabac doré comme l’ambre.

Sa noblesse de bon aloi
S’est montrée en mainte campagne.
Il se couvre devant le roi,
C’est un des plus grands… crus d’Espagne.

En se voyant si bien logé,
Bu de façon si méritoire,
Comme il a beaucoup voyagé
Il nous contera quelque histoire.


Écoutez son parler charmant,
Déjà, mes oreilles, il jase ;
Mes yeux, voyez ce diamant
Qui luit à son flanc de topaze.

Est-il plus suave parfum,
Où trouver un regard plus tendre ?
Mais, cher prince, pardonnez, un
Peu plus je vous faisais attendre.