La Muse gaillarde/Liane de Pougy

La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 64-67).



LIANE DE POUGY


Souple Liane de Pougy,
L’autre soir quand vous apparûtes
Comme nos désirs ont rugi
Devant Votre Altesse, les brutes !

Mais vous êtes charmante, et si
Sympathiquement attifée !…

Encore ce n’est rien ceci
Quand on songe à vos doigts de fée.

Car vos doigts, ces brins de jasmin,
Faits pour l’amour et les caresses,
Jouissent d’un pouvoir surhumain,
Et nous convient à quelles fêtes !

Entre vos doigts menus, menus,
Les objets naissent, disparaissent…
— Qu’est-ce qu’ils sont donc devenus ? —
Disent ceux-là qui s’y connaissent.

Disparus, fuis, évanouis !
Vous cueillez des fleurs dans l’espace,
Ah ! vous pouvez dire je souis
Souveraine des tours de passe.

Vous prenez ma montre — et pourtant
Elle n’est pas des plus commodes
À manier, ma montre, étant
Étrangère aux présentes modes —

Vous prenez ma montre — ai-je dit —
Et tôt, voici que malgré elle
Vous lui faites marquer midi,
Heure fantastique, irréelle !

D’autres fois, c’est dans un chapeau
Que vous battez une omelette ;

Par ma fine, c’est déjà beau
Mais ce n’est rien, car (oh ma tête)

Vous faites passer, nom de Dieu !
D’un geste, d’une chiquenaude,
Sur le ventre d’un vieux monsieur
Cette omelette toute chaude.

C’est épatant, c’est renversant.
D’être sorcière on vous soupçonne…
Et… qu’allez-vous faire à présent
Avec cette jeune personne ?

Vous la couvrez d’un voile bleu
Et lui dites : passez muscade !
Et je n’y peux voir que du feu,
Malgré mes yeux en embuscade.

Elle passe dans un instant.
Enfin, ô miracle suprême,
Inconcevable, exorbitant !
Vous vous escamotez vous-même.

Vous pourriez, tant votre pouvoir
Est hyperbolique et magique,
Faire le ciel rire ou pleuvoir,
Changer des astres la musique,

Comme transmuer les métaux,
Requinquer les roses fanées,

Réveiller les esprits vitaux
Des morts, morts depuis mille années,

Faire trois rubis cabochons
Avecques deux pépins de pomme,
Ou bien encore deux cochons
Avec simplement un seul homme.

Vous semblez dominer sur tout.
Pourtant, cette puissance folle
Ne saurait atteindre partout
Car, pour ce qui est de ma fiole,

Je doute fort que vous puissiez,
Prestidigitatrice blonde,
Malgré le Diable et ses huissiers,
M’escamoter une seconde.

Non. Entre vos si jolis doigts,
Plus légers dix fois qu’une plume,
Loin de disparaître, je crois
Que j’augmenterais de volume.