La Muse gaillarde/La Légende de Phryné

La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 157-160).



LA LÉGENDE DE PHRYNÉ


Or donc Phryné, dont la beauté
Tenait du sortilège,
Pour avoir, a-t-on raconté,
Commis un sacrilège,

Fut invitée à comparoir
Devant l’Aréopage.
Elle s’y rendit sans surseoir,
En galant équipage.


Elle avait comme défenseur
Un certain Hypéride
Qui passait pour un fin diseur,
Un orateur limpide.

Celui-ci parla brillamment,
Trois, quatre heures sans boire,
Et sans convaincre notamment
Ces messieurs du prétoire.

Il faut croire que ces lascars
N’étaient du tout en veine
De clémence, ce jour-là, car
Il y perdait sa peine.

Mais voilà que notre avocat,
À bout de rhétorique,
Tout à coup se dit : « Eurêka »
L’argument sans réplique ;

Puis, au grand ahurissement
De ces juges rigides,
Il dévêtit superbement
Sa cliente splendide.

Quand ils virent ce corps parfait,
Ce fut bien autre chose :
Ils l’acquittèrent en effet,
Et sans plus d’autre glose.


C’est bien là, tout au moins, ce que
La légende rapporte.
Pour moi je ne l’admets peu,
Je la vois d’autre sorte.

La nudité, pour ces gens-là,
N’était — vu sa fréquence —
Un spectacle de grand gala.
Et puis, tenez, j’y pense :

Phryné ne leur apprenait rien,
La chère créature,
Car beaucoup la connaissaient bien
À l’état de nature.

Elle n’était pas en béton,
Non plus que ses semblables,
Voire, elle avait le cœur — dit-on,
Et la jambe innombrables.

Et donc, je crois bien que, parmi
Ce sombre aréopage,
Ayant reconnu des amis
Elle fit grand tapage,

Et leur cria : « Tas de vannes,
De débauchés notoires,
Si jamais vous me condamnez
Je sais de vos histoires ;


« Et je viderai tout mon sac…
Ah ! je vois à vos têtes
Que vous avez déjà le trac,
Vieux ingrats que vous êtes !

« Et puis, vous savez, mes chéris,
Encore une autre chose :
Si j’ai la prison pour abri,
Ma porte sera close !

« Vous pourrez vous fouiller, voilà !
Et je vous… enguirlande. »
Ne croyez-vous pas que c’est là
Que finit la légende ?