La Muse au cabaret/Poubelles dans le bois

La Muse au cabaretLibrairie Charpentier et Fasquelle (p. 175-177).


POUBELLES DANS LE BOIS


À Jean Stevens.
Un fanatique du bois de Boulogne propose de disposer çà et là des boîtes à ordures, afin que le public puisse y jeter ses papiers gras et détritus de toute sorte.


C’est cela. Compte sur tes boîtes,
Mon ami, pour sauver le Bois.
Surtout, qu’elles soient adéquates
À leur objet, et de bon poids !

Quelle candeur ! ma vieille branche.
Sais-tu pas que les Parigots,
En particulier — du dimanche —
Sont d’incurables saligauds.

Ouvrier, bourgeois ou satyre,
Enfin, en général, tous ceux
Que la belle nature attire,
Sont des seigneurs, hors de chez eux,


Quand ils vont déjeuner sur l’herbe,
Ils se moquent bien, après tout.
En leur sérénité superbe,
De semer leurs déchets partout.

Ils font comme le Shah de Perse,
Quand il dîne chez ses cousins,
Lequel nonchalamment disperse
Ses os rongés sur les voisins.

Ils savent bien que des ilotes,
À l’aube, dès le lendemain,
Munis de crochets et de hottes,
Viendront, et dans un tour de main,

Glaneront toutes les ordures
Qui déshonorent le gazon,
Et repeigneront la verdure.
Ils y comptent. Ils ont raison.

Et tu peux leur mettre des boîtes
Un peu partout, ici et là,
Dès qu’ils en verront une à droite,
Ils iront à gauche. Et voilà !

Mais, j’admire fort ta constance,
Si tu crois qu’ils feront un pas,
Pour aller porter à distance
Les détritus de leur repas.


Ce sont là des mœurs disparues.
Autant leur demander aussi
De balayer trottoirs et rues…
Enfin, si tel est ton souci,

Tu visiteras tes poubelles,
Pauvre homme ! le lundi matin ;
Et tu m’en diras des nouvelles,
Et tu compteras ton butin.

Ces boîtes-là, vois-tu, c’est comme
L’ustensile nommé crachoir,
Où jamais, de mémoire d’homme,
Personne n’a laissé rien choir.