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V

La Muse armée



 
Oui, l’austère amitié qui te lie aux grands chênes,
Ce charme du désert qui t’enivre toujours,
S’ils t’ont fait ignorer nos calculs et nos haines,
Ont agrandi ton cœur pour les nobles amours.

Quand tu disais : Mon frère ! à l’arbre sans culture ;
Quand les oiseaux du ciel venaient baiser tes mains,
O toi qui pour famille avais pris la nature,
Non, tu n’abjurais pas la cité des humains !

Au fond des bois sacrés où tu te réfugies,
Poète aimé du chêne et du vieux bûcheron,

Tu voulais échapper au bruit de nos orgies ;
Mais tu redescendras à l’appel du clairon.

Tu n’as point redouté nos combats, mais nos fêtes.
Sur la neige éternelle ou sur le sable en feu,
Tu consultais la voix qu’entendent les prophètes,
Apprenant du désert à nous parler de Dieu.

Ce vieil amour du sol, cet honneur qu’on abdique,
Ce culte des aïeux et de leurs saintes lois,
Ils coulent dans ta veine, ô Muse druidique !
Je les ai respirés sous les chênes gaulois.

Descends donc aujourd’hui, poëte : il n’est plus l’heure
D’écouter les soupirs des flots ou des rameaux ;
C’est l’âme des humains qui s’agite et qui pleure :
Va retrouver ton peuple et souffrir de ses maux.

Viens faire, au cœur de ceux qui frappent dans l’arène,
Sonner des rhythmes fiers appris dans les grands bois.
Tu sais tailler aussi les javelots de frêne ;
C’est le jour d’épuiser ta lyre et ton carquois.

Viens ! la toison de l’ours flotte sur tes épaules.
Emprunte à nos forêts leurs divines terreurs ;
Entraîne sur tes pas le vrai peuple des Gaules,
De la faux implacable arme tes laboureurs.


Abdique enfin ta paix, Muse rêveuse et lente,
Avec ce flot vengeur descends de ton glacier ;
Marche, et lève à nos yeux ta hache étincelante,
La neige des sommets en a trempé l’acier.

Montre à l’homme agité dans les projets serviles
Ce qui dort dans la paix des saintes régions,
Et combien le désert, plus peuplé que les villes,
Fait au jour du combat germer de légions.

Car tu peux seule, ô Muse ! à la foule insensée
Souffler du haut des monts un esprit sage et fier ;
Et ceux que tu revêts d’une grande pensée
Marchent dans la bataille à l’épreuve du fer.