La Mort en face/Texte entier

La Mort en face
Derniers poèmes écrits à la prison de Fresnes
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Robert BRASILLACH
« Tel qu’en lui-même… »

Condamné à mort, fusillé le 6 février 1945 à l’aube d’un jour dont l’anniversaire était déjà tristement historique, Robert Brasillach nous a légué, âgé à peine de trente-cinq ans, une œuvre importante. Romancier, poète, critique, essayiste, historien, chacun de ses livres nous montrait un jeune maître des Lettres françaises.

Il laisse six volumes de romans ou de nouvelles, Le Voleur d’Étincelles (1932), L’Enfant de la Nuit (1934), Le Marchand d’Oiseaux (1936), Comme le Temps passe (1937), Les Sept Couleurs (1939), La Conquérante (1943) et un volume de Poèmes (1944). Son Virgile (1931) et son magistral Corneille (1938) restent de hautes et savantes leçons consacrées à deux maîtres essentiels de notre civilisation. Il a écrit aussi un Procès de Jeanne d’Arc (1942).

Portraits (1935), Animateurs de Théâtre (1936) et Les Quatre Jeudis (1944) nous apportent le témoignage de sa féconde carrière de critique littéraire et dramatique. Traduite dans presque toutes les langues, son Histoire du Cinéma, écrite en collaboration avec Maurice Bardèche (1936, 2e éd. complétée en 1943) apparaît l’ouvrage le plus complet, le plus intelligent et le plus vivant de toute la littérature cinégraphique.

Journaliste et polémiste politique, pressentant toute l’importance future des événements espagnols, Robert Brasillach écrivit avec Henri Massis un sobre et poignant récit du Siège de l’Alcazar (1936) et une Histoire de la Guerre d’Espagne (en collaboration avec Maurice Bardèche, 1939) qui est un fidèle monument de cette sanglante épopée. Mû par une étrange prescience de son destin, il écrivit enfin, à son poste de soldat de la ligne Maginot et pendant les mois d’attente de 1939-1940, d’admirables souvenirs sous le titre de Notre avant-guerre (1941). Il avait alors trente ans.

Robert Brasillach laisse encore, à côté des innombrables articles parus notamment à L’Action française et à La Revue Universelle, puis à Je suis partout, et non recueillis en volumes, les manuscrits d’un roman, Six heures à perdre, d’un essai consacré à Giraudoux et d’une Anthologie de la Poésie grecque. Ses dernières œuvres auront été sans doute, avec les Poèmes écrits dans la prison de Fresnes que nous publions ici, des pages sur André Chénier auquel un sort commun le relie tragiquement.

Je remercie les intellectuels français, écrivains, savants, artistes, musiciens, universitaires, qui ont bien voulu formuler un recours en grâce en ma faveur. Je ne veux ici en nommer aucun. Leur liste comporte les plus hauts génies de notre race, à l’égard desquels ma dette est immense. Il en est dont les travaux et l’activité sont fort éloignés des miens, et qui auraient pu se montrer indifférents. Nous ne nous connaissons pas personnellement, et je leur en ai d’autant plus de gratitude. Pour certains autres, il m’est arrivé dans le passé de me montrer particulièrement sévère, et je n’avais rien fait pour mériter leur appui. Dieu m’est témoin que ce que j’ai pu dire d’eux était toujours motivé par des réactions personnelles, antérieures à la guerre, et que, si je les ai combattus, cela a été en toute sincérité. C’est chez ceux-là que j’ai trouvé les défenseurs les plus ardents, et ils ont ainsi montré une générosité qui est dans la plus grande et la plus belle tradition des Lettres françaises.

D’autres hommes, jeunes encore, dont je suis fier d’avoir toujours salué le talent, se sont joints à eux avec une amitié et un cœur qui me touchent profondément. S’il en est qui ont cru pouvoir oublier leur attitude amicale des temps où j’étais libre, et qui ont peut-être sacrifié à ce qu’André Chénier nommait « les autels de la peur », je ne veux pas m’en souvenir. Il en est assez, et parmi les plus grands noms d’aujourd’hui et de tous les temps, pour avoir passé outre aux idées politiques et morales qui sont les leurs, et pour avoir laissé parler d’abord leur cœur et leur esprit.

Ils me permettront de joindre dans ma reconnaissance à leur liste éclatante celle des innombrables jeunes gens de toutes opinions, étudiants ou particuliers, qui m’ont fait signe, qui ont écrit pour moi, parce qu’ils savent que je ne les ai jamais engagés aux aventures où notre patrie aurait risqué son jeune sang, et qu’à l’heure du danger, j’ai voulu rester parmi eux.

Même si ce que j’ai pu penser, en des circonstances dramatiques pour notre pays, les a choqués, je leur affirme à tous que les erreurs que j’ai pu commettre ne proviennent à aucun degré de l’intention de nuire à ma patrie, et que je n’ai jamais cessé, bien ou mal, de l’aimer. En tous cas, au delà de toutes les divergences et de toutes les barricades, les intellectuels français ont fait à mon égard le geste qui pouvait le plus m’honorer.

Fresnes, le 3 février 1945.

(signé) : Robert Brasillach.

LES NOMS SUR LES MURS

D’autres sont venus par ici
Dont les noms sur les murs moisis
Se défont déjà et s’écaillent :
Ils ont souffert et espéré,
Et parfois l’espoir était vrai,
Parfois il dupait ces murailles.

Venus d’ici, venus d’ailleurs,
Nous n’avions pas le même cœur
Nous a-t-on dit. Faut-il le croire ?
Mais qu’importe ce que nous fûmes !
Nos visages noyés de brume
Se ressemblent dans la nuit noire,

C’est à vous frères inconnus,
Que je pense le soir venu,
Ô mes fraternels adversaires !
Hier est proche d’aujourd’hui,
Malgré nous, nous sommes unis
Par l’espoir et par la misère.

Je pense à vous, vous qui rêviez,
Je pense à vous, vous qui souffriez
Dont aujourd’hui j’ai pris la place,
Si demain la vie est permise,
Ces noms qui sur ces murs se brisent
Nous seront-ils nos mots de passe ?

LE TESTAMENT D’UN CONDAMNÉ

L’an trente cinq de mes années,
Ainsi que Villon prisonnier,
Comme Cervantès enchaîné,
Condamné comme André Chénier,
Devant l’heure des Destinées,
Comme d’autres en d’autres temps,
Sur ces feuilles mal griffonnées,
Je commence mon testament.

Par arrêt, des biens d’ici-bas
On veut me prendre l’héritage,
C’est facile, je n’avais pas
Terre ou argent en partage
Et mes livres ou mes images
On peut les disperser aux vents ;
La tendresse ni le courage
Ne sont objets de jugement.

En premier, mon âme est laissée
À Dieu qui fut son créateur,
Ni sainte, ni pure, je sais,
Seulement celle d’un pécheur ;
Puissent dire les saints français
Qui sont ceux de la confiance,
Qu’il ne lui arriva jamais
De pécher contre l’espérance.


Quel don offrir à ma patrie
Qui m’a rejeté d’elle-même ?
J’ai cru que je l’avais servie,
Mais encor aujourd’hui je l’aime.
Elle m’a donné mon pays
Et la langue qui fut la mienne,
Je ne puis lui léguer ici
Que mon corps en terre inhumaine.

Et puis je laisse mon amour,
Et mon enfance, avec mon cœur,
Le souvenir des premiers jours,
Le cristal, le plus pur bonheur,
Ah ! je laisse tout ce que j’aime,
Le premier baiser, la fraîcheur,
Je laisse vraiment tout moi-même
Ou, s’il existe, le meilleur,

À toi, à la première image,
Au sourire de mon berceau,
À la tendresse et au courage,
À la féerie des jours si beaux,
Soleil même dans les sanglots,
Fierté aux temps les plus méchants,
Pour qui rien ne change à nouveau
L’âge qu’a toujours ton enfant.

Et pour toi, ma sœur, mon amie,
(J’ai passé, oh ! si peu de temps
Loin de toi, toute notre vie
Nos cœurs, du même battement
Ont battu), ce que je te laisse
C’est nos greniers des vieux printemps,
C’est les jeux de notre jeunesse,
Nos promesses d’étudiants,

C’est, parmi la neige glacée,
La gaîté qui restait la tienne,

Le sourire que tu faisais,
Par delà les grilles lointaines,
Toi, si fière, ô toi, indomptée,
Rieuse parmi les déveines,
Mon amie de tous nos étés,
Ma sœur des joies et des peines.

À toi encor que j’ai vu naître,
Comme une enfant de mes douze ans,
Petite sœur à la fenêtre,
Tu vins aussi, aux jours pesants,
À toi, tout ce qui nous assemble,
Le mépris des cœurs trop fuyants,
Le silence qui nous ressemble,
Et l’amour qui n’est pas bruyant.

Petits enfants de ma maison,
Ô vous qui ne m’oublierez pas,
(Et peut-être d’autres viendront)
Vous qui m’avez donné ici-bas
Vos joues, l’étreinte de vos bras,
Votre sommeil sur qui je veille
Je vous appelle ici tout bas,
Je vous rends toutes ces merveilles.

Et maintenant, à toi, Maurice,
À toi, frère de ma jeunesse,
Que te donnerai-je qui puisse
N’être à toi de ce que je laisse ?
Voici Paris qui fut à nous,
Voici Florence qui se dresse
Et, sur les chemins secs et roux
Voici notre Espagne sans cesse.

Mais voici surtout, ô mon frère,
Le cœur de notre adolescence ;
Nul hasard ne le désespère,
À tout il garde sa confiance.

Au destin, même bien masqué,
Nous disions oui d’une voix claire,
Quel qu’il fût. Et rien n’a manqué
Aux cadeaux qu’il pouvait nous faire.

Bien ou mal acceptons le lot !
Je le lui rends tout pêle-mêle
Mais je te laisse le plus beau,
Nos dix-sept ans, l’aube nouvelle,
La couleur du matin profond,
Nos années pareilles et belles,
Les enfants dans notre maison
Et notre jeunesse immortelle.

Et puis, voici, pour mes amis
Chacun leur carte-souvenir.
Vous d’hier et vous d’aujourd’hui,
Vous m’entourez sans vous enfuir,
Vous allumez sur mon passage
Le plus beau feu de l’avenir.
Je tends mes mains à vos images,
Elles me gardent de frémir.

Cher José, voici la Cité
Et la cour de Louis-le-Grand.
Georges, pour un futur été
Voici la route dans les champs.
Henri, voici les quais de Seine
Et les livres à feuilleter
Et le pays de la Sirène
Que nous aurions dû visiter.

Voici les Noëls de Vendôme
Notre-Dame des Pèlerins,
Le passé fut si beau en somme
Qu’il ne faut blâmer le destin.
Jusqu’au bout de nos années d’hommes
Nous aurons gardé le meilleur,

Le savoir de ce que nous sommes,
La jeunesse de notre cœur.

Et pour toi, depuis si longtemps
De l’adolescence surgie,
Je n’ai que d’étranges présents
À te laisser, ô mon amie ;
Moins de joie, c’est sûr, que de peines,
L’asile où j’abritais ma vie
Au cœur des mauvaises semaines
Et ce qui jamais ne s’oublie.

Pour vous, les frères de la guerre,
Les compagnons des barbelés,
Fidèles dans toutes misères,
Vous ne cessez de me parler ;
Voici nos neiges sur le camp,
Voici nos espoirs d’exilés,
Notre attente de si longtemps,
Notre foi que rien n’a troublé.

Et vous, garçons de mon pays,
Voici les mots que nous disions,
Nos feux de camp parmi la nuit,
Et nos tentes dans les buissons.
Vous le savez mieux que personne
J’ai voulu garder ma patrie
Du sang versé et je vous donne
Ce sang gardé, ô mes amis.

Cher Nell, notre Sainte colline,
Le petit peuple du Marché,
La rue grouillante où l’on chemine,
Les charrettes de maraîchers
Ils sont à toi, ami têtu,
Qui dans l’ombre toujours devines.
Ce que l’espoir jamais battu
Malgré l’apparence dessine.


Et pour vous les derniers venus,
Compagnons des sombres journées,
Ô captifs des cachots reclus
Gardez ces heures condamnées,
Gardez le froid, gardez l’ennui :
Pour ceux qui ne les auraient plus,
Ce sont des trésors eux aussi,
Avec vous, je les ai connus.

Quelques ombres, quelques visages
Ont droit encore à quelques grains.
Finissons vite le partage
Avant que vienne le destin.
Tous ceux-là, qui garçons ou filles
Sont venus couper mon chemin,
Peuvent bien dans la nuit qui brille
Attendre avec moi le matin.

Pour eux tous, j’avais les mains pleines
Elles sont vides maintenant
Des images les plus lointaines,
Du passé le plus émouvant.
Je ne garde pour emporter
Au delà des terres humaines,
Loin des plaisirs de mes étés,
Des amitiés qui furent miennes,

Que ce qu’on ne peut m’enlever
L’amour et le goût de la terre,
Le nom de ceux dont je rêvais
Au cœur de mes nuits de misère,
Les années de tous mes bonheurs
La confiance de mes frères,
Et la pensée de mon honneur
Et le visage de ma mère.

Fresnes, le 22 janvier 1945.

LE JUGEMENT DES JUGES

Ceux qu’on enferme dans le froid sous les serrures solennelles,
Ceux qu’on a de bure vêtus, ceux qui s’accrochent aux barreaux,
Ceux qu’on jette la chaîne aux pieds dans les cachots sans soupiraux,
Ceux qui gardent les mains liées, refusés à l’aube nouvelle,
Ceux qui tombent dans le matin, tout disloqués à leur poteau,
Ceux qui lancent un dernier cri au moment de quitter leur peau
Ils seront quelque jour pourtant la Cour de Justice éternelle.


Car avant même de juger le criminel et l’innocent,
Ce sont les juges tout d’abord qu’il faudra bien que l’on rassemble,
Qui sortiront de leurs tombeaux, du fond des siècles tous ensemble,
Sous leur galon de militaire ou leur robe couleur de sang,
Les colonels de nos falots, les procureurs dont le dos tremble,
Les évêques qui face au ciel ont jugé ce que bon leur semble,
Ils seront à leur tour aussi à la barre du jugement.


Quand la trompette sonnera, ce sera le premier travail !
Mauvais garçons, de cent mille ans vous n’aurez eu tant de besogne !
Pour tuer, pour dérober vous n’aviez guère de vergogne,
Mais vous avez bien aujourd’hui à soigner un autre bétail,
Regardez dans le petit jour, c’est le chien de berger qui grogne.
Il mord leurs mollets solennels, et le fouet claque à votre poigne.
Rassemblez les juges ici dans l’enceinte du grand foirail.



Pour les juger, je vous le dis, nous aurons sans doute les saints.
Mais les saints ne suffisent pas pour énoncer tant de sentences.
Ceux qu’on a jugés les premiers, autrefois, pendant l’existence,
Comme il est dit au livre vrai, ne seront jugés qu’à la fin.
Ils jugeront d’abord le juge, ils pèseront les circonstances.
À leur tour alors d’écouter l’attaque autant que la défense.
Les juges vont enfin passer au tribunal du grand matin.


Les tire-laine dans la nuit, les voleurs crachant leurs poumons,
Les putains des brouillards anglais accostant les passants dans l’ombre,
Les déserteurs qui passaient l’eau happés dans le canot qui sombre,
Les laveurs de chèques traqués, les nègres saouls dans leur boxon,
Les gamins marchands d’explosifs, les terroristes des jours sombres,
Les tueurs des grandes cités serrés par les mouchards sans nombre
Avant d’être à nouveau jugés font la grande cassation.


On les verra se rassembler, montant vers nous du fond des âges,
Ceux qui, les raquettes aux pieds, parmi les neiges du Grand Nord,
Ont frappé au bord des placers leurs compagnons les chercheurs d’or,
Ceux qui, dans la glace et le vent, au comptoir de saloons sauvages,
Ont bu dans des verres grossiers l’alcool de grain des hommes forts
Et qui, négligeant la loi, confondant l’oubli et la mort
Ont rejeté les vieux espoirs de gagner les tièdes rivages.


Ils s’assiéront auprès de ceux qui ont tiré dans les tranchées
Et puis qui ont dit non un jour, fatigués des années d’horreur,
Des soldats tués pour l’exemple et des décimés par erreur,
Et près des durs, des militants de toutes les causes gâchées,
De ceux qui tombent en hiver sous les balles des fusilleurs,
De ceux qu’enferment aux cachots les polices des Empereurs,
Et des jeunesses de partout par leurs chefs en fuite lâchées.


Oui tous, les soldats, les bandits, on leur fera bonne mesure ;
Ne craignez pas, hommes de bien, ils seront jugés eux aussi,
Mais c’est à eux pour commencer qu’il convient de parler ici.
Car la parole est tout d’abord à ceux qui courent l’aventure,
Et non à ceux qui pour juger se sont satisfait d’être assis,
De poser sur leur calme front leur toque noire ou leur képi,
Et de gagner d’un peu de sang leur carrière et leur nourriture.



Les adversaires d’autrefois pour ce jour se sont accordés.
Les juges traînés au bûcher sont auprès des mauvais enfants,
Car les juges seront jugés par coupables et innocents.
Au delà des verrous tirés qui d’entre eux pourra s’aborder ?
Qui verra ses lacets rendus, sa cravate et ses vêtements ?
Socrate juge la cité, Jeanne signe le jugement,
Et à la cour siègent ce soir la Reine et Charlotte Corday.


Ils passeront, ils répondront aux tribunaux des derniers jours
Ceux-là qui avaient tant souci de garder leur hermine blanche,
Et les cellules s’ouvriront sans besoin de verrous ni clanches ;
À la cour du suprême appel, ce n’est pas les mêmes toujours,
Ô frères des taules glacées, qui seront du côté du manche,
Les pantins désarticulés attachés au poteau qui penche
Se dresseront pour vous entendre, ô juges qui demeuriez sourds.


Et ceux qui ont passé leurs nuits à remâcher leurs mauvais rêves,
Les pâles joueurs de couteau, les héros morts pour leur combat,
Les filles qui sur le trottoir glissent la drogue dans leurs bas,
Ceux-là qui pendant des années ont perdu leur sang et leur sève,
Par le juge et par le mouchard et par Caïphe et par Judas,
Ils verront le grand Condamné, Roi des condamnés d’ici bas,
Ouvrir pour juges et jugés le temps de la grande relève.

Fresnes, le 23 janvier 1945.

CHANSON

La vie s’écoule entre mes doigts…
Ce n’est pas une image en somme,
La vie s’écoule entre mes doigts,
Je sens l’eau qui fuit de mes paumes.

Je pourrais faire sur le mur
Le compte strict de mes journées.
Je pourrais mettre sur le mur
Ma vie bien vite dessinée.

Tant de choses sont contenues
Dans le cercle de deux semaines,
Tant de choses sont contenues
La joie ensemble avec la peine.

En quelques jours brefs et étranges
Plus riches qu’aucun jour passé,
En quelques jours brefs et étranges,
Toute la chance est entassée.

Comme un peu d’eau prise à la source
Toute la vie pour le buveur
Est là, comme prise à la source,
Il fallait bien garder l’honneur.

24 janvier 1945.

BIJOUX

Je n’ai jamais eu de bijoux,
Ni bagues ni chaîne au poignet,
Ce sont choses mal vues chez nous ;
Mais on m’a mis la chaîne aux pieds.

On dit que ce n’est pas viril,
Les bijoux sont faits pour les filles :
Aujourd’hui comment se fait-il
Qu’on m’ait mis la chaîne aux chevilles ?

Il faut croire toutes choses,
Être curieux du nouveau ;
Étrange est l’habit qu’on m’impose
Et bizarre le double anneau.

Le mur est froid, la soupe est maigre
Mais je marche, ma foi, très fier,
Tout résonnant comme un roi nègre
Paré de ses bijoux de fer.

29 janvier 1945.

L’ENFANT HONNEUR

Au berceau de l’Enfant Honneur
On a vu deux fées apporter
Leurs présents pour l’Enfant Honneur :
Le courage avec la gaîté ;

À quoi, dit-on à la première,
Sert un présent comme le vôtre ?
Presque à rien, répond la première ;
À donner du courage aux autres.

L’autre, dit-on à la seconde,
N’est-il pas de trop pour l’Honneur ?
— Un enfant, répond la seconde
A toujours besoin d’une fleur.

30 janvier 1945.

AUX MORTS DE FÉVRIER

Les derniers coups de feu continuent de briller
Dans le jour indistinct où sont tombés les nôtres.
Sur onze ans de retard, serai-je donc des vôtres ?
Je pense à vous, ce soir, ô morts de février.

Fresnes, 1er février 1945.

PSAUME VI

Ma vie est un oiseau aux filets du chasseur :
Voici le dernier acte et l’ultime seconde.
Ce qui est impossible aux promesses du monde
Reste possible encor, mais à vous seul Seigneur

Voici le dernier acte et l’ultime seconde :
Laissez-moi le courage à défaut d’autre bien ;
Il en faut pour briser les plus étroits liens,
Et ce n’est plus qu’en vous que mon espoir se fonde.

Ce qui est impossible aux promesses du monde
Est plus dur que passer par le trou d’une aiguille,
Mais vous pouvez laisser avant que l’éclair brille
Flotter notre radeau sur l’Océan sans sonde.

Tout est possible encor, mais à vous seul, Seigneur
Ce peu de jours qui reste est tenu dans vos mains.
S’approche l’oiseleur avec son sac au poing.
Ma vie est un oiseau aux filets du chasseur.

1er février 1945.

GETHSÉMANI

Selon Matthieu

Je monte vers Gethsémani,
Tout au long de la nuit obscure.
La nuit est longue, la nuit dure,
Ô nuit, odeur de l’agonie.

Autour de moi rien ne subsiste
De tout cela que je rêvais.
Jusqu’à la mort mon âme est triste,
Mon âme est triste, il faut veiller.


Selon Marc

Père est-il vrai que vienne l’aube ?
Qu’approche celui qui me livre ?
Que ce calice se dérobe !
Que le matin me laisse vivre !

Mais s’il faut que je m’apprête,
Si nul ne peut rompre mes chaînes,
Que votre volonté soit faite,
La vôtre, Père, et non la mienne.

Selon Luc

Les miens sont endormis encor,
Accablés sous l’immense peine,
La sueur coule de mon corps,
Le sang s’écoule de mes veines.

Est-ce un ange qui vient vers moi ?
Ses paumes sont douces et fortes.
Il rafraîchit mon désarroi,
Il me parle et me réconforte.


Selon Jean

Si viennent juges et vendus,
Père je pourrais leur jurer
Que personne ne s’est perdu
De ceux qu’on m’avait confiés.

J’aurai gardé de l’aventure
Ceux-là qui ont su m’écouter
La nuit est longue, la nuit est dure,
Mais j’y maintiens cette fierté.


Si longue soit-elle et si dure
En souvenir de l’agonie,
Seigneur, et de la nuit obscure
Sauve-moi de Gethsémani !

3 février 1945.

LAZARE

Tout, quand vous voulez, Seigneur, est possible,
Le verrou se tire au seuil du cachot,
Le fusil s’abaisse au bord de la cible,
Les morts qu’on pleurait sortent du tombeau.

Devant le tombeau, vous pleuriez aussi,
Devant le tombeau où dormit Lazare,
Au jour de ce monde, il fut votre ami,
Vous avez brisé ses sombres amarres.

Compagnon de Dieu, Lazare mon frère,
Viendrez-vous demain, viendrez-vous ce soir,
Ô vous né deux fois aux joies de la terre,
Patron à jamais des derniers espoirs ?

Près du monument se tient invisible
La petite fille aux yeux de matin.
Tout, quand vous voulez, Seigneur, est possible
L’Enfant Espérance a joint les deux mains.

Je remets, Seigneur, aux plis de sa robe
La peine des miens, l’étreinte du cœur ;
Que l’enfant me rende, à l’heure de l’aube,
Le jour de la terre — ou sinon, d’ailleurs.

Fresnes, 4 février 1945.

PSAUME VII

J’ai passé cette nuit au mont des Oliviers.
Étais-je auprès de vous, bien indigne, Seigneur ?
Je ne sais, mais la chaîne était lourde à mes pieds,
Et je suais aussi, comme vous, ma sueur.

Ce n’est pas sans grand mal, voyez-vous qu’on arrache
Notre cœur aux seuls biens auxquels il fut voué
Et l’ange vient trancher plutôt qu’il ne détache
Le fil de ce bateau que vous aviez noué.

Vous avez trop connu cette terre où nous sommes,
Vous avez trop aimé l’air que nous respirions,
Pour n’avoir pas souffert ce que souffrent les hommes
Et n’avoir pas gémi dans votre passion.

Ah ! si demain, Seigneur, du jardin des Olives,
Je pouvais repartir vers le monde qu’on voit,
Laissez-moi boire encor aux fontaines d’eau vive,
Et laissez s’éloigner cette coupe de moi.

Mais s’il vous faut encor mon attente, Seigneur,
S’il vous faut l’aube noire et la plus dure peine,
Prenez l’arrachement et prenez la douleur,
Que votre volonté soit faite et non la mienne.

Fresnes, le 5 février 1945.

LA MORT EN FACE

6 février 1945.

Si j’en avais le loisir, j’aurais sans doute écrit le récit des journées que j’ai vécues dans la cellule des condamnés à mort à Fresnes, sous ce titre. On a dit que la mort ni le soleil ne se regardent en face. J’ai essayé pourtant. Je n’ai rien d’un stoïcien, et c’est dur de s’arracher à ce qu’on aime. Mais j’ai essayé pourtant de ne pas laisser à ceux qui me voyaient ou pensaient à moi une image indigne.

Les journées, les dernières surtout, ont été riches et pleines. Je n’avais plus beaucoup d’illusions, surtout depuis le jour où j’ai appris le rejet de mon pourvoi en cassation, rejet pourtant prévu. J’ai achevé le petit travail sur Chénier que j’avais commencé, j’ai encore écrit quelques poèmes. Une de mes nuits a été mauvaise, et le matin j’attendais. Mais les autres nuits, ensuite, j’ai dormi bien calmement. Les trois derniers soirs, j’ai relu le récit de la Passion, chaque soir, dans chacun des quatre Évangélistes. Je priais beaucoup, et c’est la prière, je le sais, qui me donnait un sommeil calme. Le matin l’aumônier venait m’apporter la communion. Je pensais avec douceur à tous ceux que j’aimais, à tous ceux que j’avais rencontrés dans la vie. Je pensais avec peine à leur peine. Mais j’essayais le plus possible d’accepter.

Robert Brasillach.

PROCÈS-VERBAL
DE L’EXÉCUTION DE ROBERT BRASILLACH

le 6 février 1945

À 8 heures 30, devant les grilles du Palais de Justice se forme le cortège des six voitures noires qui doivent conduire à Fresnes les personnes requises par la loi et l’usage pour l’exécution[1]. Tout le long du parcours, un important service d’ordre constitué par des gardiens de la paix armés de mitraillettes. Aux abords de Fresnes, le service d’ordre est beaucoup plus dense. Dans l’allée de la prison, les gardes mobiles font la haie. Nous attendons quelques instants avec les différentes personnalités devant la grille d’accès au grand couloir qui mène à la détention.

À 9 heures juste, nous nous rendons, suivis d’un peloton de garde-mobiles, à la division des condamnés à mort. Le Commissaire du gouvernement François ouvre la porte de la cellule de Robert Brasillach et lui annonce d’une voix sèche que son recours en grâce a été rejeté.

Je pénètre à ce moment dans sa cellule avec Me Mireille Noël et l’Aumônier. Robert Brasillach nous embrasse tous les trois. Puis il demande à rester seul avec l’Aumônier. Deux gardiens viennent lui retirer ses chaînes. Après sa confession et quelques minutes d’entretien avec le prêtre, il me fait appeler ainsi que Mlle Noël. Il me donne alors les dernières lettres qu’il a préparées pour sa mère, pour sa famille, pour ses amis, pour Mlle Noël et pour moi-même.

Il me donne également les manuscrits des poèmes écrits en prison et une feuille contenant quelques lignes avec ce titre : « En face de la mort ». De temps en temps, il me regarde avec un bon sourire d’enfant. Il avait compris, dès hier, que ce serait pour ce matin.

« Vous savez, me dit-il, j’ai parfaitement dormi ».

Comme il doit revêtir son costume civil à la place du costume des condamnés à mort qu’il porte, Mlle Noël se retire et je demeure seul avec lui.

« Oui, restez près de moi », me dit-il.

Il me montre la photographie de sa mère et celle de ses deux neveux.

Il les met dans son portefeuille et m’exprime le désir de mourir avec ces photographies sur son cœur. À ce moment, il a une légère défaillance, il pousse un soupir et des larmes coulent de ses yeux. Il se tourne vers moi et dit, comme s’il voulait s’en excuser :

« C’est un peu naturel. Tout à l’heure, je ne manquerai pas de courage, rassurez-vous ».

Il s’habille alors tranquillement avec beaucoup de soin, refait la raie de ses cheveux devant sa petite glace, puis songeant à tout, retire d’une miche de pain un petit canif et une paire de ciseaux qu’il y avait dissimulés et qu’il me remet. Il m’explique « Pour que personne n’ait d’ennui ».

Il range ses affaires personnelles dans un grand sac. À ce moment il a soif. Il boit un peu d’eau dans sa gamelle. Puis il achève sa toilette. Il a le pardessus bleu qu’il portait au procès. Autour de son cou il a passé un foulard de laine rouge.

Il demande à s’entretenir avec M. le Commissaire du Gouvernement Reboul.

Celui-ci s’avance. Il est raidi par l’émotion, le visage tourmenté et d’une grande pâleur.

D’une voix sourde, Brasillach lui fait alors la déclaration suivante :

« Je ne vous en veux pas, Monsieur Reboul, je sais que vous croyez avoir agi selon votre devoir ; mais je tiens à vous dire que je n’ai songé, moi, qu’à servir ma patrie. Je sais que vous êtes chrétien comme moi. C’est Dieu seul qui nous jugera. Puis-je vous demander un service ? » M. Reboul s’incline. Robert Brasillach continue : « Ma famille a été très éprouvée, mon beau-frère est en prison sans raison depuis six mois. Ma sœur a besoin de lui. Je vous demande de faire tout ce que vous pourrez pour qu’il soit libéré. Il a été aussi le compagnon de toute ma jeunesse. »

Le Commissaire du Gouvernement lui répond :

« Je vous le promets. »

Robert Brasillach lui dit pour terminer : « Consentiriez-vous, M. Reboul, à me serrer la main ? »

Le Commissaire du Gouvernement la lui serre longuement.

Robert Brasillach m’embrasse une fois encore ; il embrasse longuement Me Mireille Noël qui vient de rentrer et lui dit : Ayez du courage et restez près de ma pauvre sœur ».

Il est prêt. Il ouvre lui-même la porte de sa cellule.

Il avance au devant des personnalités qui attendent et leur dit : « Messieurs, je suis à vos ordres ! »

Deux gardes-mobiles se dirigent vers lui et lui passent les menottes. Nous gagnons le grand couloir de la sortie. En passant devant une cellule, d’une voix claire, Robert Brasillach crie : « Au revoir Béraud ! », et quelques mètres plus loin : « Au revoir Lucien Combelle ! »

Sa voix résonne sous la voûte, au-dessus du bruit des pas.

Lorsque nous arrivons à la petite cour où attend la voiture cellulaire, il se retourne vers Mlle Noël et lui baise la main, en lui disant : « Je vous confie Suzanne et ses deux petits. » Il ajoute : « C’est aujourd’hui le 6 février, vous penserez à moi, et vous penserez aussi aux autres qui sont morts le même jour, il y a onze ans. »

Je monte avec lui dans la voiture qui va nous conduire au fort de Montrouge. Il s’est assis, impassible, en me prenant la main. À partir de ce moment, il ne parlera plus.

Le poteau est dressé au pied d’une butte de gazon. Le peloton qui comprend douze hommes et un sous-officier nous tourne le dos. Robert Brasillach m’embrasse en me tapotant l’épaule en signe d’encouragement. Un sourire pur illumine son visage, et son regard n’est pas malheureux. Puis, très calme, très à l’aise, sans le moindre tressaillement, il se dirige vers le poteau. Je me suis un peu détaché du groupe officiel. Il s’est retourné adossé au poteau. Il me regarde. Il a l’air de dire : « Voilà… c’est fini… »

Un soldat sort du peloton pour lui lier les mains. Mais le soldat s’affole et n’y parvient pas. Le maréchal-des-logis, sur l’ordre du lieutenant essaie à son tour. Les secondes passent… On entend la voix du lieutenant qui coupe le silence « Maréchal-des-logis !… Maréchal-des-logis… »

Robert Brasillach tourne lentement la tête de gauche à droite. Ses lèvres dessinent un sourire presque ironique. Les deux soldats rejoignent enfin le peloton.

Robert Brasillach est lié à son poteau, très droit, la tête levée et fière. Au-dessus du cache-col rouge, elle apparaît toute pâle. Le greffier lit l’arrêt par lequel le pourvoi est rejeté.

Puis d’une voix forte, Robert Brasillach crie au peloton : « Courage !… » et les yeux levés : « Vive la France !!! »

Le feu de salve retentit. Le haut du corps se sépare du poteau, semble se dresser vers le ciel ; la bouche se crispe. Le Maréchal-des-logis se précipite, et donne le coup de grâce. Le corps glisse doucement jusqu’à terre. Il est 9 heures 38.

Le Dr Paul s’avance pour constater le décès.

L’Aumônier et moi-même le suivons et nous inclinons. Le corps est apparemment intact. Je recueille, pour ceux qui l’aiment, la grosse goutte de sang qui roule sur son front.

Fait à Paris, le 6 février 1945
Jacques Isorni,
Avocat à la Cour d’Appel.
Au delà et au-dessus des événements qui ont décidé du sort tragique de Robert Brasillach, comme autrefois de celui d’André Chénier, cette plaquette a été réalisée en hommage à son seul talent et à son œuvre impérissable. Elle a été achevée d’imprimer le six février mil neuf cent quarante-six pour le premier anniversaire de sa mort. Il en a été tiré une édition originale hors commerce de 10 exemplaires numérotés de I à X et 100 exemplaires numérotés de 1 à 100.
Exemplaire
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  1. M. François, Commissaire du Gouvernement et son greffier ; M. Raoult, Juge d’instruction et son greffier ; le Dr. Paul ; le Lieutenant-Colonel qui commande le Fort de Montrouge, etc.