La Mort de notre chère France en Orient/53


LIII

UN TRAITÉ DE PAIX QUI DIGNEMENT COU­RONNE LA LONGUE SUITE D’ÂNERIES DE NOTRE POLITIQUE ORIENTALE


Au milieu de l’ahurissant concert de men­songes que la presse ose nous servir depuis plus de deux années, au sujet des événements d’Orient, quelquefois un peu de vérité se glisse comme par hasard, — et alors il y a de quoi faire frémir de remords ceux de chez nous qui s’obstinent à rester les partisans de la Grécaille, — du moins ceux qui ont encore une conscience !

Voici l’un de ces articles, effrayants de vérité, qui a pu se faufiler l’autre jour, je ne sais par quel providentiel miracle, dans le Temps, un de nos journaux cependant les moins suspects de partialité pour la Turquie martyre :


Les Musulmans en Arménie.
Batoum, 24 juillet.

« La situation des Musulmans en Arménie est devenue critique. Les persécutions en masse aux­quelles se livrent le gouvernement d’Erivan et le parti « dachnack » contre ces musulmans, les mas­sacres et les violences qui se sont renouvelés ces deux mois derniers poussent les débris des popula­tions musulmanes à s’enfuir en Perse en abandon­nant leurs foyers et leurs biens. Le gouvernement arménien a organisé une commission spéciale pour enregistrer les moissons abandonnées par les Musulmans et les Grecs dans le district de Kars. Dans le district de Zanguibazar, vers la fin de juin, une vingtaine de villages musulmans furent détruits à coups de canon et leurs habitants mas­sacrés. À l’heure actuelle, la population musul­mane de Transcaucasie se trouve prise entre Arméniens et bolchevistes. Le nombre des victimes dépasserait plusieurs dizaines de mille, en dehors des réfugiés. »

Ces révélations toutefois semblent n’avoir fait réfléchir personne, tant est incurable l’aveugle­ment causé par les légendes, — et la Turquie vient de le signer, le couteau sous la gorge, ce traité funambulesque de paix, élaboré au grand détriment de la France par l’Angleterre et la Grèce.

Ce traité contient, entre autres énormités, ce paragraphe mystificateur qui consacre par avance le rapt inévitable et sans doute prochain de Constantinople et des détroits par les deux toujours mêmes complices, l’Angleterre et la Grèce :

« Au cas où le gouvernement ottoman refuserait de signer le traité, bien plus encore, s’il se montre incapable de rétablir son autorité sur l’Anatolie ou d’assurer l’exécution du traité, les Alliés pourront se trouver amenés à rejeter, cette fois pour toujours, les Turcs hors d’Europe. »

Comme s’ils ne savaient pas, les diplomates des deux pays agresseurs, Angleterre et Grèce, que la révolte si perfidement allumée par eux en Anatolie, et entretenue par leurs continuelles exactions, est irréductible, et que toute l’autorité du Sultan n’y peut rien !

Et ils ont signé, les malheureux délégués de la Turquie ! D’ailleurs à leur tête était un sinistre prince, depuis longtemps acheté par l’Angleterre !

Non seulement ils ont signé, mais de plus il leur a fallu avaler les plus insultants mensonges, à eux lancés en plein visage par les conférenciers de Spa, — au nombre desquels, hélas ! se trouvaient tant de Français !

« La Turquie, a-t-on osé leur dire, s’est rendue coupable d’une trahison éclatante à l’égard des puissances qui, pendant plus d’un demi-siècle, s’étaient montrées ses amies éprouvées ! » Ah ! vraiment ! Et le rapt de l’Égypte, et le rapt de la Tunisie, et le rapt de la Tripolitaine, et le flot d’insultes imbéciles au moment de la guerre balkanique, autant de preuves d’amitié, n’est-ce pas ?

« La Turquie, continuent de dire les conférenciers de Spa, est entrée en guerre sans l’ombre d’une excuse ou d’une provocation. » — Ah ! vraiment ? Non, mais là, sans rire ? Et la promesse sans excuse possible, qui, en 1913, avant que la Turquie eût seulement bougé, fut faite par la France à la Russie de lui donner Constantinople et les détroits, c’était un rien, sans doute, une innocente petite farce ?… Du reste la suite de la réponse des conférenciers de Spa aux pauvres délégués turcs continue de se maintenir cyniquement misérable, tissu d’âneries sans nom et d’éhontés mensonges. De ce piteux gâchis, qui témoigne d’une stupéfiante ignorance des choses d’Orient, qui ne tient compte ni des nationalités ni des droits acquis, ne pourra sortir que la guerre sans fin et, non seulement notre chère France aura perdu à tout jamais sa magnifique situation privilégiée dans le Levant, mais, ce qui est plus douloureux encore, notre histoire nationale qui, jusqu’à présent, était demeurée à peu près sans tare, est aujourd’hui marquée d’une grande tache indélébile, comme celle qui déshonore la Russie depuis le partage de la Pologne.

Hélas ! quand la nouvelle est arrivée à Constantinople que le pacte mortel venait d’être signé par l’infidèle grand Vizir à la solde de l’Angleterre, la Turquie a pris le deuil et ses journaux se sont bordés de noir !… Hélas ! Hélas !… Oh ! notre chère France, combien il lui siérait aussi de se voiler de crêpe !…