La Mort de notre chère France en Orient/16

Calmann-Lévy (p. 115-118).


XVI

« LEUR » HONNÊTE PETITE PROPAGANDE


Aux temps de propagande éhontée que nous traversons, on ne peut plus ouvrir un journal sans bondir indigné. Aujourd’hui, 29 mai 1920, c’est un de nos grands journaux parisiens qui publie un communiqué officiel ainsi conçu (le communiqué vient d’Athènes, il va sans dire) : « L’occupation de la Thrace se poursuit normalement. L’armée grecque est reçue partout avec enthousiasme et confiance. » Oh ! lire cela, quand on se rappelle l’abominable entrée sanglante des Grecs à Smyrne, quand on sait que tout dernièrement les malheureuses populations delà Thrace, tant Bulgares que Juives ou Turques, avaient adressé à l’Entente un plébiscite d’angoisse suppliant qu’on les livrât à n’importe quel joug étranger, mais pas à ces Grecs qui en Orient sont les plus haïs de tous !

Tout dernièrement, un autre journal (ah ! pas un grand, celui-là, un tout petit, aux mains des Levantins, mais quand même un journal de Paris), osait écrire sous ce titre : La fin du prestige français en Orient, que jamais l’influence française n’avait englobé l’élément turc ; mais qu’elle aurait uniquement porté sur les populations civilisées (!!) de ce que fut l’Empire ottoman, c’est-à-dire sur les Grecs, Arméniens, Israélites, Espagnols, Syriens ou Arabes… Et songer qu’il s’est peut-être trouvé chez nous de pauvres naïfs pour avaler cette énormité ! quand nous savons si bien, nous tous qui avons habité la Turquie, que l’élément turc est au contraire tout imprégné de culture française, que notre langue, jusqu’à la récente mainmise anglaise, était la seule langue européenne parlée à Constantinople, que les noms des rues, les enseignes des marchands étaient écrits en français, que les commandements des instructeurs aux soldats se faisaient en français, et qu’au contraire nos bons petits amis les Grecs, à peine en possession de Salonique, s’étaient empressés en deux jours de faire disparaître des murailles jusqu’à la dernière des inscriptions en notre langue.

On remplirait tout un volume des révoltants exemples de partialité contre les Turcs donnés par la presse française ; j’en cueillerai seulement quelques-uns pris au hasard. Récemment ils imprimaient en grandes lettres :

La garnison française d’Ourfa tombe dans un guet-apens.

Et voici le récit de ce guet-apens. « Notre garnison encerclée à Ourfa par les rebelles (lisez par les Turcs vraiment patriotes qu’indignait notre présence contraire aux clauses de l’armistice. Les Anglais, comme jadis au Transvaal, n’ont pas hésité à désigner sous le nom de rebelles les braves Turcs qui ont le courage de se défendre jusqu’à la mort) ; notre garnison donc, sans être toutefois trop vivement pressée, pouvait tenir longtemps encore, d’autant plus qu’elle était ravitaillée par la population arménienne de la ville, dont en somme elle assurait la protection. Or, à la suite d’une entente passée avec les rebelles (lisez toujours : Turcs patriotes), ces Arméniens ayant cessé leurs ravitaillements et laissé couper les conduites d’eau, la garnison française fut mise dans l’obligation de quitter la ville, etc., et c’est en route qu’elle fut attaquée, etc., etc. » — Eh ! bien, mais en voilà, ce me semble, une belle trahison au compte des Arméniens ! Qu’importe, personne n’en a signalé l’ignominie ; elle a passé comme lettre à la poste. Mon Dieu, si les pauvres Turcs avaient fait pareille chose !…