La Mort d’Achille et la dispute de ses armes/Acte III

ACTE III.


Scène premiere.

ACHILLE, AJAX, ULISSE, BRISEIDE.
Achille.


Non, je n’en feray rien, vous perdez vôtre peine,
Vous écrivez ſur l’onde, & ſemez ſur l’arene.
Ulyſſe, vos diſcours ſont ici ſuperflus,
Ajax, notre amitié ne peut rien là deſſus ;
Des intereſts d’autruy j’ay l’ame dépouïllée,
On ne me trompe plus, ma veuë eſt déſillée,
Et je voy bien apres tant de nobles efforts
« Qu’obliger des ingrats ceſt embaumer des morts. »
Qu’ils me viennent conter que je ternis ma gloire,
Puis qu’on ne me croit plus, je ne les veux plus croire :
Je ne doy plus pour eux à la guerre eſtre ardant,
Et vous me trahiſſez me le perſuadant.

Je me veux conſerver, le repos dans mes Tentes
Rendra mes paßions tranquilles & contentes.
Je les verray perir mes laſches, mes ingras,
Et me vangeray d’eux en ne les vangeant pas.

Ajax.

Mais tu pardonnerois, ſi tu me voulois croire,
À cette ingratitude, à cauſe de ta gloire.
Exerce pour ton bien ce bras ſi valeureux,
Fais pour toy (cher Amy) ce que tu fis pour eux :
Quoy tu veux eſtre oyſif au ſiege d’une ville ?
Parce qu’ils ſont ingrats, tu ceſſes d’eſtre Achille ?
Tu te prives d’honneur ? non non qu’ils ſoient ingras,
Qu’ils ne t’eſcoutent point, qu’ils pechent, & combas,
Que des fleuves de ſang rougiſſent la campagne,
Va (genereux Achille) & qu’Ajax t’accompagne.

Achille.

J’eſpargne icy mon ſang, va prodiguer le tien,
Ton bras pour triompher n’a que faire du mien.
Si tous les autres chefs laſches, & plains de vices
Devenoient des Ajaxs, devenoient des Ulyſſes,
Que chacun euſt en ſoy la force de vos bras,
Je m’en vangerois mal en ne combattant pas.

Ulisse.

Si je combas ſans vous, ma foibleſſe eſt extreſme,
Et les plus valeureux ſans doute en ſont de meſme,

Voſtre ſeule preſence anime noſtre cœur,
Et nous ſommes vaincus, ſi vous n’eſtes vainqueur.
Venez donc comme un foudre au milieu des allarmes,
Que je vous reconnoiſſe encore par les armes,
Vous perdîtes Patrocle en un pareil courroux,
Si vous ne nous menez combien en perdrez vous ?
Si juſques à la fin le malheur nous travaille,
Sans avoir combattu vous perdrez la bataille,
Et les Troyens ravis ſe vanteront après
D’avoir bien profité des querelles des Grecs.
« Une diſſention rompt la plus forte armee,
Et de tant de projets fait un peu de fumee :
Sa malice affoiblit ce corps le demembrant,
Et fait mille ruiſſeaux d’un vaſte, & fier torrent. »
Quoy vous voir à la paix ardent plus que perſonne,
Que pouvez-vous penſer que l’armee en ſoupçonne ?
Vous offencez la Grece, & ſur tout Menelas,
Vous le pouvez vanger, & ne le faites pas ;
Vous voulez tout avoir de puiſſance abſoluë,
Et ne combattrez plus ſi la paix n’eſt concluë,
Et l’accord eſtant fait des Troyens, & de nous,
En quelle occaſion nous obligerez-vous ?
Ce n’eſt pas qu’en la paix vous ne ſoyez utille,
Mais c’eſt par la valeur que vous eſtes Achille.
Je dis ſans vous flatter quel eſt mon ſentiment,
Et parlant en amy je parle hardiment,

Et dis que ce demon qui trouble noſtre joye
A de l’intelligence avec celuy de Troye.
Hé quoy pouvons nous faire une honorable paix
Avec des ennemis que nous avons deffaits ?
Doit-on ainſi traiter l’ennemy qu’on terraſſe ?
Ils ſont deſſous nos pieds, demanderons nous grace ?
Pourquoy finirons-nous la vieille inimitié ?
Nous ne les craignons pas, en avons-nous pitié ?
Voyons nous quelque choſe en cette ville infame,
Qui nous doive empeſcher d’y jetter de la flame ?
Que pretendez-vous donc ?

Achille.

Que pretendez-vous donc ? Je veux que ces ingras
Uſent de mon conſeil comme ils font de mon bras.

Ulisse.

Si vous ne donnez pas un conſeil ſalutaire,
Faut-il qu’on ſe ruyne afin de vous complaire ?

Achille.

Il n’eſt pas plus utile au Phrygien qu’au Grec.

Ulisse.

À l’un il eſt utile, à l’autre il eſt ſuſpec.

Achille.

Autant, ou plus que Troye, Argos eſt affligee.

Ulisse.

L’une pourtant aßiege, & l’autre eſt aßiegee.

Achille.

Troye a bien de la force, & ſon pouvoir eſt grand.

Ulisse, un peu bas.

Elle eſt forte, il eſt vray, puis qu’Achille s’y rend,

Achille.

Ses murs facilement ne ſe peuvent abbatre.

Ulisse.

« Où l’on reſiſte mieux, c’eſt là qu’il faut combattre. »

Achille.

Ses temples ſont remplis d’enſeignes, & d’eſcus.

Ulisse.

Ha qu’on ne connoiſt pas tous ceux qu’elle a vaincus !

Ajax.

Je n’en ſuis pas du nombre, & l’orgueil des Pergames
M’a veu luy reſiſter, & deſtourner ſes flames :

Ce bouclier d’un vainqueur ne fut jamais le prix,
On me l’a bien fauſſé, mais on ne l’a point pris,
Et tout rompu qu’il eſt, avecque mon adreſſe,
Il pare bien des traits qu’on deſcoche à la Grece :
Mais contre les Troyens nos trouppes ſont aux champs,
Deſja l’on voit à nû mille glaives trenchans,
Rejoignons le ſoldat que noſtre abſence effraye,
Peut-eſtre la patrie a receu quelque playe,
Allons la ſecourir, allons vaincre, ou mourons,
Irons-nous ſeuls, Achille, ou ſi nous te ſuivrons ?

Achille.

Plutoſt je tombe vif dans l’Erebe effroyable,
Plutoſt.

Ajax.

Plutost. Allons, Ulyſſe, il eſt inexorable,
Ce mouvement cruël en lui n’eſt pas nouveau,
Il verroit tout en feu qu’il plaindroit un peu d’eau ;
Allons où la valeur eſclate, & ſe renomme,
Et ne perdons pas tout pour gaigner un ſeul homme.

Ulisse en rentrant.

« Achille, un ennemi ne ſe doit frequenter,
C’eſt gloire de le perdre, & non de le hanter. »



Scène deuxieſme.

ACHILLE, BRISEIDE.
Achille.


Comment on me ſoupçonne ? On me fait cette injure ?
Et ma fidelité trouve qui la cenſure ?
Après cette aſſeurance où mon bras les a mis,
On croit que je m’entends avec nos ennemis :
Voilà ma recompenſe, & c’eſt là le ſalaire
Des belles actions qu’Ilion m’a veu faire ?
Ha que l’ingratitude eſt un vice odieux !
Mes lauriers ſont fletris devant que d’eſtre vieux,
Et la Grece oubliant ſa miſere ancienne
Taſche à perdre ma gloire, & j’ay ſauvé la ſienne ?
Tout ce qui reſte à Troye alors que l’on ſe bat,
Que le ſexe, ou que l’âge exempte du combat,
Vieillards, femmes, enfãs, vains fardeaux de la guerre,
Contre moy dans un temple invoquent le tonnerre,
Parce qu’à des ingrats mon cœur maintient ſa foy,
Et j’attire pour eux tous ces vœux contre moy.

Briseide.

C’eſt ce que le devoir m’a commandé d’écrire
Quand la timidité m’empeſchoit de le dire,

Ulyſſe, & tous les chefs ont cette opinion
Que vous favoriſez le party d’Ilion,
Et que vous avez fait charmé de Polixene
L’objet d’une amitié de l’objet d’une hayne ;
Voyant par ce ſoupçon voſtre honneur ſe fleſtrir,
Je n’oſay vous le dire, & ne le pus ſouffrir,
Si bien qu’en ce billet je vous ay fait apprendre
Qu’on penſoit qu’aux Troyens voſtre foi s’alloit rẽdre,
Qu’une jeune beauté changoit vos paßions,
Et qu’elle avoit gagné vos inclinations.

Achille.

« De combien d’accidens eſt la vertu ſuivie,
Et qu’elle évite peu les pieges de l’envie !
Comme elle est meſconnuë, & comme l’innocent
Paſſe pour criminel alors qu’il eſt abſent ! »
Si la treſve permet qu’Achille ſe promene,
Il veut du bien à Troye, il ayme Polixene :
Et ſi durant le temps que l’on prend du repos,
Il parle aux ennemis, Achille vend Argos.

Briseide.

J’ay peur que l’inconſtance ait terny voſtre gloire.

Achille.

Vous m’accuſez à tort.

Briseide.

Vous m’accusez à tort. Hé bien je le veux croire
Que toujours ſur voſtre ame un meſme amour agit,
« Mais on peut accuſer l’innocent qui rougit. »
Briſeide en beauté le cede à Polixene,
Souffrez, ſouffrez pour elle une amoureuſe peine,
Preferez ſes attraits à ma fidelité,
Mais aimez voſtre honneur autant que ſa beauté.
Je ne demande pas (beau, mais cruel Achille)
Que vous n’aymiez que moy, je ſerois incivile,
Ny que vous vous teniez à mes foibles appas,
Ny que vous me gardiez ce que vous n’avez pas,
Je ne veux point forcer voſtre humeur deſloyale,
Non, non, mais ſeulement cognoiſſez ma rivalle,
Songez que de vos faicts elle a ſouvent gemy,
« Et qu’il eſt dangereux d’aymer ſon ennemy. »

Achille en le baiſant.

Ne croy point, mon ſoucy, que je change de flame,
Et qu’un objet nouveau te chaſſe de mon ame.

Briseide.

Perfide, ces doux mots ne ſont plus de ſaiſon,
À quoy ſert le baiſer après la trahiſon ?
Éclatez mes douleurs, puis que je ſuis ſortie
Des bornes du reſpect, & de la modeſtie.

Inconſtant, infidelle, eſt-ce là cette foy
Que tu m’avois juré qui ne ſeroit qu’à moy ?
Quoy te verray-je donc entre les bras d’une autre
De qui l’affection n’égalle point la nôtre ?
Qui te ſuſcitera les fureurs de l’enfer,
Et ne t’embraſſera qu’afin de t’étouffer ?
Qu’Amour te faſſe voir ma rivale plus belle,
Tu peux bien t’aſſurer qu’elle t’eſt moins fidelle :
Donc ſans changer l’object de ton contentement,
Vis avec moins de joye, & vis plus ſeurement :
Auray-je cet affront moy qui fus glorieuſe ?
Non, non, vivons aymee, ou mourons odieuſe.

Achille.

Que voulez-vous, jalouze ! ha que mal à propos
Je pris cette importune au ſiege de Leſbos
Pour acroiſtre l’ennuy de la guerre de Troye,
Et pour perſecuter mon repos, & ma joye !
Il eſt vray, Polixene occupe mon ſoucy,
Vous éclatez, la belle, & moi j’éclate außi :
Je ne veux plus ſouffrir que vôtre orgueil me brave,
Polixene eſt maiſtreſſe, & vous eſtes eſclave,
Je luy rends par devoir, & d’inclination
Ce que je ne vous rends que par affection,
On vous aime, on vous ſert, vous eſtes reveree,
Mais c’eſt vous captiver d’une chaîne doree.

Adieu, ne penſez plus que l’on vous faſſe tort,
Et ne regardez point plus haut que voſtre ſort.

Il r’entre.



Scène troisieſme.

BRISEIDE ſeule.


Taiſons-nous, il le faut, & mon maiſtre l’ordonne,
« Heureux qui n’a de loy que celle qu’il ſe donne,
Dont toujours la fortune eſt en un meſme point,
Qui ne fut jamais haut, ou qui ne tombe point ! »
Pourquoy faut-il ſervir deux puiſſances pour une
Eſclave de l’Amour comme de la Fortune ?
Cruel commandement de l’ingrat que je ſers !
Je n’oſe témoigner que je cheris mes fers,
Quoy que j’en ſois jalouſe en une telle ſorte
Que je ne puis ſouffrir qu’autre que moy les porte :
Bien, mon cœur, qu’il s’engage à de nouveaux apas,
Crains pour luy ſeulement, mais ne murmure pas,
Songe qu’il ſe ruine, & non pas qu’il t’offence,
Ne plains que ſon malheur, ſouffre ſon inconſtance :
Il n’eſt point de malheur qui ſoit égal au mien,
Je crains plus toutefois les preſages du ſien,
Aux ſacrez inteſtins des victimes plus pures
Je voy d’un accident les ſiniſtres augures,

Ciel deſtourne ce mal, j’ayme mieux au ſurplus
Voir Achille inconſtant que de ne le voir plus,
Je luy témoigneray que ma flame eſt extrême,
Et je me veux haïr pour montrer que je l’aime,
S’il faut ſouffrir ſa mort, ſon change ou mon trépas,
Qu’il vive, que je meure, & qu’il ne m’ayme pas.



Scène quatrieſme

HECUBE, POLIXENE.
Hecube.


Mon Dieu ! Qu’il eſt parfaict, qu’il eſt remply de charmes,
Quand je ne le voy point mettre la main aux armes !
J’ay regret que ſon bras qui nous eſtoit fatal,
M’ait ſi long-temps forcée à luy vouloir du mal,
Combien pour cette paix il eſt opiniâtre,
N’ayant pû l’obtenir l’aperçoit-on combatre ?
Qui de cette meſlée eſt außi le témoin,
Juge facilement qu’Achille en eſt bien loin :
C’eſt la meilleure preuve, & je n’en veux point d’autres
Que le mal-heur des Grecs, & le bon-heur des nôtres.
Nous ſommes les vaincus quand il eſt animé,

Vous avez bien pû voir de deſſus la muraille,
Ceux à qui Mars promet l’honneur de la bataille.
Le Troyen par ſon ſang commence à s’enflamer,
S’il en perd une goutte, il en tire une mer.
Qu’il fait beau veoir Pâris, Deiphôbe, & Troïle,
Et que leur force éclate en l’abſence d’Achille !

Polixene.

« Ainſi loin du Soleil tous les arbres ſont beaux,
Ainſi pres du Soleil il n’eſt plus de flambeaux : »
Außi l’aſpect d’Achille horrible à ma memoire,
Change en fatalité le ſort de la victoire,
Et ce jeune guerrier ne ſort point du combat
Qu’il n’ait couché par terre un pilier de l’Eſtat.

Hecube.

Careſſez-le pourtant, faictes-en de l’eſtime,
Si ce n’eſt par amour, que ce ſoit par maxime,
Songeons au bien preſent, le mal ſoit oublié,
Il nous perd ennemy, qu’il nous ſerve allié,
Que ſon affection repare nôtre perte,
Et qu’il ferme la playe apres l’avoir ouverte :
Nourriſſez ſon eſpoir d’un favorable accueil,
Quoy que vous ayez peine à le voir de bon œil,
Et qu’il vous ſoit à charge en ſa flame amoureuſe,
Il fut nôtre ennemy, vous eſtes genereuſe,

Et vous vous ſouvenez qu’il nous a fait paſtir,
Mais ſommes-nous au temps de nous en reſſentir,
Nous qui n’avons plus rien de ce pouvoir antique ?
Non, flattons le ſerpent de peur qu’il nous repique,
Ne nous reſſentons point de tant d’affreux combas,
Sauvons ſeulement Troye, & ne la vangeons pas.

Polixene.

Suivant vos loix, Madame, on n’eſt jamais blâmable,
Vous voulez que je l’ayme, hé bien il eſt aymable,
Je prefere à mes vœux le commun intereſt,
Et le trouve charmant à cauſe qu’il vous plaiſt,
Je rendray mon deſir conforme à vôtre attente.

Hecube.

Que nous ſerons heureux ! que vous ſerez contente !
Vous avez en cela de faciles moyens
De faire triompher la valeur des Troyens,
Vous regnerez, les Dieux vous en feront la grace,
Quels ſeront vos enfants, cette ſuperbe race,
Eſtant fils d’un Achille, & neveux d’un Hector ?
N’eſtimerez-vous pas un ſi riche threſor ?
Achille eſt un époux que le Ciel vous envoye,
Et l’aymant vous aymez Priam, Hecube, & Troye.

Pâris pareſt armé.

Mais le jeune Pâris ayant quitté ſon rang
Vient couvert de ſueur, de poußiere, & de ſang.

Polixene.

De quelque horreur que ſoit la bataille comblée,
Il ſe démelle bien touſjours de la meſlée.



Scène cinquieſme

HECUBE, PÂRIS, POLIXENE.
Hecube.


Sommes-nous les vaincus, ou les victorieux ?
Comment va le combat ?

Pâris.

Comment va le combat ? Tout va bien grace aux Dieux,
L’armee eſt en deroutte, elle a pris l’eſpouvante,
La bataille nous eſt glorieuſe, & ſanglante.

Hecube.

Nos gens, comme on les voit de la tour d’Ilion,
Ont bien de l’avantage à mon opinion.

Pâris.

Oüy, mais une victoire eſt-elle ſi parfaite
« Qu’elle ne coute rien ? qui la gaigne l’achette,
Sur ſa felicité le vainqueur s’appuyant
Treſbuche, & l’ennemy ſe retourne en fuyant : »

Touſjours quelque Troyen que ſon courage incite
Pourſuivant un Gregeois trouve ce qu’il évite,
À tous deux le combat apporte du renom,
Et meſme le vaincu fait gloire de ſon nom.
L’on ne cueillit jamais de palme moins facile,
Quoy dãs chaque Gregeois ſe trouve un cœur d’Achille,
Tous Chefs, & tous soldats qui ne redoutent rien,
Ils occupent ſa place, & la rempliſſent bien.
Nous triomphons pourtant, & le champ nous demeure.

Hecube.

Et vos freres, Pâris ?

Pâris.

Et vos frères, Pâris ? Ils combattent ſur l’heure,
Mille eſcadrons vaincus rendent l’ame à leurs pieds,
Pour moy j’en ſuis ſorty comme vous me voyez,
Je ne compare point mes faits à ceux d’Alcide,
Mais je reviens ſanglant, & mon carquois eſt vide.

Hecube.

Nous n’avons deſormais pour noſtre commun bien
Qu’à ſuplier les Dieux qu’ils ne nous oſtent rien.

Polixene.

Mais mon frere, Troïle ?

Pâris.

Mais mon frère, Troïle ? Il eſt comme une foudre,
Qui briſe, qui ſacage, & qui met tout en poudre,

Ses regards menaçants ſont des éclairs d’horreur,
Et ſon front eſt un ciel où tonne la terreur,
Il a trop de furie, & gagne plus de gloire
Dans l’ardeur d’un combat que dans une victoire,
Son courroux devroit eſtre un peu moins violent,
Il eſt brave, il eſt fort, mais il eſt inſolent,
Comme il a du courage, & comme il hait Achille,
Il croit que la dépouïlle en eſt aſſez facille,
Penſe l’épouvanter, & croit que ce vainqueur
Aprehende le frere, & n’ayme pas la ſœur,
Sa vaillance deffie un qui vous idolâtre,
Qui nous permet de vaincre, & nous laiſſe combattre,
Et ſa temerité le porte aveuglement,
Une pique à la main, juſqu’au retranchement,
Viens, laſche, viens, poltron, parois devant Troïle,
(Ce ſont ſes propres mots) es-tu ce brave Achille ?
Sois-le contre celuy qui s’oppoſe a tes veux,
Vien me donner la mort pluſtoſt que des Neveux.
À quoy que ſa promeſſe, & ſon amour l’engage,
Achille n’eſt pas homme à ſouffrir un outrage.

Polixene.

Où va-t-il s’engager ?

Hecube.

Où va-t-il s’engager ? Quel accident voilà,
Dieux ! mais pourquoi le craindre ? ils n’en viendront pas là,

En faveur de l’objet du feu qui le conſomme,
Achille excuſera cette ardeur de jeune homme.
Voudroit-il ruyner ſes amoureux deſſeins ?

Pâris.

Mais je croy ce mal-heur, parce que je le crains.

Hecube.

Pour voir de nos eſprits cette crainte ſouſtraitte,
Perſuadez au Roy qu’on ſonne la retraitte,
Qu’aux ennemis battus on daigne pardonner.
Außy bien c’eſt trop vaincre, il faut ſe couronner.
Qu’avant qu’on la demande il accorde la treſve,
Et que par la pitié ſa victoire s’acheve,
Afin que Mars reſpire apres avoir fremy,
Et que nous puißions voir noſtre cher ennemy.
Courez, tandis qu’au temple avec un ſacrifice
Nous allons à nos vœux rendre le Ciel propice.



Scène sixieſme

ACHILLE, ALCIMEDE.
Achille, Il ſort armé l’eſpée à la main.


Ha c’est trop, Alcimede, à ma gloire eſtre lent,
Il faut que je reſponde à ce jeune inſolent,

Que je me ſatisface, & que je le contente,
Puis qu’il nous vient braver juſques dans nôtre Tente,
Par ce coup mes deſſeins ne ſeront plus ſuſpects,
Il finira ma honte, & le ſoupçon des Grecs.

Alcimede.

Mais Polixene ?

Achille.

Mais Polixene ? Ô Dieux !

Alcimede.

Mais Polixene ? Ô Dieux ! Vous l’aimez ?

Achille.

Mais Polixene ? Ô Dieux ! Vous l’aimez ? Je l’adore.

Alcimede.

N’allez point au combat, ſi vous l’aymez encore,
Obeïſſez aux Loix que l’Amour vous enjoint,
Ou ne la voyez plus, ou ne combattez point.

Achille.

Ce n’eſt pas le conſeil qu’Achille voudroit ſuivre,
Ou ne la voyez plus ? ſans la voir puiſje vivre ?
Non, non, ſois aſſuré (fidelle confident)
Que je ne les perdray jamais qu’en me perdant,

En frapant les Troyens je luy veux rendre hommage,
Et je ſçay le ſecret de vaincre ſans dommage,
Je n’attaqueray point qui me vient d’affronter,
Mais en me deffendant je le veux ſurmonter.
Allons, je vay gagner une telle victoire
Que meſme les vaincus auront part à ma gloire.


Fin du troiſieſme Acte.